A partir de 1901, la France cherche à étendre sa domination sur le Maroc, une politique qui ulcère Guillaume II. Réclamée à Tanger par l’empereur allemand, une conférence internationale, réunie à Algésiras du 16 janvier au 7 avril 1906, cherche à régler le contentieux qu oppose sur cette question Paris à Berlin. Sous la plume d’Alceste (le journaliste Hippolyte Castille), le quotidien nationaliste La Presse — le journal du soir qui connaît les plus forts tirages — commente cet épineux problème.
Il n’était pas nécessaire d’être grand clerc en diplomatie pour annoncer que les représentants des puissances européennes à Algésiras finiraient inévitablement par faire de la bouillie pour les chats.
Il y a déjà plusieurs semaines que nous avons annoncé que l’entente se produirait très aisément sur toutes les questions où d’avance l’on était d’accord, mais que l’on n’arriverait à rien sur le seul point intéressant, celui de l’organisation de la police1.
Dans une communication, dont la forme est aussi naïve que le fond, l’Agence Havas semble s’étonner de cet aboutissement qui, pourtant, pouvait être aisément prévu et se demande gravement ce que l’Allemagne peut bien vouloir, en suscitant toutes ces difficultés.
Ce que l’Allemagne veut, il y a longtemps que tout le monde, sauf les diplomates, le sait à merveille. Elle veut, sur l’Atlantique, une zone d’influence policière qu’elle ne tardera pas à transformer en une zone d’occupation militaire avec un point de relâche et d’appui pour ses navires de commerce et pour sa marine de guerre.
La dernière guerre entre la Russie et le Japon a démontré pour les nations européennes la nécessité d’avoir, en raison du rayon d’action des cuirassés, des stations de ravitaillement en vivres et en charbon. L’Allemagne n’en a pas entre Kiel et Cameroun, et elle désire en avoir. Il n’y a pas de mystère là-dedans et le dernier des écoliers aurait pu, dans cet ordre d’idées, pénétrer les secrets des chancelleries.
Entre l’Allemagne, qui s’installerait sur les côtes de l’Atlantique, et l’Italie qui ne tardera pas à prendre pied dans la Tripolitaine, qui ne comprend qu’il y aurait là pour nos possessions de l’Afrique du Nord un danger commercial et militaire qu’il était de notre intérêt essentiel d’éviter.
La maladresse de M. Delcassé2 nous avait jetés dans ce guêpier ; l’habileté tant vantée de M. Rouvier3 aurait dû s’appliquer à nous en tirer. Loin de là, le président du Conseil nous a engagés dans cette funeste conférence d’Algésiras qu’il aurait été prudent d’éviter, si l’on ne voulait pas arriver à un lamentable aveu d’impuissance.
Personne, évidemment, ne veut la guerre à l’occasion du Maroc ; mais alors, le plus sage n’était-il pas de laisser passer l’orage et de rester dans un statu quo où le temps travaillait pour nous, plutôt que de vouloir obtenir une solution qui, en tout cas, ne pouvait être satisfaisante pour nous. Au lieu de cela, le gouvernement a mis notre doigt dans l’engrenage et nous nous demandons avec inquiétude, aujourd’hui, si le corps tout entier ne va pas y passer.
S’il s’était agi d’une combinaison financière, M. Rouvier se serait probablement montré plus expert ; mais voilà, on ne peut pas tout savoir, et tel brille à la Bourse qui s’éclipse dans la guerre ou dans la diplomatie. Nous avons déjà eu M. Berteaux4 qui ne s’est pas montré très reluisant comme guerrier ; son ex-collègue n’est pas plus heureux comme diplomate. Vous vous rappelez le mot de Beaumarchais, qui est toujours vrai : « Il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l’obtint. »
Alceste [H. Castille], « Le gâchis d’Algésiras », La Presse, 14 février 1906.
Depuis 1901-1902, les droits de police au Maroc appartiennent à la France, ce que l’Allemagne conteste.
Ministre des Affaires étrangères en 1905, Théophile Delcassé (1852-1923) refuse le principe de la conférence d’Algésiras. Guillaume II réclame alors la démission de ce ministre qui quitte le Quai d’Orsay le 6 juin 1905.
Président du Conseil, Maurice Rouvier (1842-1911), connu pour son habileté financière, prend les Affaires étrangères après le départ de Delcassé.
Maurice Berteaux est ministre de la Guerre de novembre 1904 au 12 novembre 1905, mais ses projets militaires (en matière de fortifications notamment) sont vigoureusement contestés.