Chapitre VIII

COMMENT S’ÉCRIT LA PRÉHISTOIRE

« …il ne s’agit pas ici de répandre la vérité ni de faire des découvertes scientifiques pour éclairer la communauté. Tout cela est affaire de salut personnel… »

PAUL VEYNE, Le quotidien et l’intéressant. Entretiens avec Catherine Darbo-Peschanski, p. 245.

Le préhistorien partage sans doute avec l’ensemble des chercheurs un certain goût pour la devinette, pour l’énigme, pour le jeu. Une envie d’en découdre avec l’inconnu, avec un problème qui résiste à sa sagacité, un peu à la manière d’un détective qui prend plaisir à démêler une affaire. C’est sans doute ce qu’a voulu dire Paul Veyne dans la citation placée en exergue de ce chapitre, mais il est peut-être exagéré de réduire l’activité du chercheur au seul salut personnel, et son désir d’éclairer le monde ou, plus modestement, de faire part de ses trouvailles à ses collègues est aussi bien réel. Quelles que soient ses motivations, scientifiques ou plus personnelles, il lui importe en tout cas de les divulguer auprès de la communauté scientifique, voire au-delà.

Toute recherche en préhistoire débouche donc — ou devrait déboucher — sur une publication qui rend compte des résultats obtenus. On peut même dire que la publication constitue la finalité même de cette recherche, dans la mesure où, une fois fouillés, les sites disparaissent. Si le résultat des fouilles n’est pas publié, c’est un peu comme si le site n’avait jamais existé. Le processus de l’écriture fait intimement partie de l’analyse et de la recherche elle-même. Nous avons vu précédemment que l’interprétation y jouait un grand rôle et le format d’écriture choisi — du rapport de fouille à l’ouvrage de vulgarisation — ne va donc pas être neutre.

Au début des années 2000, des sociologues, historiens et économistes ont débattu de l’opposition entre « le modèle et le récit », en posant la question suivante : « … si la frontière épistémologique passe entre les sciences expérimentales ou formalisées, d’une part, et les sciences narratives, de l’autre, en quoi ces dernières se distinguent-elles du discours d’opinion, de l’interprétation libre de l’essayiste ou de la fiction littéraire(366) ? » Les auteurs s’interrogeaient entre autres sur les ruptures et les continuités entre le récit sociologique ou historique et le récit littéraire, ou entre la modélisation descriptive, familière aux sociologues et aux historiens, et la formalisation. J’ai déjà traité de la question de la modélisation des données(367) et je me pencherai ici plus spécifiquement sur celle du récit. Jean-Claude Gardin, seul archéologue à avoir participé au débat, proposait de dissocier clairement les deux modes de discours non par le style de l’écriture, mais par « le degré de liberté que chacun s’accorde dans l’enchaînement des propositions constitutives [des] constructions(368) ». En d’autres termes, il distinguait d’un côté le modèle, qui repose sur une construction logico-empirique, de l’autre le récit, qui est une « suite d’interprétations très faiblement défendables(369) ».

En réalité, il n’y a pas de rupture nette entre le modèle et le récit. Je vais le montrer à partir de l’examen des trois types principaux d’écriture qui se présentent au préhistorien lorsqu’il souhaite diffuser ses résultats. Il dispose de plusieurs moyens de faire connaître son travail : le publier dans des revues spécialisées qui ne s’adressent qu’à ses pairs ; en vulgariser les résultats à l’intention d’un public plus large, sans détailler la démarche qui les a produits ; opter pour le medium plus riant de la fiction romanesque. Ces trois modes de publication correspondent à trois modes de transmission des connaissances, où les procédés d’écriture diffèrent. On verra cependant que ces différences ne sont que de degré. Pas question bien sûr de déclarer que l’une de ces formes d’écriture est supérieure aux autres. Toutes trois nécessaires, elles ne s’adressent d’ailleurs pas au même public.

DE LA PUBLICATION SPÉCIALISÉE…

De nombreuses publications spécialisées ne sont en fait que des rapports de fouille, avec « un ensemble de matériaux à peine dégrossis(370) » car il faut malheureusement convenir que la plupart des préhistoriens ne savent pas écrire. C’est pourquoi je n’ai pas dissocié ici la contribution au rapport de fouille, dont la diffusion est restreinte au groupe ayant participé au travail collectif, de la publication spécialisée, qui est destinée à l’ensemble des membres de la communauté scientifique. J’insiste sur l’importance de cette publication, cruciale, puisque nous avons vu qu’à la différence de l’historien, l’archéologue ne peut pas revenir sur la fouille, même si les objets recueillis et les plans restent toujours accessibles à la manière des archives des historiens. C’est d’ailleurs dans un souci de restitution intégrale de l’information que quelques publications en ligne commencent à voir le jour, avec des catalogues aussi exhaustifs que possible(371).

Revenons à la forme la plus classique de publication spécialisée, celle de l’article destiné aux pairs. Elle est, en préhistoire du moins, rédigée dans une langue exempte de toute recherche stylistique ; on se veut « objectif », les adjectifs appréciatifs sont le plus possible évités. En un mot, le chercheur, fidèle en cela à une conception poppérienne de la démarche scientifique, écrit sous le contrôle de la communauté des pairs et se soumet au risque de la réfutation. Est-il si sûr cependant qu’il y parvienne ? Les tenants de la New Archeology n’en doutaient pas, mais je crains que le ver de l’irréfutabilité ne se glisse très tôt dans la pomme du discours préhistorique. Ainsi, Alain Gallay, lui pourtant si désireux de rapprocher la préhistoire des sciences expérimentales, a souligné le tiraillement que peut ressentir l’archéologue, qui oscille constamment entre deux objectifs : « d’une part la mise en évidence et la description méticuleuse et obsessionnelle des faits matériels […], d’autre part la présentation d’explications anthropologiques et historiques censées rendre compte de tous les aspects de la vie des hommes d’autrefois(372) ». Et cette oscillation se manifeste dans la composition même de la plupart des publications spécialisées. Le corps de l’article spécialisé n’a pas le même statut scriptural que sa conclusion. Si détaillé qu’il puisse être, il n’est en général que descriptif. On y livre un corpus, on décrit des objets, on risque éventuellement de prudentes comparaisons et quelques statistiques, mais tout cela n’est au fond qu’un travail de laborantin. L’auteur ne devient un chercheur à proprement parler que dans la conclusion, laquelle est presque toujours, même à son insu, l’amorce d’un récit.

Deux exemples suffiront. L’étude d’Olivier Le Gall sur les vestiges de poissons à la grotte ariégeoise des Églises conclut, après plusieurs pages de description et de décompte d’os de saumons, que, si dans la zone fouillée les vertèbres thoraciques sont plus abondantes que les vertèbres caudales et si l’atlas et l’axis sont absentes, c’est que la tête des poissons était tranchée après capture et laissée auprès de la rivière, et que les Magdaléniens ont parfois emporté la partie caudale charnue de certains d’entre eux(373). Mais qu’est-ce que cela sinon la relation d’une succession d’actions se déroulant dans le temps, c’est-à-dire un récit ? Un tout petit récit certes, à l’intrigue toute simple, mais c’est ce récit qui donne tout son intérêt à l’article, et le texte qui précède ne visait qu’à le rendre plausible. Nous sommes passés subrepticement du paradigme du modèle au paradigme du récit : le plus austère des préhistoriens peut difficilement s’empêcher, ne serait-ce que dans la dernière ligne de ses articles, de devenir quelque chose qui ressemble beaucoup à un historien. Et qui, du même coup, ressemble un tout petit peu à un romancier.

Autre exemple, celui de l’étude de Michel-Alain Garcia sur les empreintes de pas du réseau Clastres de Niaux. Précis et descriptif, l’article s’achève par une conclusion à laquelle j’ai déjà fait une allusion implicite :

« Voici un scénario que l’on peut imaginer : les visiteurs viennent de l’entrée préhistorique de la Galerie Clastres où les enfants ont laissé des empreintes dans quelques plaques boueuses, puis ils parviennent dans la partie centrale du réseau ; sur la plage 5, les enfants longent la paroi, l’homme adulte marche au milieu de la galerie et entre eux une femme, grande adolescente ou adulte, marche au bord du banc de sable.

Plage 5, les enfants sautent et franchissent l’eau des gours puis tout le monde monte plage 4. La femme y reste, peut-être avec le plus jeune, alors que les autres redescendent et s’arrêtent à la hauteur de la plage 1. Le groupe ensuite est reparti vers l’entrée préhistorique en passant par les gours du milieu de la galerie(374). »

Là, au moins, les auteurs avouent qu’ils « imaginent » un « scénario », c’est-à-dire une petite histoire, même réduite à une seule scène au demeurant charmante. C’est ce résultat qui nous intéresse et on devine sans peine que c’est à ce récit qu’ils voulaient parvenir, et l’article perdrait sans lui une grande partie de sa raison d’être.

De même, l’expérimentateur qui propose en conclusion la reconstitution d’une chaîne opératoire particulière devient aussi narrateur. Il en est ainsi encore lorsqu’on tâche de comprendre la place d’un site dans un ensemble régional ou chronologique ou bien quand on veut resituer telle ou telle production technique, sociale ou esthétique dans un ensemble donné.

Certains auteurs cherchent à donner plus de vie encore à leurs résultats. Lorsqu’elle imagine la circulation des coquillages, Yvette Taborin évoque des visiteurs de passage laissant quelques parures à leurs hôtes ou des jeunes épousées en route avec leurs bijoux vers le campement de leurs beaux-parents. Elle infère de cette aimable fiction « la reconnaissance et la pratique des liens de fraternité entre groupes, tellement indispensables à la sécurité et à la survie d’un groupe de chasseurs(375) ». Là, l’intrigue est plus complexe qu’une simple histoire de pêche ou que les batifolages de garnements pataugeant dans la gadoue. Nous sommes cette fois incontestablement passés du côté de la fiction narrative, mais la différence avec nos deux exemples précédents n’est que de degré.

Fort bien nous dira-t-on, mais si importantes et si attrayantes parfois que soient les dernières lignes de nos articles, c’est tout ce qui précède qui fait de nous des scientifiques, et qu’on ne dise pas que là, nous racontons des histoires. Est-ce si sûr ? Lorsque Nicole Pigeot propose le remontage d’un nucléus, que fait-elle sinon dire que l’objet lui-même, dans toute sa brute matérialité, raconte une histoire ? Car recomposer un nucléus, remonter un puzzle à trois dimensions, c’est bel et bien suggérer une séquence d’actes qui s’est déroulée dans le temps. Et c’est bien ainsi que les narratologues définissent un récit. Le modèle lui-même est ici devenu un récit.

Et même lorsque, plus modestement, nous nous en tenons à la description de faits que nous croyons matériels, sommes-nous si objectifs que nous le proclamons ? Dès l’instant où le chercheur sélectionne les caractères qui lui paraissent pertinents pour en faire l’étude, il doit faire parler les données : comme je l’ai dit dès les premières pages du présent ouvrage, les choses que nous exhumons ne deviennent des objets archéologiques que pour autant que nous les avons transformés en documents. Mais c’est le regard que nous portons sur eux qui opère cette transformation. Et ce regard est riche de toute l’histoire de la discipline. Ce n’est pas pour rien que nous voyons aujourd’hui plus de choses que nos prédécesseurs, au point de juger utile, à l’occasion, de fouiller dans les déblais qu’ils avaient méprisés : derrière l’œil qui voit, il y a l’œil qui pense, et cet œil-là ne pense que dans la mesure où il se raconte un peu des histoires. Les objets ne sont pas lisibles d’eux-mêmes, il faut les faire apparaître comme tels. On retrouve ici le thème sur lequel ce livre n’a cessé de varier : il serait erroné d’opposer une phase d’observation, qui serait objective, à une phase d’interprétation, qui serait plus subjective. L’observation est déjà une interprétation, la différence étant peut-être que le sujet qui interprète est alors un sujet collectif, à savoir l’ensemble de la communauté scientifique, qui, à un moment donné de son histoire, tient tel ou tel trait pour digne ou non d’être relevé.

… À LA LITTÉRATURE DE VULGARISATION…

Passons maintenant à ce qu’on appelle la littérature de vulgarisation. La définition la plus simple de ce qu’on entend par là est peut-être celle du Dr René Verneau qui précise, à propos de son Enfance de l’humanité, paru en 1890, que son ouvrage n’est « ni un roman, ni un livre ne pouvant être lu que par des spécialistes(376) ». Il revendique la rigueur scientifique tout en se voulant accessible au plus grand nombre de lecteurs.

Comment parvient-on à réaliser cette double ambition ? Ayant moi-même tâté du genre(377), je vais présenter brièvement les objectifs que je m’étais fixés et les moyens que je m’étais donnés pour les atteindre.

Mes objectifs étaient de 1) restituer à l’usage du néophyte des connaissances scientifiques « nettoyées » de toute la « cuisine » scientifique ; 2) lui présenter du concret, et enfin 3) faire « revivre » les hommes du passé sans toutefois tomber dans le piège de la généralisation.

S’agissant de mon premier objectif, je n’ai gardé que les résultats obtenus, sans détailler les circonstances de leur obtention. Des publications consultées, je n’ai donc conservé que les quelques lignes « narratives » de leurs conclusions. C’était du reste une exigence de l’éditeur. Pour mettre ma conscience en paix sans contrevenir à cette impérieuse exigence, j’ai tout de même mis à la disposition du lecteur une bibliographie détaillée à laquelle renvoyaient des notes irréprochablement discrètes.

Quant à mon deuxième objectif, ce ne fut au fond qu’une affaire de syntaxe. Dans notre prose professionnelle, l’homme paléolithique apparaît essentiellement dans la position du complément d’agent, le rôle du sujet étant tenu par les documents archéologiques sur lesquels nous nous penchons, ce qui donne à nos phrases la tournure de base suivante : cet objet (que j’ai pris tant de peine, cher lecteur, à décrire et à analyser à ton intention) a été utilisé de telle et telle manière par les occupants de la Grotte Une Telle. Mon travail d’écriture a consisté à faire passer ce genre de phrase de la voie passive à la voie active : Les occupants de la grotte (sujet) ont utilisé de telle et telle manière ces silex (objet) (et si tu souhaites, cher lecteur, savoir ce qui me permet de l’affirmer, va consulter la bibliographie).

C’est ainsi que j’ai écrit à propos des vertèbres de saumons de la grotte des Églises dont il a déjà été question : « … abandonnant la tête des poissons au bord de l’eau, les pêcheurs n’ont rapporté au campement que les corps. Puis, après les avoir accommodés dans la grotte, ils ont emporté la partie caudale de certains salmonidés. Celle-ci aura sans doute été fumée ou séchée au-dehors, lors d’une expédition loin de la grotte, ou bien conservée pour n’être dégustée que plus tard, dans l’habitat principal… »(378) On voit donc que je n’ai fait en réalité que rendre explicite ce qui était implicite dans l’article scientifique.

Pour réaliser mon troisième objectif, j’ai nuancé toutes les affirmations pour indiquer au lecteur que ce qui est vrai à tel moment ou tel endroit n’était pas forcément vrai toujours et partout. Ce sont des formules du type : dans tel site, à telle époque, les hommes ont fait ceci ou cela…

Au bout du compte, mes phrases avaient donc un sujet (l’homme du Paléolithique, héros du livre), un complément d’objet (les documents archéologiques dont l’élucidation est le pain quotidien du métier de préhistorien) et des compléments circonstanciels de temps et de lieu en nombre assez élevé (trop élevé au goût de l’éditeur, qui s’est cependant laissé faire).

Ce genre de travail grammatical a, je crois, des chances de rendre la lecture des faits archéologiques moins douloureuse au néophyte, mais, comme dit Jean-Claude Gardin quand il se désole que nos restitutions du passé n’aient qu’une valeur « tristement “locale” », il ne permet pas de parvenir à « des tableaux aussi riches qu’on l’aimerait des modes de vie ou des pensées propres aux sociétés anciennes »(379).

On peut conclure de tout cela qu’au fond, il n’y a que très peu de différences autres que grammaticales entre une publication scientifique (ou du moins ses dernières lignes de conclusion) et sa publication sous forme vulgarisée. Je parle bien entendu de la littérature de vulgarisation due à des auteurs dominant leur sujet. Lorsque le sujet n’est pas dominé, on arrive bien sûr à des résultats détestables. Pensons par exemple, bien qu’il ne s’agisse plus d’écriture, au film de Jacques Malaterre intitulé Homo sapiens, diffusé sur France 3 en janvier 2005, où le fantasme vulgaire le dispute à une évocation désuète digne de Victor Hugo : « Lorsqu’avec ses enfants vêtus de peaux de bêtes / Échevelé, livide au milieu des tempêtes… »

… ET AU ROMAN PRÉHISTORIQUE

Au risque d’en choquer certains, je vais essayer de montrer qu’au fond, le roman préhistorique ne diffère de la littérature scientifique et de la littérature de vulgarisation que par une différence de degré supplémentaire.

On peut distinguer deux grandes catégories de « fictions préhistoriques », qui divergent par leurs objectifs mais qui sont soumises à des contraintes analogues. La première catégorie comprend les fictions écrites par un archéologue qui utilise l’outil littéraire pour rendre compte des acquis de la connaissance scientifique. On peut parler ici de roman « appliqué ». L’un des plus anciens romans de ce type a été publié en 1935 par Max Bégouën, l’aîné des trois frères qui ont découvert la grotte… des Trois-Frères. Citons, dans un autre genre, la bande dessinée réalisée par Alain Gallay avec André Houot en 1992(380). Comme il l’a expliqué, Alain Gallay a privilégié l’un des scénarios possibles pour rendre compte de changements culturels observés à travers les vestiges archéologiques(381). Une des hypothèses qu’il avance en tant que préhistorien devient ainsi le thème du récit.

Dans ma seconde catégorie de fiction préhistorique, le romancier, qui n’est pas archéologue, privilégie le romanesque et s’intéresse à l’histoire d’un ou de plusieurs personnages qu’il fait évoluer dans un cadre préhistorique. Les faits préhistoriques ne sont plus ici le thème du récit, mais seulement son cadre. Il existe bien entendu de très mauvais romans préhistoriques, mais il va de soi que seule nous intéresse ici ce que l’on peut considérer comme de la « bonne littérature historique », c’est-à-dire une construction romancée qui a « le double mérite de s’appuyer sur les acquis de la recherche scientifique et de les prolonger par les artifices de la création littéraire…(382) ».

Je ne parlerai pas de La guerre du feu, qui a enchanté notre adolescence, mais qui s’appuyait sur un état de la science préhistorique trop dépassé aujourd’hui pour que son examen ait un grand intérêt ici, et prendrai plutôt l’exemple de la saga en cinq volumes de l’écrivain américaine Jean M. Auel, Les enfants de la Terre, qui fait parcourir à la jeune Ayla un périple de plusieurs années depuis ses plaines russes natales jusqu’au Bassin aquitain(383).

Que ces acquis scientifiques interviennent comme le thème du roman ou qu’ils n’en soient que le cadre, la mise en forme de l’histoire se doit d’être le plus proche possible de la plausibilité. L’obstacle principal « réside dans le désir contradictoire de vouloir concilier le respect du passé avec la liberté de création fictionnelle(384) ». Pour le surmonter, l’auteur, qu’il soit préhistorien ou romancier, va utiliser les données environnementales et les données archéologiques et les compléter avec des données ethnographiques et expérimentales. Alain Gallay a bien montré comment ces données appartiennent à des cercles comparatifs allant du particulier au général(385). Ce sont :

— des références locales concernant le contexte topographique et géographique et la végétation ;

— des références régionales regroupant les connaissances acquises sur la préhistoire de la région concernée : elles concernent les techniques, l’économie, l’architecture, le vêtement, la parure et ce que l’on peut supposer des croyances religieuses ;

— des références ethnographiques permettant de se faire une idée de l’organisation sociale. En suivant cette démarche, le romancier admet qu’il existe dans notre monde certaines régularités concernant l’organisation sociale. Nous avons vu plus haut que ce point de vue peut être critiqué et jugé trop réductionniste.

Si l’on cherche à retrouver ces trois niveaux de référence dans Les enfants de la Terre de Jean M. Auel, on s’aperçoit que l’auteur a scrupuleusement respecté les références locales. Ses descriptions comportent des détails sur la faune et la flore, parfois même sur la géologie. Ainsi, sa présentation de la steppe herbeuse de la plaine russe et de sa faune semble sortir tout droit d’une monographie archéologique(386). Son souci d’exactitude est tel qu’il semble même qu’elle craint parfois d’être accusée de généralisation abusive. Ainsi, à propos de l’habitat en grotte, elle se sent tenue d’expliquer que : « Tous les hommes des Cavernes ne vivaient pas dans ce type d’habitat. Ils habitaient aussi dans des habitats construits en plein air. Malgré tout, les caches naturelles creusées dans le rocher avaient à leurs yeux une valeur inestimable, surtout pendant la saison froide(387). » Ce genre de précaution oratoire est un peu l’équivalent des compléments circonstanciels que je me suis imposés lors de l’écriture des Hommes au temps de Lascaux, et, à mon avis, Jean M. Auel aurait pu s’en dispenser. Mais ces scrupules l’honorent.

Jean M. Auel puise ses références régionales dans les connaissances actuelles sur les sites du début du Paléolithique supérieur, d’abord en Russie et en Europe centrale, puis dans le sud-ouest de la France. Il en est ainsi de sa description de la grande habitation collective du Camp du Lion(388). On découvre l’habitation par les yeux d’Ayla au fur et à mesure qu’elle s’en approche et qu’elle la parcourt. Il est évident qu’à ce moment de la rédaction, l’auteur avait devant elle toute une documentation sur les habitats du complexe de Kostienki-Avdeevo, en particulier de l’habitation du niveau 1 de Kostienki I et de l’habitation de Kostienki IV, ainsi que sur les cabanes de Mezirich et de Mezin (Ukraine). On y retrouve l’aspect extérieur en tertre, les différents éléments surmontant le toit, la voûte faite de défenses de mammouths croisées fixées dans un manchon, les sols creusés en cuvette avec un foyer en leur centre, l’alignement des pièces le long d’une rangée de foyers, le pseudo-ensemble musical de Mezin. Sans doute s’est-elle appuyée là sur des reconstitutions aujourd’hui contestées, comme on l’a vu, mais on ne saurait lui en faire le reproche. Elle écrivait un roman, pas une thèse.

Le caractère lacunaire des données archéologiques oblige l’écrivain à compléter sa documentation en puisant dans le registre ethnographique. La dimension narrative intervient pour décrire tout ce qui ne se conserve pas : vêtements, outils et provisions suspendus à la charpente en os de mammouths, litières faites de fourrures amoncelées le long des parois, tentures et rideaux en peaux de mammouths qui ferment les issues et découpent l’espace…

Le troisième niveau des cercles comparatifs concerne les références ethnographiques qui permettent de se faire une idée de l’organisation sociale. Un seul exemple tout a fait remarquable suffira à montrer comment l’auteur tente de restituer les mécanismes qui régissent les liens sociaux entre les individus chez les premiers hommes modernes. On se souvient de la remarquable double sépulture d’enfants mise au jour en 1969 par Otto N. Bader à Sungir’ en Russie, déjà évoquée plus haut. Les enfants reposaient dans une fosse longue de trois mètres sur une couche d’ocre rouge, flanqués de deux longues lances en ivoire de mammouth. Leurs deux corps, au lieu d’être étendus l’un contre l’autre, ne se touchaient que par le sommet de la tête et étaient étendus de façon symétrique par rapport à cet unique point de contact (ce qui explique la longueur de la fosse, qui devait être au moins égale à la taille de deux individus). Ils étaient par ailleurs, rappelons-le, accompagnés d’un riche mobilier (javelots, poignards, rondelles ajourées, figurines de cheval en ivoire, bâtons percés) et parés de milliers de perles en ivoire et de nombreuses canines de renard perforées(389).

Pour expliquer la quantité de parure et la présence des lances en ivoire, Jean M. Auel imagine que ces enfants, destinés à devenir chefs, devront donner des preuves de leurs rangs une fois parvenus dans le monde des Esprits. Usant de sa liberté d’écrivain, elle a opté pour une hypothèse invérifiable mais crédible. Plus fascinant est ce qu’elle entreprend pour justifier la position des enfants dans la tombe. Elle fait dire à l’un des sages de la communauté : les enfants vont voyager jusqu’au monde des Esprits et « s’ils se réveillaient côte à côte, ils pourraient oublier qu’ils sont frère et sœur et s’accoupler par erreur […]. Tête contre tête, ils peuvent s’encourager durant le Voyage, sans toutefois se tromper sur leurs liens à leur arrivée de l’autre côté(390) ».

Cette explication est là encore plausible puisque les ethnologues ont montré l’universalité de l’interdit de l’inceste, mais elle ne recoupe aucun fait archéologique. Est-ce vraiment l’important ? Car, après tout, cette idée est une fort belle trouvaille romanesque. L’auteur fait ici coup double : elle se prononce sur un fait archéologique qui nous intrigue tous, et elle le fait en bonne romancière. Nous serions donc malvenus de la juger ici sur des critères autres que littéraires.

Elle est moins convaincante quand elle imagine que ni les Néandertaliens ni les premiers hommes modernes ne font le lien entre l’acte sexuel et la procréation. Supposer une telle lacune est d’autant plus curieux que Jean M. Auel prête par ailleurs à ces hommes du début du Paléolithique supérieur une parfaite compréhension de leur environnement végétal et animal. Mais peut-être avait-elle en tête les travaux de Malinowski, pour qui les Trobriandais ne faisaient pas non plus ce lien. Là encore, on ne va pas s’offusquer de ce que sa documentation ethnographique sur ce point soit un peu datée.

Par ailleurs, l’écrivain doit donner une dimension psychologique à ses personnages et c’est assurément là qu’il est le plus souvent fautif car le risque de dérapage ethnocentrique est fort. Jean M. Auel est ici prudente car, si elle prête des sentiments très contemporains à ses héros, elle garde du recul et fait comprendre au lecteur qu’elle est bien consciente qu’il s’agit d’un anachronisme. Ainsi, dans Les chasseurs de mammouths, Jondalar est presque constamment jaloux d’un autre homme qui courtise Ayla. Or, l’auteur insiste sur le fait que ce sentiment est étranger à sa culture et que Jondalar lui-même ne comprend pas les sentiments qui l’animent et se croit anormal.

L’écrivain romancier ne peut se limiter à faire évoluer des personnages stéréotypés dans un décor reconstitué qui, seul, importerait. Lorsque Ayla se livre à une activité quelconque, comme de pêcher ou de chasser, l’auteur ne se contente pas de décrire l’action, mais nous conte par le menu l’état d’esprit de l’héroïne, ses hésitations, ses échecs, ses victoires sur l’animal, etc.

« Elle contemplait rêveusement le reflet du saule dans le courant quand soudain un léger mouvement accrocha son regard. Elle se pencha un peu et aperçut l’éclair argenté d’une grosse truite qui se trouvait sous les racines à nu. Elle n’avait pas pêché depuis longtemps et se dit que cette truite ferait un excellent petit déjeuner.

Elle se laissa glisser sans bruit dans l’eau, fit quelques brasses dans le sens du courant, puis revint à pied vers l’île. La main droite dans l’eau, les bras ballants, elle avançait avec d’infinies précautions et finit par apercevoir la truite qui ondulait légèrement dans le courant pour que celui-ci ne l’entraîne pas hors de l’abri que lui offraient les racines.

Même si les yeux d’Ayla brillaient d’excitation, elle faisait très attention à ne pas glisser et plus elle approchait de la truite, plus elle devenait prudente. Elle glissa sa main en dessous du ventre du poisson, la fit remonter tout doucement et effleura la truite pour trouver les ouïes. Elle l’agrippa brusquement, la sortit de l’eau et la lança sur la berge. Échouée sur le sable, la truite se débattit pendant quelques instants, puis elle cessa de lutter.

Ayla, qui avait eu beaucoup de mal à apprendre à pêcher à la main quand elle était enfant, eut un sourire fier, comme si c’était la première fois qu’elle réussissait à sortir une truite de l’eau…(391) »

Cette exigence littéraire l’oblige parfois à des complications narratives. Ainsi, il ne suffisait pas de décrire la sépulture de Sungir’, mais il fallait encore justifier son apparition dans l’intrigue. Justement, Ayla est guérisseuse, ce qui permet à l’auteur d’imaginer qu’on fait appel à elle pour soigner les enfants. Mais comment expliquer que les enfants soient morts, alors que la guérisseuse n’a jamais jusque-là connu l’échec ? Eh bien, c’est qu’elle est arrivée trop tard pour les guérir et n’a pu qu’assister, impuissante, à leurs funérailles. Moyennant quoi l’histoire se tient. Grâce à cet artifice littéraire, Jean M. Auel parvient à insérer dans la trame romanesque ce magnifique document archéologique qu’est la tombe de Sungir’. Les ficelles sont un peu grosses, mais on pardonne à l’auteur ce passage qui n’a d’ailleurs pas grand-chose à voir avec ce qui précède et ce qui suit, car elle y reconstitue admirablement le déroulement des funérailles, en y ajoutant toute l’atmosphère ambiante, avec mélopées plaintives et battements de tambours(392).

RIGUEUR SCIENTIFIQUE
VS
LIBERTÉ NARRATIVE ?

On voit finalement que les trois genres évoqués, quand ils sont pratiqués par de bons ouvriers, doivent obéir à des contraintes comparables, et que la dimension narrative est présente même dans un article scientifique. Le préhistorien doit ainsi perdre l’illusion de restituer une quelconque vérité. C’est exactement ce que dit Arlette Farge de l’histoire en mettant en garde l’historien : « L’histoire, en effet, est une manière de faire qui ne fonde pas un discours de vérité contrôlable en tous ses points ; elle énonce un récit qui réunit la formulation d’une exigence savante, et une argumentation où s’introduisent des critères de véridicité et de plausibilité(393). » Évidemment, dans un roman, le fossé se creuse à un moment entre la réalité telle que l’on peut la reconstituer à partir des vestiges archéologiques et la fiction littéraire, mais c’est plus une différence d’habillage stylistique, souvent beaucoup mieux réalisé par les romanciers que par les archéologues, soit dit en passant. Je rejoins ici la notion de mode narratif développée par Gérard Genette, pour qui l’information narrative peut présenter des degrés différents : le récit peut fournir au lecteur plus ou moins de détails, de façon plus ou moins directe, et se tenir à plus ou moins grande distance de ce qu’il raconte(394).

On peut du coup se demander si l’opposition que certains font entre science et fiction ne repose pas finalement sur un faux problème. Jean-Claude Gardin oppose ainsi « les “faits” établis par la “science” », aux « constructions romancées de l’histoire », qui prolongent ces faits acquis « par les artifices de la création littéraire… »(395). Or, nous avons montré plus haut(396) que les faits eux-mêmes ne sont constitués comme faits qu’au terme d’un travail interprétatif. Les faits « établis » sont ceux que la communauté scientifique, à un certain moment de son histoire, considère comme tels. Nous avons vu aussi que, dans cet établissement même, quelque chose de narratif est déjà présent.

Pour Wiktor Stoczkowski, « il y a peu d’espoir que l’on puisse satisfaire dans le même ouvrage les exigences contradictoires de la rigueur scientifique et de la liberté narrative », l’« art à ambition scientifique » ne pouvant « produire que des visions aussi séduisantes que fallacieuses »(397). Il part du principe lui aussi qu’il s’agit bien de deux productions entièrement différentes, et il remet en cause la pertinence d’une reconstitution littéraire de la préhistoire. À propos des tentatives de reconstitutions picturales de la réalité archéologique, il explique que l’artiste ne fait en réalité que puiser dans « le trésor que l’imagerie conventionnelle lui offre, tandis que le spectateur s’en sert pour juger la crédibilité du produit(398) ». Or, toutes ces remarques reposent sur le présupposé qu’il y aurait un fossé entre la rigueur scientifique et la liberté narrative. On peut lui opposer que notre travail de scientifique consiste précisément à rendre plausible, au prix d’une très grande rigueur, l’ébauche d’une construction narrative.

Enfin, pour Gilles Boëtsch et Jean-Noël Ferrié, la représentation de la préhistoire qui consiste à « inventer des objets fictionnels » n’a rien à voir avec la connaissance(399). Pour eux, la vulgarisation scientifique n’a aucune utilité pédagogique et sert davantage à comprendre le présent qu’à connaître le passé. Mais il ne faudrait pas oublier que notre travail comporte une nécessaire part d’invention, l’important étant que cette part soit contrôlée, et ce n’est pas en la niant que nous la contrôlerons. Rappelons ici la remarque du sociologue Bernard Lahire, qui écrit que « toute interprétation sociologique pertinente est une surinterprétation contrôlée(400) ».

Il est amusant de constater que Clifford Geertz s’est posé le même genre de question à propos de l’anthropologie sociale et plus spécifiquement de l’ethnographie. Il a remarqué que, comme en préhistoire, les « bons textes anthropologiques sont [censés] être neutres, sans prétention(401) ». Mais il ajoute que les écrits purement factuels sont rares en anthropologie, sauf au niveau du compte rendu de terrain ou du relevé topographique, et qu’ils ne sont généralement pas destinés à être publiés. On pourrait faire un parallèle avec le rapport de fouille, lui non plus non destiné à être publié sous sa forme brute. Lorsqu’il aborde la publication ethnographique, il constate qu’il existe une contradiction inhérente à la nature même d’un livre d’ethnographe et il souligne « la bizarrerie qui consiste à élaborer des textes d’aspect scientifique à partir d’expériences largement biographiques, ce que font finalement les ethnographes(402) ». C’est pourquoi il souligne la difficulté qu’il y a pour l’ethnographe à faire un compte rendu distancié et « objectif » et en même temps à traduire ses impressions intimes « subjectives ». C’est ce qui explique que l’ethnographe oscille bien souvent entre les deux. Pour Geertz, il ne fait pas de doute que l’ethnologue est avant tout producteur de textes, auteur.

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Faisons pour finir un bref détour vers une autre forme d’écriture : celle de la vulgarisation scientifique due à la plume de journalistes dans les articles de presse. Les chercheurs y déplorent parfois une mauvaise traduction de leurs résultats. Cela est souvent dû à un désir de simplification doublé d’une compréhension approximative des résultats de la part de certains journalistes. La méconnaissance d’une discipline peut aussi expliquer que les médias relaient parfois une information ou une théorie qui n’est en fait pas du tout cautionnée par les chercheurs eux-mêmes, pour produire un scoop ou plus simplement par ignorance. L’archéologie préhistorique est loin d’être la seule victime de telles distorsions. L’analyse de plus de 200 articles traitant du trouble du déficit de l’attention et de l’hyperactivité a permis de montrer que la déformation des résultats publiés dans la presse intervient en fait à plusieurs niveaux, dans les articles de presse, mais aussi dans les résumés des articles, souvent bien moins nuancés que le corps du texte, et dans la conclusion des articles scientifiques où les chercheurs eux-mêmes ont tendance à anticiper la portée et les retombées potentielles de leurs résultats(403). Cela ne fait que confirmer ce que j’ai dit des articles de préhistoire.

Comme son sujet d’étude, le préhistorien lui-même — et l’archéologue en général — est présenté au public de manière un peu caricaturale. La raison en est peut-être que l’on montre au public une image de l’archéologie conforme à ce qu’il en attend. Je me souviens d’une stagiaire dans le domaine de la médiation archéologique, qui devait présenter un site archéologique en cours de fouille sur des grands panneaux à l’occasion de journées du patrimoine et qui me précisa benoîtement qu’elle s’efforçait, à la demande de ses supérieurs, de toujours faire figurer des archéologues en train de fouiller revêtus de leur casque et de leur gilet phosphorescent. Cela afin de montrer au public ce qu’il désirait voir ! Il en est de même de l’homme préhistorique qui se doit d’être représenté hirsute et vêtu de peaux de bête, à l’instar du Touareg qui apparaît toujours en homme voilé et bleui d’indigo (appareil qui, dans la réalité, est aussi fréquent là-bas que l’est chez nous le costume trois pièces). On peut pousser plus loin l’analogie et se demander, à la suite de Wiktor Stoczkowski, pourquoi, dans les tableaux représentant les hommes célèbres, Copernic se tient toujours à côté d’un astrolabe, Galilée regarde dans sa lunette et Pasteur se penche sur un microscope(404). Cette conformité à un modèle est susceptible d’évoluer en même temps que les idées reçues qui la sous-tendent. Mais si les supports graphiques sont soumis aux aléas des évolutions techniques, ils ne changent rien à l’affaire : bien que le cinéma et l’internet aient aujourd’hui pris la place des tableaux de maîtres, les simulacres qu’ils construisent se conforment toujours à des modèles idéaux(405).

Arrivée au terme de cette réflexion, je souhaite conclure en évoquant le statut social des auteurs de ces différentes formes littéraires. Selon que l’on est amateur, étudiant, journaliste ou chercheur, on s’autorise ou non à écrire dans l’un ou l’autre genre ; ce qui revient à dire que ce que l’on écrit est largement conditionné par son statut social. Un chercheur non statutaire aura tendance à se cacher derrière un pseudonyme s’il publie une fiction littéraire, pour éviter le risque d’être décrédibilisé auprès de ses pairs. Seuls les chercheurs reconnus, qui ne craignent plus l’opinion de leurs pairs, signeront de leur nom leurs romans. Le degré narratif d’un texte est donc instructif sociologiquement et constitue au moins un marqueur culturel. Et là nous retrouvons la communauté scientifique, avec ses membres à part entière, ses membres postulants, ses exclus ; et nos résultats ne sont avérés que pour autant qu’elle les tient pour tels.