En octobre 1941, le gouvernement vichyssois fixe sa doctrine sociale dans la Charte du travail. Fruit de laborieux compromis, ce texte — dont le rapport préliminaire est ici reproduit — s’inspire des théories corporatistes. Ambiguë, contradictoire, artificielle, la Charte ne connaîtra aucune application concrète, hormis la création, parfois théorique, de quelques comités sociaux d’entreprise.
Monsieur le Maréchal,
L’élaboration d’une « Charte du travail », la détermination de rapports harmonieux et justes entre les patrons, les ouvriers, les techniciens, les artisans ont été, depuis quinze mois, l’une de vos plus constantes préoccupations.
A tout instant — dans vos audiences, au sein des conseils du gouvernement, dans vos messages et dans vos discours — vous avez rappelé votre désir d’imprégner d’un esprit social et novateur les grandes règles de l’organisation française du travail.
Le projet que nous avons l’honneur de vous soumettre est le résultat d’un travail considérable. Il s’appuie sur les vœux émis dans les cahiers nombreux que vous ont adressés, le 1er mai dernier, les provinces françaises. Il tient compte de l’abondante documentation que vous avez recueillie et que vous avez bien voulu nous transmettre. Il s’inspire, enfin, largement des avis qui vous ont été soumis au cours des trois sessions du comité d’organisation professionnelle créé le 28 février dernier1.
Ce comité a pleinement compris l’orientation qu’il convenait de donner au monde du travail. Il l’a montré, en soulignant, par une déclaration solennelle, sa volonté de rompre définitivement avec le vieux système de la lutte des classes.
C’est dans cet esprit qu’il a travaillé. C’est dans cet esprit que nous avons rédigé le projet de charte.
La charte précise les grandes règles qui régiront désormais les rapports des travailleurs, aussi bien dans l’exercice de leur métier que dans le développement de leur vie matérielle et morale. Elle s’adresse à l’industrie et au commerce, aux petites, aux moyennes et aux grandes entreprises.
Elle n’a pas la prétention d’apporter par elle-même des satisfactions directes, mais elle crée des institutions aptes à engendrer une atmosphère plus propice à la justice pour tous et à la prospérité pour chacun.
Nous tenons cependant à souligner deux réalisations concrètes, dont les grandes lignes sont édictées par la charte.
Elle fixe, tout d’abord, les principes du mode de détermination des salaires, mettant ainsi un terme à la plus grande source d’injustices et de discordes intestines du passé dans le monde du travail.
S’inspirant des directions, que vous avez données récemment encore2, tendant à instituer une participation au bénéfice des collaborateurs des entreprises, elle décide ensuite que des prélèvements effectués sur ces bénéfices serviront à la création d’un fonds commun destiné à améliorer la sécurité et le bien-être de ces collaborateurs.
La charte renforce ainsi davantage encore la solidarité déjà si réelle entre les travailleurs et leurs industries.
Il est vain de penser que des ouvriers puissent être heureux au sein d’une industrie en détresse ; la prospérité des entreprises conditionne le bien-être de leurs membres.
La pierre angulaire de la charte réside dans la création des comités mixtes sociaux, au sein desquels se trouveront réunis tous les membres d’une même profession.
Le comité social sera, pour la profession d’aujourd’hui — pour la corporation de demain —, le véritable animateur de la vie professionnelle.
Lien de tous ceux qui concourent à une même production, il recevra, de surcroît, la mission d’assurer la gestion sociale de la profession.
Il aura sa maison commune, où tout homme appartenant à une entreprise de la profession sera sûr, quel que soit son rang, de trouver encouragement, aide et protection.
L’expérience a montré que partout où des hommes de bonne foi se réunissent pour une explication loyale et franche, les oppositions s’atténuent, les malentendus se dissipent, l’accord s’établit, dans l’estime d’abord, dans l’amitié ensuite.
C’est en utilisant les bases de l’organisation professionnelle existante que sera réalisée — dans un esprit nouveau — la jonction de tous ceux que la vie sociale appelle à collaborer.
Les syndicats ont donc leur place dans cet ordre nouveau. Ils auront la double mission de discipliner les libres réactions de leurs adhérents et de participer à la formation des comités sociaux.
Mais ces syndicats ne seront plus les syndicats de tendance du passé. S’ils demeurent voués dans chaque profession à la représentation d’une même catégorie sociale (patrons, ouvriers, cadres), ils seront désormais obligatoires pour être forts, uniques pour être francs. Leur activité sera désormais strictement limitée au domaine de leur profession. Ils vivront et fonctionneront sous l’autorité des comités sociaux et en s’inspirant de leurs doctrines qui ne sauraient être elles-mêmes que celles du Gouvernement.
Dotée de sa charte sociale, la famille professionnelle apparaîtra comme un corps vivant. Elle respectera les lois de l’État. L’État la respectera.
Elle servira ainsi de base à la création des futures corporations qui restent le grand espoir de l’avenir français. Seul, le souci de ménager les étapes et de construire avec fruit n’a permis jusqu’ici de réaliser les corporations que partiellement.
Ces corporations ne se réaliseront que dans une heureuse articulation des liens sociaux et des intérêts économiques d’un même groupe de professions. L’interpénétration de l’économique et du social est une œuvre de longue haleine. Mais la charte du travail définit déjà les liens sociaux. Elle repose, de surcroît, sur une division de notre activité économique en grandes familles professionnelles, au sein desquelles se créeront les sections nécessaires — notamment les sections artisanales — dont l’ensemble fournira une première et utile ébauche de l’œuvre corporative.
La charte du travail ne peut, par elle-même, atteindre les buts qu’elle se propose, sans définir en tête de ses articles l’élément spirituel qu’elle contient.
Cet élément spirituel, monsieur le Maréchal, c’est le vôtre. C’est celui que vous avez communiqué à la France et dont l’œuvre de révolution nationale tire sa justification la plus sûre.
Cet élément spirituel, c’est l’aspiration vers un ordre nouveau où seront assurés :
La primauté de la nation et du bien commun professionnel sur les intérêts particuliers.
La collaboration confiante, loyale et permanente de tous les membres de la profession en vue de réaliser la paix sociale et la prospérité des entreprises.
Le respect d’une hiérarchie fondée sur le travail, le talent et le mérite.
Le développement progressif des réalisations sociales destinées à satisfaire les intérêts et les aspirations légitimes des travailleurs.
La paix sociale est le but suprême. Les institutions du passé ne peuvent être maintenues que dans la mesure où elles expriment le génie libre et divers de la nation. L’avenir est encore riche, chez nous, d’idées, d’efforts, de sacrifices. C’est vers cet avenir que nous nous tournons résolument, sûrs de l’assentiment des patrons, des ouvriers, des techniciens, des artisans, désormais convaincus que l’intérêt personnel ne trouvera sa sauvegarde que dans l’intérêt collectif.
C’est dans cet esprit que nous avons l’honneur de vous soumettre cette charte, que le pays attend, que le monde du travail a longuement souhaitée et qui, par son ampleur comme par sa nouveauté, prendra logiquement sa place dans la série des textes constitutionnels de la France nouvelle.
L’amiral de la Flotte ministre vice-président du Conseil | Le ministre d’État | |
Amiral DARLAN | Henry MOYSSET | |
Le ministre d’État | ||
Lucien ROMIER |
Loi du 4 octobre 1941 relative à l’organisation sociale des professions. Rapport au maréchal de France, chef de l’État français, cité in coll., Le Gouvernement de Vichy, Paris, PFNSP, 1972, p. 337.
Créée le 28 février 1941, cette commission consultative de 27 membres associe représentants syndicaux et patronaux.
Dans son message du 21 septembre 1941, Philippe Pétain précise que les bénéfices disponibles, après rémunération du capital investi, seront équitablement répartis entre patrons et salariés.