Économiste de formation, Raymond Barre (1924) remplace Jacques Chirac à Matignon le 23 août 1976. Après les élections municipales de mars 1977, le Premier ministre, ministre de l’Économie et des Finances démissionne, mais il est immédiatement chargé de former un nouveau gouvernement. Le 26 avril 1977, Raymond Barre présente donc aux députés son programme d’action — avant les législatives de mars 1978 —, alors que la crise économique reste dramatique.
M. le Premier ministre, ministre de l’Économie et des Finances : Aujourd’hui, les facteurs clés de l’inflation sont contrôlés, même s’ils ne sont pas complètement maîtrisés.
La progression de la masse monétaire a été ramenée de 20 p. 100, à la fin de 1975, à 12 p. 100 à la fin de 1976.
Depuis octobre dernier, la baisse du franc a été arrêtée et son cours a été stabilisé par rapport au dollar, monnaie dans laquelle nous payons nos importations de pétrole et de matières premières. La bonne tenue de notre monnaie a permis, depuis deux mois, une diminution progressive des taux d’intérêt favorables aux investissements.
Ce résultat a été obtenu tout en augmentant le niveau de nos réserves de change. Certes, la France a dû recourir, depuis 1974, à l’endettement extérieur pour financer le déficit de sa balance des paiements. Mais, je le rappelle à ceux qui critiquent cet endettement, il n’y avait pas d’autre moyen d’éviter une baisse profonde de notre taux de change ou une réduction draconienne de notre activité économique et de notre niveau de vie. Cet endettement n’est pas excessif si on le rapporte à nos réserves et aux capacités de notre économie. Le crédit international de la France demeure intact.
Enfin, la progression des revenus commence, depuis le dernier trimestre de 1976, à s’infléchir de façon sensible, sans que le pouvoir d’achat des rémunérations soit amputé, comme dans des pays européens voisins.
Déjà apparaissent les premiers fruits de l’effort.
Notre commerce extérieur s’améliore progressivement, mais régulièrement. Nous pouvons espérer que notre balance commerciale sera équilibrée à la fin de l’année.
La hausse des prix en 1976 a été contenue en deçà de 10 p. 100.
Pour 1977, le taux d’inflation sera de nouveau réduit.
Si les indices de prix des mois de mars et avril seront élevés, c’est parce qu’ils subiront l’incidence de trois facteurs considérables qui ne pouvaient être éludés :
— la hausse des prix des matières premières, qui a été de 95 p. 100 au cours des douze derniers mois ;
— la hausse des rémunérations qui a été l’année dernière de l’ordre de 15 p. 100, hausse la plus élevée de tous les pays industrialisés, à l’exception de l’Italie ;
— enfin, l’augmentation au 1er avril des tarifs publics qu’imposait le déficit de certaines entreprises nationales.
Il y aura, bien entendu, de bons esprits pour conclure à l’inefficacité de l’action gouvernementale. Mais il est vrai qu’en ce domaine, lorsque les résultats sont bons, les détracteurs affectent de suspecter les statistiques et, lorsque les indices sont élevés, ils trouvent dans ces mêmes statistiques la preuve de l’échec.
[Applaudissements sur les bancs du Rassemblement pour la République, des républicains indépendants et des réformateurs, des centristes et des démocrates sociaux.]
Les mêmes bons esprits annonçaient une récession de l’économie. Ils ne peuvent cependant observer depuis septembre dernier aucune baisse de la production industrielle…
M. André Labarrère1 : Et les chômeurs ?
M. le Premier ministre, ministre de l’Économie et des Finances :… qui, au contraire, continue de croître, même si le rythme de progression est modéré. On s’attend, maintenant, à une augmentation de 4 p. 100 du volume de l’investissement industriel privé. Le taux de progression de nos exportations est très satisfaisant : 11,3 p. 100 depuis septembre 1976. La croissance économique atteindra, sur l’ensemble de l’année 1977, un rythme que ne permettaient pas d’escompter la gravité des déséquilibres initiaux et les multiples contraintes qui pèsent sur notre économie.
Le point noir de la situation économique française reste cependant l’évolution de l’emploi.
Faut-il, pour y remédier, renoncer à l’orientation actuelle de la politique économique et, comme certains le suggèrent, prendre sans délai des mesures de relance globale ? Le Gouvernement ne le pense pas puisqu’il s’agit là d’une question fondamentale — l’emploi — et d’un choix politique essentiel sur lesquels je dois à l’Assemblée une explication.
Le Gouvernement est décidé à maintenir le cap de sa politique économique tout au long de l’année 1977 car les résultats obtenus jusqu’ici, pour encourageants qu’ils soient, restent fragiles. Il confirme les orientations arrêtées en matière de crédit, de budget, d’évolution des rémunérations. Il se refuse à une relance globale de l’économie pour deux raisons de fond qui expliquent, d’ailleurs, l’attitude prudente des pays qui ont déjà pourtant obtenu de grands succès dans la lutte contre l’inflation — je pense à l’Allemagne fédérale et aux États-Unis.
D’abord, comment effectuer une telle relance ? En majorant inconsidérément le déficit des finances publiques ? En acceptant un nouveau dérapage des revenus ? En créant de la monnaie ? Tous ces moyens signifient le retour à l’inflation. La hausse accrue des prix et la dépréciation nouvelle du franc qui en résulteraient contraindraient, dès la fin de cette année, à prendre de nouvelles mesures restrictives, bien plus rigoureuses, dont l’emploi serait la principale victime. N’oublions pas trop rapidement que l’inflation ne conduit pas au plein-emploi, mais au chômage.
Par ailleurs, l’expérience a montré qu’une action de relance globale a une efficacité douteuse sur l’emploi, car le chômage dans les sociétés modernes n’est pas seulement affaire de conjoncture.
Le Gouvernement ne combat pas et ne combattra pas l’inflation en plongeant le pays dans la récession. Le niveau actuel de l’activité est là pour en témoigner.
Après avoir mis depuis octobre dernier 11,5 milliards de francs de prêts à la disposition des entreprises, notamment des petites et moyennes entreprises qui constituent l’élément vivace de notre tissu industriel, le Gouvernement se propose maintenant d’augmenter le volume des équipements publics engagés en 1977.
Des crédits de paiement supplémentaires d’un montant de 625 millions de francs serviront à accélérer l’engagement des autorisations de programme ouvertes dans les lois de finances récentes.
D’autre part, des autorisations de programme supplémentaires de 1250 millions de francs, assorties de crédits de paiement, seront ouvertes au 1er juillet prochain au titre du fonds d’action conjoncturelle.
Les crédits de ce fonds seront notamment affectés à l’équipement, au logement, aux travaux ruraux, à l’aménagement du territoire et à la protection de la nature et de l’environnement. Dès les prochains mois, l’effet de cette mesure sur les commandes passées aux entreprises dans le secteur du bâtiment et des travaux publics se fera sentir.
La politique de redressement économique et financier est, à moyen terme, la condition nécessaire d’un retour au plein-emploi. Mais nous ne pouvons, à court terme, rester indifférents à l’accroissement du chômage, dont nous connaissons tous les lourdes conséquences sociales et humaines.
Aussi le Gouvernement entend-il mettre en œuvre sans retard un programme d’action qui soit susceptible de produire à brève échéance des effets positifs sur l’emploi, et notamment sur l’emploi des jeunes. […]
Ce programme poursuit deux objectifs distincts, mais complémentaires. Il s’agit, en premier lieu, de mobiliser toutes les possibilités d’offrir un emploi aux jeunes.
A cette fin, le Gouvernement propose un ensemble de mesures d’effet immédiat.
Dès le vote de la loi qui sera nécessaire, tout employeur qui embauchera, au-delà de ses effectifs actuels, des jeunes de moins de vingt-cinq ans jusqu’au 31 décembre 1977, bénéficiera de l’exonération de la part patronale des cotisations de Sécurité sociale jusqu’au 1er juillet 1978.
[Murmures sur les bancs des socialistes et radicaux de gauche.]
Cette mesure s’appliquera aux jeunes sortis depuis moins d’un an du système scolaire ou universitaire, d’un centre professionnel ou du service national.
Un effort de même nature sera engagé en faveur de l’apprentissage. Les maîtres d’apprentissage qui embaucheront des apprentis avant le 31 décembre 1977 seront exonérés de la part patronale des cotisations de Sécurité sociale pendant toute la durée de l’apprentissage, soit deux années. Ils conserveront le bénéfice des ristournes.
De plus, la qualité d’artisan sera maintenue aux employeurs dont l’effectif de salariés dépasserait le seuil de dix à la suite d’embauches nouvelles d’apprentis.
Enfin, l’État contribuera, lui aussi, à l’effort national de création d’emplois. Le Gouvernement autorisera le recrutement à titre temporaire de 20 000 personnes pour les affecter à des tâches à temps complet ou à temps partiel dans des secteurs prioritaires comme les postes et télécommunications, l’action sociale, la jeunesse et les sports, le fonctionnement de la justice et notre représentation économique à l’étranger.
Il s’agit, sur ce dernier point, de compléter l’effort que je demande aux entreprises d’accomplir en faveur du déploiement de notre économie sur les marchés extérieurs.
Parallèlement à ces mesures, le Gouvernement a décidé de prendre deux initiatives.
Il demande aux organisations professionnelles et syndicales de rechercher les conditions dans lesquelles, pendant la période de difficultés que nous traversons, des travailleurs de moins de soixante-cinq ans pourraient bénéficier d’un régime de préretraite excluant tout cumul avec un nouvel emploi.
Par ailleurs, le Gouvernement souhaite faciliter aux travailleurs immigrés privés d’emploi le retour et la réinsertion dans leur pays d’origine, s’ils en expriment le désir. Une aide individuelle, dont le montant pourrait être de l’ordre de 10 000 francs, leur sera accordée.
Le deuxième objectif du programme pour l’emploi est de mieux préparer les demandeurs d’emploi à l’exercice de leur futur métier. Une part sans doute importante du chômage actuel tient en effet à l’inadaptation des emplois recherchés et des emplois offerts. Cela est particulièrement vrai pour les jeunes et pour les femmes.
Le Gouvernement se propose donc d’offrir à tous les jeunes qui le souhaiteraient et qui n’auraient pu trouver un emploi, de bénéficier, à partir de l’automne, soit de stages dans les entreprises, avec une possibilité de formation, soit d’une formation dans des centres publics ou conventionnés.
Ces jeunes recevront une indemnité mensuelle équivalent à 90 p. 100 du SMIC. Les jeunes de moins de dix-huit ans pourront également accéder à ce dispositif et recevront une indemnité de 410 francs par mois.
Par ailleurs, les femmes seules ayant au moins un enfant à charge et les veuves bénéficieront des contrats emploi-formation réservés jusqu’ici aux jeunes.
Ce programme pour l’emploi est sans précédent. [Murmures sur les bancs des socialistes et radicaux de gauche.] Il a un coût global de l’ordre de 3 milliards, dont 1 700 millions de francs à la charge de l’État. Il offre aux jeunes à la recherche d’un premier emploi de grandes possibilités supplémentaires d’insertion dans la vie professionnelle. […]
Communication du gouvernement à l’Assemblée nationale, séance du 26 avril 1977, JO, 28 avril 1977, p. 2127-2128.
André Labarrère (1928) est député socialiste des Pyrénées-Atlantiques.