1920. Une intervention de Marcel Cachin au Congrès de Tours


Marcel Cachin (1869-1958) avait été socialiste, délégué permanent à la propagande. Il appartenait au courant guesdiste. Pendant la guerre, il se rallie naturellement au courant majoritaire hostile au pacifisme. En juillet 1920, il se rend à Moscou, accompagné de Frossard, pour négocier les conditions d’adhésion de la SFIO à la IIIe Internationale. Fraîchement reçus par les bolcheviques, les deux émissaires socialistes peuvent néanmoins assister au deuxième congrès de l’Internationale où ils exposent la ligne du Parti socialiste français. L’un et l’autre reviennent convaincus de la nécessité de l’adhésion à la nouvelle Internationale. Ils défendirent cette position au congrès de Tours où ils présentèrent leur propre résolution.

 

J’en viens à une querelle d’un tout autre ordre que certains socialistes ont cherché à la Révolution russe et par laquelle l’on cherche de manière inattendue à écarter de la IIIe Internationale la majorité de nos partis.

On a dit : « Comment ! Voilà une révolution communiste qui commence par distribuer la terre à l’ensemble des paysans russes, au lieu de s’en tenir à la doctrine communiste intégrale ! »

Est-ce que cette pratique est, elle aussi, comme celle de la violence, contraire à notre tradition socialiste française ? Je croyais que, sur ce point, tous nos congrès nationaux et internationaux avaient été unanimes. Ils ont toujours déclaré que la révolution réalisée devait tenir compte des moments de l’évolution que nous vivons.

Une voix : C’est de l’opportunisme !

Cachin : Oui, c’est de l’opportunisme et du meilleur.

[Applaudissements.]

Les Russes ont donc, après leur révolution faite, appliqué cet opportunisme-là ; mais il ne convient pas de jouer sur les mots et de confondre l’opportunisme d’avant et celui d’après la Révolution.

[…]

Ils ont donc mis la main sur la forteresse centrale d’où, aujourd’hui, la bourgeoisie tire dans tous les pays sur l’ensemble des prolétariats qui ne se sont pas encore saisis du gouvernement. Ils l’ont fait avec une parfaite clarté de vue, dans le but avoué de réaliser le communisme plein et total, avec l’esprit politique le plus haut ; nous avons, nous, à les en féliciter au lieu de multiplier contre leur œuvre les chicanes et les réserves.

[Très bien !]

Ce que nous attendons d’eux par-dessus tout, en ce moment, c’est que la grande Commune qu’ils ont instaurée ne tombe pas sous les coups du capitalisme international ; c’est qu’ils résistent à tout prix et qu’ils continuent à maintenir là-bas, debout, la république sociale qu’ils ont édifiée.

S’ils laissent à leurs paysans la possession individuelle de leur sol dans certaines conditions, cela n’empêche pas que, avec une passion dont nous avons eu, Frossard1 et moi, des exemples multiples, ils tentent dans l’agriculture même de fournir des exemples de travail collectif ; ils occupent, à l’heure actuelle et malgré tout, en Russie, au travail du sol national, près d’un million d’hommes sous les formes de coopératives paysannes, de domaines soviétiques, de communes agricoles, car leurs modes de distribution de la terre furent et demeurent infiniment souples et variés.

Je me souviens d’une réunion à laquelle nous assistâmes dans un Soviet fort éloigné de Moscou, celui de la grande ville industrielle de Saratof. On nous avait conviés à assister à la délibération, et il se trouvait précisément que l’ordre du jour portait la question des communes agraires ; les ouvriers et les ouvrières, l’ensemble des représentants du Soviet local, étudiaient, avec patience et avec un grand souci du réel, le problème des communes agricoles travaillées collectivement. Leur gouvernement en comportait un grand nombre, auxquelles ils faisaient de multiples visites, au sujet desquelles ils formulaient les enquêtes et les statistiques.

Les orateurs apportaient là le résultat de leurs observations, et la directive générale à laquelle ils obéissaient tous était de porter les domaines collectifs à un tel degré de progrès, de perfection et de rendement qu’ils deviendraient des modèles pour les petits propriétaires jusqu’à présent attachés au sol que le bolchevisme vient de leur attribuer.

[Applaudissements.]

C’est là une vieille conception ; nous l’avons souvent formulée dans nos programmes et dans nos congrès. Les Russes ont l’avantage sur nous d’avoir essayé de mettre les premiers ces principes en application.

[Très bien !]

XVIIIe Congrès national, compte rendu sténographique, Paris, SFIO, 1920, p. 353-355.


1.

Ludovic-Oscar Frossard (1889-1946) est secrétaire du Parti socialiste. Instituteur, il rallie la majorité de Tours mais quitte le Parti communiste en 1923.