1989. Le bicentenaire de la Révolution française


Le 14 juillet 1989, la France célèbre avec éclat le bicentenaire de la Révolution française. Dans un article, Edwige Avice (1945), ministre délégué aux Affaires étrangères et ancien ministre de la Coopération, définit l’actualité — et le sens — du message révolutionnaire.

 

Le principal mérite du Bicentenaire est de nous faire prendre conscience de l’actualité et de la vitalité des idéaux démocratiques dans le monde, deux siècles après leur première consécration.

Alors que s’effritent systèmes et modèles, la question de la démocratie n’est-elle pas la grande affaire de cette fin de siècle, qui pourrait devenir celui de la Démocratie, comme le XVIIIe fut celui des Lumières ?

Edgar Morin n’a-t-il pas raison d’écrire dans Le Monde que la trinité liberté-égalité-fraternité « c’est, pour le XXe siècle, l’étoile du futur » ?

En France, ce peut être une réponse mobilisatrice à une recherche — et même aux doutes — sur les finalités de la politique. Nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir pour que la démocratie s’identifie pleinement à la lutte contre les exclusions, à la justice sociale. Pour qu’elle permette enfin que s’exercent, dans la société, les responsabilités des femmes, la citoyenneté des jeunes. Pour que l’action internationale soit neuve et généreuse.

 

« Dès que possible ».

 

Dans le monde, où les idées de 1789 ont cheminé en forme d’espoir, égalité veut dire d’abord développement ; liberté, droits de l’homme ; et fraternité, désarmement. C’est en tout cas de cette manière que de nombreux pays attendent de la France qu’elle défende et soutienne les idéaux attachés à son image.

En Europe, un phénomène me paraît avoir été peu souligné. C’est le retour à l’esprit de la déclaration sur l’Europe libérée, contenue dans les accords de Yalta du 11 février 1945. La déclaration portait l’intention de « créer les conditions de la paix […] ; secourir les peuples en détresse […] : constituer des autorités gouvernementales provisoires, largement représentatives de tous les éléments démocratiques des populations de l’Europe libérée, et qui s’engageront à établir, dès que possible, par libres élections, des gouvernements qui soient l’expression de la volonté des peuples ; enfin faciliter partout où cela sera nécessaire de telles élections ».

Les changements et les élections intervenus récemment en Pologne et en Hongrie, l’abandon officiel de la « doctrine Brejnev » par l’Union soviétique, ne permettent-ils pas de penser que, quarante-quatre ans après, le « dès que possible » commence enfin en Europe de l’Est ?

Les révolutionnaires de 1789 ne sont pas les maîtres de leur postérité. Aujourd’hui, leurs idées trouvent à des milliers de kilomètres de la France un terreau fertile — particulièrement dans les démocraties récentes. Au Brésil ou ailleurs, on les invoque encore, deux cents ans plus tard, et on met au crédit de la France ce qui apparaît, à distance, comme l’immense mouvement d’un peuple porté par sa jeunesse. Il nous faut maintenant justifier ce crédit. Le président Alfonsin1 ne m’a-t-il pas confié : « Vous, les démocraties, vos solidarités pour nos démocraties ne sont souvent que post mortem. »

Dans un monde dur, violent, un océan de pauvreté avec quelques îlots de richesse, la paix ne saurait résulter du seul désarmement, bien qu’il en soit l’une des conditions essentielles. C’est pourquoi les trois axes de notre politique : développement, droits de l’homme, désarmement (les 3 « D »), sont étroitement liés. Sur ces trois terrains, la France a pris des initiatives marquantes.

Notre pays a fait du développement une dimension majeure de sa politique étrangère. Il s’est attaché à pousser la communauté internationale à être plus agissante, à l’amener à une remise en cause. À son initiative, une réflexion sur les devoirs des pays les plus riches a été lancée.

 

Le drame de la dette.

 

Comment ne pas voir que l’endettement provoque un décrochage économique catastrophique pour des pays soumis à des progressions démographiques insupportables, à la pénurie de main-d’œuvre qualifiée et à la recrudescence des grandes endémies ?

Il convient de rappeler avec quelle persévérance le président de la République s’est attaqué à ce drame international, en proposant d’alléger l’endettement, qui atteint en 1989 le montant astronomique de 1300 millions de dollars.

La décision prise à Toronto, en 1988, à l’initiative de la France, a constitué un progrès important pour les pays les plus pauvres : une dizaine de pays d’Afrique sub-saharienne ont depuis lors obtenu du Club de Paris un aménagement de leur dette2.

À Dakar, François Mitterrand a proposé une remise inconditionnelle de la totalité de la dette publique des trente-cinq pays les plus pauvres d’Afrique3.

En ce qui concerne les pays à revenu intermédiaire, le président de la République a lancé, devant l’Assemblée générale des Nations unies, l’idée de créer un fonds multilatéral garantissant le paiement des rémunérations dues aux banques4.

Le prochain sommet des pays industrialisés permettra à la France de souligner encore l’urgence d’une action commune et de proposer à ses partenaires d’aller plus loin.

La célébration du Bicentenaire et du quarantième anniversaire de la Déclaration universelle a fait de notre pays un grand carrefour de manifestations et de débats.

La présence d’Andreï Sakharov, Elena Bonner, Lech Walesa et de tant d’autres à Paris, le 10 décembre 1988, n’était pas une coïncidence5. La venue, en juin dernier, de tant de femmes illustres par leur courage, lors des États généraux organisés par la Fédération internationale des Droits de l’homme et la Fondation France-Liberté6, marque elle aussi la considération que l’on a vu dans le monde pour le travail de la France.

Nous avons fait des propositions novatrices. Elles ont été adoptées à l’unanimité. Elles ont valu à notre pays d’être réélu en tête des candidats à la Commission des droits de l’homme des Nations unies.

 

Champs nouveaux.

 

Bien sûr, beaucoup reste à faire : droits des femmes, de l’enfant, droit à l’environnement et à une meilleure gestion des ressources de la planète, droit à l’établissement d’une éthique pour nous protéger mieux contre certains abus des techniques et des sciences. Ces champs nouveaux des droits de l’humanité, il nous faut les définir, les concrétiser et les garantir.

Il s’agit là d’une priorité internationale dans laquelle nous cherchons à prendre toute notre part : conférence de Paris sur le désarmement chimique de janvier 1989 ; poursuite de l’action en faveur d’un désarmement conventionnel.

La France, avec sa proposition de conférence sur le désarmement en Europe, puis par son action à Madrid et à Stockholm, est largement à l’origine de l’approche retenue en la matière, à savoir la prise en considération dans les négociations d’une zone couvrant l’ensemble du continent européen, de l’Atlantique à l’Oural.

Nous attachons une grande importance à ce que cette entreprise de désarmement soit insérée dans le cadre plus large de la CSCE7, processus à long terme visant à surmonter la division actuelle de l’Europe.

Enfin, nous avons voulu lier notre réflexion sur un désarmement général, progressif et contrôlé, à la réflexion sur le développement. La France a pris l’initiative de la première conférence des Nations unies qui se soit tenue sur ce thème, en 1987. L’analyse des relations complexes entre désarmement et développement mérite d’être reprise et prolongée.

 

Sur ces trois sujets essentiels pour le XXIe siècle, les perspectives sont ouvertes. A nous maintenant de les traduire d’une manière suffisamment claire et convaincante pour qu’elles soient comprises et partagées, d’abord, par les générations nouvelles.

Il est vrai qu’il faut compter avec le temps. La démocratie est une idée globale et un long processus. Même dans notre pays, nous n’avons pas encore tiré toutes les conséquences de cette idée-là. À un moment où certains se félicitent de la fin des idéologies, plaidons plutôt pour le retour des idéaux. Nous les avons implicitement à l’esprit quand nous dénonçons la faim, la torture, la guerre. Exprimons-les sur un mode positif.

Le nouvel ordre international ne peut s’accomplir sans la démocratie, c’est-à-dire sans un souffle de liberté, de justice et de paix.

E. Avice, « Vers un nouvel ordre international », Le Monde, 12 juillet 1989.


1.

Raoul Alfonsin est président de la République argentine de 1983 à 1989.

2.

Au sommet des pays les plus industrialisés de Toronto (19-21 juin 1988), les 7 décident d’alléger la dette des pays en voie de développement.

3.

Au troisième sommet francophone (Dakar, 24-26 mai 1989), François Mitterrand annonce que Paris renonce sans condition aux 16 milliards de francs dus par 35 pays africains.

4.

Selon l’idée défendue par François Mitterrand aux Nations unies en septembre 1988.

5.

Lors de la célébration du 40e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme au Palais de Chaillot, François Mitterrand invite notamment Lech Walesa, fondateur de Solidarnosc. Dissidents soviétiques, Andrei Sakharov et sa femme, Elena Bonner, sont également autorisés à participer à cette manifestation.

6.

Centrée sur la défense des droits de l’homme, France-Liberté est présidée par l’épouse du président de la République, Danielle Mitterrand.

7.

La conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe commence ses travaux à Helsinki en 1975 et associe toutes les nations européennes, pays de l’Est inclus.