En 1887, alors même qu’une droite extrême tente de s’organiser contre la République et ses valeurs, éclate le scandale des décorations qui affaiblit le régime et contraint le président de la République à la démission. Jules Grévy (1807-1891), élu en 1879, semblait pourtant incarner l’austérité et l’honnêteté républicaines. Il tombe victime de son gendre, Daniel Wilson, homme d’affaires richissime et politicien retors, qui trafique de son influence et de sa position pour favoriser ses amis. Il s’applique en particulier à attribuer des décorations en échange de services de toutes sortes. La presse et les chansonniers s’emparent du thème du « pot-de-vin ». Cette chanson, écrite par Émile Carré, connut un succès considérable. Les textes imprimés en furent saisis le 8 octobre 1887.
1
J’ suis un honnêt’ pèr’ de famille
Ma seul’ passion c’est l’ jeu d’billard
Un blond barbu, joli gaillard,
Un’ fois m’ demand’ la main d’ma fille.
Nini, qui, s’ desséchait d’attendre
Un parti, m’ dit : papa, je l’ prends.
Y s’ sont mariés, mais c’ que j’ m’en r’pens1 !
Ah ! quel malheur d’avoir un gendre.
2
D’abord y s’fit donner un poste,
Grâce auquel il put à propos,
En s’affranchissant des impôts,
Ne rien affranchir à la poste.
Un jour il voulut s’en défendre
A Tours et dans les alentours2,
Mais il en fut pour son discours !
Ah ! quel malheur d’avoir un gendre.
3
Sous c’ nom : Pod’ vins et compagnie,
Mon gendre ouvrit des magasins,
S’associant à des limousins3
Pour exploiter un fonds d’ merc’rie.
A sa boutique y s’ chargeait d’vendre
Rubans, faveurs4… Ah ! que cam’lot !
Maint’nant, son commerce est dans d’l’eau5.
Ah ! quel malheur d’avoir un gendre.
4
Moi, j’ suis pur et bon d’ma personne,
On m’appell’ mêm’ papa Clément.
Mon gendre n’ peut en dire autant,
Maint’nant qu’ son nom dans la vill’ sonne
Comme un nom qu’on n’ peut pas entendre
Sans dire : enlevez-le ! n’en faut plus !
J’ crois qu’il est fini… comm’ Paulus.
Ah ! quel malheur d’avoir un gendre.
5
Ma fill’ qu’ aim’ pas les cafards, elle6,
Et craint qu’y n’ nuis’nt à son mari,
Pendant qu’ mon gendre à son gré vit,
Sur lui veille et fait sentinelle.
Que d’tours il fit sans s’ laisser prendre !
L’impudent pour les fair’ bravait
Tout ! jusqu’à la plainte au parquet.
Ah ! quel malheur d’avoir un gendre.
6
Avec lui j’en ai vu de grises !
Fallait qu’ j’emploie à chaque instant
Mon nom, mon crédit, mon argent,
A réparer tout’s ses sottises.
Dans ma caisse, à force d’en prendre,
Avec un sou s’il me laissait,
J’ vous d’mande c’ que mon sou vaudrait7 !
Ah ! quel malheur d’avoir un gendre.
Archives de la préfecture de police (APP Ba 873).
Daniel Wilson épouse Alice Grévy en octobre 1881.
Wilson est député radical d’Indre-et-Loire et sous-secrétaire d’État aux Finances.
Mme Limouzin et son compagnon sont deux intermédiaires utilisés par Wilson.
Wilson avait investi dans la filature de Loches.
Le général d’Andlau est impliqué dans le trafic des décorations.
Le général Caffarel, sous-chef d’état-major, victime du krach de la banque catholique, l’Union générale, tente de se rétablir par des trafics sur les commandes de l’armée.
Grévy recevait régulièrement à Mont-sous-Vaudrey. Wilson contribuait à l’élaboration de la liste des invités.