Le 22 mars 1988, François Mitterrand déclare devant les téléspectateurs qu’il sera candidat à sa propre succession lors des élections présidentielles d’avril-mai 1988. Désireux de maintenir la prééminence de sa fonction, il ne souhaite pas apparaître comme l’homme d’un parti en se trouvant lié au programme de celui-ci. Il annonce qu’il fera peu de meetings. Il fait connaître ses intentions politiques le 7 avril dans une « Lettre aux Français » publiée sous forme de publicité dans Libération et Le Parisien libéré ainsi que dans 23 journaux de province. Il y aborde, de façon libre, les principaux thèmes qui se dégagent au cours de la campagne. Celui de l’immigration n’est pas le moindre.
[…] Depuis des siècles, les enfants qui naissent en France de parents étrangers sont français. C’est ce qu’on nomme le droit du sol. Je crois que, seul, le régime de Vichy, sous l’occupation allemande, a manqué à ce droit. Georges Pompidou, qui fut le dernier à retoucher le Code de la nationalité, l’a respecté. Les enfants d’immigrés nés en France peuvent, à dix-huit ans, opter pour la nationalité de leurs parents. Mais ils n’ont aucun geste à faire pour devenir français. Ils le sont. Pourquoi changer cela ? La France s’en est fort bien portée jusqu’ici.
Mais une confusion a embrouillé cette question pourtant simple. Vous savez que parmi les immigrés qui séjournent chez nous pour trouver du travail ou chercher un asile, certains déposent une demande de naturalisation. Ils n’étaient pas français, ils aspirent à le devenir. Rien à voir avec le problème précédent. Ils font alors l’objet d’enquêtes minutieuses, ils remplissent des formulaires compliqués. Une remarque au passage. Nous nous honorerions en rendant les procédures moins humiliantes : attentes interminables et répétées, rebuffades, délais excessifs. Finalement le rythme des naturalisations reste à peu près le même chaque année. Du commencement à la fin, l’administration demeure entièrement maîtresse de la décision. On ne voit pas quelle garantie supplémentaire pourrait être exigée. Voilà pourquoi je comprends mal — et n’excuse pas — le regain de racisme auquel nous assistons et l’ampleur prise par ce débat dans notre politique intérieure. Je regrette même que le nouveau citoyen français soit accueilli d’une façon si plate, si poussiéreuse. J’aimerais que les naturalisés de l’année fussent reçus comme pour une fête, de façon solennelle et joyeuse, par le maire et dans sa mairie, là où ils résident. On respirerait mieux en France.
[…]
Quand on aborde calmement la controverse sur le Code de la nationalité, on s’aperçoit que ni la situation des « beurs » ni celle des « naturalisés » ne justifient le procès fait aux immigrés qu’ils n’ont jamais été ou bien qu’ils ne sont plus. Or la masse des immigrés de toute origine qui vivent et travaillent chez nous, sans prétendre à la nationalité française parce qu’ils sont fidèles à la leur, ne relèvent pas davantage et par définition de ce fameux code qui nous a valu tant de querelles et dont l’actuel gouvernement aurait pu faire l’économie pour le plus grand bien du pays1. Que l’immigré venu clandestinement en France soit refoulé hors de nos frontières a quelque chose de douloureux, mais le droit est le même pour tous et doit être appliqué, mais appliqué humainement. Quant à l’immigré en situation régulière, pourvu d’une carte de séjour et d’un contrat de travail, il est normal qu’il soit traité, sous tous les aspects de sa vie professionnelle et personnelle, salaire, conditions de travail, protection sociale, école pour les enfants, etc., comme le sont les travailleurs français. La Grande-Bretagne, la Hollande, les pays scandinaves sont même allés jusqu’à reconnaître à leurs immigrés un droit de regard — par le vote — sur des décisions politiques locales ou nationales. Même si je sais que vous êtes, dans votre grande majorité, hostiles à une mesure de ce genre, je déplore personnellement que l’état de nos mœurs ne nous la permette pas.
François Mitterrand, Lettre aux Français, s.e., 1988, p. 41-42.
Il s’agit du gouvernement de Jacques Chirac qui a mis en place une commission pour la réforme du Code de la nationalité.