Le premier tour des élections législatives de 1967 doit avoir lieu le 5 mars. L’ancien ministre de l’Économie et des Finances, Valéry Giscard d’Estaing, continue de marquer sa différence. En janvier, il ouvre la campagne électorale avec un discours où il prend sensiblement ses distances à l’égard de la politique conduite par le général de Gaulle. Il n’en affirme pas moins que son mouvement entend être une force de proposition et non de contestation.
Que signifie notre « oui » ? Sur quoi porte notre « mais » ? Nous disons « oui » au président de la République, « oui » à la stabilité, « oui » à la politique internationale de la France.
Les républicains indépendants1 disent « oui » au président de la République, le général de Gaulle. Ils ont voté pour lui lors de son élection. Nous demandons aux électeurs français de rester en 1967 logiques et cohérents avec leur choix de 1965, bref, aux électrices d’être fidèles et aux électeurs d’être cartésiens.
Oui à la stabilité, condition de toute action politique et nécessaire à la préparation de l’avenir. La stabilité suppose en France, comme partout ailleurs, l’existence d’une majorité stable. Nous respecterons le contrat de majorité de la prochaine législature, auquel nous souscrivons librement. Nous pouvons parler de majorité non comme d’une hypothèse, mais comme d’une expérience. Pendant les quatre ans et demi de la législature qui s’achève et malgré deux crises, la crise agricole2 et le remaniement gouvernemental du 9 janvier 19663, qui en tout autre temps aurait disloqué la majorité, nous avons toujours maintenu la cohésion de celle-ci, à laquelle notre appoint était, on le sait, nécessaire.
Oui à la politique internationale de la France, c’est-à-dire à l’action conduite avec ténacité dans deux directions : le rétablissement de l’indépendance de notre pays et la recherche de la paix dans le monde qui conduit aujourd’hui [la France] à demander un arrêt rapide de la guerre du Vietnam.
Lorsque notre pays exprime aux États-Unis son jugement moral sur cette guerre et l’intérêt qu’il y aurait pour la paix du monde, et sans doute pour eux-mêmes, à ce que les États-Unis s’en retirent, nous souhaitons qu’il soit tenu compte des sentiments explicables de nos alliés de toujours. Le peuple français a mesuré lui-même, pendant qu’il était livré à des conflits éprouvants, en Indochine puis en Algérie, combien il était sensibilisé aux attitudes et aux jugements extérieurs, qui l’ont parfois déçu ; lorsque la France juge à son tour, elle doit éviter de blesser.
[…]
Sur quoi porte maintenant notre « mais » ?
Soyons clairs : notre « mais » n’est pas une contradiction, mais une addition. Il s’agit de compléter la politique actuelle dans trois directions : celle d’un fonctionnement plus libéral des institutions, celle de la mise en œuvre d’une véritable politique économique et sociale moderne, celle de la construction de l’Europe.
La France a trop souffert de l’instabilité politique pour ne pas écarter systématiquement, et presque méticuleusement, tout risque d’y retomber. Mais les institutions de la Ve République, complétées par l’élection du président de la République au suffrage universel et par l’existence d’un contrat de majorité, assurent la stabilité de l’exécutif. Le risque serait plutôt de voir se creuser la distance qui sépare l’opinion publique de ceux qui élaborent les décisions essentielles. La Ve République doit faire une large place au dialogue.
Il y aurait d’ailleurs contradiction à rechercher l’association dans le domaine économique et social, et à ne pas la développer dans le domaine, plus vital encore, de l’action politique. Comment y parvenir ? En établissant dans leur plénitude les deux fonctions du Parlement, c’est-à-dire la fonction législative et la fonction de contrôle, dès lors que leur exercice ne risque plus de conduire à une crise gouvernementale.
Le Monde, 12 janvier 1967, p. 8.
Le 1er juin 1966, Valéry Giscard d’Estaing crée la Fédération nationale des républicains indépendants qui se déclare « libérale, centriste et européenne ».
Jugé responsable de l’échec relatif du général de Gaulle, mis en ballottage par François Mitterrand lors de l’élection présidentielle de 1965, Valéry Giscard d’Estaing perd son portefeuille et préfère quitter le gouvernement plutôt que d’accepter celui de l’Équipement.