En 1923, Lyautey, le résident général, achève au Maroc la pacification de la zone du protectorat français. Dans le nord, occupé par les Espagnols, le cadi de Melilla, Abd el-Krim (1882-1963), reste maître des montagnes après avoir infligé en 1921 une sévère défaite au général Silvestre. Selon le gouvernement du Cartel, le cadi, fort de ses succès, menace de porter la guerre sainte dans la zone française. Dès le mois de mars 1924, L’Humanité dénonce les préparatifs d’une expédition militaire contre Abd el-Krim. En mai 1924, Lyautey, estimant nécessaire de protéger la région de Fez, donne l’ordre aux troupes françaises de franchir l’Ouergha. Abd el-Krim peut désormais prendre prétexte de cet acte pour engager une guerre ouverte.
Camarades soldats !
Fils d’ouvriers et de paysans, comme vos frères au travail, vous protesterez contre la guerre du Maroc. Demain, lorsque vous reviendrez à l’usine et aux champs, vous devrez payer les frais d’une guerre que vous aurez déjà faite.
On vous a dit que les Marocains étaient animés de sentiments d’hostilité à votre égard, que c’étaient de grands criminels ! Rien n’est plus faux. Abd el-Krim, le vainqueur de Primo de Rivera1, fut, il y a quelques années, un sujet docile de l’Espagne. Ce sont les brutalités des colonisateurs contre le peuple marocain qui l’ont fait se dresser contre la domination des grands mineurs du Rif. Il essuya lui-même les pires injures. Défendant, très poliment, les revendications des indigènes devant les officiers de l’armée espagnole, il fut giflé et cravaché par l’un d’eux. Comment voulez-vous que les Marocains, traités de la sorte, n’aient pas du ressentiment contre la domination étrangère ? Mais leur haine des généraux et des officiers qui vous commandent, et que vous ne portez pas non plus dans votre cœur, ne leur fait pas oublier que vous n’êtes pas de la même catégorie que ces derniers. Entre l’officier et le soldat, le Marocain sait établir la différence. Entre le maître et l’esclave, le Marocain sait juger qu’il n’y a pas d’intérêts communs.
La cause que défendent les Marocains est également la vôtre. Vous êtes les ennemis du capitalisme français et espagnol, tout comme Abd el-Krim et les Kharkas qui le suivent. La défaite de Primo de Rivera est aussi bien accueillie par le soldat de Malaga qui se soulève et le gréviste de Barcelone que par le Marocain qui a vaincu.
Les révolutionnaires de France et d’Espagne, les jeunes communistes qui ont organisé la fraternisation dans la Ruhr vous disent que votre devoir d’ouvrier et de paysan est de fraterniser avec les populations opprimées du Maroc.
En France, en Espagne, notre campagne pour l’évacuation du Maroc se développe chaque jour. A chaque instant, la poussée ouvrière se fait plus forte pour arrêter ce meurtre utile aux intérêts de quelques requins capitalistes.
La force et l’union des ouvriers, des paysans, des soldats, des peuples coloniaux, imposeront aux capitalistes de France et d’Espagne l’évacuation du Maroc et des autres colonies.
Vive l’évacuation du Maroc !
Vive la fraternisation des soldats français et espagnols avec les Arabes !
Vive l’indépendance totale du Maroc !
A bas les guerres coloniales !
Le Comité d’action des Jeunesses communistes de France et d’Espagne
Paris, le 30 septembre 1924
Jacques Doriot, La Guerre du Rif. Les impérialistes et le Maroc, Paris, L’Humanité, 1924, p. 54.
A la suite d’une forte agitation anarchiste en Catalogne, le général Miguel Primo de Rivera y Orbaneja (1870-1930) constitue en 1923 un directoire qui prend vite un caractère dictatorial.