1966. Le retrait de l’OTAN


La décision du général de Gaulle de retirer la France de l’OTAN est le terme final d’une politique d’indépendance nationale qui s’est déjà manifestée par plusieurs mesures. En mars 1959, la flotte française de Méditerranée (en juin 1963, il en est de même pour les flottes de la Manche et de l’Atlantique) quitte le commandement intégré. Dans le même temps, interdiction est faite aux Américains d’introduire des bombes atomiques sur le territoire national. En février 1966, de Gaulle annonce le retrait de toutes les unités françaises hors du commandement intégré de l’OTAN et demande le départ de toutes les bases étrangères installées sur le territoire français. Il rend compte de cette décision dans sa conférence de presse du 21 février.

 

Eh bien ! Si la France considère qu’encore aujourd’hui il est utile à sa sécurité et à celle de l’Occident qu’elle soit alliée à un certain nombre d’États, notamment à l’Amérique, pour leur défense et pour la sienne dans le cas d’une agression commise contre l’un d’eux, si la déclaration faite en commun, à ce sujet, sous forme du traité de l’alliance Atlantique1 signé à Washington le 4 avril 1949, reste à ses yeux toujours valable, elle reconnaît, en même temps, que les mesures d’application qui ont été prises par la suite ne répondent plus à ce qu’elle juge satisfaisant, pour ce qui la concerne, dans les conditions nouvelles.

Je dis : les conditions nouvelles. Il est bien clair, en effet, qu’en raison de l’évolution intérieure et extérieure des pays de l’Est le monde occidental n’est plus aujourd’hui menacé comme il l’était à l’époque où le protectorat américain fut organisé en Europe sous le couvert de l’OTAN2. Mais en même temps que s’estompaient les alarmes, se réduisait la garantie de sécurité, autant vaut dire absolue, que donnaient à l’ancien Continent la possession par la seule Amérique de l’armement atomique et la certitude qu’elle l’emploierait sans restriction dans le cas d’une agression. Car, la Russie soviétique s’est, depuis lors, dotée d’une puissance nucléaire capable de frapper directement les États-Unis, ce qui a rendu, pour le moins, indéterminées les décisions des Américains quant à l’emploi éventuel de leurs bombes et a, du coup, privé de justification — je parle pour la France — non certes l’alliance, mais bien l’intégration.

D’autre part, tandis que se dissipent les perspectives d’une guerre mondiale éclatant à cause de l’Europe, voici que des conflits où l’Amérique s’engage dans d’autres parties du monde, comme avant-hier en Corée3, hier à Cuba4, aujourd’hui au Vietnam5 risquent de prendre, en vertu de la fameuse escalade, une extension telle qu’il pourrait en sortir une conflagration générale. Dans ce cas, l’Europe, dont la stratégie est, dans l’OTAN, celle de l’Amérique, serait automatiquement impliquée dans la lutte lors même qu’elle ne l’aurait pas voulu. Il en serait ainsi pour la France, si l’imbrication de son territoire, de ses communications, de certaines de ses forces, de plusieurs de ses bases aériennes, de tels ou tels de ses ports, dans le système militaire sous commandement américain devait subsister plus longtemps. Au surplus, notre pays, devenant de son côté et par ses propres moyens une puissance atomique, est amené à assumer lui-même les responsabilités politiques et stratégiques très étendues que comporte cette capacité et que leur nature et leurs dimensions rendent évidemment inaliénables.

Par conséquent, sans revenir sur son adhésion à l’alliance Atlantique, la France va d’ici au terme ultime prévu pour ses obligations, et qui est le 4 avril 1969, continuer à modifier successivement les dispositions actuellement pratiquées, pour autant qu’elles la concernent.

Charles de Gaulle, conférence de presse, 21 février 1966.


1.

Le traité de l’Atlantique-Nord est surtout un pacte militaire visant à défendre les territoires métropolitains des pays signataires.

2.

L’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique-Nord) est issue du traité signé le 4 avril 1949. Elle comprend : États-Unis, Grande-Bretagne, France, pays du Bénélux, Canada, Norvège, Danemark, Islande, Italie et Portugal. En 1952, la Grèce et la Turquie sont admises, puis, en 1954, l’Allemagne fédérale.

3.

La guerre de Corée (juin 1950-juillet 1953) avait vu les États-Unis intervenir militairement par le biais de la force unifiée des Nations unies confiée au général MacArthur et surtout composée de soldats américains.

5.

Le président Lyndon Johnson se résout à l’engagement armé des États-Unis au Vietnam en 1965.