La vallée du Nil fut probablement habitée par l'homme dès le Paléolithique inférieur. La certitude apparaît avec les établissements acheuléens (ateliers de taille, à partir de ca. – 300 000).
Des traces de la présence et de l'activité humaines, localisées en Haute-Egypte et en Nubie, sont manifestes à la fin du Paléolithique (21 000-12 000 av. J.-C.), et l'Epipaléolithique est représenté par le site prééminent d'El-Kab (6400-5980 av. J.-C.), nom moderne de Nékheb où naîtra le culte de la déesse-vautour Nekhbet, patronne de la Haute-Egypte. Notons que les fouilles en Egypte, concernant les époques préhistoriques, ne font que se développer et réservent sans doute encore de nombreuses surprises (voir plus loin).
Pour donner une idée de comparaison chronologique, les peintures les plus anciennes de la grotte Chauvet (Ardèche) sont datées de 36 000 à 32 000 environ av. J.-C. (aurignacien) et celles de Lascaux, de 17 000 à 15 000 av. J.-C. (magdalénien).
L'alimentation des chasseurs-cueilleurs dans la vallée du Nil à la fin du Pléistocène « reposait pour l'essentiel sur la pêche et les racines de plantes », la chasse au gros gibier jouant un rôle mineur (Midant-Reynes, 2003, p. 39).
Les changements climatiques furent déterminants dans l'alternance des phases d'occupation des sites, les périodes sèches correspondant à un déplacement des populations vers la vallée du Nil, tandis que les périodes humides favorisaient leur dispersion dans les savanes aujourd'hui désertiques.
On distingue, de l'acheuléen moyen et supérieur à l'époque perse, cinq phases humides, séparées les unes des autres par des périodes d'aridité ou de semi-aridité. Jean Vercoutter a pu établir le tableau ci-dessous, en indiquant des dates forcément approximatives.
Tableau 1 : Les grandes périodes climatiques (d'après J. Vercoutter, 1992, p. 29).
Semi-aridité |
500 000-120 000 |
Paléolithique inférieur I |
Ire phase humide |
120 000-90 000 |
Paléolithique inférieur II |
Aridité |
90 000-50 000 |
Paléolithique moyen I |
IIe phase humide |
50 000-24 000 |
Paléolithique moyen II |
Aridité |
24 000-14 500 |
Paléolithique supérieur |
IIIe phase humide |
14 500-6000 |
Paléolithique final |
Semi-aridité |
6000-5100 |
Mésolithique, Epipaléolithique (El-Kabien) |
IVe phase humide ou subpluvial néolithique |
5100-2200 |
Néolithique, Dynasties 1 à 6 |
Climat actuel |
2200-1600 |
Ire Période intermédiaire, Moyen Empire, |
Ve phase humide |
1600-500 |
18e dynastie jusqu'à l'époque perse |
Ces modifications de grande amplitude ont influé aussi sur les modes d'utilisation et d'exploitation des richesses naturelles qui, à leur tour, ont entraîné des adaptations technologiques, telles que l'apparition ou la disparition d'un type d'outillage lithique au profit d'un autre. Y aurait-il eu, comme semblent l'indiquer les résultats des investigations de Wendorf et de ses collaborateurs, des essais précoces d'agriculture ? C'est très probable, mais la multiplication à un moment donné des meules à broyer les graines, et les traces laissées par des graminées sur les lames de faucilles trouvées sur certains sites de Haute-Egypte et de Nubie (environ 12 000 av. J.-C.), peuvent aussi s'expliquer simplement par l'abondance, en un lieu et à une époque déterminés, de certaines ressources sauvages. En ce qui concerne la domestication systématique et raisonnée des espèces végétales et animales, il est actuellement admis que les premières expériences véritables, appelées à une diffusion géographique sans précédent, eurent lieu dès 12 500-10 000 av. J.-C. au Proche-Orient, au plus tard vers 7000 av. J.-C. et en tout cas au cours du VIe millénaire en Nubie et dans l'actuel désert égyptien occidental qui renferme toutefois de nombreux sites encore inexplorés, et vers 5000 dans la vallée du Nil. Le blé et l'orge, la chèvre et le mouton, furent importés du Proche-Orient, tandis que le sorgho et le bœuf{33} sont originaires d'Afrique. L'Egypte, aux confins de l'Afrique et de l'Asie, a bénéficié des apports de ces deux aires géographiques décisives dans l'histoire de l'humanité.
C'est pendant le Néolithique, dans le foisonnement des cultures qui se sont épanouies le long du Nil, que s'est forgée peu à peu la civilisation remarquable dont procède le régime pharaonique. Les préhistoriens appellent « révolution néolithique » ou « néolithisation » (e. g., Cauvin, 1994), la période extrêmement importante qui, selon les contrées, commence plus ou moins tôt et s'achève plus ou moins tard : de 12 500/10 000 à 7000 au Proche-Orient – dès 21 000 av. J.-C. (ou 23 000 BPcal, voir ci-dessous) pour les toutes premières expériences agricoles (culture et reproduction des plantes sauvages) dans la basse vallée du Jourdain (plaine de Jéricho), selon les résultats des dernières découvertes (Willcox, 2017, voir plus loin) – de 6000 à 4000 en Egypte, probablement un millénaire auparavant en Nubie. L'influence de colons proches-orientaux dans la diffusion des nouveaux modes de production se fait sentir dans le delta du Nil et en Basse-Egypte tandis que des expériences autochtones ont probablement eu lieu en Nubie et dans les régions les plus méridionales de l'Egypte.
Cette période est caractérisée par des transformations lentes et discontinues mais en fin de compte spectaculaires et radicales dans le mode de vie des groupes humains. La collecte des vivres (chasse, pêche, cueillette) fait place à leur production raisonnée au moyen de la domestication des espèces (agriculture, précédée par la reproduction des plantes sauvages, et élevage, celui-ci précédé par la pastoralisation). La sédentarisation de l'habitat en est la conséquence inévitable, au détriment du nomadisme qui devient marginal. L'outillage se développe et se diversifie, parallèlement à une spécialisation de plus en plus poussée des activités humaines. La division du travail et l'intensification des échanges en résultent. Le stockage des aliments et leur répartition suscitent des transformations sociales capitales{34}. On assiste à l'élaboration de structures urbaines comportant des configurations défensives, économiques, administratives et religieuses. Les principales conséquences de l'accroissement inédit des ressources vivrières que constitue l'invention de l'agriculture sont d'ordre à la fois économique, politique, social et religieux. Les représentations symboliques s'enrichissent, accompagnant le développement de pratiques rituelles, liées aux croyances funéraires comme au désir de l'homme de s'inscrire dans les cycles naturels de la fécondité et de la fertilité, puis à l'émergence des pouvoirs politiques. En effet, une hiérarchie se met en place, et l'élite utilise à son profit un imaginaire hérité de la nuit des temps, dans lequel elle puise les symboles de ses organisations politico-religieuses.
En Egypte, la néolithisation s'est effectuée plus lentement et plus tardivement que dans les régions du « Croissant fertile » (Anatolie, Couloir syro-palestinien). La luxuriance exceptionnelle de la faune et de la flore nilotiques en est probablement la principale raison.
Les foyers de néolithisation se situent dans le delta du Nil et dans le Fayoum, probablement au contact de colons proche-orientaux, ainsi qu'au nord-ouest de la deuxième cataracte (site principal de Nabta Playa), dans un contexte spécifiquement africain. L'actuel désert oriental, lieu d'échanges privilégié, favorisa la rencontre et le brassage de populations venues du nord, de l'est et du sud, par la mer Rouge aussi bien que par les voies terrestre et fluviale.
Le Néolithique égyptien couvre environ deux millénaires, sur deux périodes successives :
1o) Du début du VIe au début du IVe millénaire.
La période est complexe et caractérisée par des différences très marquées entre les cultures du nord et celles du sud. On distingue plusieurs foyers culturels, coexistants ou successifs, du sud au nord :
1 – Une aire très vaste, couvrant les régions de la Nubie et de la Haute-Egypte, où se développe d'une manière, semble-t-il, autochtone, une civilisation précoce.
2 – Les régions de la Moyenne Egypte.
3 – Le Fayoum et le delta du Nil (de sa pointe à sa façade méditerranéenne) qui ont fourni les premiers témoignages connus à ce jour d'établissements sédentaires voués à la culture et à l'élevage domestiques, certainement en grande partie suite à l'installation dans cette région de groupes issus des communautés agricoles venus du Proche-Orient, pionnier en la matière.
2o) Du début à la fin du IVe millénaire.
Cette période est appelée « nagadienne », du nom de la ville moderne de Nagada (l'ancienne Noubet), située en Haute-Egypte, à 27 km au nord de Louqsor. Très riche sur le plan culturel, elle a été divisée par les préhistoriens en trois grandes sous-périodes intitulées Nagada I (ou « Amratien »), Nagada II (ou « Gerzéen ») et Nagada III (« Semainéen » ou « Prédynastique »). Notre propos ne nécessite pas que nous entrions dans le détail de la chronologie relative, établie empiriquement par Petrie en 1901 sur la base des « Sequence dates » fournies par l'évolution du style et de la texture des poteries, ajustée en 1957 par l'égyptologue allemand W. Kaiser selon sa méthode des « Stufen », et perfectionnée plus récemment par S. Hendrickx (Hendrickx, 1996){35}. L'on s'en tiendra aux divisions que ce dernier préconise tout en proposant des datations absolues, obtenues grâce aux actuels procédés scientifiques, principalement la mesure au C14, rectifiée (« calibrée », grâce aux procédés de la thermoluminescence et de la dendrochronologie). Les dates absolues, s'appliquant à des temps très reculés, sont forcément dépourvues de précision. Pour les Ve-IVe millénaires, les écarts sont relativement peu importants entre les mesures anciennes au C14 et celles au C14 « calibré » (c'est-à-dire corrigé), mais ils le sont de plus en plus au fur et à mesure que l'on remonte dans le temps.
J'ai retenu, afin de ne pas changer de procédé en cours d'ouvrage, la datation par rapport au début de notre ère (av. J.-C.) qui correspond à BC, « Before Christ » des anglophones, et non celle qui est en général utilisée par les préhistoriens, c'est-à-dire BP, « Before Present » (et plus précisément BPcal, « avant le présent calibré ») qui prend pour point de départ le 1er janvier de l'année 1950 de notre ère. C'est ainsi que la date de 23 000 BPcal, obtenue très récemment pour des restes organiques résultant des toutes premières expériences agricoles dans la basse vallée du Jourdain (premiers signes de culture du blé amidonnier, précédant de 11 500 ans les débuts de la domestication raisonnée par sélection des espèces) correspond à 21 000 av. J.-C (voir supra, et Willcox, 2017).
Tableau 2 : Chronologie de la période nagadienne.
Spécifications chronologiques de la période nagadienne, d'après S. Hendrickx |
|
Nagada IA – IIB |
(chronologie relative), ca. 3900-3650 (chronologie absolue). |
Nagada IIC – IID2 |
ca. 3650-3300 (3250 selon Wilkinson). |
Nagada IIIA1 – IIIB |
ca. 3300/3250-3100 (Dynastie « 0 », 3200/3150-3100). |
Nagada IIIC1 |
ca. 3100-3000 (du roi Nârmer au roi-Serpent, Djet). |
Nagada IIIC2 |
ca. 3000-2900 (du roi Den au roi Adjib). |
Nagada IIID |
à partir de ca. 2900 (fin de la 1re dynastie et 2e dynastie). |
On appelle « époque thinite » (du nom de la capitale, This, aux environs d'Abydos) la période qui couvre les deux premières dynasties historiques (ca. 3100-2700). |
Nous le verrons, la période Nagada IIC-IIIC1, a vu la progression lente et inéluctable des forces centripètes, d'abord vers les confédérations locales par le regroupement des communautés néolithiques liées par le voisinage et des intérêts communs, puis provinciales et enfin sub-étatiques (IIC-IID2 à IIIA1-IIIB) vers l'unification du territoire réalisée d'abord sur le mode fédéral (dynastie 0) puis sur celui de la centralisation qui aboutit à la constitution de l'Etat pharaonique par Nârmer, dernier roi de la dynastie 0 et fondateur de la 1re dynastie (IIIC1).
L'âge nagadien correspond à une unification culturelle, puis politique de l'Egypte, allant du sud au nord, dans un contexte climatique très différent de celui que l'on observe aujourd'hui puisque le IVe millénaire prend place dans une phase humide, les déserts actuels (désert arabique, à l'est, désert libyque, à l'ouest de la vallée du Nil) étant occupés par une savane giboyeuse abritant encore, au début de la période, des animaux tels que l'éléphant et la girafe (Roquet, 1985 ; Vercoutter, 1981, 1992).
Durant les trois premiers quarts du IVe millénaire, la culture de Nagada domine en Haute-Egypte, celle de Maadi-Bouto en Basse-Egypte. Depuis deux ou trois décennies, de nombreuses explorations sur les sites datés de la période prédynastique et du début de la période dynastique (dynasties 0 et 1) ont permis d'affiner notre connaissance de l'évolution culturelle et politique, de la Haute-Egypte aux rivages de la Méditerranée. La connaissance des premiers centres urbains{36} du Delta a enregistré des progrès majeurs. Le site le plus important du Delta oriental est Tell el-Farkha, celui du Delta occidental, Bouto{37}.
C'est vraisemblablement durant la phase du Nagada IID que fusionnèrent les deux grandes cultures : celle du Sud (Nagada) et celle du Nord (Maadi-Bouto) en faveur de la première dont les protagonistes semblent avoir pris en mains le trafic commercial avec les centres économiques du Levant.
Sous l'effet de différents facteurs politiques, religieux, économiques, les principautés indépendantes de la vallée du Nil en vinrent à s'allier, puis à constituer une confédération évoluant vers un régime fédéral, en passant probablement par le stade de la bipartition du territoire entre sud et nord, préludes à la mise en place de structures étatiques centralisées. Cette dernière étape résulte donc d'un long processus dont les principaux jalons permettent une reconstitution plausible sur le plan institutionnel.
Plusieurs années de recherches, consacrées principalement à l'étude et à la compilation des rapports des fouilles effectuées du xixe siècle jusqu'à nos jours et à l'examen minutieux des documents exhumés sur les sites prédynastiques, me permettent de proposer un schéma cohérent des principales étapes qui ont marqué l'évolution sociopolitique dans la vallée du Nil, pour aboutir à l'instauration précoce du premier Etat centralisé connu, vers 3150/3100 av. J.-C.