Durant le Moyen Empire, gouverneurs et temples provinciaux vivent en étroite symbiose, à la fois du fait des fonctions rituelles des nomarques et du fait que les temples sont des acteurs importants de l'économie étatique (Selve, dans : Menu (éd.), 2000). Cela suppose au moins un droit de regard effectif et circonspect de l'autorité centrale sur la gestion et la culture des terres en province ; néanmoins, les exemples précis sont beaucoup moins nombreux que pour l'Ancien Empire.
On voit aussi apparaître d'une manière plus certaine des prérogatives revenant à des collectivités telles que les villes, les localités rurales et les « maisonnées » enregistrées dans des listes-oupout ; celles-ci étaient composées de familles et de leurs dépendants, tous regroupés sous l'autorité d'un chef masculin (Kóthay, 2001) responsable devant le fisc. Des champs leur étaient concédés pour leur subsistance par l'un ou l'autre titulaire de la propriété utile au plus haut niveau : temple ou service administratif ; le « directeur des champs » semble jouer, au stade de la surveillance, un rôle important d'après les documents qui nous sont actuellement parvenus. Le P. Kahoun XIII, 1 (Griffith, 1898, pl. XXI, 3) consiste en un compte de terres comportant les noms de cinq travailleurs enrôlés (hésébou), en relation avec des parcelles cultivables à la charge d'un prêtre-ouâb chef de phylè (la phylè est une corporation, une équipe, une congrégation, cultuelle ou non). Chacun des cinq hésébou reçoit en tenure un champ de 8,5 aroures, 1 aroure de « terre d'offrande » et 1,5 aroures de jardins, soit 11 aroures au total par personne.
L'existence d'ensembles élémentaires constitutifs de structures collectives plus souples fut entérinée et développée par la grande réforme administrative des Sésostris, en particulier Sésostris III (Quirke, 1990, 2004).
Les principales sources du Moyen Empire qui nous informent sur la détention, la gestion et l'exploitation des terres agricoles proviennent du temple funéraire de Sésostris II et de la ville voisine d'Illahoun, dans le Fayoum{272} (les documents sont nombreux mais beaucoup sont fragmentaires et les mentions, laconiques), de tombeaux situés en Moyenne Egypte (ex. : les inscriptions d'Hâpydjéfaï à Siout) et dans la région thébaine (les papyrus d'Héqanakhte), sans compter les nombreuses allusions, ici ou là, à des modes d'administration de terres relevant directement des structures étatiques comme, par exemple, les khébésou (les P. Reisner, le P. Brooklyn Museum 35. 1446).
Pour le présent paragraphe, j'ai choisi de commenter deux séries de textes particulièrement riches pour la connaissance du régime agraire et de la gestion des terres durant le Moyen Empire : les papyrus d'Héqanakhte et les inscriptions tombales du nomarque Hâpydjéfaï.
Les papyrus d'Héqanakhte (James, 1962 ; Allen, 2002) sont des papiers domestiques retrouvés à Deir el-Bahari dans la tombe d'un dépendant d'Ipy, le vizir de Séânkhkarê-Montouhotep III (11e dynastie) dont Héqanakhte était le « serviteur du ka ».
Il s'agit de lettres et de pièces comptables – concernant la gestion du domaine de Nébésyt (la dotation funéraire du vizir Ipy) dont Héqanakhte était l'administrateur – rédigées durant l'éloignement temporaire d'Héqanakhte pour des raisons probablement professionnelles.
Ces textes nous fournissent des renseignements très intéressants sur la composition du domaine, sur la façon dont l'exploitation agricole et artisanale était gérée en l'absence du maître responsable, sur la nature des actes d'administration effectués par le personnage chargé de remplacer momentanément le chef du domaine. Ce dernier point retiendra notre attention. La location des terres à long ou à court terme (prise à bail de champs, perception des rentes) constitue en effet l'essentiel de l'activité juridique de Mérisou – le représentant d'Héqanakhte à Nébésyt – dont nous essaierons au préalable de déterminer le statut{273}.
Quarante ans après la magnifique publication de T. G. H. James{274}, J. P. Allen a réétudié les documents et produit un ouvrage monumental{275} tenant compte, dans ses traductions, des apports scientifiques récents, principalement dans les domaines de la paléographie et de la philologie, et se référant d'une manière détaillée aux rapports de fouilles en ce qui concerne le contexte archéologique.
J'ai intégré, dans l'exposé qui va suivre, les lectures argumentées de J. P. Allen au sujet de la difficile identification des unités de surface et de capacité utilisées dans les lettres et la comptabilité d'Héqanakhte. En revanche, l'approche juridique demeure dans ses grandes lignes celle qui était la mienne voici une quarantaine d'années (Menu, 1970). Pour la première fois dans cet article, j'avais mis en évidence, à propos de l'exploitation des champs, l'existence de locations de longue durée (qédeb) qu'il faut distinguer soigneusement des locations de courte durée (séka, puis séhen) conclues la plupart du temps pour un an et bien attestées à la Basse Epoque (infra, § 6). Le mot qédeb et ses dérivés (qédébet, qédébyt) ne se trouvaient alors, en dehors des lettres d'Héqanakhte, que dans un passage des inscriptions de Pennout à Aniba commémorant la donation d'un ensemble de champs – dont Pennout était le gérant – à une statue de Ramsès VI{276}. En 1975, D. Kessler publiait une stèle inédite, datée du règne de Ramsès III (plus bas, fig. 99) qui faisait mention, elle aussi, de champs-qédébyt, et, en 1988, A. Gasse rencontrait ce terme dans le P. Louvre AF 6345 + Fragments Griffith. Admise par ces auteurs dans leurs commentaires (Kessler, 1975 ; Gasse, 1988), la signification « location de longue durée » (ou : « louage à long terme ») du mot qédeb – et de ses dérivés qualifiant un champ – s'en trouvait confirmée. Le mot qédeb seul, comme nous le verrons, désigne, dans les lettres d'Héqanakhte, la rente foncière due par le preneur au bailleur pour une location de longue durée. Cependant, ni l'un ni l'autre des auteurs cités – et pas davantage J. P. Allen – ne retient ces deux sens de qédeb dans sa traduction : Kessler conserve le mot égyptien ; qu'il s'agisse de louage à long terme ou de rente foncière, A. Gasse traduit partout qédeb par « location », et Allen, par « lease », ce dernier précisant d'ailleurs qu'il s'agit là du seul mode de location connu pour le Moyen Empire. Remarquons toutefois que les locations de courte durée peuvent fort bien avoir été pratiquées, par de simples arrangements oraux entre tenanciers et paysans, bien avant leur apparition dans des contrats notariés à l'époque kouchite et saïte (25e-26e dynasties) ; l'on en possède un témoignage très probable pour la 21e dynastie : « Ainsi, par exemple, le “tiers d'oipè” qui fait l'objet de la première “affaire” du grand texte de Djéhoutymosé (Kruchten, 1986) pourrait-il, en l'absence de tout développement explicatif dans le texte lui-même, être interprété comme une redevance à l'occasion d'une location à parts de fruits conclue pour un an, le partage d'un tiers pour deux tiers des récoltes étant pratiqué plus tard, à l'époque saïte, dans ce type de contrat » (Menu, 1994). Quant à la lettre contenue dans le P. Berlin 8.523 (21e dynastie), elle a pour objet l'affermage ou la location d'un champ dont les modalités juridiques ne sont malheureusement pas précisées. Le terme utilisé est technique : séka, « cultiver », « labourer » ; il désigne simplement, sur le plan juridique, le fait pour un individu – quel que soit son statut – de faire cultiver sa parcelle par une tierce personne. L'on sait que la non-reconduction – notifiée au fermier ou au locataire par le bailleur – du contrat venu à expiration, fut contestée par l'épouse de celui-ci qui était la véritable détentrice (“maîtresse”, hénout) du fonds, et que le bailleur écrit à son fermier ou locataire pour lui confier de nouveau l'exploitation du champ, pour la culture duquel il énonce des instructions précises et nomme un mandataire sur place (Théodoridès, 1963).
Les papyrus d'Héqanakhte comportent cinq lettres, quatre comptes complets et des fragments de comptabilité. Ils furent découverts lors d'une expédition du Metropolitan Museum of Art en 1921-1922, dans la tombe d'un certain Méseh, une très petite tombe subsidiaire contemporaine du complexe funéraire du vizir Ipy (11e dynastie), voisin lui-même de celui de Mékétrê et situé au-dessus du cirque de Deir el-Bahari. Les papyrus semblent avoir été déposés, avec un nécessaire de scribe, dans le corridor de la tombe avant sa fermeture, puis ensevelis avec divers débris de pierres, de bois, d'étoffes, de vannerie et autres détritus utilisés en guise de remblai pour introduire plus facilement le cercueil de Méseh dans la chambre funéraire. Est-ce Héqanakhte lui-même qui les aurait posés là, s'en serait allé vaquer aux intérêts d'Ipy, son maître défunt, puis serait revenu trop tard, les funérailles de Méseh ayant bouleversé le sol et laissé porte close ? Ou bien Héqanakhte aurait-il choisi, pour lui servir de secrétaire, un jeune scribe étourdi ? L'énigme demeure entière.
Dans plusieurs documents, Héqanakhte est désigné comme « serviteur du ka » (hem-ka). Dans la lettre (« Lettre III ») qu'il adresse au directeur du Delta Hérounéfer – et qui ne fut jamais expédiée puisqu'elle fut retrouvée scellée – il se présente en outre comme « serviteur-bak du per-djet ». De quel per-djet s'agit-il et de qui Héqanakhte était-il le « serviteur du ka » ? L'ampleur des possessions administrées par lui suggère qu'il est au service post mortem d'un personnage très important. Le lieu de la trouvaille des papyrus (une tombe annexe de l'installation funéraire du vizir Ipy) et le serment écrit par Héqanakhte dans une de ses lettres (« De même que cet homme vit pour moi ! – je veux parler d'Ipy ») constituent des indices convergents pour faire d'Héqanakhte le hem-ka du vizir Ipy.
La chronologie des lettres et des comptes, ainsi que les problèmes de datation, ont été sérieusement réétudiés par Allen qui conclut à une rédaction pendant le règne de Sésostris Ier (12e dynastie), en l'an 5 pour les comptes, en l'an 8 pour les lettres. Durant cette période, Héqanakhte effectua deux longs séjours à Thèbes. Héqanakhte a écrit ses missives alors qu'il était éloigné de son domaine rural, voué à la culture des céréales et du lin et à la fabrication des étoffes. Pendant son absence, il correspond avec les membres de sa maisonnée à qui il a confié momentanément la gestion de ses affaires, centralisées à Nébésyt. Contrairement à James qui localisait Nébésyt à Thèbes, en pensant qu'Héqanakhte aurait été envoyé en mission au sud de la ville (c'est tout ce que nous indiquent les lettres), Allen estime qu'Héqanakhte est en déplacement à Thèbes, Nébésyt se trouvant dans la région memphite : on se reportera à la carte de l'Egypte ancienne, à la fin du présent ouvrage.
La correspondance comporte deux lettres écrites par Héqanakhte à Mérisou, une lettre (non expédiée) au directeur du Delta, une lettre envoyée à Satnebsekhtou, directrice de l'atelier de tissage, par sa fille qui porte le même nom, enfin une lettre adressée aux gens du nome thinite où se trouve une exploitation consacrée à la culture et à la préparation du lin. La comptabilité est séparée, mais la lettre II inclut une liste des membres de la maisonnée avec, en regard, le montant de leurs salaires respectifs. Nous reviendrons dans le t. 2, chap. 2, sur les rations et salaires dans les documents d'Héqanakhte.
A – Le per (Nébésyt)
Le centre du domaine rural (per) appartenant à Héqanakhte est situé à Nébésyt, probablement dans la région memphite (Allen, 2002). Précisons encore qu'il s'agit de biens immobiliers dont il a la propriété utile, la propriété pleine et entière revenant in fine au pouvoir royal par le biais de l'institution vizirale (voir infra, mutatis mutandis, les contrats d'Hâpydjefaï).
Ses habitants, les péryou, sont les proches du « serviteur du ka » : sa mère, sa tante et leurs domestiques, ses enfants et leurs familles, ainsi que Nakhte, fils d'Héti, le « second » de Mérisou qui est l'agent principal d'Héqanakhte et peut-être son fils aîné. Ceci n'est pas sans évoquer les listes-oupout énumérant les habitants d'une « maisonnée », telles qu'elles figurent dans les archives d'Illahoun (Griffith, 1898 ; Quirke, Collier, 2004 ; voir Kóthay, 2001). Toutes ces personnes bénéficient de âqou, « provisions », des quantités définies de céréales.
C'est à Nébésyt que se trouvent la maison d'habitation et les dépendances. La maison était précédée d'une cour (ouba) et d'une remise pour le bois (per-ha). Les dépendances les plus importantes pour la vie du domaine sont, d'une part, les magasins où étaient entreposées les provisions de céréales et, d'autre part, un atelier de tissage sous la responsabilité d'une certaine Satnebsekhtou ; les quantités de lin qui lui sont remises sont enregistrées dans un compte spécial. Dans une de ses lettres, Héqanakhte enjoint à Mérisou d'utiliser les toiles tissées et évaluées à Nébésyt pour effectuer une transaction à propos d'un champ (infra).
Les comptes n'enregistrent que des biens mobiliers (troupeaux, bois, céréales et lin) mais on peut déduire du document V, 1-17, l'existence de champs cultivés par les gens de la maison. Ce compte est composé de deux postes qui s'équilibrent, c'est-à-dire qu'ils exposent le même résultat sous deux formes différentes : le total des céréales et du lin qu'Héqanakhte a remis (soudj) à Mérisou ; l'équivalent, réparti en trois parts entre les trois cultivateurs (ihoutyou) d'Héqanakhte qui sont Mérisou lui-même et deux autres de ses frères. Cette somme représente probablement le montant des frais d'exploitation des terres. Le fait que les propres fils d'Héqanakhte reçoivent le titre d'ihoutyou n'a rien d'étonnant : nous savons d'après le P. Wilbour (voir plus loin, § 5. II) que certains ihoutyou détiennent une grande part de responsabilité dans la culture des terres et que cette fonction peut être exercée par des prêtres, des scribes et d'autres personnages appartenant à l'échelon supérieur de la classe moyenne (voir le « Tableau 11 » ci-dessus, p. 234).
Un des fils d'Héqanakhte, Sanebnout, est chargé du troupeau de bovins, sous la surveillance de Nakhte, fils d'Héti : au cas où un animal s'échapperait, tous deux seraient responsables de sa perte et chacun d'eux devrait payer la moitié du prix (sounèt) de la bête.
Enfin, c'est à Nébésyt que sont conservées les mesures : la « grande oipè », ipyt âat, mesure de capacité qui servira à percevoir les sommes – en grain – dues par les tenanciers et probablement, bien qu'il n'en soit pas fait mention, la mesure de longueur utilisée pour l'aunage des toiles tissées et évaluées à Nébésyt.
B – En dehors du village de Nébésyt
Héqanakhte possédait des intérêts en un endroit nommé Khépéshyt et dans plusieurs villages.
De nombreux petits agriculteurs lui sont redevables de montants qui sont consignés dans des comptes intitulés : « compte de l'orge et du blé-bédet qui sont au dehors », « compte de ce qui est à Per-haa », etc. (voir infra).
Héqanakhte fait aussi allusion dans sa correspondance à un établissement agricole et à un terrain-shé qu'il possède aux alentours, dans la zone des bassins d'irrigation, ainsi qu'à ses intérêts concernant des terres vouées à la culture du lin, dans le nome thinite.
Tableau 12 : La composition du domaine géré par Héqanakhte.
Dans la localité de Nébésyt |
En dehors de Nébésyt (dans les villages de Khépshyt, Per-haa, Hout-haa, etc.) |
1) maison d'habitation et cour |
1) revenus de champs dont les revenus sont perçus par les gens de Nébésyt avec la mesure ipyt-âat du domaine |
2) dépendances – magasin – atelier de tissage |
2) ferme-djatet (lecture sépat : Allen, op. cit.) |
3) champs |
3) terrain-shé |
4) troupeaux |
4) exploitation agricole (lin) dans le nome thinite. |
5) liquidités et créances en céréales et lin |
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6) matières premières : seul le bois est mentionné (arbres sur pied, bois débité, bois de construction). |
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(Rappelons que les champs, ferme, terrain, donnent lieu à la perception de revenus et non à un droit de propriété foncière).
Suivant la nouvelle interprétation d'Allen, les raisons de l'éloignement d'Héqanakhte sont, selon toute vraisemblance, l'entretien de la fondation funéraire du vizir Ipy à Thèbes (c'était aussi l'opinion de Théodoridès, 1966). Durant son absence, Héqanakhte a confié la gestion de Nébésyt à Mérisou, probablement un de ses fils{277}, assisté par Nakhte fils d'Héti ; le rapport de dépendance qui unit les deux personnages est exprimé par la préposition composée kher-â, littéralement : « sous le bras (de Mérisou) ».
A – Le statut de Mérisou
Dans une de ses lettres, le « serviteur du ka » Héqanakhte s'adresse ainsi à son fils : « N'es-tu pas établi avec moi comme associé (péséshy) ? ». En fait, si Mérisou a reçu une part des revenus du domaine, c'est pour assurer le fonctionnement de l'exploitation. Il semble que nous soyons plutôt en présence d'un mandataire salarié :
– il reçoit une rémunération mensuelle-âqou comme les autres membres de l'entourage d'Héqanakhte et du même ordre de grandeur ;
– il ne doit pas outrepasser les termes de son mandat. Mérisou est tenu de respecter les ordres que lui donne Héqanakhte. Ce dernier suit de très près les opérations qui doivent avoir lieu sur le domaine, il en prévoit les détails, procède aux évaluations, indique à Mérisou ce qu'il doit faire et semble ne pas laisser beaucoup d'initiative à son gérant mandataire. Un passage de la lettre I nous montre le serviteur du ka mécontent au sujet de la rente-qédeb (voir infra) perçue ou due par Mérisou sur un champ, il lui recommande de ne pas agir arbitrairement à ce propos (I, 11-14) ;
– il est responsable des biens qui lui sont confiés provisoirement. Nous dirions en droit moderne qu'il doit agir « en bon père de famille ». Héqanakhte répète inlassablement à Mérisou qu'il doit veiller sur ses biens, prendre garde, ne pas négliger ses affaires ;
– il doit rendre des comptes. Mérisou est responsable au sens comptable du terme (document V, 34-36, par exemple).
B – Le statut de Nakhte, fils d'Héti
C'est un simple salarié, même s'il reçoit la même quantité de céréales que Mérisou. Il est chargé, conjointement avec ce dernier, de distribuer les rations-âqou qui ne sont pas seulement des rations d'entretien mais des rémunérations : « Vous donnerez les âqou à mes gens tandis qu'ils travailleront », leur dit Héqahakhte.
Nakhte est envoyé à Per-haa avec Sanebnout, un autre fils d'Héqanakhte, pour prendre un champ à bail emphytéotique (qédeb) et pour percevoir la rente qui lui est due là-bas par les tenanciers du directeur du Delta Hérounéfer ; dans sa lettre à Hérounéfer, Héqanakhte ajoute que Nakhte, fils d'Héti, est chargé de surveiller (maa, « englober du regard ») tous ses biens. C'est essentiellement un assistant-contrôleur.
La responsabilité de Nakhte semble limitée à une amende, partagée avec Sanebnout qui a la charge du troupeau, de la moitié du prix d'une vache ou d'un taureau qui se serait enfui par leur négligence.
Le patrimoine dont Héqanakhte est l'administrateur est donc géré en son absence par un mandataire secondé et surveillé par un intendant salarié.
A – L'opération séka em qédeb, « location, louage à long terme », « bail emphytéotique » ou « bail à rente foncière »
Héqanakhte enjoint à Mérisou d'envoyer Sanebnout et Nakhte, fils d'Héti, afin de trouver une terre de 10 aroures{278} – et si possible deux champs de 10 aroures chacun – à cultiver selon certaines modalités : séka em qédeb (I, 3-10). Il ne leur indique pas un champ déterminé mais une région particulièrement fertile où ils pourront trouver une terre bien irriguée, ainsi que deux exploitants susceptibles de leur fournir ce champ idéal. Sanebnout et Nakhte doivent donc se mettre en quête, descendre à Per-haa, et s'adresser à Haou le Jeune ou à Hérounéfer.
Héqanakhte prévoit la somme, la rente (qédeb) que ses envoyés devront payer : ils emporteront les toiles qui ont été tissées à Nébésyt et préalablement évaluées (shénâou) (cf. t. 2, chap. 2) sur place, ou bien ils percevront les rentes d'Héqanakhte dans la localité de Per-haa et ils en utiliseront le montant pour prendre à bail emphytéotique le champ en question.
Ainsi, qédeb désigne à la fois :
– un mode d'exploitation juridique de la terre : séka em qédeb, « cultiver à rente », qédeb ahé, « arrenter un champ » ;
– une redevance due par l'exploitant et comptabilisée en étoffes (I, 4), en céréales (I, 10-11) ou en cuivre (II, vo, 1) c'est-à-dire les trois formes principales de la monnaie (t. 2, chap. 2).
Précisons le sens juridique du mot qédeb.
1) La convention nommée séka em qédeb
James traduit qédeb par « rent, lease », en accord avec Gunn, de même que Baer (« rent »), et Helck, par « pachten ». Théodoridès écrit à propos de qédeb : « Les terres, à défaut d'être achetées sont à cette époque et dans le milieu d'Héqanakhte prises en location (il ne s'agit pas d'affermage ou de métayage) » (Théodoridès, 1966). Allen traduit le mot par « lease ».
A l'époque où j'ai fait paraître mon étude sur les archives d'Héqanakhte (1970), le mot qédeb était quasiment un hapax. On n'en connaissait qu'une variante sous forme d'adjectif, qédébyt, qualifiant le mot « champ », à une époque beaucoup plus tardive, dans la tombe de Pennout à Aniba, en Nubie (Lepsius, Denk., III, 229c ; Steindorf, Aniba II, 1937, pl. 101).
L'inscription d'Aniba commémore la dotation, faite en faveur d'une statue de Ramsès VI, constituée d'un ensemble de quatre champs localisés et décrits ; les superficies sont respectivement de 3, 2, 4 et 6 aroures.
Une phrase centrale contient, d'une manière très concise, tous les renseignements administratifs relatifs au domaine ainsi érigé : surface totale ; statut fiscal (superficie réelle et équivalent en terre-qaÿt ou terre de productivité moyenne) et administratif ; désignation du desservant (hem-ka) titulaire du domaine bénéficial ainsi érigé, moyennant la fourniture annuelle d'un bœuf de sacrifice ; régime juridique de la terre concédée : ahet qédébyt. La suite de l'inscription montre que Pennout ajoute, au profit de la nouvelle fondation, un champ de 4 aroures dont il a la propriété utile ou l'usufruit. Le texte se termine par une formule imprécatoire envers les contrevenants éventuels.
Voici le passage qui nous intéresse, d'après Steindorf (Aniba II, 1937, photographie, pl. 101, lignes 12-15) :
Fig. 98 : Extrait de l'inscription d'Aniba.
« Total de la terre qui a été donnée (redyt) : 15 aroures, ce qui constitue un champ élevé, inscrit au rôle, protégé, affranchi, établi (qaÿ, héseb, nédjéti, nâ, mèn : Vleeming, 1993, p. 52) ; son desservant (hem-ka) (a) est le représentant de Ouaoua <la Basse-Nubie> Pennout, fils d'Hérounéfer – en tant que terre qui lui <à Pennout> a été louée à long terme (qédébyt) pour lui <à la statue> fournir un bœuf en tant que son sacrifice annuel ».
(a) On trouve dans d'autres « stèles de donation » la mention ahet (ahé) hénékyt, parallèle à ahet qédébyt (ex. : stèles du Caire, Gauthier, ASAE 36, p. 49-71 et pl. 3, et Stèle Médamoud Inv. 5413, Kitchen, 1993).
, ligne 2, hem-ka, (ici : « serviteur du ka ») est aussi une graphie inétymologique de hének (Malinine, 1951, p. 121, n. 5 et p. 122, n. 14). Originellement, il existe un lien si étroit entre les serviteurs du ka, l'acte d'offrande et la terre destinée à produire les revenus nécessaires aux rites funéraires, qu'une confusion graphique a pu s'établir entre la fonction et la terre qui soutient son existence : la fonction et la terre étant considérées comme la source des mêmes revenus, il n'est guère surprenant qu'un mot écrit d'une manière identique ait pu servir à désigner à la fois la terre d'offrande et son gérant ; ce phénomène a sans doute été favorisé par une analogie phonétique entre hének et hem-ka. Notons que hének désigne par excellence une terre affectée au culte d'un objet sacré : représentation divine ou statue royale dépositaire d'attributs supra-naturels (voir infra, les « stèles de donation », § 6).
Le mécanisme juridique de la donation d'Aniba est le suivant.
Les quatre champs – dont la superficie totale couvre 15 aroures – se trouvent sur des terres royales affectées à la culture du lin. Le roi les concède (litt. : « donne », redy, terme générique) à sa statue pour en assurer le culte. La propriété effective – manifestation du droit éminent du roi sur le sol – appartient donc à la statue royale. Comme il faut que les champs soient exploités par des personnes physiques, le roi consent à Pennout, à titre de bénéfice foncier, un bail de longue durée (sans doute perpétuel et pas seulement viager) et il le nomme administrateur de sa fondation. Chacun des champs est en outre confié à l'autorité (er-khèt) d'autres personnages.
Il s'agit d'une « donation » avec charge, puisque Pennout consacre une partie de ses revenus à l'achat annuel d'un bœuf d'offrande – qui servira en définitive à le nourrir ainsi que sa famille (ses enfants occupent pour la plupart des fonctions sacerdotales).
La charge d'administrateur d'une terre-hének ou « terre donnée » est transmissible par la voie successorale (voir infra, § 6). Aussi devient-il très difficile de traduire qédébyt par le mot « loué », sans autre précision, d'autant plus que la dotation foncière de 15 aroures (plus de 4 hectares) est qualifiée par une énumération peu courante d'adjectifs : qaÿ, héseb, nédjéti, nâ, mèn (voir supra). L'équivalence, exprimée par la préposition em, entre ahet redyt et ahet qédébyt fait apparaître, si l'on maintient l'interprétation des auteurs ci-dessus mentionnés, une contradiction flagrante : comment imaginer qu'une terre faisant l'objet d'une donation dont les effets sont illimités dans le temps soit seulement louée à son gérant ? La location, dans son acception courante, est essentiellement temporaire ; les baux, d'après les contrats de la Basse Epoque (infra) sont en général conclus pour un an. Or, la terre-hének, comme nous venons de le souligner, tombe pratiquement – via la perpétuité théorique de la rente – dans le patrimoine de son administrateur qui peut la transmettre héréditairement.
Une déduction s'impose : le mot qédeb exprime beaucoup plus qu'une location ordinaire ; il ne signifie pourtant pas « vendre » (cf. t. 2, chap. 2 et vol. II) ; les lettres d'Héqanakhte renferment deux emplois de ce terme incompatibles avec la notion d'achat : « Fais en sorte que Nakhte, fils d'Héti, et Sanebnout descendent à Per-haa, afin qu'ils cultivent (séka) pour nous 10 aroures de champs em qédeb » (I, 4) ; « Maintenant, fais en sorte que soient cultivées pour nous 20 aroures de champs em qédeb » (II, vo, 2).
J'en conclus que l'opération qédeb se situe juridiquement entre la vente et la location. L'on doit certainement entendre par qédeb un louage à long terme que l'on peut rapprocher de l'institution romaine de l'emphytéose ou du « bail à rente foncière » tel qu'il existait en France au xive siècle.
Il existait en droit romain deux formes principales de louage des terres à long terme :
« – L'ager vectigalis, terme qui désignait diverses concessions de terres, et qui, au iie siècle, vise les terres louées par les cités et les Municipes à perpétuité <Gaius, Institutes, 3, 145, avance une durée de 100 ans> ; le locataire et ses héritiers gardent la terre tant qu'ils paient le vectigal ;
– L'emphytéose : ce mode de concession a son origine dans le régime foncier de l'Egypte. C'est une convention qui se développe au iiie siècle, par laquelle l'empereur concède une terre inculte contre une redevance modique, à charge de mettre la terre en culture. Le concessionnaire pouvait vendre son droit et le transmettre à ses héritiers » (Ellul, 1955).
Paul Girard écrivait, à propos des louages de terres à long terme dans le droit romain :
« ... en face de ce système <celui de la conductio agri vectigalis>, on voit apparaître, à partir d'une date plus récente, un autre type de convention de louage à long terme : ce sont les conventions d'emphytéose (emphyteusis) ; ces conventions étaient faites par les empereurs à l'imitation des modèles helléniques, peut-être dès le temps des Sévères, non pas pour les terres déjà en culture, comme les agri vectigales, mais pour les terres incultes louées à long terme moyennant une faible redevance (canon) à des cultivateurs qui se chargeaient de les défricher » (Girard, 1897).
Une constitution de Zénon (fin ve siècle) tranche une controverse en décidant que l'emphytéose « n'est ni un louage ni une vente mais un contrat spécial où le canon reste dû entièrement malgré la perte partielle de la chose et cesse de l'être par sa perte totale [...]. C'est Justinien qui, en fondant entre elles les deux institutions, établit de nouvelles règles pour l'emphytéose : celle portant que le droit de l'emphytéote serait éteint faute de paiement du canon pendant trois ans, et celle astreignant l'emphytéote qui aliène son droit à notifier la chose au propriétaire qui aura le choix entre un droit de préemption et l'exigence d'une taxe de 2 % sur le prix » (Girard, 1897, p. 374). La nouvelle convention, opérée par Justinien, est donc, selon Girard, « le résultat d'une combinaison de l'emphytéose grecque et du louage public romain ». C'est un droit réel aliénable et transmissible.
Il n'est pas du tout exclu que de très anciennes formes de louage des terres à long terme, telles que l'institution des champs-qédébyt, présente en Egypte dès le début du IIe millénaire (lettres d'Héqanakhte), attestées dans la seconde moitié du IIe millénaire (documents ramessides, telle la stèle de Stuttgart, fig. 99), puis au tout début du Ier millénaire (P. Louvre AF 6345 + Fragments Griffith) aient été encore utilisées à l'époque hellénistique, inspirant les futures dispositions du droit romain.
Fig. 99 : Stèle Stuttgart, collection privée. Il s'agit de l'attribution, en faveur d'une statue de Ramsès III, d'un champ emphytéotique (ahé qédéby, mots soulignés au début de la ligne 4), destiné au pâturage pour les bovins, placé sous la possession (kher) d'un chef de mercenaires syriens et confié à l'administration (em djéret) perpétuelle de son épouse, une chanteuse rituelle.
Le bail à rente foncière, très courant à l'époque médiévale, consiste en un transfert de propriété, perpétuel ou viager, moyennant une redevance annuelle versée au bailleur du fonds qui disposait ainsi d'un droit réel. Si le bail était viager, la terre retournait au bailleur à la mort du preneur ; s'il était perpétuel, le bailleur pouvait seulement reprendre son bien en cas de non-paiement de la rente pendant un certain temps.
L'opération désignée par le mot qédeb, dans l'inscription de Pennout à Aniba, dans les lettres d'Héqanakhte, comme dans les documents postérieurs, pourrait donc correspondre à une convention de ce type dont les deux caractéristiques sont, d'une part, le louage de longue durée et, d'autre part, les modalités de versement de la rente sous forme d'un apport initial complété par le versement périodique d'une somme beaucoup plus modeste (Menu, 1970b). Ceci expliquerait pourquoi Héqanakhte y attache autant d'importance : en fait, il s'agit pour lui, soit d'acquérir une forme de propriété utile d'un champ, soit de devenir titulaire d'un droit réel sur une terre, moyennant le paiement d'une rente qui porte, elle aussi, le nom de qédeb, comme il apparaît à la lecture de deux passages de la lettre I : I, 4 et I, 9-13.
2) La rente foncière qédeb
Voici le passage de la lettre I qui nous aidera à définir le mode de versement de cette redevance – que l'on peut rapprocher du canon romain :
« Maintenant, vois ! Avant que je ne vienne ici dans le Sud, tu m'avais comptabilisé la rente-qédeb (le canon) de 13 aroures de champs en orge{279} seulement. Prends bien soin de ne pas en distraire un (seul) sac (khar) d'orge, comme s'il s'agissait de ton orge propre, car tu m'as rendu désagréable la rente-qédeb en question, en orge avec ses graines de semence. Maintenant, vois ! En ce qui concerne l'orge, 65 sacs d'orge pour 13 aroures de champs, ce qui fait 5 sacs d'orge pour 1 aroure de terre, ce n'est pas un mauvais taux de rendement (ââfet). En effet, 10 aroures de terre ont une productivité normale de 100 sacs d'orge. Prends soin de ne pas agir arbitrairement avec une (seule) oipè qui en provient. Vois ! Ce n'est pas le moment pour quiconque d'être laxiste en ce qui concerne son maître, son père ou son frère » (I, 9-14, d'après Allen, 2002, p. 15).
Selon Allen, Héqanakhte est le preneur (em qédeb) – et non le bailleur – du champ de 13 aroures. Héqanakhte manifesterait son mécontentement parce que Mérisou a accepté de verser le paiement initial en orge seulement, et non en diverses marchandises comme la possibilité lui en était offerte selon les directives énoncées ailleurs par Héqanakhte lui-même.
Il est pourtant peu probable que les modalités du versement de la rente soient laissées à la seule et entière discrétion du preneur.
La mention « en orge seulement » peut signifier que la rente annuelle ne comporte pas de blé amidonnier (bédet). Héqanakhte pourrait aussi être mécontent, en tant que bailleur, de la redevance plus faible acceptée par Mérisou de ses débi-rentiers, en raison d'une conjoncture défavorable. Héqanakhte répliquerait alors à son fils qu'un taux de rendement de 5 sacs par aroure n'est pas un si mauvais résultat par rapport à la productivité normale d'une aroure de champs.
En l'absence de données complémentaires plus précises il est difficile de trancher d'une manière définitive, d'autant plus que les chiffres annoncés par Héqanakhte (5 sacs/ar., puis 10 sacs/ar.) ne correspondent pas à la rente-qédeb elle-même, mais respectivement au rendement net (une fois payés les salaires des intermédiaires) et à la productivité standard qui en sont les bases de calcul.
Voyons maintenant, à propos de ce passage et à propos de la recherche de deux champs de 10 aroures chacun (l'un cultivé en orge et l'autre en blé amidonnier) à louer selon un bail emphytéotique, quelles sont justement les modalités du paiement de la redevance-qédeb.
On ne peut savoir avec certitude si la rente était fixée à l'avance ou négociée chaque année comme pourrait le laisser croire la réaction d'Héqanakhte. Tout au moins peut-on déduire que, lors de la convention entre les parties, une somme initiale assez importante était remise par le preneur au bailleur, tandis que la redevance annuelle ultérieure était plus modique.
Cette somme – ou apport initial – est désignée dans la première lettre d'Héqanakhte : il s'agit des étoffes tissées et évaluées à Nébésyt, emportées par Nakhte et Sanebnout pour mener la transaction ; le cas échéant – et selon les exigences du bailleur – les deux employés recueilleront alternativement, dans ce but, le montant des revenus dus à Héqanakhte par les paysans de Per-haa.
Dans sa deuxième lettre (écrite environ un mois après) Héqanakhte annonce à Mérisou qu'il lui fait envoyer 24 dében de cuivre (apport initial) pour l'acquisition em qédeb de 20 aroures de champs (II, vo, 1). Il donne ses instructions pour que la prise à bail s'effectue par un premier versement consistant en cuivre, en tissu, en orge ou en toute autre chose, mais seulement lorsque sera perçue la valeur, en huile ou autrement, de ce qui lui est dû à Per-haa (ceci renforce l'impression que les débiteurs ont des difficultés à s'acquitter en céréales).
Voici le résumé des opérations :
– dans sa première lettre à Mérisou, Héqanakhte lui demande d'envoyer Nakhte, fils d'Héti, et Sanebnout pour chercher 10 aroures – ou, mieux, 20 aroures, à cultiver pour moitié en orge et pour l'autre moitié en blé amidonnier – dans une région de terres bien irriguées et auprès de deux bailleurs éventuels désignés par lui. Il recommande à ses envoyés d'emporter les étoffes tissées et évaluées à Nébésyt ou, à défaut, d'utiliser les rentes dues là-bas par les tenanciers d'Héqanakhte (apport initial) ;
– dans sa seconde lettre, Héqanakhte avertit Mérisou qu'il lui fait envoyer 24 dében de cuivre pour la prise à bail de 20 aroures de champs auprès de l'un des deux bailleurs indiqués précédemment par lui. Il lui laisse encore le choix de la nature du premier versement à effectuer pour réaliser la convention : « en cuivre, en étoffes, en orge ou en autre chose, mais seulement quand vous aurez collecté là-bas la valeur en huile ou en autre chose ».
Autrement dit, les négociations ont porté principalement sur la composition de l'apport initial et le choix du bailleur s'est porté en priorité sur le cuivre avec possibilité de diversifier les types de monnaie (t. 2, chap. 2). A chaque fois, Héqanakhte, par un réflexe budgétaire parfait, recommande à Mérisou de percevoir d'abord ce qui lui est dû, c'est-à-dire d'assurer les rentrées (les recettes) avant de procéder aux sorties (les dépenses).
Ceci nous amène à examiner le second point.
B – La perception des revenus dont Héqanakhte est le créancier à Per-haa et dans d'autres villages
Il s'agit de sommes dont sont redevables des tenanciers. Il en est fait mention à plusieurs reprises dans la comptabilité d'Héqanakhte et dans les lettres qu'il envoie. Exemples :
– V, 37-38 : « An 8, registre de l'orge et du blé amidonnier (bédet) qui sont au dehors ». Suit une liste de treize noms accompagnés d'une quantité de céréales : « Sénouhotep fils d'Ishetni, 18 khar », etc. ;
VI, 1 : « Ce qui est à Hout-haa-nord ». Ce titre précède une liste de noms et de quantités, comme dans V, 37-54 ;
– I, 4-5 : « Maintenant, s'ils en viennent à percevoir la valeur en échange du blé amidonnier qui est à Per-haa, ils la donneront là-bas » ;
– II, vo, 3 : « mais seulement quand vous aurez perçu là-bas la valeur en huile ou autre... ».
1) Nature de ces revenus
Certains tenanciers semblent être directement tributaires d'Héqanakhte (V, 37-38). Ce sont peut-être des fermiers ou des locataires à court terme ; aucune précision ne vient préciser leur statut.
D'autres au contraire – ceux qui sont établis à Per-haa – dépendent à la fois d'Héqanakhte et d'un autre personnage, Hérounéfer. La lettre III, écrite par Héqanakhte au directeur du Delta Hérounéfer, nous apporte la preuve qu'il existe un rapport de droit triangulaire entre Héqanakhte, les agriculteurs nommés dans cette lettre (et aussi dans le compte VI) et Hérounéfer.
Quels sont le contenu et la signification de cette lettre ?
Hérounéfer est chargé de percevoir, par l'intermédiaire de son scribe, les revenus qui sont dus à Héqanakhte et de les entreposer jusqu'à l'arrivée des envoyés de celui-ci. Le lien existant entre les deux correspondants peut être interprété de plusieurs manières : Hérounéfer pourrait être le preneur à long terme ou le locataire d'Héqanakhte, ce qui semble difficilement compatible avec son rang. Peut-être au contraire a-t-il déjà concédé certaines de ses terres em qédeb à Héqanakhte qui, à son tour, les afferme à des paysans affectés au domaine d'Hérounéfer, ce qui autorise ce dernier à percevoir les revenus d'Héqanakhte en même temps que les siens, à la fois pour des raisons de proximité géographique et pour se garantir, par ricochet, la redevance (le canon) due par Héqanakhte. A cette dernière explication juridique, l'on peut ajouter des considérations d'ordre socio-économique : selon Baer (JAOS, 1963) Héqanakhte s'adresse à un haut responsable dont l'autorité est reconnue, à cause des difficultés de la conjoncture économique.
2) Modalités du paiement de ces revenus
Les sommes dues par les tenanciers d'Héqanakhte sont fixées en quantités de céréales (orge et blé amidonnier) mais les débiteurs pourront, à défaut, s'acquitter autrement : ils se libéreront en fournissant de l'huile ou toute autre chose de même valeur (II, vo, 3). C'est ce sens que l'on doit attribuer à shénâ(t) dans les lettres d'Héanakhte et non celui de « prix » (Baer) ni celui de « monnaie de compte » (Théodoridès) ; on verra ma démonstration dans le t. 2, au chap. 2.
3) Louage d'ouvrage et louage de services
A deux reprises dans sa deuxième lettre Héqanakhte fait allusion à ce qui semble être un stade dans l'évolution des travaux agricoles :
« Prenez grand soin ! Travaillez tous mes champs à la houe » (II, 30) ;
– « ... ne soyez pas négligents au sujet du champ de 14 aroures qui est dans la campagne (sékhet, cf. Meeks, 1972, p. 147-148) et qui a été donné à (ou : “qu'a donné”, selon que l'on opte pour la lecture redy èn ou redy.èn) Khentykhet, fils d'Ipy le Jeune, afin de le retourner » (II, 32-33).
Le terme technique utilisé est ikèn, « retourner (la terre) », travailler à la houe/pic ou à l'araire.
Selon que l'on fait de redy un verbe actif ou un participe passif, Khentykhet, fils d'Ipy le Jeune est le sujet ou le bénéficiaire de l'action : ou bien c'est Héqanakhte qui a confié à Khentykhet la responsabilité d'un champ de 14 aroures afin qu'il procède (seul ou aidé d'une petite équipe) à un labour léger, ou bien c'est l'inverse. Quoi qu'il en soit, le mot ikèn décrit un travail déterminé et non une occupation générale comme séka, « cultiver », « mettre en œuvre » ; ikèn définit une phase précise dans la succession des travaux agricoles. Deux solutions juridiques se présentent : ou bien il s'agit d'un échange de bons procédés en raison par exemple de la proximité des parcelles, ou bien nous sommes en présence d'un louage d'ouvrage (réalisation d'un travail déterminé) ou d'un louage de services dans le cadre de la profession agricole, contre rémunération. On peut aussi envisager la mise en commun d'un attelage de bœufs et d'un araire et leur utilisation successive par l'un et par l'autre exploitant.
L'intérêt des papyrus d'Héqanakhte est tout à fait exceptionnel en raison des témoignages « en direct » qu'ils contiennent sur la gestion au quotidien d'un grand domaine agricole pour le compte de la dotation funéraire d'un vizir, le plus haut personnage de l'Etat après le pharaon. Ils nous montrent, comme les inscriptions de l'Ancien Empire et comme les documents plus tardifs, qu'un même fonds peut supporter toute une gamme de droits superposés, ce qui confirme la grande souplesse du régime foncier. Des formes nouvelles de détention et d'exploitation des terres ont pu apparaître ou réapparaître en fonction des circonstances : les lettres d'Héqanakhte nous apportent le témoignage de l'existence du louage à long terme (qédeb) au début du Moyen Empire. On pourra traduire séka em qédeb par « cultiver à bail emphytéotique (à bail de longue durée) » ou « cultiver à rente foncière », et qédeb par « rente foncière », canon). On constate, d'une manière générale, que le but des louages à long terme est, soit de remédier aux insuffisances de la culture des champs, soit de favoriser l'attachement des cultivateurs à la mise en valeur des terres, qu'il s'agisse du début du Moyen Empire égyptien, du Bas Empire romain, de la période ramesside ou des grands défrichements dans la France du xive siècle.
Héqanakhte morigène sans cesse ses agents restés à Nébésyt et particulièrement Mérisou, le responsable du domaine en son absence. Il lui recommande à cinq reprises, dans les lettres I et II, d'être diligent (qény) et mène les membres de sa maisonnée à la baguette : « Si vous n'êtes pas contents, venez me rejoindre ! », leur dit-il en substance, suggérant ainsi que sa mission à Thèbes n'est pas une sinécure. Il n'hésite pas à proférer la menace des diminutions de salaires et invoque les temps difficiles{280} d'une manière dramatique, en brandissant l'épouvantail du cannibalisme{281} afin de faire taire les réclamations : « Mieux vaut la vie à moitié que la mort d'un seul coup ! Voyez, on ne devrait parler de faim qu'à propos de faim <véritable>. Attention ! On en est par ici à manger des gens ! » (Lettre II, 26-28, traduite d'après Allen).
Non seulement Héqanakhte règle minutieusement le fonctionnement économique du domaine rural dont il a la responsabilité mais il veille à la bonne harmonie de sa maisonnée. Il est très déférent envers sa mère et sa tante. Il fait renvoyer une servante qui « fait du mal » à sa femme (ou plutôt : concubine entretenue – littéralement : « <femme> vêtue », hébésyt), enjoint à Mérisou de la traiter avec davantage d'égards et s'étonne de la jalousie qu'elle suscite : « Mais que vous a-t-elle donc fait ? ». Il s'enquiert de la santé et des aptitudes au travail de ses plus jeunes fils, vraisemblablement pré-adolescents.
Nous avons là le portrait vivant et attachant d'un pater familias fait de chair et de sang, irascible mais juste, économe mais travailleur et attentif aux siens, s'appliquant à lui-même le conseil donné par Hâpydjefaï (voir ci-dessous) à son hem-ka : en perpétuant les revenus de la fondation funéraire du disposant, le hem-ka perpétue du même coup ses propres revenus et ceux de sa famille.
La propriété pleine et entière du domaine agricole dont Héqanakhte a la charge revient in fine au département administratif du disposant (le vizir Ipy), en l'occurrence le Bureau du vizir, émanation de l'autorité royale.
Mutatis mutandis il en est de même pour Hâpydjefaï qui dispose des revenus de ses fonctions pour son culte funéraire, non pas en faveur de personnes déterminées (sous le contrôle du hem-ka qu'il a désigné) mais en faveur des diverses fonctions que lui-même ou son père ont exercées, à charge pour elles d'entretenir (via leurs détenteurs successifs) son propre culte funéraire.
Très différentes dans le registre et dans la forme – mais non sur le fond, nous le verrons – sont les inscriptions d'un contemporain d'Héqanakhte, Hâpydjéfaï{282}, nomarque de Siout (Assiout, en Moyenne Egypte) sous Sésostris Ier.
Ce très haut personnage, placé au sommet de la hiérarchie administrative provinciale, fit graver dans la pierre d'une des parois de son tombeau l'essentiel des contrats qu'il avait conclus avec différentes fonctions ritualistes (et non avec des personnes physiques déterminées){283}, sous la responsabilité de son serviteur du ka jouant le rôle d'un exécuteur testamentaire, pour l'entretien de sa dotation funéraire et les honneurs rituels à rendre à sa statue.
A droite de la paroi est du tombeau figurent les titres et le cursus d'Hâpydjéfaï, ainsi qu'un appel aux visiteurs de la tombe, qui encadrent un tableau peint situé à droite de la porte. Hâpydjéfaï y est représenté légèrement incliné, la main gauche posée sur l'épaule droite en signe de respect, devant le nom d'Horus (`Ankh-mésout) et les cartouches de Sésostris Ier (fig. 100).
Fig. 100 : Hâpydjéfaï saluant le nom d'Horus et les cartouches de Sésostris Ier.
Dans sa moitié gauche, la paroi est entièrement occupée par une inscription hiéroglyphique soigneusement gravée dans le stuc et disposée en lignes verticales (fig. 101). Les hiéroglyphes sont tournés vers la droite et peints en bleu. Cette inscription, remarquable par son contenu, énumère, à la suite d'un préambule, les dix contrats dressés par Hâpydjéfaï pour le fonctionnement de ses dotations funéraires rituelles ; ils sont signés du nom du propriétaire de la tombe, accompagné de ses principaux titres : « Le favorisé (ou : “pensionné”, imakhou), gouverneur, directeur des servants divins, Hâpydjéfaï, maître de bienfaits ».
Fig. 101 : Les inscriptions d'Hâpydjéfaï dans son tombeau, à Assiout : partie supérieure des lignes 272 à 283 (premier et deuxième contrats).
M'écartant à la fois de l'opinion de Théodoridès – qui attribue à Hâpydjéfaï la propriété pleine et entière des biens paternels dont il dispose (Théodoridès, 1971) – et de celle de Devauchelle qui propose de faire des contrats d'Hâpydjéfaï « l'extrapolation littéraire à vertu magico-religieuse d'une pratique administrative dans le champ de la pratique funéraire » (Devauchelle, 1996, p. 163), je pense que les termes de la convention bien réelle, énoncée en dix points, établie entre Hâpydjéfaï et divers ritualistes sous le contrôle de son serviteur du ka, ont d'abord été consignés dans un rouleau de papyrus avant d'être recopiés pour l'essentiel sur la paroi est du tombeau ; ils sont à placer dans la catégorie de l'usus foncier, autrement dit de la perception des revenus de terres agricoles. Nous avons devant nous des extraits dont la gravure répond à deux nécessités : d'une part, rendre pérennes les dispositions prises en les inscrivant dans un matériau solide et imputrescible, et, d'autre part, en porter la quintessence à la vue quotidienne du serviteur du ka et de ses assistants. D'une série de contrats en bonne et due forme écrits sur papyrus, scellés et conservés au siège administratif compétent (voir supra, les conventions du même type établies entre les hauts fonctionnaires de l'Ancien Empire et leurs serviteurs du ka), le propriétaire du tombeau n'a retenu, dans un esprit pragmatique, que le fond même des mécanismes juridiques et économiques engagés pour le fonctionnement harmonieux et perpétuel de sa dotation funéraire.
Voici la traduction des recommandations d'Hâpydjéfaï à son serviteur du ka, suivies des dix contrats qu'il a conclus successivement avec les titulaires présents et à venir des fonctions à but rituel – regroupés collectivement sous l'appellation « desservants-ouâbou » – agissant sous la responsabilité de son serviteur du ka, puis du fils de celui-ci (d'après Montet, 1930-1935, p. 54-69 ; voir aussi la traduction de Devauchelle, 1996, p. 163-174).
A – Dispositions générales
/269/ « Le prince, le gouverneur, le directeur des servants divins, Hâpydjéfaï.
Il dit à son serviteur du ka : “Vois, ces choses en leur totalité que j'ai contractées (littéralement : “scellées”, khétem) avec les desservants-ouâbou, sont sous ta responsabilité. Et remarque aussi que le serviteur du ka d'un homme, quand il perpétue ses biens <les biens de cet homme>, il perpétue du même coup son (propre) revenu (pât.ef, litt. : “son pain”, “ses offrandes”).
/270/ Vois, j'ai fait que tu connaisses les biens que j'ai constitués pour les desservants-ouâbou, en échange des choses qu'ils m'ont données. Prends soin que des biens n'en soient détournés ! Puisses-tu parler conformément à mes dispositions et faire en sorte que ton fils, ton héritier, qui sera pour moi mon serviteur du ka, écoute cela. Vois, je t'ai doté en champs, en personnel, en troupeaux, en jardins et en toutes choses, comme tout notable de Siout, afin que tu accomplisses les rites pour moi dans un esprit serviable et que tu t'occupes de tous mes biens que j'ai placés sous ton autorité. Vois, cela est devant toi par écrit. Ces biens seront à ton fils, un (seul) que tu choisiras pour être serviteur du ka à la tête de tes (autres) enfants, en tant qu'usufruitier <litt. : “celui qui mange et n'entame pas le capital”>, sans permettre qu'il les partage avec ses frères, selon cet accord que [j'ai] établi en ta [présence].” »
Ce préambule contient l'énumération des conditions de forme et de fond qui valident les contrats dont l'essentiel sera ensuite méthodiquement exposé :
– identité des parties contractantes : d'une part, le nomarque de Siout Hâpydjéfaï, d'autre part, les desservants-ouâbou – désignation collective regroupant en fait les servants des temples d'Oupouaout et d'Anubis, de même que les titulaires de différentes fonctions rituelles et funéraires – sous la responsabilité du serviteur du ka d'Hâpydjéfaï, le seul mandataire du disposant ; l'on apprend d'ailleurs à la ligne 288 que les dispositions prises par un desservant-ouâb engagent sa descendance ;
– objet des contrats : attribution de revenus contre l'accomplissement de gestes et de cérémonies rituels, comportant des offrandes ;
– existence d'un écrit scellé auquel on pourra se reporter ;
– référence à la coutume : « comme (le fait) tout notable de Siout » ;
– pérennité de la disposition par transmission à un seul fils du hem-ka qui sera à son tour le serviteur du ka du disposant (voir supra, les inscriptions de Métjen).
B – Les dix contrats
Premier contrat
/273/ « Contrat (khétem) qu'a conclu le gouverneur, directeur des servants divins Hâpydjéfaï, justifié (maâ khérou), avec les desservants du temple d'Oupouaout, maître de Siout, consistant à offrir pour lui un pain blanc par desservant-ouâb, pour sa statue qui est dans le temple d'Anubis, /274/ maître de Roqéréret, le premier des cinq jours épagomènes, quand Oupouaout, maître de Siout, se rend (en procession) vers ce temple.
Ce qu'il leur a donné pour cela provient de sa part du taureau offert à Oupouaout, maître de Siout, dans ce temple /275/ quand il s'y rend, en tant que sa viande pure qui revient au nomarque.
Alors il leur parla en ces termes : “Voyez, je vous ai donné la viande pure qui me revient dans le temple afin que soit efficace ce pain blanc /276/ que vous me donnez”.
Alors ils lui donnèrent une cuisse de taureau pour sa statue par la main de son serviteur du ka, prise sur ce qu'il leur a donné en tant que cette viande pure.
Ils sont satisfaits au sujet de cela. »
Deuxième contrat
/277/ « Contrat conclu par le gouverneur, directeur des servants divins Hâpydjéfaï, justifié, avec les desservants du temple d'Oupouaout, maître de Siout, consistant à donner pour lui un pain blanc par chacun d'entre eux pour sa statue, par la main de son serviteur du ka, le [premier] jour du premier mois de la saison de l'Inondation (akhet), /278/ le jour de l'An, au moment de remettre le domaine à son maître <il s'agit d'un rituel>, après que la torche a été allumée dans le temple, et à ce qu'ils sortent en procession derrière son serviteur du ka en vue de la <la statue> glorifier, jusqu'à ce qu'ils aient atteint le coin nord du temple, comme ils font d'habitude quand ils glorifient leurs /279/ propres morts le jour d'allumer la torche.
Ce qu'il leur a donné pour cela : une mesure-héqat d'orge de chaque terre-cultivée (ihet) du per-djet, en tant que prémices de la moisson de la Maison du nomarque, comme ce que fait tout un chacun à Siout avec les prémices de sa moisson. Or, c'est lui qui a commencé /280/ à faire que chacun de ses cultivateurs la donne <cette mesure> pour ce temple en tant que prémices de sa parcelle.
Alors il dit : “Voyez, vous savez que, quant à chaque chose que donne tout notable ou qui que ce soit pour le temple en tant que prémices de sa moisson, revenir là-dessus ne lui est pas agréable. /281/ En outre, aucun nomarque en fonction ne peut annuler ce qu'a contracté un autre nomarque avec les desservants-ouâbou qui sont en fonction. Enfin, cette mesure-héqat d'orge sera remise par personne aux desservants (du temple). /282/ Tout desservant-ouâb qui me donnera ce pain blanc, il ne devra pas le partager avec ceux qui accomplissent leur service, car ils donnent ce pain blanc à titre personnel”.
Ils sont satisfaits au sujet de cela. »
Troisième contrat
/283/ « Contrat qu'a conclu le gouverneur, directeur des servants divins, Hâpydjéfaï, justifié, avec le Conseil du temple, consistant à donner pour lui du pain et de la bière le 18e jour du premier mois de la saison de l'Inondation, jour de la fête-ouag{285}.
Les biens [qu'ils m'ont don]nés :
Liste |
Cruches de bière |
Pains-qéfen |
Pains blancs |
Le directeur des servants divins |
4 |
400 |
10 |
Le héraut |
2 |
200 |
5 |
Le supérieur des affaires secrètes |
2 |
200 |
5 |
Le préposé-au-Pagne |
2 |
200 |
5 |
Le directeur du grenier |
2 |
200 |
5 |
Le supérieur de l'ousékhet |
2 |
200 |
5 |
Le directeur de la hout-ka |
2 |
200 |
5 |
Le scribe du temple |
2 |
200 |
5 |
Le scribe de l'autel |
2 |
200 |
5 |
Le prêtre-lecteur |
2 |
200 |
5 |
/284/ Ce qu'il leur a donné pour cela est (le revenu) de 22 journées de temple faisant partie de ses biens du domaine de son père et non des biens du domaine du nomarque, /285/ soit 4 journées du directeur des servants divins et 2 journées de chacun des autres.
Alors il leur dit :
“Voyez, quant à une journée de temple, c'est le 1/360e /286/ de l'année. Vous partagerez donc tous les biens qui entrent dans ce temple, en pain, en bière, en viande, chaque jour. Cela fait /287/ 1/360e du pain, de la bière et de toute chose qui entre dans ce temple pour chacune de ces journées de temple que je vous ai données.
/288/ Voyez, ce sont des biens de la maison de mon père et non, certes, les biens de la maison du nomarque, car je suis le fils d'un desservant-ouâb comme chacun d'entre vous.
Voyez, /289/ ces journées reviendront à tout Conseil du temple qui adviendra, du fait que ce sont eux qui feront pour moi l'offrande du pain et de la bière”.
Ils sont satisfaits au sujet de cela. »
Quatrième contrat
/290/ « Contrat qu'a conclu le gouverneur, directeur des servants divins, Hâpydjéfaï, justifié, avec les desservants du temple d'Oupouaout, maître de Siout, consistant à donner pour lui du pain blanc à chacun d'entre eux pour sa statue qui est dans le temple, le 18 du premier mois de la saison de l'Inondation, /291/ jour de la fête-ouag, et à ce qu'ils sortent en procession derrière son serviteur du ka, en vue de sa <la statue> glorification, après qu'il a allumé la torche, comme ils ont l'habitude de le faire quand ils glorifient leurs propres morts, le jour d'allumer la torche dans le temple. /292/ Ce pain blanc sera d'ailleurs sous la responsabilité de son serviteur du ka.
Ce qu'il leur a donné dans ce but est un sac de charbon de bois par taureau et un seau de charbon de bois par chèvre qu'ils donnent à l'atelier-magasin du nomarque, correspondant à chaque taureau et à chaque chèvre qui seront offerts au temple /293/ en échange de ce qu'ils donnent à l'atelier-magasin du nomarque. Alors il leur donna cela sans conteste, sans le leur retirer des mains, et (il) leur donna 22 cruches de bière et 2 200 pains-qéfen que lui donne le Conseil du temple le 18 du premier mois de la saison de l'Inondation, /294/ en échange de ce qu'ils donnent du pain blanc à chacun d'entre eux parmi ce qui sort pour eux dans le temple et (aussi pour) sa glorification.
Alors il leur parla en ces termes : “Si ces charbons de bois qui sont entre vos mains sont comptabilisés (ip) par le nomarque /295/ en fonction, voyez, ne seront amoindris ni le pain ni la bière que le Conseil du temple m'a constitués, que je vous ai remis entre les mains et que j'ai scellés par contrat avec lui”.
Ils sont satisfaits au sujet de cela. »
Cinquième contrat
/296/ « Contrat qu'a conclu le gouverneur, le directeur des servants divins, Hâpydjéf(aï), justifié, avec le préposé-au-Pagne du temple, consistant en trois mèches de lampes au moyen desquelles on allume la torche pour le dieu.
Ce qu'il lui a donné dans ce but, c'est trois journées de temple. Et ces trois journées de temple reviendront à tout préposé-au-Pagne à venir car /297/ ces mèches de lampes lui sont destinées.
Alors il parla en ces termes : “Il en donnera une à mon serviteur du ka dès qu'on en aura allumé la torche pour le dieu, le cinquième des jours épagomènes, la nuit du jour de l'An. Le préposé-au-Pagne la remettra /298/ à mon serviteur du ka après qu'il aura fait ce qu'il doit en faire dans le temple. Il en donnera une autre le jour du Nouvel An, la nuit, au moment de remettre le domaine à son maître, après que les desservants du temple auront donné pour moi le pain blanc qu'ils donnent, pour moi, à chaque desservant-ouâb, le jour du [Nouvel An, pour sa sor]tie /299/ dans la main de mon serviteur du ka en vue de ma glorification. Il en donnera une autre le 18e jour du premier mois de la saison de l'Inondation, le jour de la fête-ouag, en même temps que le pain blanc qu'ils donnent pour moi à chaque desservant-ouâb. Cette mèche de lampe passera dans la main de mon serviteur du ka en vue de ma glorification, avec les desservants du temple”.
« Alors il lui dit : /300/ “Vois, quant à la journée de temple, c'est le 1/360e de l'année. Vous diviserez donc tous les biens qui entreront dans le temple, en pain, en bière, et en toute chose de chaque jour. Cela fait 1/360e du pain, de la bière, de toute chose qui entre dans ce temple, chacun de ces jours de temple que je t'ai donnés. /301/ Vois, ce sont mes biens <mes revenus> de la maison de mon père ; ce ne sont certes pas des biens de la maison du nomarque. Et ces journées de temple seront reversées à tout préposé-au-Pagne qui adviendra car ces mèches de lampes que tu m'as données lui reviennent lors des journées de temple que je t'ai données”.
Il est satisfait au sujet de cela. »
Sixième contrat
/302/ « Contrat qu'a conclu le gouverneur, directeur des servants divins, Hâpydjéf(aï), justifié, avec le directeur des servants divins d'Oupouaout, consistant en un rôti de viande sortant du gril et placé sur l'autel pour chaque taureau sacrifié dans le temple, et en bière : une mesure-sétja pour 1/4 de mesure-dès, chaque jour, /303/ pour le <rite journalier du> dévoilement-du-Visage, revenant à tout directeur des servants divins qui est dans son service. Ce qu'il lui a donné pour cela : deux jours de temple provenant de ses biens de la maison de son père ; il ne s'agit pas de biens provenant de la maison du nomarque.
Alors le nomarque Hâpydjéfaï parla en ces termes : “Que /304/ ce rôti de viande et cette mesure-sétja de bière partent chaque jour pour le <rite du> dévoilement-du-Visage, puis qu'ils aillent à ma statue, sous la conduite de mon serviteur du ka.”
Il est satisfait au sujet de cela, en présence du Conseil du temple. »
Septième contrat
/305/ « Contrat qu'a conclu le gouverneur, directeur des servants divins, Hâpydjéf(aï), justifié, avec le desservant-ouâb principal d'Anubis, consistant en trois mèches de lampes lui revenant, avec lesquelles est allumée la torche dans le temple d'Anubis : une lors du cinquième jour épagomène, la nuit du Nouvel An, une autre /306/ le 18e jour du premier mois de la saison de l'Inondation (akhet), la nuit de la fête-ouag.
Ce qu'il a donné pour cela : <les revenus de> 10 aroures de champs dans Séma-résy, en tant que <revenus des> champs de son père, en paiement de ces mèches de lampes qu'il donne à mon serviteur du ka afin d'en allumer la torche pour moi.
Il est satisfait au sujet de cela. »
Huitième contrat
/307/ « Contrat qu'a conclu le gouverneur, directeur des servants divins, Hâpydjéf(aï), justifié, avec les desservants du temple d'Anubis, consistant à donner pour lui du pain blanc, à chacun d'entre eux, pour sa statue, le 18e jour du premier mois de la saison de l'Inondation, la nuit de la fête-ouag, et à ce qu'ils sortent <en procession> derrière son serviteur du ka quand il allume la torche pour sa glorification, jusqu'à ce qu'ils atteignent l'escalier qui descend à sa tombe, comme ils glorifient leurs morts le jour d'allumer la torche, et à ce que le desservant-ouâb qui est dans son mois de service donne une mesure de pain-paq et une jarre de bière à sa statue qui est dans la descente d'escalier de sa tombe après qu'il sera sorti de l'accomplissement des rites /309/ dans le temple, chaque jour.
Ce qu'il leur a donné pour cela : une mesure-héqat d'orge en tant que prémices de la moisson de chaque parcelle <de terre cultivée> du domaine du nomarque, comme ce que fait tout individu de Siout, en tant que prémices de sa moisson.
D'ailleurs, c'est lui qui a commencé à faire que chacun de ses cultivateurs la donne en tant que prémices de son champ, pour le temple /310/ d'Anubis.
Alors le nomarque Hâpydjéf(aï) dit : “Voyez, vous savez que, quant à tout notable et à tout individu qui donne les prémices de sa récolte au temple, revenir là-dessus ne lui est pas du tout agréable.
De plus, tout nomarque en fonction ne peut annuler ce qu'a contracté un autre nomarque /311/ avec les desservants-ouâbou qui sont en fonction.
Cette mesure-héqat d'orge appartiendra aux desservants du temple, par tête, pour chaque desservant-ouâb qui me donnera ce pain blanc. Il ne partagera pas avec ceux qui sont dans leur service parce qu'ils m'ont donné ce pain blanc à titre personnel”.
Ils sont satisfaits au sujet de cela. »
Neuvième contrat
/312/ « Contrat qu'a conclu le gouverneur, directeur des servants divins Hâpydjéf(aï), justifié, avec le directeur de la Nécropole et les chefs du Gébel, consistant à faire qu'ils se rendent au temple d'Anubis, le cinquième des jours épagomènes, la nuit du Nouvel An et le jour du Nouvel An, pour recevoir les deux mèches de lampes que donne le desservant-ouâb principal d'Anubis au nomarque Hâpydjéf(aï), et à ce qu'ils aillent afin de le glorifier jusqu'à ce qu'ils atteignent /313/ sa tombe et à ce qu'ils donnent une mèche de lampe à son serviteur du ka après qu'ils l'ont glorifié comme ils glorifient leurs morts.
Ce qu'il leur a donné pour cela : <les revenus de> 22 aroures de champs dans la Ouâbet{286} en tant que revenus de la maison de son père, ne s'agissant pas des biens de la maison du nomarque.
Leur liste |
Les champs |
Le directeur de la Nécropole |
4 aroures |
L'administrateur du Désert |
2 aroures |
Les huit chefs du Gébel |
16 aroures |
/314/ et leur donner le haut de la cuisse de tout taureau qui sera sacrifié dans cette nécropole, dans toutes les chapelles.
Ce qu'ils lui ont donné : le directeur de la Nécropole, 2 mesures-dès de bière, 100 pains-qéfen et 10 pains blancs ; l'administrateur du Désert, 1 mesure-dès de bière, 50 pains-qéfen et 5 pains blancs ; /315/ les huit chefs du Gébel, 8 mesures-dès de bière, 400 pains-qéfen et 40 pains blancs pour sa statue, par la main de son serviteur du ka, le premier mois de la saison de l'Inondation, le jour du Nouvel An, quand ils la glorifient.
Alors il leur dit : “Voyez, le [champ que je vous ai donné] <il s'agit clairement de l'usufruit de ce champ> sera à tout directeur de la Nécropole, à tout administrateur du Désert, à tout chef du Gébel en fonction, parce que ce sont eux qui [marcheront <en procession> en vue de me glorifier]. /317/ Et vous serez derrière ma statue qui est dans mon terrain-shé, à la suivre quand [elle se rend au temple d'Anubis], /318/ lors de chaque fête de début de saison, dans ce temple.”
Ils sont [satisfaits à ce sujet]. »
Dixième contrat
/319/ « Contrat qu'a conclu le gouverneur, directeur des servants divins, Hâpydjéfaï, avec le directeur du Désert, consistant [à donner pour lui] une cruche de bière, /320/ un grand pain-[ ?], 500 pains-qéfen et 10 pains blancs pour sa statue, sous la responsabilité de son serviteur du ka, le 18e jour du premier mois de la saison de l'Inondation, la nuit de la fête-ouag.
/321/ Ce qu'il lui a donné pour cela : <les revenus de> 10 aroures de champs dans la Ouâbet, (venant) des biens de la maison de son père et non des biens de la maison du nomarque, et /322/ l'épaule de tout taureau qui sera sacrifié sur cette nécropole, dans ses chapelles.
Alors il dit au directeur du Désert : /323/ “Vois, <les revenus du> champ reviendront à tout directeur du Désert qui adviendra, car c'est lui qui me fera l'offrande de pain-bière”.
Il est satisfait au sujet de cela. »
Ces merveilleux textes, datant du début du IIe millénaire av. J.-C., suffiraient à eux seuls à démontrer les immenses capacités juridiques des anciens Egyptiens.
La minutie avec laquelle le personnage organise le protocole du rituel funéraire dont bénéficient ses statues dans son tombeau à chaque fête importante du calendrier liturgique, dans les temples et dans un lieu agricole (le shé), affectant à chacune des tâches à accomplir par les ritualistes une rémunération perpétuelle fixée et prélevée sur une source de revenus, elle aussi perpétuelle et méticuleusement définie qui leur est destinée de génération en génération, ne permet pas d'interpréter les contrats d'Hâpydjéfaï comme une série d'énoncés performatifs produits dans un contexte magico-religieux comme le pense D. Devauchelle (cf. supra). Il s'agit au contraire d'un véritable montage juridique, d'une clarté remarquable et d'une efficacité implacable résultant d'obligations solidement nouées les unes aux autres sur le plan économique (ce qui nécessite, de la part du serviteur du ka, une comptabilité rigoureuse). Chaque poste de dépenses est provisionné à perpétuité, soit sur le budget personnel d'Hâpydjéfaï dans la continuité de celui de son père pour avoir exercé comme lui les fonctions de desservant-ouâb, soit sur le budget du nomarque, chaque nomarque en fonction étant tenu de respecter les engagements de son (ses) prédécesseur(s).
Le procédé ne correspond pas à une démarche isolée mais à une tradition très ancienne dont les inscriptions des mastabas de l'Ancien Empire nous avaient déjà montré la vigueur. Pour la première fois, cependant, les conventions réalisées entre le propriétaire du tombeau et les exécutants des rites, sous l'autorité du hem-ka, ne font pas seulement l'objet d'allusions générales aux contreparties patrimoniales comme, par exemple, dans les inscriptions de Métjen, mais de directives extrêmement précises comportant un véritable échange d'obligations parfaitement définies et évaluées les unes après les autres dans dix contrats successivement énumérés. Cela ne signifie pas qu'il n'existait pas de contrat détaillé entre propriétaire du tombeau et serviteur du ka dans l'Ancien Empire mais que, exception faite, peut-être, pour la disposition assez générale d'Oupemnéfert, aucun n'a été reproduit dans l'intégralité de ses clauses sur les murs d'une tombe comme c'est le cas pour les contrats d'Hâpydjéfaï (chez celui-ci, cependant, l'appareil strictement formel : serment, témoins, notaire, enregistrement, etc., n'avait pas à apparaître à partir du moment où les conditions de validité ont été rappelées et soulignées en préambule).
Autant les papyrus d'Héqanakhte nous livrent les faits bruts d'une gestion au quotidien, sous ses aspects les plus pragmatiques et les plus méthodiques, n'excluant pas certaines expressions ou situations plus ou moins triviales, autant chez Hâpydjéfaï la réalité juridique correspond à une pensée douée des mêmes qualités mais épurée et en même temps élargie pour habiter un temps étiré jusqu'à l'infini. Dans les recommandations qu'il formule en direction de son hem-ka, Hâpydjéfaï motive celui-ci en soulignant que la bonne gestion de sa dotation funéraire entraînera l'enrichissement de son serviteur du ka : séroud/séroudj signifie « maintenir », « perpétuer », mais aussi « enrichir ». Héqanakhte, serviteur du ka du vizir Ipy, ne fait rien d'autre lorsqu'il bataille avec les siens pour une gestion efficace de la dotation funéraire qu'il administre : en la rendant florissante, à la fois par davantage de travail et par des investissements nouveaux et judicieux (la prise à bail emphytéotique de plusieurs champs) il augmente en même temps ses propres revenus et ceux de sa maisonnée.
Les anciens Egyptiens (voir supra, les inscriptions de Métjen) – et particulièrement Hâpydjéfaï – nous apprennent comment il est possible de contracter valablement pour un avenir illimité, à partir du moment où l'on admet comme un dogme l'immortalité de la personne humaine. Il suffit de canaliser les flux économiques dans les voies contrôlées par des fonctions considérées comme perpétuelles du fait que leurs titulaires se succèdent nécessairement et, dans l'idéal, de père en fils. Pour obtenir d'une manière pérenne telle offrande ou tel hommage cérémoniel qui a un coût, l'on affectera au prestataire et à ses descendants une partie des revenus (des usufruits) dont on dispose à perpétuité en rémunération de services personnels ou paternels, voire par héritage maternel comme dans les inscriptions de Métjen, afin que le partenaire du contrat puisse à son tour être payé. D'où l'intérêt de préférer à la propriété d'une terre le bénéfice, l'usufruit, même limité, qu'elle peut procurer en fournissant des revenus, ce qui, en outre, fluidifie les circuits économiques et entretient la prospérité générale.
La représentation d'Hâpydjéfaï en attitude de respect et de reconnaissance devant le nom d'Horus et les cartouches de Sésostris Ier (fig. 100), autrement dit devant les attributs éternels les plus accessibles de la personnalité du souverain, ne laisse aucun doute sur l'autorisation royale nécessaire pour disposer d'une manière pérenne des divers revenus d'origine foncière.
Nous retrouverons dans la stèle de Chéchonq, par exemple, la pratique des contrats établis pour un futur illimité avec les titulaires successifs et anonymes de fonctions, en vue des prestations perpétuelles d'offrandes et de services (infra, § 6). Les fonctions, en effet, sont remplies par des personnes déterminées qui, elles, passent, tandis que les offices demeurent pour l'éternité, d'où aussi certainement l'horreur que peut inspirer le désordre institutionnel qui vient rompre la chaîne perpétuelle des obligations et des rentes qu'elles génèrent. Il n'est pas exclu d'envisager, selon ce point de vue, une exagération voulue dans la description apocalyptique des périodes politiques troublées (« périodes intermédiaires »).
En dépit d'un nouvel éclatement du pouvoir monarchique, sous la pression d'envahisseurs (les Hyksôs) d'origine amorrite et cananéenne, dans le Delta autour de leur capitale, Avaris, puis en Moyenne Egypte, la pratique des dotations funéraires en faveur des temples se poursuivra sans doute au cours de la Deuxième Période intermédiaire, ainsi que l'atteste la Stèle Médamoud 2.834 qui enregistre un édit par lequel le roi Sobekemsaf, un contemporain thébain des rois hyksôs, classé traditionnellement dans la 17e dynastie{287}, attribue 34 + ? aroures de champs au dieu Montou de Médamoud (Meeks, 1979a, p. 661). Quant à la Stèle juridique de Karnak, de la même époque, elle confirme, comme le fera aussi quelques décennies plus tard le relief de la reine Ahmès-Néfertary provenant de Karnak, que l'exercice d'une fonction publique demeure assorti de moyens économiques d'origine foncière (t. 2, chap. 2, Annexe).