1926. Vers le sauvetage du franc


Le 21 juillet 1926, le gouvernement Édouard Herriot tombe, victime de la crise financière. Le président Doumergue appelle alors au pouvoir l’homme qui, en 1924, a opéré un premier sauvetage du franc : Raymond Poincaré (1860-1934). Le 26 juillet, le président du Conseil présente aux députés son programme.

 

M. le président : La parole est à M. le président du Conseil pour une communication du Gouvernement.

[Applaudissements au centre, à droite et sur divers bancs à gauche. Interruptions à l’extrême gauche communiste. Bruit prolongé.]

M. Marcel Cachin1 : A bas la guerre !

M. Maurice Gautier : Voilà l’homme de la Ruhr !

M. le président : Je vous prie d’écouter.

M. Raymond Poincaré, président du Conseil, ministre des Finances : Messieurs, le cabinet qui se présente devant vous s’est formé dans un esprit de réconciliation nationale, pour parer au danger qui menace, tout à la fois, la valeur de notre monnaie, la liberté de notre trésorerie et l’équilibre de nos finances.

M. Marcel Cachin : On ne vous voit que dans les temps de malheur !

[Applaudissements à l’extrême gauche communiste. Exclamations au centre, à droite, et sur divers bancs à gauche.]

M. Poitou-Duplessy2 : C’est pour réparer vos fautes qu’il est là !

[MM. les députés siégeant à l’extrême gauche communiste se lèvent et chantent L’Internationale. Vives protestations à gauche, au centre et à droite. Bruit prolongé.]

M. le président (s’adressant à l’extrême gauche communiste) : Veuillez écouter M. le président du Conseil ; sinon, je serais obligé d’user contre vous des sanctions du règlement.

[Vifs applaudissements au centre, à droite et sur de nombreux bancs à gauche. MM. les députés siégeant sur ces bancs se lèvent et applaudissent M. le président du Conseil.]

Sur les bancs de l’extrême gauche communiste : Hou ! hou ! Poincaré !

[Vives protestations au centre, à droite et sur divers bancs à gauche. Bruit.]

M. le président : Je vous prie de cesser ces outrages à un homme qui est l’honneur de la République.

[Applaudissements au centre, à droite et sur divers bancs à gauche.]

Sur les bancs de l’extrême gauche communiste : Hou ! hou ! Poincaré !

M. le président : Si vous persistez à interrompre, je vais suspendre la séance.

Sur divers bancs à gauche, au centre et à droite : Non ! non !

M. le président : Je vous prie d’écouter en silence la déclaration du Gouvernement.

M. le président du Conseil : La Chambre sait que je n’ai pas le droit d’interrompre la lecture de la déclaration. Je ne l’interromprai donc pas et je ne répéterai même pas ce que j’ai dit.

[Applaudissements.]

Chacun des hommes qui se sont ainsi rapprochés…

[Vives interruptions à l’extrême gauche communiste.]

M. Garchery3 : 11 mai !

[Exclamations. Bruit.]

M. le président : Monsieur Garchery, je vous rappelle à l’ordre.

M. le président du Conseil : Chacun des hommes qui se sont ainsi rapprochés pour travailler, d’un même cœur, à cette œuvre de salut public a considéré qu’il avait le devoir d’y consacrer en ce moment toute sa pensée et toutes ses forces.

Il pourra se poser plus tard d’autres questions sur lesquelles ces hommes différeraient d’opinion, mais, aujourd’hui, ils sont entièrement d’accord sur la nécessité, sur l’urgence et sur les moyens du sauvetage financier.

[Interruptions à l’extrême gauche communiste.]

M. Renaud Jean4 : 11 mai !5

M. le président : Monsieur Renaud Jean, je vous rappelle à l’ordre.

M. Renaud Jean : La France a retrouvé sa véritable figure !

M. le président : Je vous rappelle à l’ordre avec inscription au procès-verbal.

[Applaudissements au centre et à droite.]

M. le président du Conseil : Ils vous demandent donc de leur faire confiance et de leur permettre d’accomplir, avec votre concours, la mission dont M. le président de la République a bien voulu les investir.

Après un examen attentif et consciencieux de la situation, nous avons, messieurs, la profonde conviction qu’il est possible d’améliorer rapidement l’état des finances françaises et de relever le cours de notre devise. Ce résultat dépend entièrement d’une collaboration immédiate et résolue entre le Gouvernement et les Chambres.

[Applaudissements au centre, à droite et sur divers bancs à gauche. Interruptions à l’extrême gauche communiste.]

M. Renaud Jean : Et le Cartel des gauches !

M. le président du Conseil : Nous vous soumettons, dès maintenant, un projet de loi qui a pour objet de couvrir l’insuffisance actuelle de nos ressources par rapport à nos charges.

Pour conjurer à tout jamais de nouveaux risques d’inflation, nous vous proposons de voter, avec le principe d’économies importantes, les suppléments de recettes indispensables.

Si l’impérieuse obligation de les recouvrer sans aucun retard nous force à accroître, comme l’ont suggéré les experts, certaines contributions indirectes…

[Interruptions à l’extrême gauche communiste et sur divers bancs à l’extrême gauche.]

M. Clamamus6 : C’est cela !

M. le président : Écoutez, vous discuterez tout à l’heure.

M. le président du Conseil :… nous demanderons en même temps, par des taxes directes, à la fortune acquise, l’équitable participation qu’elle est prête à fournir [exclamations à l’extrême gauche communiste et sur divers bancs à l’extrême gauche. Applaudissements au centre et à droite] et dont une partie servira à doter annuellement une caisse d’amortissement des bons de la défense.

Nous ferons appel à votre clairvoyance et à votre patriotisme pour écourter, par une discipline volontaire, des débats qui, en se prolongeant, aggraveraient le mal au lieu de le guérir.

[Applaudissements au centre, à droite et sur plusieurs bancs à gauche. Interruptions à l’extrême gauche communiste.]

M. Cornavin7 : Vous auriez toujours la ressource d’aller à Bordeaux une fois de plus.

M. le président du Conseil : L’application de ce premier remède ne nous dispensera pas de veiller continuellement sur l’état de nos finances et de compléter notre effort initial par des mesures destinées à maintenir la confiance publique…

M. Henriet8 : Et le pain à 3 francs !

M. le président du Conseil :… à nous permettre de remplir avec ponctualité tous les engagements de l’État, à stimuler la production métropolitaine et coloniale et à développer la vitalité du pays.

[Applaudissements au centre et à droite.]

Nous n’avons pas la prétention de résoudre en quelques semaines, ni même en quelques mois, l’ensemble des problèmes économiques et financiers qu’un malaise à peu près universel a fait surgir devant nous. L’essentiel est d’aller d’abord au plus pressé, sans détours et sans tergiversations.

Autant que nous-mêmes, les nations qui sont nos créancières et envers qui la France a la ferme volonté de s’acquitter, dans toute la mesure de ses facultés, ont intérêt à ce qu’avant tout nous mettions fin à une crise monétaire qui tient à des causes multiples, mais dont il n’est nullement impossible de calmer la violence et d’annihiler les efforts périlleux.

M. Désoblin9 : Vous avez ruiné les petits épargnants.

M. le président du Conseil : La France a connu des heures plus graves et plus douloureuses que celles-ci. Elle s’est sauvée alors par l’union et par l’énergie. Aujourd’hui encore, c’est aux mêmes conditions qu’est subordonnée la victoire.

Messieurs, abordons immédiatement notre lourde tâche, pour la République et pour la patrie.

[Vifs applaudissements au centre et à droite et sur plusieurs bancs à gauche. Vives interruptions à l’extrême gauche communiste.]

Chambre des députés, séance du 27 juillet 1926, JO, 27 juillet 1926.


1.

Marcel Cachin (1869-1958), député communiste de la Seine.

2.

Jacques Poitou-Duplessy (1885-1967), député des Charentes appartenant à la Fédération républicaine.

3.

Jean Garchery (1872-1957), député — à l’époque communiste — de la Seine.

4.

Renaud Jean (1887-1961), député communiste du Lot-et-Garonne.

5.

En augmentant les impôts pour résoudre la crise financière, Raymond Poincaré facilite la victoire électorale du Cartel des gauches (11 mai 1924) qui le contraint à la démission.

7.

Gaston Cornavin (1894-1945) est député communiste du Cher.

8.

Paul Henriet (1866-1954) est député communiste de la Seine.

9.

Augustin Désoblin (1873-1956) est député communiste du Nord.