Paul Faure (1878-1960) est secrétaire général de la SFIO. Pacifiste intransigeant, il refuse la guerre à tout prix. S’opposant à Blum, qui a fini par préconiser une politique de fermeté à l’égard de Hitler et dont l’influence pèse surtout sur le groupe parlementaire socialiste, Paul Faure peut s’appuyer sur une bonne partie de l’appareil du Parti sensible à son éloquence et à sa pratique militante. Il dispose également d’une audience non négligeable chez les postiers et les instituteurs. Ses articles du Populaire, qui s’inscrivent dans la tradition pacifiste du socialisme français, rencontrent un fort écho dans les rangs socialistes parfois heurtés par les inévitables conséquences de la politique défendue par les blumistes. Un rapprochement avec l’URSS va à l’encontre de la conscience de nombreux socialistes farouchement anticommunistes.
— Alors, vous « flandinisez », m’a demandé avant-hier un député d’un groupe du centre.
J’avoue n’avoir pas très bien compris sur le moment le sens de la question. Depuis, j’ai appris qu’un journal l’avait dit — ce qui n’est rien — et qu’un autre l’avait insinué — ce qui est moins que rien.
Je ne sais pas s’il y a une doctrine Flandin1 sur la guerre et la paix. Autant que j’ai pu m’en rendre compte, j’ai le sentiment qu’il y en a eu plusieurs, depuis le traité de Versailles et l’occupation de la Ruhr, jusqu’aux accords de Munich.
J’ai, moi — et je m’excuse de ce ton personnel que je suis bien obligé de prendre pour une fois puisqu’on s’est beaucoup occupé de mes articles et de mes déclarations ces derniers temps —, j’ai, moi, une opinion ancienne sur la guerre et la paix, qui date d’avant 1914, et qui est devenue plus forte avec la réflexion, l’expérience, les événements.
J’ai approuvé Jaurès de n’avoir jamais désespéré de la paix jusqu’à sa dernière pensée ; jusqu’à son dernier souffle, d’avoir avec passion préconisé les pourparlers, les négociations, les médiations, les concessions pour arrêter le conflit.
Quand le drame éclata, je pris place dès les premiers mois parmi ceux — ils n’étaient pas très nombreux au départ — qui demandaient qu’aucune occasion sur le plan diplomatique ne fût négligée pour en finir.
Un peu confusément, une opinion se développait en nous que la France et l’Europe, en plus des souffrances, des massacres, des destructions de chaque jour, se préparaient des lendemains difficiles.
La paix définitive, la dernière des guerres étaient des formules auxquelles nous refusions de souscrire quand on nous disait qu’elles devaient couronner une victoire militaire.
Nous avons, par la suite, dénoncé le traité de Versailles dont il était aisé de prévoir ce qu’il portait d’erreurs et de menaces.
Nous avons depuis protesté sans arrêt et sans défaillance contre la politique des Poincaré2, des Tardieu3, de toute la droite nationaliste vis-à-vis d’une Allemagne désarmée, démilitarisée, où il fallait encourager la République et la Démocratie, ce qu’on ne fit à aucun moment.
C’est l’incompréhension des Alliés, et particulièrement de nos nationalistes, qui a créé le climat où l’hitlérisme a pu naître et grandir. Voilà ce que rien n’effacera.
Les États se mirent à réarmer, à se menacer, à se défier pour aboutir, après les échecs de Genève4, après l’Éthiopie5, après l’Anschluss6, après l’Espagne, à l’affaire tchécoslovaque qui, durant des semaines, a failli mettre le feu aux poudres et incendier le monde.
Comme avant-hier et comme hier, j’ai pensé, nous avons pensé au Parti socialiste, qu’il fallait temporiser, négocier, faire appel à toutes les forces morales et spirituelles du monde pour éviter le recours aux armes. Nous avons été aux côtés du gouvernement français pour toutes les tentatives en cette direction. Nous avons applaudi M. Chamberlain. Comme Jaurès tournait son regard vers le président Wilson, Léon Blum a adressé de pathétiques appels au président Roosevelt, appels qui ne sont pas demeurés sans réponse, ni sans doute sans effet bienfaisant sur la marche des événements. Nous avons applaudi le pape. Nous aurions applaudi le Diable…
Tout n’est sans doute pas clair dans l’horizon. Il reste à asseoir la paix sur des bases solides et, pour cela, mille obstacles nous attendent à toutes les étapes de la route. Par la paix, dans la paix, nous conservons l’espoir de les vaincre.
Par la guerre, tout s’écroulait, jusqu’à l’espérance.
Paul Faure, « La victoire de la Paix », Le Populaire, 2 octobre 1938.
Pierre-Étienne Flandin (1889-1958), ancien président du Conseil de droite, était à l’origine d’une déclaration très hostile à la guerre, qui fut affichée et diffusée le 28 septembre 1938.
Le ministère de Raymond Poincaré (15 janvier 1922-26 mars 1924) se caractérise par une politique étrangère très agressive, notamment à l’encontre de l’Allemagne : il prend la décision de l’occupation de la Ruhr le 11 janvier 1923.
André Tardieu (1876-1945) domine la période 1929-1932, soit comme titulaire de différents portefeuilles, soit comme président du Conseil. Homme d’une droite dure, cet ancien négociateur du traité de Versailles est détesté par la gauche qui l’accuse de faire le lit du fascisme.
Le 24 février 1932, la conférence de Genève sur le désarmement s’acheva sur un échec.
Le 4 octobre 1935, l’Italie agresse l’Éthiopie qu’elle veut s’approprier.
Le 12 mars 1938, Hitler annexe l’Autriche (Anschluss).