6

Une chance diabolique


Les généraux de l’Allemagne ne souhaitaient pas élargir le conflit. Le 5 novembre, le commandant en chef de l’armée, Walther von Brauchitsch, tenta de faire état du pessimisme des militaires au chancelier du Reich. Désarçonné par la proximité du Führer, Brauchitsch n’alla pas bien loin. « Quand je suis confronté à cet homme, dit-il un jour de son maître, j’ai la sensation que l’on m’étouffe et je suis incapable de trouver mes mots1. »

Il avait préparé un document relatif au plan d’attaque. Le moral des soldats ne pourrait supporter une nouvelle offensive, prévint-il. En Pologne, des officiers avaient perdu le contrôle des engagés, qui orchestraient des « orgies d’ivrognerie » à bord des trains de transports de troupes. Des rapports émanant de cours martiales évoquaient des « mutineries2 ».

Hitler éclata – en lui passant un savon mémorable, notera Brauchitsch, « comme on n’oserait même pas en infliger à la recrue la plus bornée ». Même les secrétaires à l’extérieur du bureau entendirent le dictateur éreinter son commandant en chef. Quelles étaient ces unités qui osaient faillir à la discipline ? Où ? Il s’envolerait dès le lendemain sur place pour y faire appliquer des sentences de mort. Non, hurla-t-il, les troupes combattraient ; seuls leurs chefs l’inquiétaient. Comment pouvaient-ils condamner toute l’armée à cause de quelques écarts ? « Pas un commandant sur la ligne de front n’a mentionné devant moi le moindre manque d’esprit offensif dans l’infanterie. Mais maintenant il faut que j’entende ça, après la magnifique victoire remportée par l’armée en Pologne3 ! »

Brauchitsch lui offrit sa démission. Il lui riposta en vociférant que le général était tenu d’accomplir son devoir comme tous les autres soldats. Faisant allusion au nom du complexe situé à l’extérieur de Berlin où l’état-major de l’armée avait son siège opérationnel, il l’avertit qu’il n’oublierait pas le défaitisme de « l’esprit de Zossen ». Il maudit la couardise des chefs de la Wehrmacht jusqu’à en perdre le souffle. Puis il arracha sa note à Brauchitsch, la jeta dans un coffre-fort, sortit de la pièce avec raideur, et claqua la porte derrière lui, l’écho se répercutant dans la grande salle4.

Brauchitsch ressortit d’un pas hésitant. Le chef d’État-Major général de l’armée de terre, Franz Halder, qui l’attendait dans l’antichambre, se souvenait d’un général émergeant de l’entrevue « blanc comme de la craie, le visage crispé par un rictus », incohérent, l’air terrorisé, les dents serrées, comme s’il avait du mal à respirer, « l’air décomposé ». Il fit état de la menace du Führer d’écraser les défaitistes. Avait-il eu vent de leurs projets de coup de force ? À tout moment, les SS pouvaient effectuer une descente à Zossen. Personne n’avait oublié la nuit des Longs Couteaux. Regagnant le quartier général, Halder ordonna de brûler tous les papiers relatifs à l’opération en cours5.

Assez vite, il apparut que Hitler ne savait rien du complot. Mais le collègue d’Oster, Hans Gisevius, avertit le Bavarois de ne pas compter sur une nouvelle tentative de putsch de la part des généraux. « Ils se contentent de jouer aux échecs avec le peuple, s’emporta Gisevius devant une bière, au Kaiserhof, juste avant que Müller ne monte dans un train pour rentrer à Munich. Ces gentleman-riders courront tout droit jusqu’à l’obstacle, mais ne le sauteront jamais ! » Il recommanda vivement à l’ecclésiastique de ne pas trop faire valoir le rôle des militaires au Vatican6.

 

À Rome, le 7 novembre, Josef Müller pénétrait dans l’appartement du père Leiber, au 4, piazza della Pilotta. À l’opposé d’un Kaas, franc et chaleureux, Leiber se révélait très peu, derrière un sourire énigmatique et exercé, fruit de longues années consacrées au service des affaires secrètes – un murmure de prêtre en soutane noire. Exprimant son inquiétude de ce que Pie XII n’ait décidé de se joindre au complot, l’éminence grise des jésuites enseigna les règles du jeu au visiteur7.

Le pape ne pouvait rencontrer ce dernier tandis que se fomentait la conspiration. Les espions SS de Hartl rôdaient dans les écoles et les presbytères de la Rome papale. Et si l’un d’eux éventait la couverture de Müller ? Pour préserver sa faculté de démenti plausible, le pontife devait être en mesure d’affirmer ne l’avoir jamais rencontré, et ce pendant toute la durée du complot. Au lieu de quoi, le Bavarois établirait la liaison avec le pape par l’intermédiaire du père Leiber, leur « bouche commune ». Ochsensepp reçut ces propos, déclara-t-il plus tard, comme un « ordre bienveillant quoique pertinent ».

En fin de compte, Pie XII voulait personnellement conserver la maîtrise du canal reliant Londres à Berlin. Il refusait d’en faire porter la moindre responsabilité à l’Église. Les conspirateurs pourraient impliquer le Saint-Père, mais pas le Saint-Siège. Il fallait respecter un dispositif d’une évidente symétrie : tout comme Hitler, et non l’État allemand, était la cible du complot, ainsi Pie XII, et non la foi romaine, en serait le complice. « Leiber m’a dit que, sur ordre du pape, il demandait qu’en débattant de l’autorité qui organiserait les pourparlers de paix, ils [les militaires conspirateurs] devraient citer le “pape” et non le “Vatican”, rapportait Müller. Parce qu’il [Pie XII] avait mis un point d’honneur à tracer une nette distinction entre le pape qui, en un certain sens, avait le droit et l’obligation de tout tenter pour la paix et le Vatican, qui détenait un statut plus politique. » Ce qui, pour des observateurs extérieurs, pouvait passer pour des ratiocinations scolastiques s’appuyait aux yeux du souverain pontife sur une logique irréfutable. Les généraux allemands, et leurs éventuels interlocuteurs britanniques futurs, étaient des protestants ; ils appréciaient Pacelli et se fiaient à lui, mais conservaient une certaine réserve envers l’Église catholique romaine, et tout particulièrement envers le Vatican. Le Saint-Père jugea dès lors opportun de tenir en somme ce discours : « Vous, peuples des deux camps présents dans cette guerre, vous me connaissez ; vous savez que je suis fiable. Pour ma part, je sais que vous éprouvez quelques doutes ou difficultés envers le Vatican en tant que tel. Alors menons à bien cette tâche délicate en mon nom, auquel vous accordez crédit, plutôt qu’au nom de mon institution, dont vous doutez. Afin que cette proposition soit prise au sérieux, qu’elle soit couronnée de succès ou qu’elle échoue, j’offre ma réputation personnelle à titre de garantie. » Ainsi, à strictement parler, les manœuvres qui s’ensuivraient ne participeraient pas de la campagne clandestine de l’Église contre le Reich, mais de la guerre secrète du pape contre Hitler8.

Il s’intéressa personnellement aux détails opérationnels, notamment aux noms de code. Müller adopterait celui de « Herr X ». Le père Leiber, qui enseignait à l’Université grégorienne, utiliserait le pseudonyme « Gregor ». Ils appelleraient l’un et l’autre Pie XII le « Chef ». Le Bavarois demanda à Leiber si le pape connaissait son nom de code. « Bien sûr », lui répondit l’autre. « Mais n’est-ce pas un peu sacrilège ? Comment l’a-t-il pris ? », s’étonna-t-il. Leiber lui assura que le Saint-Père s’était contenté de sourire, et qu’il avait même paru satisfait. Ce nom de code, « Chef », démontrait, croyait-il, que le pape rendait aux conjurés la confiance qu’ils avaient placée en lui9.

 

Tandis que Josef Müller conversait avec Leiber à Rome, Adolf Hitler se dirigeait vers Munich à bord de son train privé. Tous les ans, le 8 novembre, il prenait la parole à la Bürgerbräukeller, marquant ainsi l’anniversaire du putsch de la brasserie, en 1923. Mais il s’inquiétait des risques pour sa sécurité qui allaient de pair avec ces apparitions annuelles en public, estimant au contraire qu’un emploi du temps échappant à la régularité restait la meilleure sauvegarde contre l’assassinat10.

Au moment de son arrivée à Munich, sa police des frontières procédait à une arrestation. Georg Elser, un horloger souabe de 36 ans, avait tenté de pénétrer illégalement en Suisse, par le lac de Constance. Dans ses poches, la police avait trouvé une paire de pinces, des pièces de détonateur et une carte postale représentant l’intérieur de la brasserie en photo. Masqué sous le revers de sa veste, les policiers avaient découvert un insigne de l’ancien mouvement communiste du « Rote Front » (« Front rouge »). Ce ne fut que plusieurs jours plus tard qu’Elser avoua aux interrogateurs SS pourquoi il avait tenté de quitter l’Allemagne ce soir-là. Sachant que Hitler s’exprimait tous les 8 novembre à la brasserie, il y avait caché une bombe. Il n’était pas membre du groupe de Canaris. Il opérait seul. Néanmoins, il avait planifié cet attentat de façon experte. Il s’était fait embaucher dans une carrière pour y dérober du donarit, un explosif possédant les propriétés requises à ses yeux. Pendant trente-cinq nuits, il avait réussi à se cacher dans la brasserie, sans se faire repérer. Il avait ménagé un orifice à l’intérieur de la colonne lambrissée située derrière l’estrade, qu’il avait ensuite camouflé en fabriquant un portillon avec un morceau de lambris assorti. Il avait logé dans cette cavité une bombe improvisée à partir d’un obus de soixante-quinze millimètres. Le 5 novembre, il avait installé deux pendules Westminster en guise de minuteries, enfoncées dans un bloc de liège afin d’en étouffer le tic-tac11.

À 20 heures, Hitler pénétra dans la brasserie. Il monta sur le podium tendu de drapeaux, et trois mille nazis l’acclamèrent. Quand la salle eut fait silence, il ne prit la parole qu’une heure, au lieu des trois habituelles. Il fustigea l’Angleterre. Bientôt, Londres recevrait une leçon : « Nous, nationaux-socialistes, nous avons toujours été des combattants. C’est un grand moment. Et c’est un moment où nous ferons d’autant plus nos preuves en tant que combattants. » Après cela, il salua les dignitaires du parti qui se pressaient vers lui en masse. Certains membres de l’auditoire restèrent à leur place et buvaient, d’autres sortirent de la brasserie à la queue leu leu12.

Huit minutes plus tard, à 21 h 20, le pilier situé derrière la tribune se volatilisa, effacé par une flamme blanche aveuglante. La déflagration souleva des tables et projeta des vétérans du parti au sol. Des solives du plafond effondré écrasèrent huit personnes, tuées sur le coup, et en blessèrent plus de soixante autres, parmi lesquelles le père de la maîtresse du Führer, Eva Braun. Le propriétaire de la brasserie se rappela « une explosion terrible, provoquant l’écroulement du plafond, qui s’est abattu dans un grondement épouvantable. Il y a eu des cris, l’air était rempli de poussière et d’une odeur âcre. Des corps gisaient sous les décombres, ensuite ce fut le sauve-qui-peut, les blessés ont tenté de se dégager et ceux qui étaient indemnes ont essayé de trouver la sortie13 ».

Le dictateur avait quitté les lieux huit minutes plus tôt. Il avait déjà embarqué à bord du train qui le ramenait à Berlin lorsque se répandit dans sa voiture la nouvelle qu’il était arrivé quelque chose. À la gare de Nuremberg, les premières informations filtrèrent. Le Führer décréta que c’était « un miracle » qu’il ait été épargné, un « signe infaillible » que sa mission recevait les faveurs de la Providence. L’incident avait aussi démontré, ainsi que l’écrivit son officier d’ordonnance, « que Hitler avait des ennemis qui ne reculeraient devant rien pour se débarrasser de lui14 ».

 

Josef Müller passa la soirée du 8 novembre à Rome. Il avait pris place avec Mgr Johannes Schönhöffer dans les bureaux de la Sacrée Congrégation pour la propagation de la foi lorsque la nouvelle que le maître du Reich avait survécu à un attentat à la bombe leur parvint. « Un prêtre italien et un prêtre français présents avec nous dans la pièce me dévisagèrent d’un œil interrogateur », se souvenait Müller. Ces regards perplexes laissaient entendre qu’il était au moins parvenu à consolider sa « couverture » d’agent des dissidents allemands. Il se demandait lui-même si c’étaient ses amis qui avaient placé cet engin explosif15.

Quatre jours plus tard, il retrouva ses camarades, au comble de la confusion. Cet attentat avait totalement pris au dépourvu le groupe du colonel Oster. D’après les informations qu’ils avaient pu récolter, Elser était un loup solitaire, un communiste. Ayant agi seul, personne n’ayant donc pu trahir ses projets, les SS n’avaient pratiquement eu aucun moyen de percer son complot à jour. Si Hitler n’avait pas inexplicablement abrégé son discours, la bombe d’Elser l’aurait tué. Ce ne serait pas la dernière fois que Müller se dit que le Führer avait « une chance diabolique16 ».

L’incident de la Bürgerbräukeller réduisait à néant le plan d’Erich Kordt. En fin d’après-midi, le 11 novembre, il se rendit au domicile d’Oster pour se procurer la bombe qu’il entendait utiliser ce soir-là. Bien que le dictateur eût repoussé son offensive à l’Ouest, en invoquant des raisons météorologiques, Kordt restait déterminé à frapper. Hans Oster le reçut avec cet aveu regrettable : « Je suis incapable de vous fournir l’explosif. » Après l’attentat à la bombe, la police du parti avait placé sous surveillance tous les dépôts de munitions, y compris ceux de l’Abwehr. Kordt lui répondit à voix basse : « Alors je vais devoir tenter la chose avec un pistolet. » Oster s’agita. « Kordt, ne commettez pas d’acte insensé. Vous n’avez pas une chance sur cent. Vous ne pourrez jamais voir Hitler seul à seul. Et, dans l’antichambre, en présence d’aides de camp, d’ordonnances et de visiteurs, on ne vous laisserait guère l’occasion de tirer17. »

 

L’attentat de Munich perturba les hommes du pape. Mgr Kaas le jugeait « inexplicable », une « énigme », surtout parce que Müller ne pouvait lui relater que les conjectures de l’Abwehr. Kaas estimait que les nazis avaient eux-mêmes pu monter cet attentat de toutes pièces, comme l’incendie du Reichstag, afin de servir leurs intérêts. Le fait que personne ne semblait trouver cet événement stupéfiant ou anormal suffisait à démontrer, de l’avis de Kaas, que Hitler et Staline avaient fait du gangstérisme un état de choses communément admis.

À Berlin, le nonce porta une enveloppe au ministre des Affaires étrangères. La secrétairerie d’État transmettait ses félicitations au Führer d’avoir survécu à cette tentative de mettre fin à ses jours. Le principal intéressé doutait de la sincérité du pontife.

« Il aurait préféré voir ce complot réussir », confia-t-il peu après à des convives invités à sa table. Le gouverneur de Pologne, Hans Frank, protesta contre cette idée : Pie XII avait toujours été un ami de l’Allemagne. « Cela se peut, mais ce n’est pas le mien18. »

 

L’échec de cette tentative d’assassinat eut une conséquence bénéfique pour les conspirateurs. Il suscita l’intérêt des Britanniques pour un changement de régime. Les messages de Josef Müller, transmis par la voie vaticane, y gagnèrent en crédibilité. Avant que Londres soutienne les antinazis, avait déclaré le Premier ministre Neville Chamberlain, « l’Allemagne doit agir pour prouver sa bonne foi ». À présent, un Allemand venait d’agir en ce sens. C’est pourquoi, le lendemain de l’explosion, les Britanniques envoyèrent deux espions rencontrer un officier germanique, qui promit de leur exposer en détail un plan visant à renverser Hitler et à mettre un terme à la guerre19.

Ils se donnèrent rendez-vous à la frontière germano-hollandaise, dans la petite ville de Venlo. Les officiers anglais, Payne Best et Richard Stevens, ne connaissaient pas le vrai nom de l’homme qu’ils allaient rencontrer. Ils ne le connaissaient que par son nom de code : « Schaemel ».

 

Une sentinelle releva la barrière et les Britanniques s’engagèrent dans un no man’s land. Seuls de rares arbres jalonnaient un poste de douane et un café. Schaemel sortit de sous la marquise du café à l’instant où la barrière côté allemand se levait. Il fit signe de la main pour indiquer que tout allait bien20.

Sans avertissement, une voiture fonça à travers la barrière allemande. Les officiers SS montés sur les marchepieds braquèrent leurs pistolets-mitrailleurs sur les Anglais. Schaemel ordonna à Best et Stevens de descendre de leur véhicule. Leur chauffeur hollandais, Dirk Klop, sortit son revolver et s’échappa en courant, en tirant sur les SS dans sa fuite. Les Allemands ripostèrent en ouvrant le feu, et Klop s’écroula, mort, dans une rangée d’arbres. Schaemel désarma Best et Stevens et les poussa devant lui, les faisant entrer de force en Allemagne21.

Les Britanniques étaient tombés dans un guet-apens nazi. Un officier de renseignements de la SS, Walter Schellenberg, s’était fait passer pour un général de l’opposition – le dénommé Schaemel –, un moyen d’alimenter la désinformation des Anglais. Après l’attentat de la brasserie, Himmler avait vu là une chance de rameuter les Allemands autour de Hitler en prétendant qu’Elser travaillait pour les services secrets de Londres. Il avait ordonné à Schellenberg d’appréhender les agents britanniques et de les présenter comme les officiers traitants d’Elser. Les nazis espéraient de la sorte se rallier le soutien du peuple à un assaut sur le front de l’Ouest, non sans discréditer toute résistance véritable aux yeux des Alliés. Ils échouèrent sur le premier point, mais parvinrent à leurs fins sur le second : d’instinct, Londres se montra plus sceptique quant à de prétendus complots visant à évincer le dictateur22.

L’affaire de Venlo ne déconcerta pas moins le Vatican. Le 21 novembre, l’ambassadeur de Grande-Bretagne au Saint-Siège, D’Arcy Osborne, câbla à Londres après un entretien avec Mgr Kaas. Le gardien de la crypte du Vatican avait paru « toujours aussi amical », et clairement signifié « sa haine de Hitler et de son régime nazi ». Mais « Kaas était d’un avis très pessimiste » sur les perspectives de changement de régime. Les Allemands étaient « serviles de nature » et, après avoir été soumis de longue date à un régime disciplinaire, presque incapables d’organiser une révolte. La plupart d’entre eux restaient unis derrière leur maître, même s’ils étaient nombreux à déplorer les principes et les méthodes des nazis. Le succès de la campagne contre les Polonais, si détestés, avait aveuglé jusqu’aux détracteurs du régime. Les nazis avaient su museler le reste de la population, réduite au consentement par la terreur.

D’Arcy Osborne appréciait le réalisme de Kaas. Espérant maintenir ouverte la voie vaticane, il demanda à Londres de préserver la confidentialité de sa conversation avec lui. Le nom de monsignor ne devait « en aucun cas être mentionné ». Sentant que ce dernier possédait des contacts avec la résistance dans les profondeurs de l’Allemagne, Osborne enjoignit ses supérieurs de suivre toutes les pistes qu’offrait le Vatican, sous réserve d’avoir la preuve qu’elles ne conduisent pas la Grande-Bretagne vers un « autre Venloo23 [sic] ».

Josef Müller consacra la seconde partie du mois de novembre à chercher cette preuve, à Berlin. Il eut du mal à se la procurer. Franz Halder, le chef d’état-major adjoint de l’armée de terre, soutenait les planificateurs du coup d’État, mais restait pieds et poings liés par le serment de Hitler de vaincre « l’esprit de Zossen ». Grâce à Hans Rattenhuber, le chef de la garde rapprochée du Führer, le Bavarois apprit l’instauration de patrouilles de sécurité renforcée dans les jardins de la chancellerie, et d’un nouveau poste de commandement devant les appartements du Führer. Ce fut en partie cette raison qui amena Kaas à confier à D’Arcy Osborne que les conspirateurs étaient affectés d’un « fatalisme transi ». Ensuite, le tableau changea de nouveau. La situation des comploteurs passa du sombre au catastrophique. Un espion SS avait découvert le rôle du pape dans le complot24.