Le 22 juin 1940, la délégation française signe dans la clairière de Rethondes l’armistice avec l’Allemagne. Dans un discours radiodiffusé prononcé depuis Bordeaux, le président du Conseil, Philippe Pétain (1856-1951) résume les clauses de l’armistice et définit par quelques formules sentencieuses la morale qu’il entend imposer aux Français.
Je m’adresse aujourd’hui à vous, Français de la métropole et Français d’outre-mer, pour vous expliquer les motifs des deux armistices conclus, le premier, avec l’Allemagne, il y a trois jours, le second avec l’Italie1.
Ce qu’il faut d’abord souligner, c’est l’illusion profonde que la France et ses alliés se sont faite sur leur véritable force militaire et sur l’efficacité de l’arme économique : liberté des mers, blocus, ressources dont elle pourrait disposer. Pas plus aujourd’hui qu’hier, on ne gagne une guerre uniquement avec de l’or et des matières premières. La victoire dépend des effectifs, du matériel et des conditions de leur emploi. Les événements ont prouvé que l’Allemagne possédait, dans ce domaine, en mai 1940, une écrasante supériorité à laquelle nous ne pouvions plus opposer, quand la bataille s’est engagée, que des mots d’encouragement et d’espoir.
La bataille des Flandres s’est terminée par la capitulation de l’armée belge en rase campagne et l’encerclement des divisions anglaises et françaises. Ces dernières se sont battues bravement. Elles formaient l’élite de notre armée ; malgré leur valeur, elles n’ont pu sauver une partie de leurs effectifs qu’en abandonnant leur matériel2.
Une deuxième bataille s’est livrée sur l’Aisne et sur la Somme. Pour tenir cette ligne, soixante divisions françaises, sans fortifications, presque sans chars, ont lutté contre cent cinquante divisions d’infanterie et onze divisions cuirassées allemandes. L’ennemi, en quelques jours, a rompu notre dispositif, divisé nos troupes en quatre tronçons et envahi la majeure partie du sol français3.
La guerre était déjà gagnée virtuellement par l’Allemagne lorsque l’Italie est entrée en campagne, créant contre la France un nouveau front en face duquel notre armée des Alpes a résisté4.
L’exode des réfugiés a pris, dès lors, des proportions inouïes : dix millions de Français, rejoignant un million et demi de Belges, se sont précipités vers l’arrière de notre front, dans des conditions de désordre et de misère indescriptibles.
A partir du 15 juin, l’ennemi, franchissant la Loire, se répandait à son tour sur le reste de la France.
Devant une telle épreuve, la résistance armée devait cesser. Le gouvernement était acculé à l’une de ces deux décisions : soit demeurer sur place, soit prendre la mer. Il en a délibéré et s’est résolu à rester en France, pour maintenir l’unité de notre peuple et le représenter en face de l’adversaire. Il a estimé que, dans de telles circonstances, son devoir était d’obtenir un armistice acceptable, en faisant appel chez l’adversaire au sens de l’honneur et de la raison.
L’armistice est conclu.
Le combat a pris fin.
En ce jour de deuil national, ma pensée va à tous les morts, à tous ceux que la guerre a meurtris dans leur chair et dans leurs affections. Leur sacrifice a maintenu haut et pur le drapeau de la France. Ils demeurent dans nos mémoires et dans nos cœurs.
Les conditions auxquelles nous avons dû souscrire sont sévères.
Une grande partie de notre territoire va être temporairement occupée. Dans tout le Nord, et dans l’Ouest de notre pays, depuis le lac de Genève jusqu’à Tours, puis le long de la côte, de Tours aux Pyrénées, l’Allemagne tiendra garnison. Nos armées devront être démobilisées, notre matériel remis à l’adversaire, nos fortifications rasées, notre flotte désarmée dans nos ports. En Méditerranée, des bases navales seront démilitarisées. Du moins l’honneur est-il sauf. Nul ne fera usage de nos avions et de notre flotte. Nous gardons les unités terrestres et navales nécessaires au maintien de l’ordre dans la métropole et dans nos colonies. Le gouvernement reste libre, la France ne sera administrée que par des Français.
Vous étiez prêts à continuer la lutte. Je le savais. La guerre était perdue dans la métropole. Fallait-il la prolonger dans les colonies ?
Je ne serais pas digne de rester à votre tête si j’avais accepté de répandre le sang des Français pour prolonger le rêve de quelques Français mal instruits des conditions de la lutte.
Je n’ai placé hors du sol de France, ni ma personne, ni mon espoir.
Je n’ai jamais été moins soucieux de nos colonies que de la métropole. L’armistice sauvegarde le lien qui l’unit à elle ; la France a le droit de compter sur leur loyauté.
C’est vers l’avenir, que désormais nous devons tourner nos efforts. Un ordre nouveau commence.
Vous serez bientôt rendus à vos foyers. Certains auront à les reconstruire.
Vous avez souffert, vous souffrirez encore. Beaucoup d’entre vous ne retrouveront pas leur métier ou leur maison. Votre vie sera dure.
Ce n’est pas moi qui vous bernerai par des paroles trompeuses. Je hais les mensonges qui vous ont fait tant de mal.
La terre, elle, ne ment pas. Elle demeure votre recours. Elle est la patrie elle-même. Un champ qui tombe en friche, c’est une portion de France qui meurt. Une jachère à nouveau emblavée, c’est une portion de France qui renaît.
N’espérez pas trop de l’État. Il ne peut donner que ce qu’il reçoit. Comptez, pour le présent, sur vous-mêmes et, pour l’avenir, sur les enfants que vous aurez élevés dans le sentiment du devoir.
Nous avons à restaurer la France. Montrez-la au monde qui l’observe, à l’adversaire qui l’occupe, dans tout son calme, tout son labeur et toute sa dignité.
Notre défaite est venue de nos relâchements. L’esprit de jouissance détruit ce que l’esprit de sacrifice a édifié.
C’est à un redressement intellectuel et moral que, d’abord, je vous convie.
Français, vous l’accomplirez et vous verrez, je vous le jure, une France neuve surgir de votre ferveur.
Philippe Pétain, « Appel du 25 juin 1940 », cité in P. Pétain, Discours aux Français, édition établie par J.-C. Barbas, Paris, Albin Michel, 1989, p. 63-66.
L’armistice est signé avec l’Allemagne le 22 juin, avec l’Italie le 24.
La Belgique capitule le 28 mai, l’évacuation des troupes franco-britanniques débute à Dunkerque le même jour.
L’offensive sur l’Aisne et la Somme commence le 5 juin. Elle oppose aux 49 divisions françaises 140 divisions allemandes (dont 10 blindées).
L’Italie entre en guerre le 10 juin.