Édouard Drumont (1844-1917) avait commencé une médiocre carrière de romancier en publiant notamment en 1878 Le Dernier des Trémolins. Mais ce sont ses nombreux pamphlets antisémites qui font de ce polygraphe catholique un écrivain à succès. La publication en 1886 de La France juive fait de Drumont le docteur incontesté de l’antisémitisme français. Les réimpressions de son livre sont immédiates. En 1889, l’ouvrage en est déjà à sa 65e édition. Le talent de Drumont fut de fédérer plusieurs traditions : l’antijudaïsme catholique et l’hostilité populaire au « capitalisme juif » que cultivait parfois la gauche. Ce sont la psychologie et la sociologie qui intéressent Drumont bien plus que la biologie, terrain sur lequel il ne s’avance que très prudemment.
L’Aryen, est-il nécessaire de le répéter, est un être de foi et de discipline, et il garde ces sentiments même dans la révolution : il est né pour être le croisé intrépide et croyant, le soldat de la vieille garde, la victime obscure et intéressante encore d’une Commune. Il est tour à tour le héros de la Chanson de geste, le grognard que célèbre Béranger1, le combattant noir de poudre des trois Journées, celui qui
… Sur l’or jonché devant ses pas, Vainqueur, marchait pieds nus et ne se baissait pas.
La Commune eut donc ainsi deux faces :
L’une déraisonnable, irréfléchie, mais courageuse : la face française.
L’autre mercantile, cupide, pillarde, bassement spéculative : la face juive.
Les fédérés français se battirent bien et se firent tuer.
Les communards juifs volèrent, assassinèrent et pétrolèrent pour cacher leurs vols. Certains négociants établis rue de Turbigo organisèrent la dévastation comme une opération commerciale, et se retirèrent à New York deux ou trois fois millionnaires.
Comme le Nathan, dont parle Maxime Du Camp2, les Juifs firent la grande soulasse ; seulement l’assassinat suivi de vol fut cette fois compliqué d’incendie.
La Commune eut également deux résultats.
D’abord elle enrichit, dans de modestes proportions, il est vrai, la bohème juive qui, après le passage du gouvernement de la Défense nationale, ne put guère que secouer les tiroirs, mettre la main sur de petites caisses oubliées, dépouiller surtout les palais, les ministères et les hôtels particuliers des chrétiens de leurs objets d’art. (La Commune n’a pas touché une seule fois à une propriété juive ; pas une seule des 150 maisons des Rothschild n’a été incendiée.)
Ensuite — résultat autrement important — elle fit égorger trente mille Français par des Français.
Les Allemands, en échange de leur haute et dédaigneuse protection, ne demandèrent qu’une chose à la Commune.
Après avoir détruit le prestige de nos armées, ils étaient offusqués encore de la glorieuse légende de nos ancêtres. Cette colonne, faite de canons pris à des Allemands, qui se dressait dans Paris, les gênait ; malgré leur facile triomphe sur le neveu, ils en voulaient encore à l’Imperator invincible que l’on apercevait drapé dans le manteau des Augustes,
Le matin dans l’azur, le soir dans les étoiles.
Maîtres de Paris, ils n’eussent pas touché à cette colonne ; ils ont respecté partout les monuments de nos victoires et les images de nos héros, le tombeau de Marceau3, les statues de Fabert4, de Kléber5, de Rapp6. Il y a des choses que les Aryens ne font pas eux-mêmes ; mais ces choses-là, parfois, ils les font faire par des Sémites comme pour prouver que ceux-ci peuvent être utiles à l’occasion.
Édouard Drumont, La France juive, Paris, Morpon et Flammarion, 1886, p. 317-319.
Les chansons de Pierre Jean de Béranger (1780-1857), qui incarnent une certaine forme de l’esprit populaire, sont très souvent d’accent patriotique. Nombreuses sont celles qui célèbrent la légende napoléonienne.
Maxime Du Camp (1822-1894) est l’auteur de nombreux récits de voyages en Orient dans lesquels les clichés antisémites sont parfois présents.
Abraham de Fabert (1599-1662) est un des maréchaux de France à l’héroïsme le plus légendaire.
Jean-Baptiste Kléber (1753-1800), général de la Révolution, héroïque combattant des Turcs, tomba sous le poignard d’un mameluk.
Le général Jean Rapp (1772-1821) combattit dans toutes les grandes batailles de l’Empire.