1940. La résistance intérieure en ses débuts


En règle générale, les mouvements de Résistance naissent de l’initiative spontanée de pionniers inconnus. Fondé en zone libre le 24 novembre 1940 par Alban Vistel (1905-1994) — futur responsable régional des MUR — (Mouvements unis de résistance qui regroupent Combat, Franc-Tireur et Libération-Sud) —, le mouvement La Reconquête dont l’un des manifestes est ici présenté n’échappe pas à cette règle.

 

FRANÇAIS

 

L’Allemagne d’Hitler reprenant les rêves les plus monstrueux du vieux pangermanisme, ajoutant aux armes du combat les armes les plus viles : espionnage, corruption, trahison, a pu nous infliger une défaite dont on chercherait en vain une semblable au cours de plus de dix siècles d’histoire.

Dès après 1933, l’Allemagne vivait comme une immense armée, toute son activité de Nation n’était tendue que vers un seul but, la guerre, la guerre contre la France. Elle ne s’en cachait point, bien au contraire elle le proclamait à la face du monde. Seuls, nos politiciens et nos classes dirigeantes semblaient l’ignorer ou faisaient métier de l’ignorer.

Nous lui jetterons quelques os à ronger, disaient les esprits forts. Les os furent l’Espagne, l’Autriche, la Tchécoslovaquie, la Pologne, le Danemark, la Norvège, la Hollande, la Belgique, puis… la France.

D’autres proclamaient : Hitler est nécessaire à l’Europe, il est le gardien de l’ordre contre le chaos bolchevique. On sait ce qu’il en est advenu depuis le voyage de M. Ribbentrop à Moscou.

Le mal principal qui nous a conduits à l’abîme, c’est la persévérance avec laquelle chaque parti politique, chaque classe sociale a poursuivi une politique extérieure guidée uniquement par des intérêts de parti ou de classe. On ne fait pas de politique extérieure en fonction des rancunes, des appétits, des revanches contre les membres de la famille France.

Les classes bourgeoises ont jeté un regard, combien superficiel, hélas ! sur les régimes totalitaires ; elles ont cru voir en eux des gardiens de l’Ordre, ordre signifiant conservatisme social périmé.

Les classes populaires ont eu l’intuition fugace de ce qu’étaient en réalité les régimes totalitaires, mais trompées par des chefs incapables et corrompus, elles ont cru voir une différence entre le totalitarisme stalinien et les autres, alors qu’ils sont identiques dans leur mépris des droits sacrés de la personne humaine. Lors de la volte-face stalinienne qui conduisit à la guerre, elles ont perdu pied, elles n’ont plus compris.

Cependant, depuis longtemps, sous couleur d’idéalisme révolutionnaire, la IIIe Internationale poursuivait les buts de l’impérialisme stalinien. Il ne s’agit point là de tactique, ou s’il y a tactique, c’est une tactique grossière et criminelle qui conduit le monde aux ruines, aux deuils, aux catastrophes.

La IIe Internationale nous donna le spectacle de l’incohérence, de la division, de la stérilité.

Que dire des autres partis ? Dans ce jeu où la bêtise le disputait au crime, que devenait la France ? Qui s’en souciait ? C’est ainsi que la France connut son agonie. Maintenant, que trouvons-nous ? Les premières conséquences de cet écrasement honteux. Et dans cet écrasement, les égoïstes d’hier commencent à réfléchir, leurs estomacs inquiets vont leur enseigner à penser. Puissent-ils vaincre en eux cette caricature d’homme qu’est l’égoïste et retrouver un peu de dignité et de sens de l’honneur.

Et dans cet écrasement, ceux-là mêmes qui ont refusé au cours des années qui suivirent le traité de Versailles tout accord loyal avec l’Allemagne vaincue, ceux-là mêmes qui dénonçaient comme traîtres les quelques hommes clairvoyants qui tentaient d’atténuer la rigueur d’une défaite pour que l’ennemi d’hier devînt un bon voisin, ceux-là même qui acculèrent au désespoir une Allemagne qui s’essayait à la Démocratie, ceux-là prônent la collaboration avec le Nazisme.

Une presse à leurs gages n’ayant d’autre inspiration que la peur veut nous démontrer que nous avons été des fous, de grands coupables en irritant M. Hitler, en lui faisant une guerre dont il ne voulait pas.

Allons-nous les croire encore ? Allons-nous croire ces benêts ou ces maquignons qui n’ont su choisir, alors que la France pouvait dicter sa loi à l’Europe, entre les deux seules voies qui s’offraient : celle de la destruction de la puissance allemande ou celle d’un rapprochement équitable avec une Allemagne républicaine ?

Allons-nous croire qu’Hitler sera aussi bête qu’ils l’ont été ? N’ont-ils pas entendu parler de Mein Kampf et de Hitler m’a dit1 ?

Ce tract ne vient pas du ciel, mais du sol de France. Il est l’expression d’âmes françaises, attention aux tracts provocateurs ; notre salut ne peut venir maintenant et plus tard que de nous seuls. Il est lié, certes, à une victoire de l’Angleterre, mais aurions-nous le courage de l’accueillir comme une charité, sans avoir eu l’énergie d’y participer, de la préparer, sans nous en être rendus dignes ?

Notre effort, notre sacrifice sont les seules garanties de notre liberté future, de cette liberté qui est l’air même du sol de France.

Hommes humiliés, mais hommes de cœur, groupez-vous, retrouvez en vous ce sens de la grandeur et de la liberté qui, de Saint Louis à sainte Jeanne d’Arc, des purs héros des guerres de la grande Révolution, à ceux de la Marne et de Verdun, est l’honneur de notre race et notre raison de vivre.

Français, debout ! Pour la France Libre, pour la Reconquête, contre toutes les lâchetés, au-dessus de tous les partis, au combat pour une France fraternelle, dans l’Honneur et dans la Liberté.

La Reconquête, « Manifeste », 1941 (?), cité in A. Vistel, La Nuit sans ombre, Paris, © Librairie Arthème Fayard, 1970, p. 41-43.


1.

Président du Sénat de Dantzig de 1933 à 1934, Hermann Rauschning (1887-1982), après sa rupture avec le nazisme (1935), publie en Suisse ses Gespräche mit Hitler en 1939.