1929. La crise de 1929


Dès le 22 octobre 1929, la Bourse de New York enregistre une forte baisse qui s’amplifie le jeudi 24 et se poursuit les jours suivants. Au terme de cette « décade noire », les titres se sont dépréciés de 20 % en moyenne, enclenchant une crise sans précédent dans l’histoire du monde. Les contemporains sont toutefois loin de mesurer l’importance de l’événement, comme le démontre le regard que pose l’austère Temps sur cette tempête boursière.

 

27 octobre 1929. — Le marché financier s’est trouvé cette semaine en présence de deux événements importants : la chute inopinée du cabinet Briand1 et l’effondrement des bourses américaines. Or, sa tenue s’est caractérisée par une résistance des plus vigoureuses, qui contrastait singulièrement avec la faiblesse dont il avait fait preuve auparavant, alors qu’aucun élément défavorable ne semblait justifier son découragement.

Sans doute, la nouvelle de la crise ministérielle provoqua tout d’abord, mercredi dernier, un recul sensible des cours de nos valeurs, en particulier des rentes françaises. Mais dès le lendemain une reprise s’esquissa, qui s’accentua vivement au cours de la dernière séance de la semaine.

Pour ce qui concerne le revirement des tendances de Wall Street, nous avions fait remarquer depuis longtemps que, le jour où il se produirait, les places européennes en général, et la nôtre en particulier, devraient s’en féliciter plutôt que s’en plaindre.

Car l’effervescence de la spéculation à New York a été, ces derniers temps, un élément de trouble très grave pour les autres marchés. L’argent disponible dans le monde entier était attiré à New York, soit par la perspective d’importants profits à réaliser sur les valeurs, soit par la cherté du call money, qui permettait des placements exceptionnellement avantageux à très court terme.

Il en est résulté une gêne monétaire, à laquelle nous avons échappé grâce à la situation privilégiée de notre institut d’émission, mais dont les effets ont été néfastes à Londres aussi bien que sur les marchés de l’Allemagne et de l’Europe centrale, effets dont nous avons subi les répercussions indirectes du fait des réalisations de titres français pour compte étranger, que le resserrement monétaire international avait entraînées.

Dès que la spéculation américaine s’est apaisée, la situation s’est améliorée en Europe. Le change britannique sur New York s’est vivement relevé, à telles enseignes que la livre sterling fait actuellement prime sur le dollar et que des envois d’or d’Amérique en Grande-Bretagne deviendront sans doute possibles avant peu. Libérées des inquiétudes monétaires, les banques anglaises ont pu se montrer plus larges envers leurs débiteurs, d’où détente de l’argent en Allemagne et dans les pays voisins. Tout cela parce que les capitaux européens jusque-là employés à New York — où ni la tenue de Bourse, ni les taux de l’argent au jour le jour ne les retiennent désormais — commencent à être rapatriés en masse, y compris les capitaux français dont le retour ne peut que donner plus d’aisance à notre propre marché monétaire.

Que la Bourse de Paris, se rendant compte de cette évolution logique, en ait tiré des conclusions favorables, on ne saurait s’en étonner, encore qu’on eût pu craindre que la débâcle des marchés américains ne produisît, au début, une impression déprimante.

Ce qui est plus surprenant, c’est que la crise ministérielle l’ait laissée à peu près indifférente, et que l’incertitude de la situation politique n’ait pas mis obstacle à l’amélioration progressive des cours qu’on a notée pendant les deux dernières séances.

Évidemment, le sentiment de sécurité relative que donne le rétablissement d’une monnaie stable, appuyée sur des réserves d’or et de devises extrêmement fortes, peut expliquer, dans une certaine mesure, le calme avec lequel le marché a accueilli la démission du cabinet. Mais ce calme n’en contraste pas moins avec l’inquiétude que suscitait, il y a encore peu de mois, la moindre intrigue politique. D’autres éléments ont donc contribué à affermir la résistance de la Bourse.

Ces éléments sont d’ordre essentiellement technique. Ils paraissent résider surtout dans la position même de notre place. Depuis plusieurs semaines, d’importantes liquidations n’avaient cessé de peser sur le marché. Elles s’effectuaient en grande partie pour compte étranger, mais des dégagements de la spéculation locale s’en étaient suivis en raison du fléchissement des cours, qui avait fini par ébranler la solidité des rares positions à la bourse qui subsistaient encore. Or, les ventes d’origine extérieure se ralentirent au moment même où la situation intérieure de la Bourse était redevenue saine. En outre, de larges ventes à découvert avaient été effectuées par la spéculation professionnelle.

Dans ces conditions, il n’y avait à peu près plus rien à vendre lorsque la crise éclata, et l’existence d’une position à la baisse relativement importante provoqua des rachats, dès que l’élément vendeur eut constaté la pénurie des offres.

On a pu ainsi observer, une fois de plus, que la situation technique de la place a sur l’évolution du marché une influence décisive, influence souvent plus forte que ne l’est celle des événements les plus importants qui se produisent en dehors de la Bourse.

Il ne faut toutefois pas se dissimuler que ce facteur n’exerce qu’une action temporaire. La position du marché se renverse rapidement, et à mesure qu’elle se modifie, les influences extérieures, psychologiques ou autres, redeviennent prépondérantes. On s’abuserait, par conséquent, en s’imaginant que la Bourse se désintéressera complètement de l’évolution politique. Ses perspectives ultérieures dépendront, dans une large mesure, de l’impression de satisfaction ou d’inquiétude que lui donneront la composition et le programme du futur gouvernement.

« La semaine boursière », Le Temps, 28 octobre 1929.


1.

Le onzième ministère Briand chute le 22 octobre.