Concernant la période, nous avons déjà évoqué plus haut les « décrets royaux ».
Les archives des temples – en particulier les papyrus du temple funéraire de Néferirkarê-Kakaï (de Cenival, Posener-Kriéger, 1968 ; Posener-Kriéger, 1976) – constituent un autre groupe important de sources écrites documentant l'Ancien Empire ; cependant, elles ne nous renseignent pas expressément sur les terres possédées par les temples. Il est même difficile d'induire, à partir des comptes, des mouvements de marchandises, des flux de biens monétaires et de consommation courante, l'existence de champs étendus et nombreux affectés à la production des offrandes et des revenus divers.
Une distinction fondamentale est opérée dans les comptes, entre les produits des domaines agricoles et ceux des troupeaux qui, au niveau central, ne sont pas contrôlés par les mêmes départements administratifs ; en ce qui concerne les étoffes, le temple funéraire de Néferirkarê-Kakaï est dans la dépendance totale de la Résidence royale. Les rémunérations du personnel permanent, en quantités de pains, de bière, en volailles et en quartiers de viande, sont révélatrices du rang des divers desservants du temple, et permettent d'établir une hiérarchie qui va du surveillant général et du directeur des prêtres, aux prêtres-lecteurs, aux porteurs d'offrandes et enfin aux prêtres ordinaires. Toutefois, les propres domaines du temple ne sont pas ses fournisseurs directs en denrées alimentaires. Celles-ci sont concentrées à la Résidence royale qui en assure une comptabilité minutieuse, au moindre pain et au moindre pot de bière près, sans qu'on sache bien, d'ailleurs – ceci n'apparaît pas clairement dans les archives – s'il s'agit là d'un examen comptable au niveau des écritures, ou d'un décompte réel. La Résidence elle-même transmettait les marchandises au temple solaire qui, par virement d'offrandes ordonné par le roi, les reversait au temple funéraire de ce dernier. Un organisme appelé « le Débouché de Kakaï » constituait une unité de stockage dans ces diverses allées et venues effectuées par bateau, au cours desquelles rien n'échappait au pouvoir central, ni de la spécificité des services exigés des fonctionnaires, de leurs scribes et de leurs dépendants, par exemple pour la « corvée » de transport (supra, n. 60), ni de la production agricole du temple, ni de l'utilisation finale des produits de la terre ou de l'élevage.
Une précieuse inscription appartenant à la dynastie précédente vient nous confirmer l'existence de domaines agricoles subvenant aux besoins d'un temple funéraire. Sans entrer dans la généalogie complexe de la famille royale sous la 4e dynastie, mentionnons en effet le temple funéraire de la mère royale Néferhétepès dont la dotation (totale ou partielle) a été reconstituée par A. Labrousse (1997) grâce au raccord très heureux de plusieurs fragments trouvés dans les années 1920 puis dans la décennie 1970. Une procession de « huit personnifications féminines de domaines plus ou moins bien conservées » est ainsi décrite par A. Labrousse :
« Les trois premières personnifications sont anonymes. Devant les cinq autres, on lit : – no4 : détruit à l'exception de : [...] aroure(s) de champs ; – no5 : Le dieu de l'ouest aime Néferhétepès. L'étendue de ce domaine était : 2 aroures de champs ; – no6 : Le dieu [...] aime Néferhétepès. L'étendue de ce champ était : 5 aroures de champs ; – no7 : Le château de Khéops (nommé) [...]. L'étendue de ce domaine était : 1 aroure de champs ; – no8 : détruit à l'exception de : [...] aroure(s) de champs » (Labrousse, in Berger, Mathieu, (éd.), 1997).
Le grand intérêt de ce bloc reconstitué est de démontrer clairement que des champs étaient affectés d'une manière très concrète à la production de revenus agricoles au bénéfice d'un temple funéraire. La superficie des parcelles est assez peu étendue : de 1 à 5 aroures, ce qui tendrait à prouver qu'elles étaient entièrement vouées à l'entretien de la fondation de Néferhétepès (voir en parallèle, infra, les inscriptions de Métjen).
Au pouvoir autocratique du souverain correspond le contrôle étroit et total de la Résidence (c'est-à-dire de l'autorité centrale) sur la gestion des temples, au moins ceux qui relèvent directement de la personne royale : temple solaire et temples funéraires du souverain et de sa famille.
Les décrets royaux montrent que les temples provinciaux étaient eux aussi dotés par les rois en revenus de la terre, et ce, depuis les origines du régime.
Mykérinos assigna un champ de 2 aroures au temple d'Hathor de Tehneh : « Sa Majesté Mykérinos constitua un champ de 2 aroures en faveur de ces prêtres, afin qu'ils officient grâce à lui » (Urk. I, 25, 4-6 ; Harari, 1957, p. 334). Les Annales royales (pierre de Palerme et fragment du Caire) enregistrent, parmi les faits marquants des règnes successifs, des attributions de champs à des sanctuaires divins. Ainsi Ouserkaf, Sahourê, Néferirkarê, octroient-ils les revenus de terrains étendus (parfois d'une superficie considérable) à plusieurs divinités comme Rê, Hathor, Min, Horus, Séchat, etc. (Roccati, 1982, p. 38-42).
La documentation la plus fournie qui nous soit parvenue, à propos de la détention des terres et de leur gestion, provient des tombeaux – les « mastabas » – de hauts fonctionnaires dont les responsabilités étaient doublement récompensées : au moyen de revenus perçus sur des champs appartenant à des temples ou à la Couronne et au moyen d'un domaine (le per-djet) affecté au train de vie du personnage et qui, après sa mort, contribuait, grâce à la transmission des usufruits de génération en génération, à l'entretien des rites funéraires en vue de son existence posthume.
Les grandes familles de l'Egypte pharaonique – celles qui constituent des groupes puissants au service de la monarchie – comportaient à la fois des vivants et des morts. Ces derniers étaient intégrés à la société, ils participaient à la vie économique. Cette fiction, grâce à laquelle les liens familiaux sont non seulement maintenus mais efficients au-delà de la mort, a contribué au soutien politique du régime, à la cohésion sociale et à la prospérité économique, sans oublier le rôle fondamental de cette croyance dans la construction du droit égyptien ancien.
En-deçà de toute considération d'ordre métaphysique, religieux et même rituel que nous mettrons ici de côté sans pour autant évincer cet aspect primordial de l'activité funéraire sous l'Ancien Empire égyptien, la création d'une installation permanente résultant de la construction et de l'aménagement de son tombeau par un dignitaire du royaume, répondaient à deux besoins fondamentaux sur le plan socio-économique :
– Rappeler aux vivants la place importante que le défunt avait tenue dans le meilleur espace politique imaginable et, ce faisant, s'insérer dans l'idéologie pharaonique, contribuer à la propagande royale, et renforcer la position sociale de ses descendants.
– Participer, grâce au fonctionnement d'une véritable machine économique, à savoir la mise en place d'un service d'offrandes funéraires non pas bloqué mais fluide, à l'entretien de sa famille et de son entourage, et augmenter ainsi le niveau de vie général par l'injection d'un flux régulier de produits agricoles et artisanaux dont certains circulaient sous forme de monnaie, notamment les céréales, l'huile et les étoffes (cf. t. 2, chap. 2).
Pour le dignitaire défunt, la tombe est non seulement un instrument de vie éternelle mais encore un rendez-vous social, un lieu d'hommage, un mémorial à la gloire de son propriétaire, et aussi un centre économique de production et de consommation.
C'est d'abord le point de passage entre vie et survie, ce qui se traduit de deux façons : par la présence du corps momifié, éternel, du défunt, support de son ka, c'est-à-dire de sa personnalité énergique et impérissable, et au moyen de deux rites funéraires principaux : le repas, consommation des offrandes, et la navigation vers le grand dieu, vers le champ de félicité. La momie, protégée par le sarcophage et entourée de son mobilier funéraire, repose dans le caveau, en sous-sol, tandis que la superstructure du tombeau (le « massif ») est consacrée aux activités sociales du défunt incarné dans ses images et ses statues. Ce massif, accessible aux visiteurs, comporte un plus ou moins grand nombre de salles, selon la situation sociale du personnage ; à Saqqara, par exemple, les mastabas de Ti et de Mérérouka qui furent vizirs – c'est-à-dire que, comme chefs de l'administration, ils exercèrent la plus haute fonction de l'Etat après le pharaon – comportent plus de vingt pièces, ce sont de véritables palais ; en revanche, le mastaba d'Akhethotep – qui se trouve au Musée du Louvre (Ziegler, 1993, 2003) – est limité à une seule pièce principale, décorée il est vrai par les meilleurs artistes royaux.
Pour la famille, pour les clients, pour les dépendants, le tombeau est aussi le lieu concret de comptabilisation et de gestion des offrandes affectées à perpétuité au rituel funéraire. Le circuit des offrandes contribue à la dynamique économique du pays tout entier. Une partie des vivres est virée de l'administration centrale, directement ou par l'intermédiaire des temples, aux familles des grands de ce monde par l'intermédiaire de leurs morts ; des termes comme oudjeb (red), pékhéret, « virement », « réversion » (Grdseloff, 1943 ; Gardiner, 1938 ; Clère, 1939 ; Posener-Kriéger, 1976, I), ont une importance juridique capitale ; des scribes et un fonctionnaire royal, le héry oudjeb, sont chargés de ces opérations (fig. 93 et fig. 94). Une autre part des offrandes est produite par des domaines dont les revenus sont en partie affectés au culte funéraire, c'est-à-dire à l'entretien corporel fictif du défunt : parfums, cosmétiques, étoffes, parures, nourriture et boisson. Ce sont les vivants qui bénéficient en dernier ressort du circuit des offrandes funéraires.
Dans la pratique, le défunt reçoit chaque jour des vivres réels (pain, bière, viande, légumes, fruits, gâteaux, etc.) ; une table d'offrandes matérialise dans la pierre l'indispensable vaisselle rituelle pour le cas où celle-ci disparaîtrait ; enfin, un tableau (« pancarte » ou « menu ») énumère les produits d'offrandes et les rations à la fois journalières et exceptionnelles, présentées au défunt lors des cérémonies du calendrier rituel.
Dans les mastabas de l'Ancien Empire, les préoccupations religieuses sont étrangement absentes des scènes représentées. Outre l'invocation initiale (dont les premiers mots sont hotep di nésou) qui met en jeu, à côté du roi source de la dotation funéraire, le dieu Anubis maître des nécropoles et inventeur de la momification, seuls les deux rites que je viens de mentionner – le repas funéraire et la navigation vers le grand dieu, soit les deux aspects les plus tangibles de la « satisfaction » éternelle du bienheureux-imakhou – sont évoqués dans les tombeaux privés ; en regard, les Textes des Pyramides, textes royaux inscrits sur les parois internes des pyramides, à partir de la fin de la 5e dynastie, manifestent des préoccupations théologiques élaborées, en relation avec le pouvoir du pharaon. Cela signifie que mort ou vivant, le dignitaire tient son rang du roi. Les reliefs des mastabas soulignent la position sociale du propriétaire du tombeau ; ils mettent aussi l'accent sur ses aptitudes à produire de la richesse, aspect fondamental de l'idéologie pharaonique, dans le cadre d'un système dont la figure dominante est celle du roi tout-puissant nourricier de son peuple. En étant loyal à l'égard du roi, en mettant en œuvre sa maât, le haut dignitaire mérite la faveur suprême de l'octroi par le roi d'un appareil funéraire garantissant sa survie.
Dans l'Ancien Empire, deux grandes préoccupations socio-économiques président à la composition du décor d'un tombeau privé, c'est-à-dire des scènes représentées sur les parois internes du mastaba et souvent explicitées par des légendes :
– Expliquer qui fut le propriétaire du mastaba, comment il a acquis ce bienfait exceptionnel, ce nec plus ultra de la faveur royale qu'est une concession funéraire en état de marche et qui fait de lui un imakhou, c'est-à-dire un personnage comblé, un « bienheureux », un individu pensionné qui, grâce à cette faveur, va pouvoir satisfaire tous ses désirs et évoluer librement dans l'autre monde ;
– Insister sur la permanence de cette unité de consommation, approvisionnée par des unités de production qui lui sont affectées, l'ensemble étant la plupart du temps géré par le fils aîné du défunt et seul responsable, lui-même secondé par ses frères et sœurs, par une de ses filles et/ou par d'autres proches de la famille, ou encore par un sèn-djet, « gérant en second » de la dotation, véritable double du défunt (Menu, 1982, p. 66 ; Kasparian, 2006). Cette unité économique qu'est le tombeau peut aussi être confiée par le défunt à un ou plusieurs collèges de « serviteurs du ka » choisis par lui dans son entourage, placés ou non sous l'autorité d'un fils, d'un parent ou d'un ami – et avec lesquels des contrats sont soigneusement établis pour durer perpétuellement, c'est-à-dire tant qu'il y aura une descendance et tant que le bon vouloir du prince permettra la pérennité des offrandes ; certains tombeaux furent occupés pendant quatre ou cinq générations.
Entrons dans le mastaba du musée du Louvre, celui d'Akhethotep (Ziegler, 1993) qui vivait sous la 5e dynastie (2510-2460) ; le personnage porte des titres de prêtre et de guérisseur, mais il n'est pas médecin, contrairement à son fils aîné, un médecin-chef proche de l'entourage royal.
Le choix des matériaux (calcaire fin de Toura pour la chapelle funéraire, granite rose pour la table d'offrandes), la qualité de l'exécution retiennent l'attention.
La façade porte la formule consacrée, l'invocation hotep di nésou (litt. : « satisfaction que donne le roi ») selon laquelle le roi et Anubis, le dieu des nécropoles, ont accordé, en tant que bienfait au propriétaire du tombeau, Akhethotep en l'occurrence, qu'il puisse être embaumé et enseveli dans la nécropole, qu'il puisse parcourir les bons chemins des bienheureux et être satisfait auprès du grand dieu.
Les inscriptions de l'entrée mentionnent les titres et les épithètes d'Akhethotep, ainsi que ceux de ses trois fils, et une récompense supplémentaire accordée par le roi au fils aîné du défunt pour son père, consistant en cadeaux (des colliers), outre deux bœufs d'offrande, afin de récompenser Akhethotep pour avoir donné une bonne éducation à ce fils qui est inspecteur général en chef des médecins de toute l'Egypte. Nous avons là l'illustration de l'un des principes édictés dans les textes sapientiaux de l'époque : le devoir, pour un père, de donner une bonne éducation à ses enfants, la promotion sociale du fils étant source de louange pour le père. Ce principe est clairement énoncé dans les Maximes de Ptahhotep : « Sois tout à fait exact auprès de ton maître (i. e. le roi), agis de sorte qu'on lui dise : “C'est le fils de cet homme”, et ceux qui l'entendront diront : “Loué soit celui pour qui il a été mis au monde ! ” » (Vernus, 2001).
Sur les murs du corridor d'entrée, on voit à droite la procession qui apporte les statues du défunt dans la tombe. A gauche, c'est le transport des étoffes dans les coffres ; des scribes en tiennent la comptabilité sur des rouleaux de papyrus, puis on présente au défunt les pièces de tissu ; entre ces deux scènes, on assiste à la remise des récompenses aux tisserandes : les jeunes femmes, vêtues de longues robes quasi transparentes à bretelles reçoivent des parures (colliers, pectoraux, diadèmes) de la part des employés de la « Maison de l'Or » (le Trésor).
Nous pénétrons ensuite dans l'unique pièce, de petites dimensions (environ 7 m2 à l'intérieur, mais sur 4 m de hauteur originelle), que l'on appelle la chapelle funéraire.
Dans cette chapelle, chaque paroi a une fonction selon son orientation ; à l'ouest, le mur est consacré aux offrandes, les cimetières étant construits à l'occident afin d'associer au ponant l'image de la disparition seulement temporaire du mort aux yeux de son entourage ; la paroi située à l'est décrit la vie quotidienne. Le répertoire des scènes est celui de tous les mastabas de l'Ancien Empire avec, à chaque fois, des détails personnels ou insolites. On voit donc à l'envi la description de scènes agricoles et administratives faisant suite à la navigation du défunt. L'élevage, la chasse, la pêche, les jeux nautiques, la fabrication du papyrus complètent les activités auxquelles le propriétaire du tombeau participe ou qu'il supervise. Sur le mur septentrional figurent le banquet funéraire, la musique et les danses. Le dernier registre est consacré au défilé des établissements ruraux, fermes et villages ; ceux-ci sont nommés et personnifiés par des jeunes femmes qui portent sur la tête des corbeilles remplies de vivres (supra, fig. 89). Chacune représente une des unités de production agricole dont une partie des revenus est attribuée par charte royale au service des offrandes funéraires. On en compte douze dans la tombe d'Akhethotep, il peut y en avoir moins (cinq chez Séchathotep : fig. 95) ou beaucoup plus, par exemple trente-six chez Niânkhkhnoum et Khnoumhotep, et jusqu'à cent huit dans le tombeau de Ti. Enfin, la paroi méridionale comporte le « serdab », c'est-à-dire la niche dans laquelle la statue du défunt contemple ses offrandes par une fente ; cette paroi montre trois troupeaux dénombrés (de 90, 86 et 80 jeunes bœufs) qui sont amenés au maître des lieux, ainsi qu'un quadrillage mettant en ordre un impressionnant tableau de produits les plus divers : parfums, cosmétiques, huiles, encens, étoffes, pains, gâteaux, viande, volailles, bière, fruits et légumes, etc., impliquant les services.
Tout cela compose la dotation perpétuelle en offrandes.
Les scènes rurales représentées ne correspondent pas forcément à des scènes réelles se déroulant hors du tombeau (Drenkahn, 1975) mais aux actes effectués d'une manière générale par les paysans pour assurer la production des biens nécessaires au défunt. Il s'agit sans doute d'« énoncés performatifs » : il faut les dire, ou les représenter par le dessin, pour que les choses existent. C'est là une précaution supplémentaire prise pour que les revenus affectés au défunt lui soient garantis.
Que retirer, sur le plan de l'interprétation institutionnelle, de la visite du tombeau d'Akhethotep ? Deux constats importants s'imposent dans le cadre de notre propos :
1 – La concession d'une tombe et les dotations funéraires sont d'origine royale.
2 – Les unités de production agricole (le « défilé des domaines », selon la désignation courante) fournissent des vivres, c'est-à-dire des revenus pour le service des offrandes.
Il est important de souligner que les revenus funéraires sont soigneusement comptabilisés sur place, ainsi que l'attestent les tombes de Guiza republiées récemment par N. Kanawati (2001, 2002). Des scribes font l'inventaire des produits provenant des terres affectées aux offrandes ; ils en vérifient la teneur (nature et quantité), en se référant aux écrits royaux qu'ils tiennent entre les mains (fig. 94 et 95). Le héry-oudjeb, « directeur des virements » (fig. 93) opère la vérification matérielle des offrandes en nature, en quantité et en qualité.
Fig. 93 : Le mastaba de Séchathotep à Guiza. Mur sud de la chapelle. Détail.
Fig. 94 : Le mastaba de Nésoutnéfer à Guiza. Mur nord de la chapelle. Détail.
Fig. 95 : Le mastaba de Séchathotep à Guiza. Mur ouest de la chapelle. Détail.
Le propriétaire du tombeau est assis et tend la main devant un guéridon garni. En face de lui, en petite taille, trois personnages lui assurent l'essentiel des biens funéraires (pains, bière, vaisselle en albâtre, pièces d'étoffes) mentionnés devant les genoux du défunt, sous le guéridon. Il s'agit de l'échanson, de l'embaumeur-out(y), et du directeur des virements, le héry oudjeb qui prononce la formule « Satisfaction (au moyen de l'appareil funéraire et du service des offrandes) que donne le roi ».
Le fils du défunt, qui est scribe royal, présente au couple propriétaire du tombeau un papyrus déroulé ; la légende dit qu'il contrôle l'écrit de réversion (pékhéret) des offrandes.
Devant le propriétaire du tombeau, appuyé sur son bâton auquel se tient un jeune fils, un tableau partagé horizontalement en trois registres mentionne les unités agricoles dont les revenus sont en partie affectés à son entretien funéraire (fig. 95). Le tableau est délimité par deux lignes verticales ; à droite (au nord), l'intitulé se rapporte aux offrandes provenant des fermes de Basse-Egypte, à gauche (au sud), à celles qui sont fournies par les établissements ruraux de Haute-Egypte. Le premier registre représente trois porteurs d'offrandes pour la Basse-Egypte (deux hommes et une femme) et deux pour la Haute-Egypte (un homme et une femme). En tête, un scribe fait l'inventaire des produits qui sont amenés à la concession funéraire. On remarque que trois des noms d'unités agricoles de production contiennent le nom du pharaon Khéops enserré dans un cartouche ; il s'agit d'établissements ruraux fondés par ce roi (cf. H. Jacquet-Gordon, Les noms des domaines funéraires sous l'Ancien Empire égyptien (Bibl. d'Et. 34), Le Caire, 1962) dont une partie des revenus sera versée à l'installation funéraire de Séchathotep (il s'agit d'une « constitution de rente »). Aux deuxième et troisième registres, des éleveurs amènent les bêtes consacrées aux offrandes en pièces de boucherie ; ils sont précédés d'un scribe qui comptabilise les produits (en animaux) dont sont redevables les établissements agricoles fournisseurs du per-djet (i. e. la dotation funéraire) du propriétaire de la tombe.
Comment la permanence du complexe funéraire va-t-elle être assurée ?
C'est grâce à des inscriptions contemporaines beaucoup plus explicites que nous allons pouvoir répondre à cette question, mais d'emblée il faut écarter une vieille idée reçue, selon laquelle les installations funéraires privées de l'Egypte pharaonique sont comparables aux waqf du droit musulman. En effet, le pharaon conserve sur les terres un droit de propriété, un dominium que l'on peut appeler « éminent », ou « direct », par référence à la terminologie juridique médiévale héritée du droit romain (voir supra). Les temples, les services publics et certains grands dignitaires exercent la propriété dite « utile », à son tour démembrée en une cascade de droits qui, eux, sont cessibles et transmissibles. Il n'existe donc pas de biens de mainmorte, de domaines fonciers affectés à perpétuité à Dieu ou à une œuvre pie comme c'est le cas pour les waqf (Chehata, 1970). Au contraire, les champs produisant les offrandes passent de mains en mains, ils sont seulement grevés d'une obligation, celle de fournir à perpétuité – sous bénéfice d'inventaire et de retour à l'autorité publique, à l'issue d'une perpétuité relative – une partie de la récolte au bénéficiaire de la rente funéraire par bienfait royal. Ce qui est attribué d'une manière permanente à travers les installations funéraires de l'Egypte pharaonique, du moins tant que la machine fonctionne, aussi bien du point de vue de la production que de celui de la consommation et des circuits intermédiaires, ce sont des revenus, des produits de domaines qui, en dernier ressort, appartiennent au roi. Il faut donc renoncer à toute assimilation des dotations funéraires pharaoniques au système des waqf.
La concession funéraire était accordée au dignitaire par charte royale. Le dignitaire lui-même énonçait des dispositions que l'on peut qualifier de testamentaires, puisqu'elles étaient prises pour le temps où il « passerait à son ka », selon l'euphémisme communément adopté par les anciens Egyptiens, c'est-à-dire pour sa vie post mortem. Cet acte juridique très important était lui aussi consigné par écrit, d'autant plus que ses effets étaient censés se prolonger à perpétuité. Les documents constitutifs de la concession funéraire et de son mode de fonctionnement étaient conservés aux archives centrales, avec des copies dans les sièges administratifs concernés par les terres affectées à la production des offrandes. Les tombes qui possèdent des inscriptions juridiques confirment l'existence de tels écrits dont le support, le papyrus, étant fragile, n'a pas survécu aux outrages des millénaires. En revanche, des extraits de ces actes, inscrits sur les parois internes de certains mastabas, nous sont parvenus. Pourquoi certaines tombes contiennent-elles des inscriptions juridiques et pas les autres ? P. Vernus (1990) pense que l'utilisation des hiéroglyphes et de la pierre comme support a pour but de sacraliser le texte. J'ajoute personnellement qu'étaient gravées dans la pierre les dispositions qui, dans le contexte bien connu du propriétaire de la tombe, étaient susceptibles de connaître des difficultés d'application, et avaient donc besoin d'apparaître en permanence aux yeux des intéressés – appartenant par hypothèse à l'élite la plus lettrée – d'où le choix d'un matériau solide et imputrescible (la pierre) et d'une écriture voulue immuable dès les origines (les hiéroglyphes), alors que les cursives sont soumises à des évolutions plus ou moins rapides. En tout cas, c'est grâce aux inscriptions des tombeaux que nous connaissons assez bien le droit qui régissait les dotations funéraires. De plus, les textes de ces inscriptions ont été fort bien étudiés, dès le début du xxe siècle, par A. Moret et L. Boulard, dans un article qui demeure une référence essentielle (1907), et par H. Sottas, dans son mémoire des Hautes Études (1913). Ces commentaires ont été complétés plus récemment par le recueil de H. Goedicke (1970), mais c'est bien entendu aux nombreuses publications de tombes qu'il faut se reporter pour appréhender le droit funéraire de l'Ancien Empire (principalement : Junker, Giza, 1929-1955), ainsi qu'au corpus des inscriptions constitué dans les années trente par Kurt Sethe (Urkunden des Alten Reichs I, 1933).
Le schéma des biens qui composent une dotation funéraire (par faveur royale) est le suivant :
1 – Une tombe décorée bâtie dans la nécropole, comportant donc un terrain et un complexe architectural. Le terrain est concédé par le roi ; les artisans engagés pour la construction et la décoration de la tombe sont rétribués par le propriétaire du tombeau sur les revenus qu'il perçoit, à la fois en tant que fonctionnaire et en tant qu'exploitant foncier.
2 – Des éléments d'architecture, en matériaux choisis, qui sont souvent des dons du roi en récompense des loyaux services du bénéficiaire : statue, stèle, table d'offrande, montants de porte, linteau, sarcophage, etc.
3 – Du mobilier qui peut être ou bien acheté par le propriétaire du tombeau et/ou par ses proches sur leurs revenus propres, ou bien offert par le roi, par exemple des vases jubilaires, des étoffes, des bijoux, etc.
4 – Un service d'offrandes qui comporte à la fois des produits, c'est-à-dire une partie des revenus de champs de diverses provenances, attribuée au service des offrandes, et du personnel, c'est-à-dire des journées de services affectées à la production, à la ritualisation, puis à la distribution des vivres, ainsi qu'à l'entretien de la personne du défunt.
Enumérons les phases successives d'une installation funéraire privée, en nous appuyant sur des textes ; ces étapes, à la fois matérielles, économiques et juridiques sont :
– La construction de la tombe ;
– La création et l'organisation des rites funéraires et du service des offrandes ;
– La protection du tombeau.
A – La construction de la tombe
1) L'acquisition du terrain
Il s'agit de quelques dizaines de mètres carrés (parfois plus) dans la nécropole, à l'écart des lieux de production agricole, soit autour de la pyramide royale, soit en province, au gré des vicissitudes des phénomènes de concentration/centralisation et de déconcentration/décentralisation que l'on observe du début à la fin de l'Ancien Empire (Kanawati, 1980).
L'attribution d'un terrain à un dignitaire pour la construction de sa tombe est un bienfait d'origine royale, c'est dit et répété explicitement ; le terrain doit bien entendu être vierge, libre de tout droit, hormis la propriété éminente du roi. Dans le mastaba d'Akhethotep-her du musée de Leyde, le dignitaire – qui porte des titres judiciaires – affirme qu'il n'a jamais abusé de son pouvoir, qu'il n'a jamais pris les biens de quiconque, qu'il a construit sa tombe dans la nécropole par faveur royale, dans un endroit libre (ouâb) qui n'appartenait à personne (Urk. I, 49-51).
Si le don d'un terrain est une largesse royale, on ne peut toutefois pas exclure la possibilité de toute intervention privée dans une transaction portant sur un précieux bout de terrain à bâtir un tombeau. Ainsi, Perhernéfert, un fabricant de gâteaux – dont on fait un usage abondant dans les offrandes funéraires – se fait-il verser une somme de 1 ( ?) shâti (voir « Tableau 16 » infra) par le nouveau détenteur d'une parcelle de 98 m2 environ (1/30 d'aroure), bénéficiaire d'un tombeau et d'un service d'offrandes{262} ; l'on peut supposer que Perhernéfert s'est comporté comme un intermédiaire efficace auprès des services administratifs de la nécropole lors de la vacance du terrain en question (Menu, 1998).
2) La construction du mastaba
Des équipes d'artisans vont être mises à la disposition du propriétaire de la tombe par l'administration centrale. Le vizir, chef de l'administration, porte en général le titre de « Chef de tous les travaux du roi » ; de ce fait, il est à la tête de toutes les filières du travail qu'il supervise. Cependant, c'est le propriétaire du tombeau qui va se charger de la rémunération des ouvriers et des artistes engagés par lui pour construire et décorer le mastaba, en prélevant leurs salaires sur ses propres revenus.
L'inscription de la porte tombale de Tefkhaÿ apporte une précision quant à la construction proprement dite :
« J'ai bâti cela (le démonstratif désigne la tombe) pour (être) imakhou (un « favorisé », un « pensionné ») par faveur de mon maître. J'ai fait en sorte que les artisans qui y ont travaillé (dans) la nécropole, en échange de prestations (ou : d'un salaire, em isou), rendent grâces pour l'inspecteur des affaires du Grenier, le directeur des mesureurs de grains, Tefkhaÿ. » (Junker, Giza 5, 10 ; Goedicke, PRI, p. 182 ; Menu, 1998, p. 284).
Le chef des dentistes Roudenptah fit inscrire sur le linteau de sa tombe l'avertissement justificatif suivant : « J'ai acheté ceci dans la nécropole, sans y avoir jamais commis d'irrégularité » (Grdseloff, 1943). Akhethotep-her affirme quant à lui qu'il n'a pas pris de biens appartenant à autrui pour bâtir son tombeau (Urk. I, 49-51).
3) Les éléments coûteux de l'architecture et du mobilier funéraires
Linteaux et montants de portes, statues, stèles, table d'offrande, sarcophage, etc., peuvent être offerts par le roi ou achetés par le propriétaire du tombeau et ses proches.
Dans sa célèbre autobiographie, le haut fonctionnaire Ouni s'enorgueillit du très beau sarcophage en calcaire fin de Toura dont le roi l'a gratifié, sur sa demande :
« Je demandai à la Majesté de mon seigneur qu'on m'apportât un sarcophage en calcaire blanc de Toura. Sa Majesté fit traverser le fleuve à un trésorier du dieu avec l'équipage d'un capitaine à ses ordres, pour m'apporter ledit sarcophage de Toura. Il arriva par son œuvre dans le grand chaland de la Résidence (royale), avec son couvercle et (aussi) une fausse porte : un linteau, deux montants, un seuil. On n'avait jamais fait une chose pareille pour un serviteur quelconque, parce que j'étais capable dans l'estime de Sa Majesté, parce que j'avais du succès (?) dans l'estime de Sa Majesté, parce que Sa Majesté avait confiance en moi » (Roccati, 1982, p. 192).
Une faveur semblable est accordée à Djâou de Deir el-Gébraoui : le roi lui fait envoyer de la Résidence un cercueil, des parfums, des huiles rituelles, ainsi que 200 pièces d'étoffe de qualité supérieure. « On ne l'avait jamais fait, dit-il, pour un autre de sa condition » (ibid., p. 227).
En revanche, une inscription lapidaire, sur un linteau de porte, indique que celle-ci a été achetée par le serviteur du ka du propriétaire du tombeau, au moyen de marchandises affectées à l'entretien funéraire : « Cette porte contre (ou : en échange de, em isou) une pièce d'étoffe-dayou », dit Khénemti (Grdseloff, 1943 ; Goedicke, 1970 ; Menu, 1998). Nous verrons ultérieurement (t. 2, chap. 2) que les étoffes font partie des quatre types de « monnaie » utilisés dans les échanges en Egypte ancienne, à savoir : les métaux (or, argent, cuivre), les étoffes, les céréales et l'huile (Menu, 2001).
B – La création et l'organisation d'une installation funéraire
L'inscription d'Ibi (deuxième moitié de la 6e dynastie) à Deir el-Gébraoui, près d'Abydos, énonce :
« J'ai fait cela (l'ensemble funéraire) avec les villages attachés à ma personne, avec mon service de prêtres-ouâb, avec une concession royale que m'a octroyée la Majesté de mon maître (i. e. le roi) afin de me procurer un terrain, possédant moi-même du personnel et du bétail (taureaux, chèvres, ânes), sans compter les biens de mon père, alors que j'étais intendant de la maison de ravitaillement, et un terrain de 203 aroures que m'a concédé la Majesté de mon maître pour m'enrichir » (Roccati, 1982, p. 226).
Précisons encore une fois qu'il s'agit de la propriété utile de terres agricoles (champs, vergers, pâturages) sur lesquelles l'administration centrale exerce au nom du roi la propriété directe ou éminente. Ibi énumère donc la provenance des différentes sources de revenus affectées à la constitution de l'ensemble funéraire dans sa totalité. Le disposant va réserver une masse de biens à l'entretien du tombeau et à la fourniture des offrandes, il va organiser le service des offrandes, il va protéger sa demeure éternelle et son service perpétuel contre d'éventuelles profanations et exactions. Ces dispositions sont soigneusement conservées aux archives locales et centrales, et enregistrées dans les cadastres.
Venons-en à l'acte juridique constitutif d'une installation funéraire privée.
L'inscription d'Oupemnéfert{263} (Guiza, seconde moitié de la 5e dynastie) fournit un exemple de donation entre vifs réalisée sur faveur royale par un dignitaire au bénéfice de son fils aîné. Le texte est inscrit au-dessus et devant le donateur (fig. 96), représenté en grande taille, s'appuyant de la main droite sur son bâton de fonction et levant la main gauche en direction des paroles qu'il prononce et qui sont reproduites devant lui. Face au disposant, en petite taille (la tête du personnage arrive aux genoux du donateur) figure son fils, le donataire, qui tient dans la main droite un rouleau de papyrus sur lequel est écrit l'original de l'acte. Voici le texte de la disposition qui consiste dans le partage d'une tombe, de son mobilier et de son service d'offrandes :
Fig. 96 : La disposition d'Oupemnéfert en faveur de son fils dans son tombeau à Guiza.
« L'année du séma-taouy (c'est-à-dire la première année d'un règne qui n'est pas précisé), troisième mois de la saison de la Germination (péret), jour 29, l'Ami unique Oup(emnéfert), il dit : “J'ai donné à mon fils aîné, le prêtre-lecteur Iby, une concession funéraire (à savoir) : la chambre septentrionale et la partie nord de la salle des offrandes qui sont dans mon tombeau d'éternité (is èn djet) de la nécropole ; qu'il y soit enterré et qu'il y reçoive les offrandes (car) c'est un imakhou. Qu'il n'y ait aucun acte, aucune plainte de quiconque contre cela. < Qu'il n'y ait de revendication > (d')aucune épouse, (d')aucun enfant contre cela, en dehors de mon fils aîné, le prêtre-lecteur Iby, (car) je lui ai fait donation”. Ce fut donné en présence de témoins nombreux, et ce fut dressé par écrit en sa propre présence ».
Quinze témoins sont nommés et représentés assis, la main droite ramenée sur la poitrine, prêtant probablement serment.
La mise sur pied d'une installation funéraire privée exige deux séries de mesures principales, une fois la tombe construite, décorée et équipée : d'abord l'affectation aux offrandes de revenus dont la provenance est soigneusement définie ; ensuite l'institution d'une ou plusieurs charges rémunérées à perpétuité, c'est-à-dire transmissibles selon des règles strictes de dévolution, pour accomplir tous les services funéraires.
1) Les revenus
Ce premier point est parfaitement illustré par les inscriptions de Métjen dont le mastaba, construit sous le règne de Snéfrou (début 4e dynastie) est conservé au musée de Berlin (voir infra, II.). Les inscriptions de cette tombe ont été abondamment commentées et le sont encore{264}. En raison de leur style extrêmement concis et même elliptique, leur traduction peut donner lieu à plusieurs variantes et à des interprétations toutes aussi valables les unes que les autres sur le plan grammatical ; c'est une bonne connaissance des institutions qui permet de trancher. Métjen a exercé de nombreuses fonctions, rappelées dans sa titulature ; au gré de son cursus, il a acquis, grâce à quelques transferts de propriété utile sur des terres, des revenus en produits variés, destinés à assurer son service d'offrandes funéraires. L'origine de cet usus est double : il s'agit, d'une part, de transmissions héréditaires – car certains usufruits sont transmissibles ainsi que nous l'avons montré – et, d'autre part, d'attributions d'origine royale, les unes à titre gratuit, en récompense, les autres à titre onéreux, moyennant contrepartie (er isou). Ce qu'il est important de souligner, comme l'a fait Métjen, c'est la provenance des sources de revenus, avec, à chaque fois, les justificatifs, c'est-à-dire la référence aux écrits royaux et à leur enregistrement, y compris pour la disposition testamentaire effectuée par sa mère et confirmée par charte royale. Il semble, en outre, qu'une distinction soit faite entre les terres d'élevage et les champs à céréales, les unes fournissant les pièces de boucherie, et les autres, la matière première nécessaire à la fabrication du pain, des gâteaux et de la bière ; autrement dit, non seulement il se confirme que l'accent est mis sur les revenus des terres, mais la référence à différents types de revenus en fonction de telle ou telle assise foncière, permet de déterminer plus précisément la nature juridique et le mode d'administration des terres qui les produisent.
Un autre personnage, Tjenti (Urk. I, 163), insiste dans son tombeau sur l'origine royale des offrandes accordées à sa mère et à lui-même : un champ de 2 aroures (un peu plus d'1/2 hectare), du blé amidonnier provenant du Grenier, et des étoffes provenant du Trésor, soit deux des départements centraux les plus importants.
Quant à Kaemnésou (Urk. I, 175), directeur du Grenier, prêtre des pharaons Sahourê, Néferirkarê, Ousérenrê, et du sanctuaire solaire de Néferirkarê, il énumère les offrandes provenant du palais, les céréales du Grenier, les étoffes, l'huile et l'albâtre du Trésor, etc., en tant que pensionné du palais royal (per èn nésou) pour la durée de l'éternité.
2) Les services
Sur le deuxième point, des inscriptions de la 4e dynastie comme celles de Kaemnéfert (Sethe, Urk. I, 11-15 ; Goedicke, PRI, 44-67), de Niânkhkhnoum et Khnoumhotep (Moussa, Altenmüller, 1977), entre autres, nous fournissent le détail des accords passés entre le propriétaire de la tombe et les préposés aux offrandes et au rituel funéraires{265}.
Voici, par exemple, un extrait de l'inscription de Kaemnéfert :
« ... J'ai fait en sorte qu'aucun de mes enfants, de mes frères et sœurs, de mes descendants n'ait le sékhem{266}. Les serviteurs du ka, les uns après les autres <i. e. de génération en génération>, surveilleront les champs, les gens et toutes les choses que j'ai constituées pour eux afin qu'ils en fassent l'offrande. Leurs serviteurs et servantes, leurs frères et sœurs ne (devront rien) y faire en dehors du service d'offrande dans la nécropole, dans cette concession funéraire (située) dans (le périmètre) de la pyramide « Grand est Khéphren ». Quant à ses biens et revenus de champs, de gens <i. e. les services des dépendants>, de toute chose que je lui ai constituée pour y faire l'offrande, j'interdis que tout serviteur du ka de la dotation dispose de tout champ ou personne que je lui ai constitués pour y faire l'offrande, que ce soit contre compensation de quiconque <à titre onéreux> ou par transfert global (imyt-per) à quiconque, sauf s'il donne au fils habilité (iqer) pour sa part avec ces serviteurs et servantes du ka. Si un quelconque serviteur du ka de la dotation porte atteinte aux champs, aux gens et à tous les biens du service d'offrandes que le roi m'a accordés pour (être) imakhou, la part qu'il administre (en champs, gens et biens pour le service d'offrandes) lui sera retirée. »
La suite de l'inscription comporte de nombreuses lacunes ; on reconnaît, comme dans le tombeau de Niânkhkhnoum et Khnoumhotep, une clause suivant laquelle il est également interdit à un serviteur du ka d'intenter à un de ses collègues un procès devant les magistrats (sérou), sous peine d'être privé de sa part ; l'explication est donnée dans le texte : le procès suspendrait le service de l'offrande qui doit être ininterrompu. Les conflits entre serviteurs du ka seront réglés d'une manière interne et à l'amiable, l'un d'eux jouant sans doute le rôle de responsable et d'arbitre (Moret, Boulard, 1907).
C – La protection de la tombe
Le tombeau est un espace clos, réservé (khou) et protégé (méki). Deux séries de mesures garantissent la pérennité du tombeau et la fourniture perpétuelle des offrandes : des dispositions juridiques et des interdits moraux assortis d'imprécations.
1) Les dispositions juridiques
Nous l'avons vu chez Kaemnéfert, et c'est encore plus clair chez Niânkhkhnoum et Khnoumhotep{267}, il est interdit aux serviteurs du ka de céder les biens qui leur sont attribués pour le service rituel, d'en prélever une partie pour un autre service, et aussi d'intenter un procès à un collègue. Il est tout aussi interdit de disposer des biens de la dotation par vente d'un élément particulier ou par transfert global (imyt-per). Ainsi s'exprime Sennouânkh : « Je leur interdis de céder à quiconque contre compensation (ou : à titre onéreux, er isou) ou par transfert global (imyt-per) ; qu'ils donnent seulement à leurs enfants, etc. » (Urk. I, 36-37). La cession du patrimoine funéraire et des charges qu'il supporte se fera exclusivement par transmission héréditaire. La porte tombale de Tefkhaÿ (6e dyn.) précise que les personnes sont engagées contre rémunération et par contrat scellé : « Les salariés (isouou) de la concession funéraire, ils sont engagés contre rémunération (er isou) par contrat scellé, afin qu'ils présentent les offrandes en pain et bière dans la nécropole, en tant que serviteurs et servantes du ka{268}. »
2) Les interdits moraux
L'autre série de mesures est d'ordre moral et se rattache à la sphère des croyances. Il s'agit de menaces et d'imprécations inscrites sur les parois du tombeau à l'encontre de quiconque tenterait soit de porter atteinte à l'intégrité de la tombe et de sa décoration – démolition, vol, martelage – soit de s'approprier les offrandes.
Le propriétaire de la sépulture s'appuie sur le principe de justice immanente et rétributive – qui guide la société pharaonique – pour étayer sa menace : « J'ai acquis mon bien d'une manière légitime et par faveur royale, dit-il en substance, je n'ai jamais porté la main contre les biens de quiconque ». En bref, qui a respecté les biens d'autrui sera respecté, qui a volé sera volé et sera en outre jugé au lieu du jugement (set èn oudja) par le grand dieu (netjer aâ) (Sottas, 1913). Qui est le grand dieu ? Rê, Osiris, ou le roi ? La question a été posée ; à mon avis, il s'agit du roi, héritier des deux dieux. Il me semble que quelqu'un pris en flagrant délit de vol d'offrandes provenant du Grenier ou du Trésor royal serait jugé dans le tribunal de la nécropole ou devant la cour de justice compétente, mais on joue sans doute aussi, au moins dans les inscriptions de la 6e dynastie, sur la crainte du jugement divin dans l'au-delà.
Nous avons retenu, parmi les nombreuses sources qui documentent le sujet, un fil conducteur permettant d'appréhender l'essentiel des aspects idéologiques, économiques et sociojuridiques des pratiques funéraires impliquant des dotations foncières, dans les classes supérieures de l'Ancien Empire égyptien. Le schéma décrit fournit seulement un modèle que chaque grand dignitaire eut à cœur d'adapter à sa situation familiale, sociale et politique, contribuant ainsi à la complexification des règles juridiques.
La nature et le rôle des institutions funéraires dans l'Ancien Empire ont grandement contribué à façonner le droit égyptien dans ses aspects les plus spécifiques, par exemple la création d'obligations dont les effets sont garantis pour l'avenir d'une manière illimitée, ou l'établissement de conventions portant sur des biens incorporels, comme les rentes et les services. Les anciens Egyptiens ont su très tôt négocier des droits, transmettre et céder des rentes, des créances ou des services, ce qui a échappé à Hérodote, lorsqu'il rapporte : « L'argent se raréfia sous le règne d'Asychis (i. e. Chepseskaf), m'a-t-on dit, et l'on fit une loi qui permettait aux Egyptiens de contracter un emprunt en donnant pour gage la momie de son père ; une loi complémentaire reconnut de plus au prêteur des droits absolus sur la tombe entière de l'emprunteur » (voir t. 2, chap. 2). Comme nous l'avons vu plus haut, Chepseskaf promulgua le premier décret connu qui fasse mention de virements d'offrandes en faveur d'une dotation funéraire, en l'occurrence celle créée pour la pyramide de son père, Mykérinos. Ce procédé, en rendant fluide le circuit des offrandes, permettait de toute évidence des opérations de mise en gage, non pas des momies, mais du service des offrandes funéraires, d'où des cessions de créances et, par le fait même, la saisie momentanée (jusqu'à extinction de la dette) des offrandes destinées au défunt. A la Basse Epoque, le personnel des nécropoles rédigeait des contrats de partage ou de cession « de momies ». L'opération juridique consistait en fait à vendre à un collègue les droits et revenus que procurait l'entretien des tombeaux et de leurs occupants (on verra ma démonstration dans le t. 2, chap. 2) et non, bien entendu, à faire un commerce de momies.
De même que, dès l'Ancien Empire, l'on ne met pas en gage la momie de son père, mais les créances en offrandes dont elle bénéficie, de même ce ne sont pas les champs qui sont attribués en mainmorte à une dotation funéraire, selon une interprétation ancienne et tenace, mais seulement une part de leurs produits qui lui sont versés périodiquement.
Les inscriptions du tombeau de Métjen comportent, parmi les énumérations de titres acquis par lui au long d'un cursus administratif brillant, des insertions de textes à valeur spécifiquement juridique que l'on peut isoler, comme l'a fait H. Goedicke{269} en les intitulant successivement : « Inscription A », « Inscription B », « Inscription C », mais qui sont en réalité indissociables du contexte évoquant la carrière du personnage, aussi les commenterons-nous en coordination avec les données qui les entourent{270}.
La décoration interne du tombeau représente des offrandes symboliques ainsi qu'une liste des titres correspondant aux diverses fonctions, successives ou concomitantes, exercées par Métjen de son vivant. Le caractère énumératif du texte, les redites dues à la fois au souci de ne rien omettre d'essentiel et à celui d'une répartition esthétique en plusieurs registres, font que les mentions juridiques introduisant les étapes de la progression sociale de Métjen, et surtout l'origine de ses biens, se présentent d'une manière concise à l'extrême, ce qui est d'ailleurs une caractéristique générale des textes de l'Ancien Empire et en particulier les textes juridiques. Aussi, bien que n'offrant pas de difficulté épigraphique particulière, les inscriptions de Métjen soulèvent-elles des problèmes d'interprétation qui, grâce à l'existence de formulations parallèles dans d'autres textes biographiques de l'Ancien Empire, ne sont pas insolubles.
Le mur arrière de la tombe (Lepsius, Denkm. II, 3) peut être divisé en deux parties : le registre supérieur qui expose les faits de la vie du personnage et, sous la ligne horizontale qui répète quelques-uns des titres et sert de trait séparateur, un registre descriptif ayant pour objet la représentation des offrandes et une nouvelle énumération de titres, avec quelques rappels, comme une justification constante.
Le registre supérieur qui nous intéresse comporte dix-huit lignes verticales ; les douze premières contiennent un, parfois deux titres chacune, le plus fréquent étant celui de héqa hout ou héqa hout aâ, « chef de domaine » ou « grand chef de domaine » ; les six autres énoncent trois sources de revenus dont dispose Métjen pour subvenir à son service d'offrandes funéraires et à celui de son père ; la proposition initiale est reliée immédiatement à la liste des titres qui précède : (en tant qu')administrateur, chef de domaine, etc., Métjen a acquis les revenus de 200 aroures de champs cultivés par des tenanciers royaux ; il possède en outre, conjointement avec ses frères et sœurs, (les revenus de) 50 aroures que leur a transmis sa mère ; enfin, en tant qu'administrateur d'un domaine funéraire royal, il lui a été conféré en bénéfice foncier un champ de 12 aroures.
Le registre supérieur se présente donc dans sa totalité comme le fondement juridique de toute la partie inférieure de la paroi (d'où la nécessité de ne pas le scinder en deux parties, l'une énumérative, et l'autre explicative, car la seconde dépend de la première). Il fournit un inventaire des biens fonciers dont Métjen lui-même – et non ses enfants (selon une hypothèse de Baud et Farout, 2001) – tire des revenus pour sa dotation funéraire associée à celle de son père (voir infra).
Les développements subséquents (côté gauche et côté droit de la tombe par rapport à l'entrée) concernent un autre ensemble de biens, ceux provenant de l'héritage paternel.
Si l'on excepte l'héritage maternel consistant en l'usufruit d'un champ de 50 aroures, l'origine des biens de Métjen est double : bénéfices afférents aux fonctions exercées par lui, d'une part et, d'autre part, ressources diverses constituées par la volonté paternelle confirmée par décision royale.
Les biens transmis à Métjen par son père font l'objet d'importantes mentions : énoncé général de la mesure, contenu de la disposition solennelle qui la consacre. Les libéralités et charges dont Métjen s'est trouvé cessionnaire à la suite de la disposition paternelle côtoient l'exposé narratif et probablement chronologique des diverses situations qu'il a lui-même occupées. Nous apprenons ainsi que, grâce à l'exercice de certaines hautes fonctions, Métjen s'est encore vu octroyer un champ de 4 aroures, avec les gens et les biens qui en dépendent, autrement dit les rentes d'une tenure. La logique de la répartition entre les deux sources de revenus, l'une royale, l'autre particulière mais autorisée par ordre royal, n'est pas apparente. Il n'y a pas d'affectations distinctes, mais constitution d'une masse globale, l'ordre d'apparition des mentions étant probablement celui de leur succession dans le temps.
Les deux phrases-clés qui ont trait à l'établissement de Métjen sur les biens fonciers dont son père était le détenteur encadrent plusieurs propositions qui rapportent la façon dont notre personnage a gravi les échelons de son cursus ; ces propositions indépendantes sont introduites par le verbe oudi, « placer », « nommer », par exemple : « Il fut nommé premier scribe de la place d'approvisionnement, intendant des biens de la place d'approvisionnement » (Urk. I, 3, 3). L'ensemble constitue le texte du côté droit de la tombe (Lepsius, Denkm. II, 5 et 7) ; la double origine des possessions de Métjen est ainsi de nouveau mise en évidence.
La première et la dernière lignes verticales correspondent à l'« Inscription A » de Métjen, selon Goedicke, dont voici ma traduction :
« 1) Le dignitaire-scribe Inépouemânkh lui a donné ses biens ; il n'y avait ni céréales ni aucune chose du domaine (it bédet ikhet nébet per) mais des gens et du petit bétail.
2) (L'ensemble de) l'installation Métjen-guéréguet a été établi sur ce que lui a donné son père Inépouemânkh ».
Les deux propositions sont bien séparées et font chacune l'objet d'une ligne verticale de texte.
L'« Inscription A » se présente comme le prologue de l'« Inscription B » qui détaille la dotation paternelle. Celle-ci consiste, dans son ensemble, en une affectation de revenus prélevés sur diverses prébendes attachées aux fonctions exercées de son vivant par le père de Métjen. Ce dernier en est le légataire unique.
Il en est de même quand Hâpydjéfaï déclare plus tard à son hem-ka (« serviteur du ka » plutôt que « prêtre funéraire ») : « Ces biens seront (transmis) à un seul de tes fils parmi tes enfants, celui que tu veux, et c'est lui qui fera fonction de serviteur du ka (hem-ka), en tant qu'usufruitier{271}, sans permettre qu'il les partage avec ses frères, conformément à cet accord que [j'ai] conclu [avec] toi » (trad. d'après Devauchelle, dans : Menu (éd.), 1996, p. 164 ; c'est moi qui souligne).
Tout porte à penser que Métjen était le « serviteur du ka » de son père et que les biens dont celui-ci dispose sont affectés aux rites funéraires en faveur d'Inépouemânkh – et aussi, sans aucun doute, de Métjen lui-même (voir plus haut l'acte dressé par Oupemnéfert).
Par it bédet ikhet nébet per, (« orge, blé amidonnier et toute chose du domaine »), on doit probablement entendre les réserves alimentaires : céréales et provisions au sens large.
Deux explications peuvent être envisagées : ou bien la dotation paternelle ne comportait aucune avance en orge ni en blé au moment du transfert, ou bien Métjen en perçoit des revenus d'un autre ordre, ce qui semble confirmé par la deuxième phrase : les biens fonciers cédés en propriété utile ou en simple usufruit à Métjen par son père comportaient « des gens et du petit bétail », il peut s'agir de pâturages et d'installations destinées à l'élevage. Les domaines « Métjen-guéréget » transmis en outre à Métjen par son père (« Inscription B ») sont plantés principalement en vignes et en arbres fruitiers ; l'absence de céréales et de toutes choses cultivées d'une manière courante peut aussi s'expliquer de cette façon.
Cette précision étant notée, attardons-nous un peu sur le procédé de la transmission paternelle des possessions dont la mention était certainement d'un grand intérêt pour le bénéficiaire de la disposition. L'inscription d'Hirkhouf, de la 5e dynastie, contient une affirmation similaire : « Mon père m'avait constitué un acte d'imyt-per » (Urk. I, 122, 1), autrement dit un transfert global de biens sanctionné par un acte authentique contre-scellé par la chancellerie royale.
Bien que plus tardives (Moyen Empire, 12e dynastie), les inscriptions du nomarque de Siout, Hâpydjéfaï (infra, § 4), déclinent elles aussi les origines des biens dont le personnage dispose, en vue de réaliser son rituel funéraire, dans les conventions qu'il passe avec son serviteur du ka, qu'il s'agisse de prébendes attachées à ses diverses fonctions ou d'usufruits hérités de son père. Métjen insiste également sur la provenance des rentes qu'il perçoit, des terres et des immeubles dont il exerce la propriété utile. La conclusion que l'on peut tirer de cette comparaison est que le déclarant avait des droits et des obligations de nature différente suivant la source d'où ils étaient issus. Il semble que la destination funéraire de certaines possessions transmissibles (sous forme de revenus affectés d'une manière permanente), approuvée par la volonté royale, mette le disposant à l'abri des suppressions arbitraires ou modifications graves qui pourraient émaner de l'administration centrale. Dans les inscriptions de Métjen, la référence constante à la double origine des biens a sans doute pour but de souligner cette opposition et la large part, par rapport à l'ensemble considéré, des droits légitimes transmis par le père, bien que les affectations spéciales ne soient pas apparentes.
L'inscription B se trouve sur le côté gauche de la tombe (Lepsius, Denkm., II, 6-7) ; elle développe l'inscription A et complète l'énumération des actes qui concernent Métjen.
Au texte reproduit par Goedicke nous rattacherons la phrase précédente, afin de marquer la préoccupation permanente, explicitée ci-dessus, qui animait l'auteur de la biographie de Métjen : à une source de revenus liée à l'exercice d'une fonction succèdent l'énoncé de la disposition paternelle et l'expression détaillée des éléments qu'elle comporte.
« (En tant qu')administrateur – littéralement : “conducteur du pays”, séshem ta –, chef-héqa d'un établissement agricole, directeur des missions dans le XVIIe nome de Haute-Egypte, directeur des courriers dans le XIIIe nome de Basse-Egypte, il a reçu l'exploitation Sahet-Ba, soit un champ de quatre aroures, avec les gens et toutes les choses (qui en dépendent).
Ce qui se trouve dans la décision (royale) et qui est inscrit au siège de l'approvisionnement : “Il fut donné à un seul fils ; il fut fait en sorte que la décision lui soit amenée par charte royale (â nésou)”. »
Le titre de la disposition (fig. 97) présente de sérieuses difficultés en raison de sa concision extrême. L'ordre des mots, tel qu'il est ici reproduit, a été très controversé. L'espace infiniment restreint dans lequel se trouve enfermée l'en-tête de la série des mesures suivantes, a contraint les auteurs à proposer toutes sortes d'hypothèses. En fait, il s'agit de deux lignes verticales non séparées par un trait, se lisant de haut en bas et de droite à gauche, comme d'ailleurs le reste de l'inscription, la fin de la deuxième ligne se divisant en deux petites colonnes :
Fig. 97 : Le titre de la disposition d'Inépouemânkh en faveur de son fils Métjen.
Cette portion de texte ne consiste pas seulement en un titre d'acte, elle forme un prologue tendant à mettre en évidence les deux aspects fondamentaux de l'acte :
– accomplissement des formalités ;
– réunion des conditions de validité.
L'acte a été pris en la forme d'un ordre dûment enregistré au département administratif compétent : la perception des revenus de la terre et leur affectation aux offrandes funéraires rituelles relève logiquement du service de l'approvisionnement. La décision royale a été communiquée à l'intéressé.
Sur le fond, la nature de l'acte et sa condition fondamentale de validité sont indiquées en une seule proposition : « il fut donné à un seul fils », autrement dit la dotation doit demeurer strictement indivisible ; cela n'exclut pas les droits des frères et sœurs sur les biens propres du défunt, Métjen agissant à la fois comme gérant de l'indivision et comme hem-ka unique de la dotation funéraire de son père ; « donner à un seul fils », pour Inépouemânkh comme pour Hâpydjéfaï, constitue une garantie de bonne gestion, de la part du hem-ka choisi. La validité de l'acte étant parfaite et démontrée, son contenu est exposé d'une manière énumérative et descriptive à la ligne suivante (« Inscription B ») :
« Il <le père de Métjen> a transmis, alors qu'il était sur ses deux jambes, sa fonction de directeur des missions dans les IVe et IIIe nomes de Basse-Egypte. Il a installé douze Métjen-guéréget dans les IVe, VIe, IIe nomes de Basse-Egypte. (En tant que) serviteur du domaine du sanctuaire sacrificiel il a acquis 200 aroures de champs pour les prestations par des tenanciers royaux nombreux, afin que viennent 100 pains chaque jour dans la chapelle du ka de la mère royale Hapyemmaât. Le domaine, large de 200 coudées et long de 200 coudées, est construit, entouré, équipé en beau bois ; un très grand jardin y a été créé, des figuiers et des arbres fruitiers ont été plantés, il est enregistré là-bas par charte royale, leurs noms y sont consignés par charte royale ; un très grand vignoble est planté dont on fait beaucoup de vin. Il a fait en sorte que m'appartiennent 12 aroures de vignoble à l'intérieur de la plantation : l'installation Métjen-guéréget Y-Mérès et l'installation Métjen-guéréget Iat-Sobek ».
Le père de Métjen a transféré de son vivant – l'expression em ou her rédouy.fy, « sur ses deux jambes » signifie, dans le cas présent comme dans des inscriptions parallèles, que le disposant jouit de toutes ses capacités physiques et intellectuelles – les revenus ou une part des revenus d'une importante fonction, celle de directeur des missions dans deux nomes de Basse-Egypte. Il a installé plusieurs fermes : K. Kóthay (Budapest, 2001) attribue à juste titre au mot guéreg la signification : « équiper », « meubler », et non « fonder » selon la traduction habituelle. Il a construit un manoir entouré d'un verger et d'un vignoble sur lequel une parcelle double de 12 aroures au total est prélevée directement à l'intention de son fils. Enfin, il a acquis les revenus de 200 aroures de champs, dont une partie est affectée aux offrandes funéraires de la reine-mère et dont il bénéficie par réversion, selon une pratique courante et largement attestée dans l'Ancien Empire.
L'« Inscription C » se trouve sur le mur arrière de la tombe de Métjen (Lepsius, Denkm., II, 3) :
« (En tant que chef de domaine, etc....), les revenus de 200 aroures de champs lui sont apportés par des tenanciers royaux nombreux.
Un champ de 50 aroures lui a été transmis par sa mère Nebsénet. Elle en a fait un acte d'imyt-per pour ses enfants ; il <l'ensemble indivis> a été placé en leur possession (oudi kher sèn, littéralement : “sous eux”) par charte royale, en chaque siège.
(En tant qu') intendant de la Demeure de Ny-souteh <le temple funéraire du prédécesseur de Snéfrou> (Goedicke, 1956) un champ de 12 aroures, avec son produit, ainsi que des gens et du petit bétail, lui a été confié ».
Nous avons affaire à l'énumération des revenus de Métjen qui ne sont pas d'origine paternelle.
Métjen reçoit les rentes de 200 aroures de champs, en tant que ressources attachées aux diverses fonctions qu'il exerce personnellement. Cette rémunération repose sur la même quantité de terre que celle dont a bénéficié son père (« Inscription B ») mais elle n'est pas grevée d'une charge d'offrandes funéraires. La formulation juridique est plus explicite que la précédente : « Les revenus de 200 aroures de champs lui sont apportés par des cultivateurs royaux nombreux <en rémunération de ses services administratifs, à titre de revenus fonciers> ». Il apparaît clairement que ce ne sont pas les champs qui sont apportés à Métjen, mais le produit de ces champs.
L'existence d'une charte royale (â nésou) est la condition nécessaire et essentielle de l'exercice d'un droit de propriété utile, quel qu'il soit, surtout s'il est d'origine familiale (l'héritage maternel), c'est-à-dire non accordé directement par le roi au bénéficiaire.
L'attribution d'un champ de 12 aroures en récompense d'une fonction importante, celle d'administrateur d'un domaine funéraire royal, porte à la fois sur le produit de la terre en son entier, sur le personnel qui le fait fructifier et sur le petit bétail : « Un champ de 12 aroures avec, certes, son produit, ainsi que son personnel et du petit bétail ». Cette description diffère de celle qui figure dans l'énoncé général des biens légués à Métjen par son père : « Il n'y avait pas de céréales ni aucune chose d'un domaine, mais du personnel et du petit bétail ». La dotation décrite ici constitue un bénéfice complet : aux dépendants et au petit bétail s'ajoutent les revenus de la terre.
Les inscriptions de Métjen démontrent à quel point de perfection étaient parvenus les anciens Egyptiens en matière juridique, ceci dès la 4e dynastie.