CHAPITRE VI

Le mythe de la « dette » envers la science arabo-musulmane et de la « tolérance d’Al-Andalus »


« Si les Arabes avaient autant de découvertes scientifiques à leur crédit, pourquoi ont-ils laissé les Européens être les seuls à en tirer bénéfice ? »

David Pryce-Joness .

« Les leçons des principaux ouvrages des savants, philosophes, poètes et dramaturges de l’Antiquité ne furent jamais à aucun moment, ignorés des lettrés en Occident. On nous dit ‘sans les Arabes, vous n’auriez pas connu Aristote ’. C’est inexact, archi faux. Parler d’Arabes n’est pas seulement une facilité de langage mais une grave impropriété qui cache sans doute une mauvaise action, à savoir la volonté de taire la véritable identité des auteurs musulmans les plus féconds et les plus connus. C’étaient pour la plupart des Syriens, des Égyptiens ou des Espagnols, qui, soumis par la conquête, avaient adopté la langue et l’écriture des maîtres »1 .

Jacques Heers

Dépréciation de la culture européenne et suprémacisme islamique

Lors du 10e  sommet de l’Organisation de la Coopération Islamique organisé en 2003 en Malaisie, le premier ministre d’alors, le très charismatique et radical Mahatir Muhamad, déclara, lors de son discours de bienvenue : « Quand les Européens du Moyen-Âge étaient encore arriérés et superstitieux, les éclairés musulmans avaient déjà construit une brillante civilisation, respectée et puissante […]. Les Européens doivent s’agenouiller devant la grandeur des sages musulmans  »2 . Outre l’aspect méprisant envers la civilisation européenne qui a construit alors des cathédrales que la Malaisie ou le Maroc n’ont jamais pu édifier, on constate les relents suprémacistes de telles affirmations qui surfent sur un puissant lieu commun du politiquement correct et du multiculturalisme. En 2005, déjà, dans sa déclaration du 4 octobre, à Strasbourg, le secrétaire général de l’OCI, Ekmeleddin Ihsanoglu , avait déclaré dans le même esprit : « Je me permettrai de rappeler l’âge fleurissant d’Al-Andalus lorsque l’Espagne était islamique, ou des Balkans, alors sous le patronage de l’Empire ottoman, exemple de cœxistence pacifique entre les trois religions et modèle de civilisation brillante pour l’Humanité. Ceux qui ont suivi l’islam durant les quatorze siècles passés ont développé une brillante civilisation qui a contribué aux valeurs universelles de justice, de tolérance, de compassion, et de cœxistence pacifique avec les autres civilisations et foi. L’Histoire même de l’islam témoigne de la cœxistence entre musulmans, Juifs et chrétiens. Cette interaction a conduit au partage de la philosophie et des sciences (…), au transfert du savoir hellénistique vers le monde musulman et à la progression de la science, de la philosophie et des Arts en islam qui ont été transférés à l’Europe et ont eu leurs effets sur les générations successives.  ». On retrouvait là une fois de plus le lieu commun d’un « islam sans tâche » associé à la science « arabe » passée et qui disculperait de façon anachronique les travers du monde musulman d’aujourd’hui, pourtant défiguré par le fanatisme et le terrorisme.

De la même manière, dans le cadre du lancement, le 27 mars 2009, à Paris, au siège de l’UNESCO, du « projet Aladin » promu par la Fondation pour la Mémoire de la Shoah (FMS) afin de « lutter contre le négationnisme et l’antisémitisme », le mythe andalous de la « cœxistence pacifique interconfessionnelle sous la domination arabo-musulmane » de l’Espagne3 mis en avant comme un trophée inégalable par l’ancien président du Sénégal – membre actif de l’OCI – Abdoulaye Wade , qui nia l’idée même d’une intolérance islamique : « Il n’y a jamais eu de contentieux historique entre musulmans et juifs. Bien au contraire ! De la Charte de Médine de 622, à l’Empire ottoman, en passant par l’Espagne sous le règne arabe, l’histoire nous enseigne qu’à différentes périodes, juifs et musulmans ont pu vivre ensemble dans le respect mutuel et la cœxistence pacifique  »4 . Lors de cette même conférence, Simone Veil, ancienne présidente du Parlement européen et de la FMS, Jacques Chirac , et Abdoulaye Wade signèrent en grande pompe « l’Appel à la conscience » soutenu par des centaines d’intellectuels musulmans qui déclarait que « les musulmans et les Juifs, des siècles durant – en Perse, au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et dans l’Empire ottoman – ont su vivre ensemble, souvent en bonne intelligence  ». Enfin, lors d’une conférence annuelle de l’OCI organisée en janvier 2013, son ex-secrétaire général, Ekmeleddin Ihsanoglu , exhorta l’Union européenne à mieux « accueillir l’islam en Europe, comme un membre de la famille et non en tant qu’invité  », en ajoutant que « l’exclusion de l’islam signifie ignorer le rôle influent de la civilisation islamique dans l’évolution de la civilisation occidentale  »5 , allusion claire au mythe de la dette occidentale envers la « science arabo-musulmane ».

Comme on l’a constaté tout au long de cet essai, le « mythe andalous », qui postule la tolérance intrinsèque de l’islam et des musulmans, vus comme un bloc immaculé victimaire, est continuellement instrumentalisé par les islamistes. Il mérite de ce fait une attention toute particulière et même un travail de désocculation-démystification, dans la mesure où il est le postulat philosophique fondateur à la fois de la doxa multiculturaliste et tiersmondiste anti-occidentale et de l’islamisme suprémaciste. L’idée indirectement suggérée par la diffusion de ce mythe très puissant, via les écoles, l’Université, les reportages télévisuels ou autres expositions, et que notre civilisation, « coupable » des maux des pays islamiques jadis colonisés et longtemps ralentie par « l’obscurantisme chrétien », serait plus avancée aujourd’hui si les « Lumières de l’islam » avaient continué de nous éclairer. L’Europe et l’Occident en général devraient de toute façon accepter le processus d’islamisation en cours comme une « réparation » et une expiation de « nos fautes passées », (Croisades, Reconquista , colonisation). Par ce mythe fondateur de l’islamiquement correct, maints États musulmans dictatoriaux et a fortiori nombre d’organisations islamistes cherchent à la fois à légitimer l’expansion de l’islam en terre infidèle et à compenser – par l’idée d’une « dette » contractée par l’Occident hégémonique envers l’islam – leur frustration de voir la Modernité et la puissance géopolitique leur échapper.

Ce discours peut paraître absurde, mais il est en substance distillé au sein même de l’enseignement de plusieurs pays occidentaux qui ont cédé aux pressions des lobbies islamiques internationaux. Nous avons vu que les responsables de l’élaboration des manuels scolaires de l’Éducation nationale en France et ailleurs (Espagne, Italie, Belgique) ont déjà commencé à revisiter la façon dont on enseigne l’histoire de la France, de l’Europe et de la Chrétienté en gommant presque toute vision positive du passé monarchique et chrétien et en insérant des représentations islamophiles fondées sur le double mythe de la science arabe et de la tolérance d’Al-Andalus.

L’historienne Bat Yé’or explique que ce mythe, qui « adopte la version islamique de l’histoire », par « des facteurs géopolitiques, tel « l’équilibre politique » européen au XIX e  siècle, agit en « narratif anesthésiant », car il masque les enjeux du jihad qui sont au cœur de l’islamisme conquérant » lancé à l’assaut de l’Occident, culpabilisé et ouvert à tous les vents. Ce mythe islamophile sert à dissimuler la réalité guerrière du suprémacisme islamique et de son institution corollaire, la dhimmitude, ce statut de sujétion déshumanisant réservé aux non-musulmans sous la domination arabo-musulmane. Il implique que l’Occident s’incline devant la « supériorité » supposée des « sciences d’islam », pour paraphraser l’ex-président malaisien Mahatir. Il revient en fin de compte à dévaloriser la civilisation chrétienne qui, non seulement aurait mis coupablement un terme à cette supposée « tolérance » et cette « science » islamique en repoussant les dominateurs musulmans (Reconquista ), mais aurait échoué à créer l’équivalent d’Al-Andalus puisque l’Occident moderne serait plus que jamais profondément hostile à la civilisation islamique, agressée militairement (guerres anglo-américaines en Irak, Afghanistan, etc.) et « humiliée » symboliquement (caricatures, interdiction des voiles islamiques dans les lieux publics en France ou des minarets en Suisse).

Pour résumer, cette thèse de la « dette occidentale envers les sciences « arabo-musulmanes » est fondée sur un certain nombre de postulats :

  1. 1 .  l’Occident serait redevable de sa modernité, de sa renaissance et de sa science aux travaux et découvertes de savants arabes et ou musulmans ayant œuvré entre Bagdad et l’Andalousie du VIII e au XIII e  siècle après JC ;

  2. 2 .  la langue arabe aurait été en tant que telle, un facteur favorable à la compréhension des phénomènes scientifiques ;

  3. 3 .  la doctrine de l’islam, par sa « tolérance » et sa nature « progressiste » intrinsèque, favoriserait naturellement l’ouverture d’esprit, la science et la philosophie, et le fanatisme islamiste n’aurait « rien à voir avec l’islam ».

  4. 4 .  L’Andalousie islamique aurait été le lieu par excellence de la manifestation du génie et de la tolérance arabo-musulmane et sa reconquête par les chrétiens espagnols du Nord aurait été une perte pour l’Humanité.

Afin de dissiper les craintes des Européens inquiets des poussées migratoires et de la progression de l’islam en Europe, les adeptes de cette doxa islamiquement correcte affirment que dans l’Espagne du Moyen Age dominée par les « Arabes », musulmans, « juifs et chrétiens vivaient en parfaite harmonie ». Averroès et Saint Thomas d’Aquin ayant lu tout deux des œuvres maîtresses d’Aristote , Maïmonide étant contemporain du premier et natif de Cordoue comme lui, « l’harmonie » devait régner entre les « trois monothéismes ». Ainsi enseigne-t-on aujourd’hui qu’en conquérant l’Espagne, les Arabo-musulmans auraient apporté à « l’Occident arriéré » le progrès », des Arts, la Médecine, l’algèbre, les systèmes d’irrigation, les mathématiques, l’architecture et bien sûr la philosophie grecque. Les musulmans éclairés avant l’heure auraient ainsi transmis le savoir grec à une Europe coupée de ses propres racines helléniques orientales par son obscurantisme iconoclaste et ses autodafés pré-fascisant6 . Aussi souligne-t-on sa « dette » envers le monde arabo-musulman qui lui aurait transmis un immense bagage scientifique, précieusement conservé au sein du dar al Islam 7 .

Ces affirmations poussent au mépris de leur propre civilisation les générations occidentales futures à qui est inculquée une histoire révisée. Ce processus est déjà en cours depuis plusieurs décennies dans le cadre de la « politique d’apaisement » avec le monde arabo-musulman étudiée plus haut et adoptée par la plupart des gouvernements occidentaux. Cette vulgate, « islamiquement correcte » mérite donc d’être désoccultée et tempérée8 . La violente campagne de lynchage médiatico-universitaire et de dénigrement dont fut la cible l’historien français Sylvain Gouguenheim , en 2008, lorsqu’il publia son ouvrage Aristote au mont Saint-Michel 9 , pourtant fort documenté écrit par un médiéviste agrégé reconnu, ont démontré à quel point le mythe de « la dette de l’Occident chrétien ignorant envers la science arabo-islamique supérieure », constitue le cœur essentiel à la fois de la doxa politiquement correcte et du suprémacisme islamique conquérant. Dans une logique qui n’est paradoxale qu’en apparence, on constate que des auteurs insusceptibles d’être accusés de racisme ou de fascisme, comme Gouguenheim, ont pu être accusés de « faire le jeu de l’extrême-droite populiste islamophobe » lorsqu’ils se sont attaqués à ce mythe fondateur de l’exceptionnalisme arabo-musulman, tandis que la célèbre chercheuse racialiste Sigrid Hunke, précitée, a été dédouanée toute sa vie malgré sa réelle appartenance nazie en raison de son rôle incomparable dans la promotion de ce mythe islamophile etarbophile.

Le mythe de la « science arabe » : confusion sémantique et historique

Le mythe de la « science arabo-musulmane » est largement dû à une confusion sémantique et historique concourant à attribuer à l’islam et aux « Arabes » les apports des peuples autochtones non-arabes et non-musulmans conquis avec l’arrivée des Cavaliers d’Allah à partir du VII e  siècle : l’islam s’étant répandu par et avec la langue arabe, celle-ci s’est étendue d’autant plus rapidement au Proche-Orient, en Mésopotamie, en Égypte et en Afrique du Nord, que les élites dépositaires du patrimoine gréco-romain et hellénistique d’alors étaient majoritairement des chrétiens syriaques-araméens ou juifs, pour qui la langue arabe, très proche de l’araméen et de l’hébreu, était très facile d’accès et allait vite devenir la lingua franca des sciences, de la culture et du pouvoir. Par la langue et le pouvoir, les conquêtes arabes unifièrent les régions et peuples qu’Alexandre le Grand avait conquises et qui gardaient l’héritage hellénistique. En réalité, ces savants, qui, vivaient au sein d’une société régie par l’islam, arabisèrent leurs noms et, loin d’être de « bons musulmans », ils résistèrent au contraire aux pressions et aux censures islamiques, comme par exemple le Persan Omar Kayam (1124), mathématicien sceptique et athée, ou encore Ibn Qura, syrien athée, Avicenne et Averroès, condamnés par l’orthodoxie islamique, Maïmonide , juif converti de force à l’islam qui dut pour cela fuir Al-Andalus, et d’autres encore sur lesquels nous reviendrons.

Si le nouvel empire islamique cosmopolite créa, entre le VIII e et le XIV e  siècles, un réel climat d’effervescence intellectuelle, ce dynamisme fut essentiellement le fait non pas « d’Arabes », mais de Juifs ou musulmans d’Espagne (comme Maïmonide , Ibn Rushd-Averroès), d’autochtones berbères (Ibn-Tofail, Ibn Badjda, Ibn Khaldoun ) de nombreux savants syriaques et perses (Al-Farabi , Hunayn Ibn Ishaq, Avicenne , Al-Razi , Abou Mohammed Al-Ghazali ), des Indiens, des Grecs, parfois convertis et ayant adopté la langue arabe, celle du pouvoir califal et de l’islam. La-dite « science arabe » est tout sauf une formule scientifique et historiquement rigoureuse. Une recherche intitulée Comment la Science grecque est passée aux Arabes 10 , énumère les traducteurs principaux de la science grecque. Des 22 disciples énumérés, 20 étaient des Assyriens et un seul Arabe. « Parmi tous les philosophes et les savants, un seul est arabe : Al-kindi. Tous les autres sont des Persans, des Transoxiens – des gens de Boukhara et de Samarkand (autrement dit d’Asie centrale), des Espagnols – de Cordoue, de Séville. Ils se servent de l’arabe parce qu’elle est la langue des dominants et s’est imposée  »11 , confirme Marion Duvauchel. Dans son ouvrage magistral, La civilisation arabe , Joseph Heil confirme que « presque tout ce qui fut écrit en arabe au sein de la civilisation dénommée “arabe” était l’œuvre de non-arabes : Grecs, Juifs, et avant tout, Perses  »12 .

En réalité, loin de détenir une civilisation « supérieure » aux précédentes, les conquérants arabes découvrirent chez les peuples conquis une culture très supérieure à celle du désert d’où ils venaient. Imposant leur langue – d’ailleurs écrite grâce à l’écriture syriaque des autochtones chrétiens et juifs de Mésopotamie et du Proche Orient conquis13  – ils élaborèrent, sous les califes éclairés Al-Mansour, Haroun al-Rachid et al-Mamoun, grâce aux concours des savants autochtones grecs, helléniques, syriaques, juifs, égyptiens, indiens, perses ou arméniens, une nouvelle culture cosmopolitique dont le centre devint Bagdad, bien avant Cordoue et Al-Andalous. Cette dernière, à qui sont accordés tous les mérites des empires islamiques « multiculturels », ne fit d’ailleurs que recycler les apports de Mésopotamie. Ces Lumières philosophiques et scientifiques d’expression arabe, en réalité redevables aux peuples non-arabes conquis par l’empire musulman, furent par ailleurs possibles non pas grâce à l’islam, lorsque l’orthodoxie musulmane régressa entre les VIII e  et IX e  siècles à Bagdad sous quelques califes abbassides peu orthodoxes et très ouverts, mais malgré l’islam officiel. Ce dernier mit en effet rapidement à l’index, dès le X e  siècle, les écoles musulmanes les plus ouvertes à l’utilisation de la raison (mutazilites, voir infra ). Nous verrons que l’orthodoxie islamique opposée aux falsafa (philosophes) et à la Science reprit vite le dessus. Dès 847, cette dernière s’impose avec la condamnation officielle du dogme du « Coran créé » au profit du dogme du « Coran révélé et incréé », suite à la prise de pouvoir du calife néo-obscurantiste Al-Mutawakkil .

Il est vrai que les savants « arabes » des empires islamiques collectionnèrent beaucoup, firent traduire énormément, assimilèrent et commentèrent, mais n’inventèrent et ne créèrent quasiment rien d’assez fondamental qui pût entraîner une révolution comme par exemple le passage du Moyen-âge à la Modernité. Dans son ouvrage The Arabs in History , l’islamologue Bernard Lewis confirme que « cette civilisation, habituellement qualifiée d’“arabe”, ne fut ni introduite ni créée par les envahisseurs venus du désert mais créée par les Égyptiens, les Syriens, les Juifs, les Grecs, et avant tout les Perses… Elle n’était pas non plus exclusivement musulmane dans la mesure où parmi ses promoteurs on rencontre beaucoup de Chrétiens, de Juifs et de Zoroastriens. Elle revêtait l’étiquette d’islamique parce que son moyen principal d’expression était l’arabe. La vraie contribution des Arabes à la civilisation originale qui s’est développée au sein de son Empire résidait en sa langue  »14 . Lewis est catégorique sur le fait que « les fondateurs de l’Empire arabe n’étaient porteurs d’aucune civilisation (…), les sciences, les arts et autres éléments civilisateurs leur étaient étrangers. La grande majorité ne savait ni lire ni écrire, au point que, selon le chroniqueur Al-Waqidi, le nombre de personnes qui savaient lire dans la tribu de Quraich « la plus grande tribu arabe à laquelle appartenait le Prophète, se limitait à 17  »15 , à l’époque où Mahomet proclama son message ».

Rappelons que parmi les « philosophes arabes », un seul seulement, était vraiment un arabe, Al-Kindi , né à Koufa, en Irak, et issu de la tribu arabe de Kindah. Beaucoup ignorent que les plus grands « scientifiques et philosophes « arabes » d’Al Andalous, Khawarismi (qui développa la mathématique indoue) et Avicenne , étaient des Persans. Al Samaw’al Magribi était quant à lui Juif et Al-Battânî16 un harranite syriaque pagano-sabéen, donc ni Arabe ni musulman17 . Ce constat est admis non seulement par la plupart des islamologues et historiens autorisés, de Raymond Charles, Reinhart Dozy , Henri Lammens , Maxe Rodinson , Alfred-Louis de Prémare, Bernard Lewis , mais également par des islamologues espagnols spécialistes de l’Andalousie comme Juan Aristidi , Serafin Fanjul ou l’universitaire iranien spécialiste de l’Espagne musulmane, Shojaeddin Shafa . Ce dernier remarque que « ce furent d’autres civilisations, d’autres patrimoines culturels, d’autres hommes de science, d’autres artistes et d’autres penseurs qui les élevèrent à ce stade. La civilisation “arabe” se nourrit des apports grecs, latins, syriaques, sabéens, hindous, chinois et avant tout de la Perse et des Perses  »18 . Le grand historien arabe Ibn Khaldoun (XIV e  siècle), raconte lui-même, dans son ouvrage, L’Histoire Universelle , connue sous le nom d’Al Muqaddima (Les Prolégomènes ) : « à l’époque de la conquête de la Perse et de Byzance par les Arabes, et lorsqu’ils réduisirent les fils et filles de leurs ennemis en esclavage, les Arabes n’avaient aucune sorte de culture sédentaire (…) ils réduisirent en esclavage des gens appartenant aux dynasties précédentes et ils les utilisèrent comme employés de maison. Ce furent les artisans habiles perses qui leur apprirent à développer et donner leurs techniques. Ce fut la culture sédentaire des Perses qui passa aux mains des Arabes ommeyades et abbassides  »19 .

Certes, on ne peut pas nier l’apport à la science et à l’Humanité de la civilisation arabo-islamique qui a su créer en plusieurs endroits (Bagdad, Tolède, Cordoue, Samarkand, etc.) un climat de recherches scientifiques et utiliser au profit des pouvoirs califaux en place les énergies des peuples conquis. Il convient toutefois de rendre à César ce qui est à Césa,. sachant que la religion a toujours été un frein à la science, comme le montrent les persécutions et ostracismes dont furent victimes Averroès ou Maïmonide , par exemple. La meilleure formule pour évoquer les origines ethno-nationales et géographiques de la science dite « arabe » ou « islamique » des Califat de Bagdad et Cordoue serait plutôt celle de « sciences gréco-persanes » ou « gréco-judéo-orientales ». De ce point de vue, l’intellectuel franco-algérien Ghaleb Bencheikh a également raison de qualifier les Lumières arabes d’« humanisme d’expression arabe » et non de « science islamique », l’arabe étant en effet l’outil linguistique utilisé par des ethnies et populations de toutes origines qui ont édifié une sorte d’humanisme qui ne devaitt rien à l’islam puisqu’il s’est construit contre ou malgré celui-ci.

Les centres intellectuels, les écoles et académies de cet « humanisme d’expression arabe » ne furent jamais situées en Arabie. En définitive, parler de « science arabe » équivaudrait à parler de « science juive » pour toutes les sciences occidentales sous prétexte que Jésus était Juif et que le christianisme devenu la religion de l’Europe, en est issu. L’effervescence intellectuelle n’eut lieu qu’aux époques où la religion pour des raisons diverses, s’assouplissait, où le législateur et le pouvoir étaient plus tolérants, (ou plus laxistes). Dès que l’orthodoxie se renforçait, l’espace laissé à la pensée, c’est-à-dire la possibilité pour un penseur de dévoiler une vérité qui soit en opposition avec le dogme, se contractait et l’activité intellectuelle régressait. Cela fut le cas notamment lorsque le mouvement orthodoxe sunnite l’emporta avec Ibn Hanbal, sous le califat de Al-Mutawakkil , puis peu après, au XI e  siècle, avec Abou Mohammed Al-Ghazali (1058-1111) qui condamna solennellement la philosophie grecque comme « anti-islamique ».

Par ailleurs, les auteurs ouvertement musulmans les plus connus d’Andalousie s’intéressaient surtout aux questions religieuses et culturelles propres à l’islam (commentaires du Coran ; ahadith  ; Fiqh [droit islamique]). Ils considéraient ces questions comme ce qui leur est propre, par opposition à ce qu’ils appelaient « les sciences des anciens », dont ils se méfièrent toujours car en grande partie grecques et donc « païennes ». En témoigne un texte d’ibn Saïd el Magribi (1286) : « Toutes les sciences sont bien considérées et elles sont étudiées en Andalous, à l’exception de la philosophie et de l’astrologie. Puisque, quand les gens diront d’une personne “untel lit la philosophie” ou “il travaille sur l’astrologie”, le peuple le considère comme un hérétique, son esprit sera enchaîné et, s’il commet une erreur, on le lapidera ou on le brûlera avant que la nouvelle arrive au sultan ou, peut-être même, le sultan lui-même ordonnera sa mort, dans le but de s’attirer la sympathie du peuple. Les monarques ordonnent souvent de brûler les livres de ces disciplines quand ils les trouvent ». Il ne faut pas oublier qu’en Andalousie, l’école juridico-religieuse malikite, célèbre par son retour à l’orthodoxie, fut imposée par les Omeyyades qui cherchaient à consolider leur indépendance contre les abbassides et les fatimides du nord de l’Afrique. Le calife arabo-andalous Al-Mansour (937-1002) favorisa la frange la plus conservatrice de l’islam malikite, opposé aux écoles rationalistes, contre « la science des anciens » (grecques, juives, syriaques, perses), en menant à bien le pillage de la célèbre bibliothèque d’el Hakam II.

Après Al-Ghazali, le pourfendeur de la philosophie grecque qui fixa l’islam sunnite orthodoxe au XI e  siècle et condamna toute « innovation-blâmable » (bidaà ) », véritable précurseur du salafisme, la philosophie ne donna plus signe de vie dans l’Est arabe. Ce qui survécut de la tradition philosophique « arabe » capable d’assumer la contemporanéité est l’averroïsme, précisément pour sa doctrine de la séparation de la religion et de la science, et par sa rupture avec l’esprit illuminé, gnostique et obscurantiste. Celui dont se réclament les partisans de la « supériorité » de la science arabe et de l’islam, Averroès, fut en fait lui-même la cible de l’intolérance de l’orthodoxie sunnite et de l’impérialisme arabe qui ne supportaient pas son « hérésie » moderniste et rationnelle et ses origines non-arabes.

Des commentateurs qui soumirent leurs traductions à la théocratie coranique

Que les savants « arabo-musulmans » aient traduit, commenté, calculé, développé ou transféré constitue déjà en soi un grand mérite. Ce travail fut fertile et utile pour la suite, mais il ne fut en rien comparable à de réelles inventions, aboutissement de tous les efforts de recherche qui les précèdent et dont l’Europe a eu le génie. Loin d’avoir « sauvé de l’oubli » le patrimoine scientifique et philosophique antique gréco-perse et indien présent au Proche-Orient, les conquérants arabo-musulmans firent au contraire saisir maints livres et traités encore disponibles, le plus souvent sous la menace (il y eut en fait peu d’achats ou d’échanges). Les philosophes les plus marquants de la « culture arabo islamique » furent essentiellement des commentateurs de la philosophie grecque. Comme transmetteur, le monde arabo-musulman soumis à la fixation du dogme islamique constitua même souvent un frein. Ce furent en fait des Occidentaux, chrétiens majoritairement, mais aussi juifs ou païens (harranites sabéens), qui surent compléter une science grecque dont ils savaient qu’elle était précieuse. L’Humanisme et la Renaissance des XV e et XVI e  siècles plongent leurs racines dans le Moyen Age chrétien comme l’a bien démontré l’historien médiéviste Sylvain Gouguenheim dans son Aristote au mont Saint-Michel 20 . Nous reviendrons sur ce point en détail plus loin. Un monde où régnait l’arabesque et les motifs géométriques et où l’image d’êtres vivants a toujours été « interdite21  » pourrait-il avoir influencé le foisonnement pictural et sculptural du Quattrocento Italien ?22 . Les arts figuratifs, si prégnants en chrétienté et en Occident, ne peuvent être redevables à l’islam. Il n’y a pas non plus de lien entre la littérature humaniste, qui place l’homme au centre du monde et se nourrit des Anciens, et celle de l’adab , qui modèle le bon musulman dont la vision du monde doit se soumettre à la loi théocratique de la charià, à l’opposé de l’humanisme chrétien23 qui doit bien plus à Byzance et aux chrétiens-syriaques de Mésopotamie qu’aux « philosophes arabes ».

Ibn Khaldoun , connu pour avoir théorisé une première philosophie de l’Histoire fondée sur l’opposition sédentaires / citadins nomades et pour avoir comparé les invasions arabes aux essaims de sauterelles détruisant toute civilisation sur leur passage, est l’auteur du jeu de mot célèbre : « Les Arabes c’est la destruction » (en arabe « ’Ouribet khouribet  »), faisant ainsi allusion aux conquêtes qui dévastèrent maintes œuvres « mécréantes » des pays soumis : « Lorsque la Perse fut conquise par les Arabes, Saàd Ibn Abi Waqqas (chef des armées arabes), envoya une lettre au Calife Omar Ibn al-Khattab pour lui demander ce qu’il fallait faire avec les innombrables manuscrits qui étaient tombés entre les mains de l’armée arabe et s’il était permis de les traduire pour que les Musulmans en tirent profit. Omar, ordonna la destruction de ces livres, estimant que « si le contenu était dans le bon chemin, ils n’en auraient pas besoin vu qu’ils possèdent déjà le Coran, et si le contenu va dans le mauvais sens, Dieu nous préserve de cela en nous envoyant son Livre. C’est ainsi que les Arabes jetèrent les livres à l’eau et au feu. Toute la science des Perses fut détruite de cette façon et ne nous est pas parvenue  »24 . Vrais ou faux, peu importe, les propos d’Ibn Khaldoun illustrent une réalité souvent occultée : les conquérants arabes, incultes et réfractaires aux idées non-islamiques, détruisirent maintes œuvres antiques jugées dangereuses pour la foi islamique. L’historien et linguiste arabe syrien Jurji Zaydan explique dans sa thèse, Histoire de la civilisation musulmane  : « certains auteurs insistent pour ne pas admettre que les Arabes détruisirent ces ouvrages. Je confesse que moi-même j’ai fait partie de ceux qui ont affirmé cela dans mon livre, Histoire de l’Égypte. Pourtant, depuis, six raisons solides m’ont convaincu que la destruction eut réellement lieu et que les historiens qui l’ont décrite avaient raison : Ibn Khaldoun, Abu l’Faray Maleti, Abdullatif Bagdadi, Maqrisi, Hayi Jalifa, etc. Ils détruisirent effectivement les livres qu’ils trouvèrent en Égypte à Alexandrie, à Gondi-Sarpur en Perse et dans d’autres lieux de Perse, bien que plus tard, au temps de la grande civilisation islamique, ils eurent honte du vandalisme de leurs prédécesseurs et tentèrent de le nier ou au moins de l’ignorer (…). Il est étrange que, à de très rares exceptions, les musulmans qui ont excellé dans les sciences religieuses ou intellectuelles ne sont pas des Arabes, et que même les savants qui revendiquaient une origine arabe soit parlaient une langue autre que l’arabe, soit avaient été formés par des maitres étrangers  »25 , poursuit Zaydan. Outre Alexandrie ou d’autres centres philosophiques helléniques de Perse ou d’Afrique du Nord, les tenants de la thèse de l’Age d’Or islamique occultent le sac du grand centre de culture hellénique qu’était Syracuse, ville de Platon et d’Archimède. Ses bibliothèques furent entièrement saccagées et détruites.

En réalité, les conquérants arabes et musulmans empruntèrent tout aux peuples conquis ou en contact avec eux, notamment en leur imposant la langue et le Coran. Aristote et ses commentateurs, Themistios, Simplicius, Platon et les néoplatoniciens tels que Proclus, Porphyre, les post-socratiques Galien, Hippocrate, Archimède, Euclide et Ptolémée furent traduits par ces minoritaires chrétiens, juifs ou perses, parfois même païens (comme le harranite Thabit Qura ). L’un des meilleurs spécialistes de l’histoire de la médecine dite « islamique », Martin Plessner, affirme lui-même que « la contribution des chrétiens et des juifs était si active que le Fons vitae d’Ibn Gabriol (Avicebron) passait pour le travail d’un musulman, jusqu’au XIX e  siècle quand S. Munk découvrit que son auteur était un juif. Les traités de médecine d’Isaac Israeli et de Maimonide ne sont en aucune façon différents des œuvres d’auteurs musulmans. La même chose est valable pour les écrits scientifiques de l’évêque Barhebraeus  »26 . Martin Plessner est catégorique : « le fait même que les livres d’auteurs musulmans puissent être traduits en hébreu ou en latin sans nécessiter de modifications notables démontre l’inter-religiosité tout autant que l’internationalité des sciences islamiques. La science était peut-être le seul domaine qui n’était pas accessible à l’islamisation  »27 . Ceci jusqu’à ce que Abou Mohammed Al-Ghazali (voir infra ) mette à l’index la pensée philosophique grecque non conforme au rigoureux monothéisme islamique.

Le mythe de la coupure entre Rome et Byzance avant les conquêtes arabes

En réalité, l’Occident n’a jamais été coupé des sources grecques qu’ils auraient retrouvées grâce aux « Arabes ». Les monastères, les écoles de traducteurs, ont assuré la permanence et ont fait passer presque tout le patrimoine du grec au latin, plusieurs décennies avant les traductions « musulmanes ». En dépit des différences entre Latins et Grecs, le christianisme, jusqu’au schisme entre l’Église d’Orient et d’Occident, en 1054, demeura indivis et les textes antiques transitaient par les routes reliant Byzance à l’Occident. Avant l’apparition de l’islam, tous les peuples installés autour de la Méditerranée, fédérés par Rome, formaient une civilisation judéo-chrétienne et méditerranéenne relativement cohérente, en dépit des disputes théologiques et des querelles de succession sur le trône impérial byzantin. Les deux mondes chrétiens, d’Occident et d’Orient, étaient en relation constante. La navigation y était encore aisée, et sans risques. La flotte byzantine assurait la sécurité sur l’ensemble de cette mer intérieure. Certes, avec la conquête arabo-musulmane, la terreur des razzias puis des pirateries barbaresques s’installa sur les mers et sur l’ensemble du pourtour méditerranéen. Mais si coupure il y eut, elle fut provoquée par les envahisseurs arabes dès le VII e  siècle et Turc-ottomane dès la prise de Constantinople en 145328 .

L’arrivée des Arabes eut pour première conséquence notable, avant la venue de l’Age d’or un siècle et demi plus tard, le gel du bouillonnement intellectuel du Proche et du Moyen Orient. Les écoles qu’abritaient ces pays avaient déjà une vraie tradition scientifique. On y étudiait la médecine, les sciences physiques, l’astronomie, la philosophie, les mathématiques grecques et indiennes. Le système décimal positionnel ou les méthodes de calcul algébrique entre autres étaient connus, de même que les hôpitaux. Rappelons seulement que lorsque les Perses s’initièrent aux chiffres et méthodes mathématiques indiennes, cette mathématique était déjà entrée en Babylonie (voir ci-après le document de l’évêque syrien Sebokt 662 après J.C). En ce qui concerne les traductions, celles-ci furent effectuées à partir du grec originel vers le syriaque et le persan (pahlavi) tout d’abord, puis seulement ensuite vers l’arabe, langue rapidement dominée par les autochtones proches-orientaux et mésopotamiens de langue araméenne, voisine de l’arabe. Les traducteurs du pahlavi étaient persans ou chrétiens nestoriens vivant dans l’ancien empire sassanide, comme les familles de médecins de Gondisapur. Les traducteurs de textes grecs et syriaques étaient des mésopotamiens et proches-orientaux chrétiens ou sabéens de langue araméenne (ou syriaque). En général, ils appartenaient aux églises chrétiennes dominantes dans le Croissant fertile : melchites ou orthodoxes comme Qusta Ibn Luqa ; les jacobites comme Add el Masih Ibn N’ima el Hima et Yahya Ibn Add, ou nestoriens comme Matta ibn Yunus . Toute cette tâche de traduction, effectuée dans sa totalité par des sages non-musulmans, mit à la portée des Arabes les textes classiques de l’Antiquité. Ceci rendit possible l’essor d’une bonne partie des figures les plus représentatives de la culture islamique des IX e  et X e  siècles.

Les villes de Syrie et d’Égypte, profondément hellénisées (Edesse, Antioche, Apamée, Laodicée), perpétuaient la culture antique grecque. C’est d’ailleurs en Syrie, au sud d’Edesse, à Harran, qu’une autre grande école de traduction avait été établie par des autochtones Sabéens, proches du christianisme hétérodoxe. « Les Sabéens avaient inondé le monde musulman de multitudes d’ouvrages dits « pseudépigraphes », des Pseudo-Platon, Pseudo-Plutarque, Pseudo-Ptolémée, Pseudo-Pythagore, etc., qui furent source d’une vaste littérature néo-platonicienne en Asie  »29 . C’est ainsi que, parmi les traductions transmises à l’Occident par les « Arabes », on retrouve aussi un certain nombre de faux ou d’œuvres mal traduites, comme par exemple une théologie dite « d’Aristote » traduite en arabe à partir d’une version syriaque du VI e  siècle30 . Cette conception sera à la base du néo-platonisme en islam, lequel puisera une partie de ses sources de l’école hellénique d’Alexandrie. De là vient la croyance erronée du Moyen-Âge chrétien occidental qu’Aristote était platonicien et moniste.

Prenons le cas d’Averroès, dont on prétend que, sans la traduction arabe de son œuvre, incluant les traductions d’Aristote , le Moyen Age européen n’aurait pas pu accéder à une œuvre majeure ouvrant la pensée philosophique européenne au rationalisme et à la logique grecques, vecteurs de Modernité. On sait que Saint Thomas d’Aquin refusera d’utiliser la traduction arabe d’Aristote d’Averroès, jugée peu fidèle à l’original et imprégnée d’hétérodoxie gnostique. Ainsi, Saint Thomas, qui ne connaissait pas le grec mais seulement le latin et l’arabe, fera retraduire en latin l’œuvre d’Aristote à partir de sources helléniques directes, en l’occurrence à travers la traduction de Guillaume de Mœrbeke. Aristote et ses commentateurs, Themistios, Simplicius, Platon (en particulier Timée, La République et Les Lois ) et les néoplatoniciens tels que Proclus, Porphyre, les présocratiques Galien, Hippocrate, Archimède, Euclide et Ptolémée, sont quelques-uns des grands philosophes de l’Antiquité grecque qui furent traduits par ces minoritaires chrétiens, juifs, zoroastriens perses, ou même sabéens-païens (Thabit Qurra).

Dire que la « civilisation arabe » a constitué un pont entre l’Antiquité et la Modernité donne une vision trop simpliste des phénomènes de transmission culturelle : les musulmans n’ont pas frappé à la porte des chrétiens en leur disant qu’ils venaient leur apporter les œuvres d’Aristote , qu’ils avaient pris soin au préalable de traduire du grec en arabe, afin qu’ils n’aient plus qu’à les traduire de l’arabe en grec pour retrouver la pensée du Stagirite31 . Ils n’avaient pas l’intention de faire redécouvrir au monde occidental chrétien ses propres racines culturelles. N’ayant pas eux-mêmes cherché à traduire les textes grecs mais ayant en l’occasion bénéficié du travail colossal des chrétiens syriaques, ils n’eurent pas non plus l’intention de « civiliser » les Européens, leurs ennemis, contre lesquels, avant même les Croisades, ils étaient en conflit permanent, entrecoupé de quelques trêves. Par ailleurs, la transmission de la culture hellénique à l’Occident par les arabophones n’était pas déterminante. Les historiens Hérodote, Thucydide et Polybe n’ont pas été traduits, mais aussi Épicure, Plotin, les stoïciens, Homère, Hésiode, le théâtre, les arts plastiques, etc., les œuvres de Platon, d’Aristote n’ont pas été toutes traduites.

Le mythe de la supériorité de la science islamique n’est pas seulement dévalorisant pour la civilisation chrétienne-byzantine et pour l’Europe en général, rabaissée au rang de civilisation redevable. Il est également très mal perçu par les chrétiens d’Orient, la Grèce, l’Iran Perse, et, bien sûr, l’Inde à qui l’on doit le zéro et tant de traités de mathématiques. En fait, ce furent les Européens qui, de leur propre chef, pour des raisons diverses, et en des lieux différents, entreprirent de rechercher l’héritage grec. Ce phénomène est dû à une dynamique propre du monde latin, faite de la curiosité pour la grandeur passée de la Grèce et du développement de la réflexion théologique qui éprouva de plus en plus le besoin de se nourrir de philosophie. S’y ajouta l’importance réelle des contacts avec un monde byzantin où l’on se tournait aussi depuis la fin du X e  siècle vers les racines antiques32 . Le processus fut enfin alimenté par l’arrivée en Italie ou en Espagne d’élites intellectuelles juives ou chrétiennes, chassées par les soubresauts internes du monde musulman.

Rôle central des chrétiens d’Orient : nestoriens, assyriens, syriaques araméophones, etc.

Au début du VIII e  siècle, alors que les Arabes commençaient à peine à s’intéresser à la pensée non religieuse puis exigeaient à cet effet de leurs nouveaux sujets des traductions et des ouvrages – grecs en particulier, c’est le célèbre calife abbasside (Bagdad, Irak actuel), Al-Maàmoun, de mère esclave perse (813-833), despote « éclairé » appelé « prince des Mécréants » en raison de son soutien à l’école rationaliste des mutazilites, qui encouragea le mouvement des traductions du patrimoine intellectuel grec33 . Les traducteurs étaient essentiellement des Chaldéens, des Juifs, des Syriaques araméophones. Rappelons que le syriaque-araméen est une langue sémitique assez proche de l’arabe et de l’hébreu, et que les alphabets araméens et arabes sont très voisins. Ce furent justement les Syriens mésopotamiens qui inventèrent l’alphabet et l’introduisirent en Arabie vers le V e  siècle, sachant que l’alphabet proto-arabe n’eut d’évolution qu’en Éthiopie. De plus, ces Syriens ou Syriaques araméophones étaient familiarisés avec le mode de pensée, les disciplines et la langue gréco-byzantine, de même les Juifs qui y ajoutaient l’Hébreu. Byzantins, Persans, Indiens connaissent mal ou pas du tout l’arabe. Les traducteurs arabes n’intervinrent que bien plus tard34 . Les premières traductions ne furent donc pas dues aux Arabes ni, au début, aux musulmans, mais aux araméophones syriaques, majoritairement chrétiens, sabéens et juifs35 , qui apprirent très vite et facilement la langue arabe cousine de la leur. Hunayn ibn Ishaq (808-873), par exemple, le célèbre traducteur chrétien nestorien de langue syriaque (variante de l’araméen), surnommé le « maitre des traducteurs », traduisit à lui seul (du grec vers l’arabe) plusieurs œuvres de Platon, d’Aristote , de Galien, etc., des livres de mathématiques (Euclide), de médecine, sachant que tant d’autres furent traduites sous sa direction. Ibn-Ishaq est l’exemple même du savant autochtone assyrien non arabe et non musulman mais dont le nom a été arabisé et que les apologistes occidentaux rangent parmi les « perles » de la science d’islam »36 .

On oublie trop souvent que lorsque les Arabes et les musulmans conquirent le Moyen-Orient en 630, ils rencontrèrent plus de 600 ans de civilisation assyrienne-chrétienne-syriaque, avec un riche héritage, une culture très évoluée, et des institutions d’enseignement avancées. C’est cette civilisation qui devint la fondation de la soi-disant civilisation arabe. Beaucoup de sages provenant de centres de culture préislamiques assyriennes et mésopotamiennes apporteront ainsi leur savoir aux nouveaux dirigeants, comme Sévère de Nisibe (666), Jacob d’Edesse (708), Théophile d’Edesse (785), Estienne le Philosophe (800), le juif de Bassora Mâshâ’allâh, ou le persan Nawbakht. D’autres autochtones hellénisés – ni arabes ni musulmans – se virent confier de très hautes charges dans l’administration omeyyade, tel Serjûn Ibn Mansur Al-Rumi (byzantin Melchite), ou encore le plus célèbre d’entre eux : Juan-Youhanna Damascène (de son nom arabisé Yahia ibn Sargun ibn Mansur), né au milieu du VII e  siècle d’une famille arabe chrétienne et mort en 749. Si les califes arabes omeyyades (qui régnèrent de 675 à 750 à Damas) eurent recours aux précieux services des autochtones byzantins et chrétiens levantins araméophones pour organiser leur administration, leurs successeurs de Bagdad, les califes Abbassides, en firent autant avec des locaux persans, les Syriaques araméophones de Mésopotamie et même des Arméniens ou les Sabéens de Harran37 .

Au début de l’époque abbasside, les communautés chrétiennes araméophones hellénisées de la région, adeptes d’hérésies monophysites ou nestoriennes, présentes au sein des deux empires, devinrent le centre de conservation et de diffusion de la quasi-totalité du savoir de l’ancienne Grèce. Deux centres majeurs de savoir araméophone-syriaque jouèrent un rôle fondamental dans la sauvegarde du legs grec : Harran (Carrhae), dans le nord de la Mésopotamie, et Mari (Syrie actuelle, cité assyrienne). Harran mérite une attention toute particulière : après la clôture des écoles de philosophie grecque décrétée par Justinien durant l’année 529, l’Académie Platonique, avec des figures aussi prestigieuses que Damascius ou Simplicius, se réfugia en Perse, sous la protection de l’empereur Krosrœs, qui dominait alors l’Est de la Turquie actuelle et donc Harran. Le courant néoplatonicien s’y perpétua. Quand la ville fut conquise par les Arabes, les savants harranites recrutés par Bagdad contribuèrent à l’élan de la connaissance des philosophes et des scientifiques grecs dans le cadre de la Maison de la Sagesse (Dar al Hikhma), fondée par le califat d’Al-Maàmoun (813-833, voir infra )38 . On peut citer aussi le rôle exemplaire des savants et traducteurs du monastère nestorien de Dayr Qunnâ, au sud de Bagdad, où l’on étudiait et enseignait Abû Mattâ Ibn Yûnus, fondateur de l’école aristotélicienne de Bagdad durant les premières années du X e  siècle.

Les Chrétiens des actuels pays arabes et musulmans (Syrie, Liban, Irak, Égypte, Iran, Turquie, principalement) sont les derniers descendants et héritiers des anciennes civilisations préislamiques du Proche et Moyen-Orient citées plus haut et à qui l’on doit l’essentiel des traductions dites « arabes » du savoir grec antique. Ces chrétiens d’Orient ont été contraints, au fil des siècles, d’abandonner leurs langues au profit de celle des envahisseurs arabo-musulmans. Le sémitologue Ernest Renan déclare à ce sujet que les Syriaques (maronites, nestoriens et jacobites) « … ont initié les Arabes à la culture de la science et de la philosophie grecque… Quand on réfléchit à l’immense influence que la culture arabe a exercée sur les destins de l’esprit humain, le point de départ de ce grand mouvement doit être cherché dans les écoles et les monastères de Syrie  »39 . Notons également que ces traductions commencèrent avant même l’invasion arabe. Par exemple, vers l’an 600, l’empereur perse sassanide Krosrœs fit traduire par des chrétiens araméophones nestoriens les manuscrits indiens, dont les mathématiques, que le savant « arabe » Khawarizmi (en réalité persan) ne connut que deux siècles plus tard. Précisons que ni Avicenne , ni Averroès ou Alpharabius ne lisaient un mot de grec donc n’ont jamais accédé aux textes originaux, mais seulement aux traductions effectuées par les chrétiens d’Orient du syriaque vers l’arabe, parfois directement du grec.

Depuis le IV e  siècle avant Jésus Christ, les villes d’Antioche, d’Apamée, de Laodicée 40 ou de Harran41 étaient les plus hellénisées du Proche Orient, et c’est dans cette région que naquirent les écoles philosophiques et théologiques d’Antioche et d’Alexandrie, principaux foyers de civilisation hellénistique en Orient42 . Avec Edesse, deux grands centres chrétiens perpétuaient la culture antique grecque : Alexandrie, où Marc avait fondé l’école philosophique de la « didascalée », puis l’École d’Antioche, qui se développa au III e  siècle43 . Plusieurs siècles avant les traducteurs « arabes » donc, Clément d’Alexandrie (150-216), Origine (183-254), Athanase le Grand (296-273) et Saint-Denys d’Alexandrie (+ 265), enseignèrent à l’école d’Alexandrie les plus grands philosophes grecs. L’École d’Antioche fut quant à elle, dès le III e  siècle, un des plus puissants vecteurs de la pensée hellénistique chrétienne44 . Évêque de Constantinople et écouté par tous pour son érudition extrême et son éloquence, Diodore instruisit dans la pensée de l’école – après avoir étudié la philosophie à Athènes – Saint Jean Chrysostome lui-même (344-407), qui compte parmi les grands exégètes de l’Église ; Nestorius, fondateur de l’hérésie chrétienne « nestorienne45  ; ou encore Probus, qui traduisit le De Interpretatione et les premiers Analytiques  ; sans oublier Sergius, qui traduisit l’Organon. Des Averroès et des Avicenne chrétiens dépositaires des œuvres de Plotin, de Platon et d’Aristote existaient donc déjà en Chrétienté byzantine, bien avant l’arrivée des premiers conquérants arabo-musulmans. Dès le VI e  siècle, les Assyriens-araméens avaient commencé à exporter de nouveau à Byzance leurs propres travaux sur la science, la philosophie et la médecine. Dans le domaine de la médecine, la famille assyrienne de Bakhteesho produisit neuf générations de médecins et fonda la grande école médicale de Gondeshapur en Perse (voir infra ). Ce sont ces traductions que les Maures apporteront avec eux en Espagne et que les Espagnols chrétiens et juifs arabophones d’Al-Andalus traduisirent après la Reconquista (bien plus massivement que les Arabes) vers le latin puis diffusèrent largement en Europe. Pour ce qui est de la médecine, le manuel de l’Assyrien Hunayn Ibn-Ishaq sur l’ophtalmologie, écrit en 950, demeura le manuel de référence sur le sujet jusqu’en 1800. En philosophie, les travaux du philosophe assyrien Edessa développèrent une théorie de physique qui rivalisa avec celle d’Aristote lui-même et qui visait à remplacer la matière par des forces (mécanique quantique avant l’heure). Une autre grande découverte syriaque fut déterminante pour l’histoire de la science : la première université au monde, l’école de Nisibis, dotée de trois départements : théologie, philosophie et médecine, fut fondée au IV e  siècle par des savants d’Assyrie. L’école devint l’épicentre du développement intellectuel Moyen-Oriental.

Une des plus grandes réalisations assyriennes du IV e  siècle fut la création de la première université du monde, l’École de Nisibis, qui avait trois départements, théologie, philosophie et médecine, et qui devint un centre de développement pour tout le Moyen-Orient. Les statuts de l’École de Nisibis devinrent plus tard le modèle sur lequel la première université italienne fut créée (voir The Statutes of the School of Nisibis , Arthur Voobus). Au VI e  siècle, les Assyriens avaient en fait déjà commencé à exporter à Byzance leurs propres travaux sur les sciences, la philosophie et la médecine. « Le syriaque, parler araméen de la ville d’Edesse, ne fut abandonné par les lettrés qu’au cours du XIII e  siècle. Pendant plusieurs centaines d’années, les grands centres intellectuels de l’Orient, Ninive, Damas et Edesse, sont restés ceux d’avant la conquête musulmane. La transmission du savoir y était assurée de génération en génération et les nouveaux maîtres n’y pouvaient apporter quoi que ce soit du leur propre. Dans les années 800, l’un des célèbres savants de Bagdad, Hunan Ibn Ishak, helléniste distingué qui entreprit de longs voyages à travers l’Asie mineure pour recueillir quantité de manuscrits grecs, traduits ensuite dans son atelier d’écriture, était un chrétien »46 , confirme l’historien Jacques Heers .

Mentionnons ici quelques araméophones et syriaques célèbres : l’évêque Jacques (633-708) de la brillante école d’Edesse ; Isho’Bokht, évêque de Rev-Ardashir ; Isho’Dnah, évêque de Basra, tous deux ayant vécu au VIII e  siècle ; Georges (†724), évêque du diocèse d’Akoula (aujourd’hui situé près de Koufa, en Irak), qui fut surnommé « l’évêque des Arabes », alors qu’il n’était pas arabe. Ce théologien syriaque de renom qui parlait couramment le grec transmit la pensée d’Aristote à ses ouailles, composées de tribus nomades. Il composa une version de l’Organon et réalisa de nombreux commentaires. On peut mentionner également Thimotée Ier (727-820), « l’ami des Califes », qui étudia à l’école de Bachosh, où il apprit la liturgie, les préceptes des Pères de l’Église, l’arabe, le grec et la philosophie d’Aristote47 . Ou encore, dans le domaine de la philosophie, l’Assyrien Jod d’Édesse qui développa une théorie de physique de l’Univers, en langue assyrienne, qui rivalisa avec celle d’Aristote.

A cet époque, le Calife s’entourait de médecins chrétiens, à l’instar du Syriaque Abu Quraysh’ Isa et du nestorien Gabriel Bokhticho. Ce dernier rédigea un abrégé arabe des œuvres de Discoride, Galien, Paul d’Égine. Après un règne éphémère (785-786), le nouveau calife (fils du précédent) Al-Hadi laissa la place à son frère, le célèbre Harun al-Rashid (786-809) qui édifia une grande bibliothèque appelée Khizanat al-Hikma laquelle était dédiée à récolter puis traduire les savoirs hellénistiques antiques. Le traducteur en chef, Masawayh (786-857), grand professeur de médecine, chrétien, dirigea une imposante équipe de traducteurs et il composa plus de quarante textes en syriaque et en arabe sur la médecine. Médecin de renom, il soigna quatre califes. Ibn Abi Usaybi’ décrivit ainsi le médecin préféré du Calife al-Mutawakkil (847-861) : « Yuhanna Ibn Masawayh était un syriaque, de confession chrétienne. Al-Rashid lui confia le soin de traduire les livres anciens saisis par les musulmans à Ankara et à Amorium et dans la plupart des pays des rum. Il le nomma chef des traducteurs. Yuhanna servit Harun, Amin et Ma’mun et il resta au service (des califes) jusqu’au règne d’Al Mutawakkil. Les rois Banu Hashim ( les Abbassides) ne prenaient point de nourriture hors de sa présence  »48 .

L’Apport juif : de Maïmonide aux marranes de Tolède

La contribution des juifs à la science dite arabe a été tout aussi occultée que celle des chrétiens, tous assimilés à des savants « arabes » parce que la langue des empires islamiques omeyyade ou abbasside était l’arabe ou parce que leurs noms étaient arabisés. On a par exemple longtemps cru que le Fons vitae d’Ibn Gabirol (Avicebron) était le fait d’un musulman, jusqu’à ce que, au XIX e  siècle, S. Munk sut et écrivit que son auteur était en fait un juif. Parmi les grands savants juifs dits à torts « arabes » ou « musulmans », citons notamment Abou Ier Barakat, dont le principal disciple, coreligionnaire et ami, fut Itskhak ben Abraham Ben Ezra – qui l’encensa dans un poème écrit en Hébreu. Abou I Barakat, Juif de naissance, se convertit plus tard à l’islam par peur du Calife qui le fit venir à la cour de Bagdad pour sa renommée en médecine. Sa pensée personnelle établit l’infinitude de l’espace par l’impossibilité pour l’homme de concevoir un espace limité et il associa la notion de temps à celle de l’être, non à celle du mouvement, conception qui rejoint la Mathématique Transinfinie du Aleph de Georg Cantor qui en perdit, semble-t-il, la raison. Il faut se souvenir également que l’école de Kairouan (Tunisie, Ifrikiyya), qui rayonnait sur tout le Sud méditerranéen, et qui fut fondée au X e  siècle par un Juif venant de l’aire byzantine pour le compte des souverains arabo-musulmans qui voulaient y répliquer la « maison de la sagesse » de Bagdad » (dar al-Hikma). Les premiers écrits scientifiques de la Maison de la Sagesse kairouanaise furent le fait de deux savants Juifs de premier plan : Isaac ben Shlomo Israeli (850 après J.-C.) et Dunash ben Tamim (vers 890). Le premier, médecin, composa un Livre des Drogues , un Livre de la Fièvre , un Livre de l’Urine , et un Guide des Médecins . Il exerça à la cour des Fatimides et dut sa réputation à son œuvre philosophique : Kitab el Hudud (Livre des Définitions ) ; Séfer ha Ruah ve ha Néfesh (Livre du Soufle et de l’Âme ) ; le Shaar ha yéssodot lé Aristo (Portique des Eléments d’Aristote ) ; et Kitab el Ustuqussat (Livre des Eléments ). Le second, Dunash ben Tamim, disciple du Séfer ha Yétsira, (Livre de la Création ), englobe une bonne partie du savoir de son temps : astronomie, médecine, sciences naturelles, mathématiques, théologie. On lui attribue entre autres, bien que le livre n’ait pas été retrouvé, une comparaison des langues hébraïque et arabe, un traité d’astronomie écrit à la demande de Hasdaï ibn Saprout, donc de Kairouan vers l’Espagne.

Le plus illustre des savants juifs d’Al-Andalus fut bien sûr Maïmonide 49 , juif espagnol de Cordoue, de son nom en hébreux Moshe ben Maïmon (Abou Imrân Moussa Ibn Maymoun en arabe). Devenu le « Rambam » des juifs ou « second Moïse », Maïmonide fut considéré comme l’une des plus hautes autorités rabbiniques du Moyen-Âge. Commentateur du Talmud-Mishna, métaphysicien et théologien, il réalisa, comme Averroès, une vaste synthèse entre révélation et vérité scientifique. Également Médecin de cour et astronome, on lui doit de nombreux traités dans ces domaines. Persécuté par les autorités islamiques d’Al-Andalus qui l’obligèrent à se convertir à l’islam, ce sur quoi il revint, il dût fuir l’Espagne arabo-musulmane pour le Maroc, puis ensuite pour l’Égypte, où il dirigea la communauté juive. Jusqu’à aujourd’hui, son rationalisme est sujet à controverse, devenant pour les uns un « second Moïse » et pour les autres un « hérétique excommunié ». Il tenta de réconcilier la foi et la raison et s’éleva contre l’obscurantisme islamique qui sévissait dans « l’âge d’or des lumières » d’Al-andalous. Il connaîtra une postérité universelle et il est quasiment le seul savant juif qui ait réussi à influencer à la fois des penseurs musulmans et des théologiens chrétiens, notamment Saint Thomas d’Aquin , qui le baptisa « Aigle de la Synagogue »50 .

La « dette » d’Al-Andalus envers « La « maison de la Sagesse » des savants chrétiens à Bagdad

Contrairement à une idée reçue, ce n’est pas en Andalousie qu’émergea l’une des rares écoles juridiques rationalistes de l’islam, mais à Bagdad, sous l’empire abbasside, lorsque l’école mutazilite fut mise à l’honneur sous les grands despotes éclairés fascinés par les sciences, que furent Al-Maàmoun ou Haroun al-Rachid (VIII e -IX e  siècles). Le premier grand élan de traduction du grec à l’arabe est à mettre au crédit de la politique des premiers califes abbasides Al-Mansour (754-775) et son fils Al-Mahd (775-785). Dès le IX e  siècle, Bagdad, capitale du Califat islamique, devint un grand centre de savoir médical et scientifique où furent rassemblés et traduits les ouvrages de l’antiquité grecque, de l’Inde mais aussi de la Perse et du monde juif. La première grande traduction connue de la « Maison de la Sagesse », qui y fut créée dans ce contexte de recherche da savoirs, fut un ouvrage d’astronomie indienne offert au Calife Al-Mansour second Calife abbasside (754-775) et apporté par des savants perses. Al-Mansour envoya ensuite une délégation à Constantinople pour demander à l’empereur chrétien des livres grecs anciens. Le fameux historien et philosophe Ibn Khaldoûn (1332-1406) raconte dans ses Prolégomènes (Muqaddima ) : « Dès que les Arabes adoptèrent une culture sédentaire, ils voulurent étudier les sciences philosophiques dont ils avaient entendu parlé par les évêques et les prêtres de leurs sujets chrétiens. C’est pourquoi Al-Mansour fit demander à l’empereur de Byzance de lui envoyer des versions de livres de mathématiques. L’empereur lui fit porter le traité d’Euclide et quelques ouvrages de physique. Les musulmans lurent et étudièrent tout cela, ce qui leur donna le goût d’en savoir davantage.  »51 Les Califes éclairés envoyèrent ainsi des missions de savants à Byzance pour y rapporter une masse de manuscrits que les Chrétiens de l’empire gréco-byzantin n’avaient en fait jamais perdus de vue et d’usage. Ils les feront traduire en masse, suivis en cela par les travaux des savants d’Andalousie et de Sicile, lesquels devront tout à Bagdad et aux travaux effectuées sous les Califes éclairés par les savants juifs, persans et chrétiens araméens-syriaques de Mésopotamie. La plus importante de ces missions de traducteurs fut conduite par le grand savant chrétien nestorien Hunayn Ibn Ishak, précité. Ce dernier partit pour Byzance et revint avec toute une série de « livres intéressants et rares sur la philosophie, la géométrie, la musique, l’arithmétique et la médecine  »52 .

Les Abbassides recrutèrent ainsi les meilleurs traducteurs autochtones de Mésopotamie et formés des siècles durant par les écoles d’Athènes, d’Antioche, d’Alexandrie, ou de Gondisapur, prestigieuse école située en Perse tombée en quasi déshérence. Ils reçurent à la Cour des savants venus de Harran, d’Antioche, de Bactriane, mais aussi d’Inde. Ces savants rejoignirent la « Maison de la Sagesse » où les Califes éclairés Haroun al Rachid, puis Al Maàmoun ambitionnaient de faire de Bagdad un haut lieu non pas de culture arabe mais de la science perse, byzantine, indienne et syriaque, le plus grand centre intellectuel et scientifique du monde. C’est dans ce contexte que les Abbassides de Bagdad, un temps adeptes d’une secte musulmane rationaliste et condamnée par l’orthodoxie islamique jusqu’à aujourd’hui (le mutazilisme, voir infra ), allèrent ensuite influencer grandement l’Andalousie. Et c’est également dans cette atmosphère de relative libre pensée que les « disputeurs » – moutakalimoun  – organisaient des discussions libres.

Un siècle et demi plus tôt, le grand « roi des rois » sassanide Khosro Ier  avait fait traduire vers l’an 600, des ouvrages scientifiques de l’Inde et d’ailleurs. Aboul Abbas, Al-Mansour ou Al-Màamoun étaient d’ailleurs toujours entourés de Persans, zoroastriens, chrétiens nestoriens ou convertis. La récemment créée Bagdad devint la capitale califale de cette Perse renaissante, certes d’expression arabe, mais pas seulement, et de l’islam. Les califes Mansour, Haroun el Rachid, Mamoun, contemporains des carolingiens avaient l’esprit curieux et s’informaient plus de l’Inde, de la Perse de Zoroastre, ou de la Grèce, que de l’islam ou de l’arabité des premiers prosélytes bédouins. Bien qu’ennemis de l’empire byzantin et vainqueurs de l’empire perse, ces « Califes éclairés » de Bagdad qui étaient à peine musulmans et fortement influencés par la culture perse et mésopotamienne, étaient adeptes de l’hérésie des Mutazilites, qui sera définitivement condamnée un siècle plus tard par les tenants de l’orthodoxie sunnite et les héritiers d’Abou Mohammed Al-Ghazali , ennemi des « philosophes » païens et infidèles.

La Dette des Arabes et des Califes abbassides envers l’académie perse de Gondisapur

Une grande partie des apports civilisationnels des califats arabes, notamment de Bagdad, est due à l’Iran pré-islamique, notamment sous le règne de Khosro Ier , où tant de savants persophones zoroastriens parfois superficiellement convertis à l’islam, ou de chrétiens nestoriens araméophones et hellénisants vivant en Perse, ont mis à disposition leurs savoirs multiculturels et scientifiques. Fait presque systématiquement passé sous silence, la-dite « science arabe », qui caractérisa l’Age d’Or de l’empire abbasside à Bagdad, doit beaucoup à la prestigieuse Université de Gondisapur, dans le sud-Est de l’Iran actuel53 .

Durant le règne du Shah perse sassanide Khosro Ier  Anushirvan (531-579), Gondisapur s’était convertie en un centre universel qui comptait avec des grands érudits grecs, exilés depuis la fermeture de l’école philosophique d’Athènes, par ordre de l’empereur Justinien, dans l’année 529. Un de ces savants, Damasce, avait dirigé l’Académie d’Athènes durant dix-huit ans. Le roi Anushirvan les reçut avec beaucoup d’attention et ils continuèrent à enseigner et réaliser des recherches dans leurs propres langues. Les savants grecs, indiens et syriaques de Gondisapur créèrent, en collaboration avec ses homologues perses et sous le mécénat du roi Anushirvan, un syncrétisme qui influença décisivement le développement de la pensée islamique54 .

En 561, Khosro Ier  Anushirvan envoya en Inde son ministre et médecin particulier pour lui faire parvenir des manuscrits médicaux indiens fameux. Ces livres furent traduits du sanscrit vers le pahlavi, de même que les manuscrits philosophiques grecs amenés dans leur majorité par des érudits émigrés de Byzance. Entre les années 770 et 780, un astronome indien de religion hindouiste, Kanka, fut nommé ambassadeur d’Inde auprès du Calife abbasside Al Mansour, à Bagdad, où il demeura trois années. Il amena à la Cour de Bagdad de très nombreux manuscrits rédigés en sanscrits, dont le Siddhanta (le Sindhind des Arabes), un grand manuel de mathématiques indien. L’ouvrage fut traduit sur demande du Calife de Bagdad par le mathématicien et astronome perse Muhhamad al-Fazari, le premier astronome dit « arabo-musulman ». Il traduisit des œuvres en arabe jusqu’aux alentours de l’an 800 et cet ouvrage constitua le premier livre de mathématiques « arabe » (en réalité plutôt indo-perse traduit dans la langue du pouvoir d’alors). Cette traduction servit de base à Khawarismi pour ses travaux mathématiques relatifs à l’élaboration de son œuvre Al-Yam wa-t-tafriq fi Hisab al-Hind (L’addition et la soustraction selon le calcul indien ), apporté en Espagne musulmane par Abbas Ibn Farnas (m. 887)55 . La grammaire de la langue arabe elle-même ne fut pas rédigée par des auteurs arabes mais par un Perse, Sibayeh (Sibaway en arabe, 753-793), auteur du monumental al-Kitab Sibaway (Le Livre de Sibaway ).

De 945 à 1055, Bagdad fut plus la capitale des rois de la dynastie iranienne des Bayies (Buwayhies des Arabes), originaires de Daylam, province du nord de la Perse, que celle des cultures ou sciences « arabes ». L’érudit iranien Shojaeddin Shafa écrit sans trop forcer le trait, que le Califat arabo-musulman abbasside fut en fin de compte le « vassal »56 civilisationnel du royaume perse des Buyies, ce dernier battant monnaie et recevant du Calife Al-Mustakfi le titre traditionnel des rois sassanides : Sha in Shah (rois des rois) durant une cérémonie grandiose. Le premier calife abbasside, Abou al-Abbas as-Shaffa, élit d’ailleurs comme capitale provisoire la ville sassanide perse de Firuz-Sapur : la « Anbar » des Arabes. Son successeur, Al-Mansour, décida de construire sa capitale à côté du Cstesiphon sassanide. C’est ainsi que fut fondée la cité la plus prestigieuse de l’Empire abbasside sur l’emplacement même du peuple duquel elle prit son nom : Bagdad57 .

Perses zoroastriens, Nestoriens, et Indiens

Nombre de « savants » arabo-musulmans étaient en fait d’ascendance persane. On peut citer par exemple, en médecine, Haly Abbas et Avicenne , en mathématiques Al-Khawarismi, en physique Ibn al Haytham, et en philosophie Al-Farabi et Avicenne. L’empereur perse-sassanide Khosro Ier , qui régna de 531 à 579, également connu sous le nom Anushirvan ou « l’âme immortelle », mérite en fait bien plus d’éloges quant au travail scientifique accompli que les califes arabes de Bagdad qui s’attribuèrent les mérites des érudits et traducteurs iraniens. Rappelons que lorsque l’empereur romain d’Orient fanatique Justinien ferma les écoles néo-platoniciennes à Athènes, en 529 après J.-C., le Perse Khosro Ier accorda l’asile aux savants grecs. Khosro fit ainsi traduire des textes grecs, sanskrits et syriaques en langue persane. Il fut salué comme le « roi philosophe disciple de Platon » par les réfugiés grecs qu’il accueillit dans son empire58 . Certains islamologues estiment que le rôle des intellectuels et savants perses fut tel, que si les dynasties arabes avaient gardé le pouvoir et si les Perses n’avaient pas dominé un temps Bagdad, du moins intellectuellement, il est probable que les Califats arabo-musulmans n’eussent jamais connu « le temps des lumières ». Une synthèse des enseignements grecs, perses, indiens, et arméniens se produisit au sein même de cet empire sassanide-persophone à 70 % zoroastrien (religion antique pré-islamique et pré-chrétienne) et à 30 % chrétien nestorien (syriaques-araméophones).

On sait par exemple que les fameux « chiffres arabes » furent apportés par les Indiens, via les Perses, vaguement islamisés. Les Arabes avaient certes un système de numérotation commode (décimal et propositionnel) qui leur permit de perfectionner les méthodes de Diophante et l’art du calcul. Néanmoins, le traité dit « arabe » qui donna son nom à l’algèbre (al-djabr ) ne marqua aucun progrès sur les Arithmétiques du mathématicien grec et l’on ne constata de progrès ni dans le domaine de la symbolique, ni dans le domaine des méthodes59 . Rappelons que le mot « algorithme » vient du nom du grand mathématicien perse Al-Khawarismi, père de l’algèbre et auteur du Kitab al Jabr . Fondamentalement hindou, le zéro, qui signifie nul ou rien, traduit le concept central de la philosophie hindouiste, sunya , littéralement le « vide », le motif devenant en latin cifra ou cifrum , signifiant aussi nihilum (« rien »), puis en français, chiffre. Pourtant, aucun religieux hindouiste ou partisan de la « dette scientifique du monde envers l’Inde et l’hindouisme » ne songerait à revendiquer une « science indo-hindouïste ». Toujours est-il que les textes indiens sur l’astronomie, l’astrologie, les mathématiques et la médecine passèrent donc à l’arabe par le truchement du persan.

L’Inde ne fit pas qu’inventer le zéro. À l’époque préislamique, elle était renommée pour ses universités : Takshashila, Vikramashila, Nalanda, Ujjain, ainsi que d’autres écoles qui attiraient des étudiants et universitaires venant de très loin. Un des résultats connus de cette synthèse s’intitule « bimaristan », (littéralement : le refuge pour le malade), le premier hôpital qui a introduit le concept d’unités différentes en fonction des pathologies. La pharmacologie grecque fusionna avec le savoir iranien et indien, cela aboutit à des avancées significatives en médecine. Les mathématiques, l’algèbre et les algorithmes, qui allaient un jour permettre la fabrication des ordinateurs et la création du cryptage, ont été établis plusieurs milliers d’années avant l’islam, par les Indiens, les Assyriens et les Babyloniens qui connaissaient déjà le concept de zéro et le théorème de Pythagore. Les mathématiques indiennes brillent dès le V e  siècle avec Aryabhata, premier grand mathématicien et astronome indien indépendant des Grecs. Un autre mathématicien indien, Brahmagupta, fut le premier à utiliser des nombres négatifs dans des calculs commerciaux, avec les chiffres décimaux et le zéro60 .

La « philosophie orientale » fut largement le fait d’Iraniens et non d’arabes (à l’exception notable d’Al-Kindi ). Avicenne , Al-Farabi , Al-Arabi, Sohravardi , grandes figures de la philosophie musulmane dite falsfala, étaient effectivement perses. Citons seulement quelques-uns des grands savants définis à tort comme « arabes » mais en réalité perses :

– Al-Razi , perse, vit le jour à Rayy (Téhéran). A la fois philosophe, musicien, mathématicien et astronome, Al Razi devint médecin en chef de l’hôpital de Rayy, pour s’installer plus tard à Bagdad. Laissant une œuvre de médecine considérable, son encyclopédie témoigne de son étonnant savoir scientifique et de sa préférence obstinée pour la démarche rationnelle. Certains de ses ouvrages, traduits en latin, feront autorité en Europe jusqu’au XVII e  siècle.

– Ali Abbas al-Mâjusi , originaire de Chiraz, (Haly Abbas, début du X e  siècle), prédécesseur d’Avicenne , était lui aussi non seulement perse d’origine, mais zoroastrien de confession, nourri de culture grecque.

– Al-Farabi (Abû Nasr Muhammad ibn Muhammad ibn Tarkhân ibn Uzalagh al-Fârâbî), philosophe médiéval turco-persan né, en 872, à Wasij, près de Fayrab (Kazakhstan actuel, alors sous domination perse sassanide). Alfarabius, de son nom latin, est le deuxième en date des grands philosophes hellénisants musulmans d’expression arabe, juste après al-Kindī et avant Avicenne , qui lui doit beaucoup. Fils d’une famille de notables perses dans laquelle le père aurait été commandant à la cour samanide (vassale du califat abbasside), Al-Farabi fut formé à Bagdad où il étudia la grammaire, la logique, la philosophie, les mathématiques, la musique et les sciences. Il apprit également beaucoup des philosophes chrétiens nestoriens héritiers de la translatio studiorum des Grecs vers le monde arabe. Il influença Avicenne. On lui doit un commentaire de La République et Les Lois de Platon et les interprétations les plus originales d’Aristote , qu’il fut l’un des premiers à étudier puis diffuser. L’un de ses chefs d’œuvre est Ahsa al-Ulum , (Catalogue des sciences ). L’objectif premier de Farabi était de réconcilier les écoles de pensée d’Aristote et Platon, thème sur lequel avaient travaillé avant lui des Savants helléniques d’Alexandrie. Il fut qualifié par Friedric Dietrici de « fondateur de la philosophie islamique et de lien entre les deux philosophies grecque et musulmane  »61 , puis par Maïmonide de « deuxième maître » ou « Second instituteur de l’intelligence », Aristote étant le « premier ».

– Avicenne ou Ibn Sina : Ibn Sina est né en 980, en Perse samanide, Boukhara (aujourd’hui en Ouzbékistan), lui-même fils d’Iraniens. Il naquit, vécut et mourut en milieu persophone et n’a rien d’arabe, ce qui rend ridicule la qualification fréquente en Occident de « grand médecin arabe », d’autant qu’il revendiqua toujours son rôle de représentant de la culture et de la pensée persanes. Médecin, fonctionnaire, tantôt en grâce, tantôt persécuté, il commenta l’œuvre d’Aristote et s’intéressa aux sciences de la nature et aux mathématiques. Poète lorsqu’il mit en vers des abrégés de logique et de médecine revêtit d’images sa doctrine philosophique. Il entreprit de compléter la Logique d’Aristote et les théories grecques en général, la logique étant pour lui la science instrumentale des philosophes. Il croyait en un Dieu créateur, celui de l’islam, mais il tenta de réintégrer le dogme dans sa philosophie. Comme Thomas d’Aquin, il estimait que la métaphysique devait apporter la preuve de l’existence du dieu créateur. On lui doit notamment Le Canon de la Médecine et le Livre de la Guérison des Âmes . Il sera persécuté par les autorités islamiques à la fin de sa vie.

– Abu Hamid Muhammad al-Ghazali naquit près de Tus, cité natale de Ferdowsi, dans la région perse du Khorasan et fit des études brillantes au sein de l’école persane de Neysapur (la Nisapur arabe). Ce fut à l’invitation du grand vizir seldjoukide Nizam ul-Molk, fondateur de la célèbre université de Nazimiyya, qu’il se rendit à Bagdad et enseigna entre 1091 et 1092. Ex-grand philosophe qui tenta de résumer la pensée d’Al-Kindi , Avicenne et d’autres, Abou Mohammed Al-Ghazali fut déçu dans sa recherche d’une vérité définitive et dans sa quête de certitude, ce qui le conduisit vers un mysticisme dogmatique et un orthodoxisme qui le conduisit en fin de compte à refuser toute vérité aux philosophes qu’il accusa d’infidélité. Dans son ouvrage Tahâfut al-Falâsifa (L’incohérence des philosophes ), 1095, il voulut démontrer par la méthode même des philosophes que ces derniers n’aboutissaient qu’à des « erreurs condamnables » (bidàà ) puisque contredisant la Révélation. Il visa en particulier l’aristotélisme d’Avicenne. Nous reviendrons plus bas sur Abou Mohammed Al-Ghazali car il joua un rôle central, au XI e  siècle, dans la fixation de l’islam orthodoxe et la condamnation des écoles rationalistes. Ce parcours de radicalisation n’est pas sans rappeler celui d’un autre Persan, Omar Khayyâm, trop souvent présenté lui aussi comme un « arabe », et qui cessa lui aussi d’un coup toute activité scientifique et se consacra à une vie simple dont des quatrains (rubayat ) dénoncent la libre-pensée et les sceptiques.

– Abou Abdallah Muhhammad Ibn Khowarizmi (780-750) est la figure la plus importante des mathématiques dites « arabo-musulmanes ». Mathématicien, astronome et échographe, Khowarizmi, était Perse de naissance zoroastrien (religion nationale de l’empire perse avant l’islam). Il ne se convertit à l’islam que sur le tard par commodité autant que par crainte. Il s’intéressa surtout à la mathématique indienne, passée en Perse deux siècles plus tôt. Il sut synthétiser les connaissances des Grecs, des Indiens et des Perses dans ces trois matières. Aussi est-il clair que lorsque l’on parle de « chiffres arabes », cette appellation n’est due qu’au fait que les nombres indiens furent transmis par des Perses à travers la langue arabe, d’où l’affirmation de Vossius : « la série de chiffres dits arabes, passa en réalité des Hindous et des Perses aux Arabes, puis aux Musulmans d’Espagne et finalement à l’Espagne chrétienne et à l’Europe  »62 .

– Soharwardi  (Shihab od-Din Yahya as-Sohrawardi) : cet autre philosophe perse fondateur de la philosophie « illuminative », né en 1155 à Sohraward (Iran) et mort en 1191 à Alep en Syrie, à trente-six ans, qui pratiquait le soufisme et s’inspirait de Platon et d’Aristote , est l’auteur d’une cinquantaine d’ouvrages dont Le Livre de la sagesse . Il fut suspecté de propager la théosophie ismaélienne en Syrie. Il sera arrêté sur l’ordre de Salah al-Din (Saladin), présenté à tort comme un grand « progressiste » dans la vulgate islamiquement correcte, et sera exécuté en la citadelle d’Alep le 29 juillet.

« Science persane » versus ou « science arabe »

Le Grand Calife arabe omeyyade Soleyman Abd al Malek , (715-717) se plaisait lui-même à remarquer : « ces Perses me surprennent : ils ont régné plus de mille ans sans avoir besoin de nous un seul jour, tandis que nous qui régnons depuis moins de cent ans nous ne pouvons passer un seul jour sans eux  ». Otto Rothfield confirme ce constat ainsi : « mais ceci est naturel, puisque l’épée peut gagner les guerres mais ne peut pas remplacer l’intelligence. Elle peut détruire mais pas construire. C’est pour cela que ce furent en fait les Iraniens conquis qui conquirent les conquérants  »63 … Roger Arnàldez écrit pour sa part : « avec les premiers abbassides, de la même manière que les Ommeyades, les hommes cultivés de la science et de la philosophie ne sont pas Arabes, ni même musulmans dans de nombreux cas. Il s’agit de Chrétiens, de Juifs, et surtout de Perses porteurs d’une culture antique et expérimentée. Que leur apportèrent les Arabes ? On serait poussés à répondre rien, à part la poésie du désert et quelques récits héroïques, mais en réalité ils apportèrent leur langue  »64 .

La liste des œuvres trop souvent dites « arabes » mais en réalité réalisées par des Perses est saisissante. Citons les plus célèbres :

– les quatre « œuvres maîtresses » de la médecine « musulmane » al-Hawi (Continens ) de Abu Bakr Zakariya Razi , « La plus grande encyclopédie médicale de l’histoire de l’islam », selon E.G Browne ; le Kitab al-Maleki (Liber Regius ) de Ali Ibn al-Abbas al-Mayusi (Haly Abbas), al-Qanun fi-t-tibb (Canon de la médecine ) de Ibn Sina (Avicène), Ferdows al Hikma (Paradis de la sagesse ) de Rabban at-Tabari ;

– les trois œuvres majeures des mathématiques du monde islamique : Hisab al-Yabr wa’l-Muqsabalah (Calcul de l’intégration et de l’équation ) et le Al-Yam wa-t tafriq bi-hisab al-Hind de Moussa Jarazmi (Al-Khawarizmi) ;

– le plus important traité d’astronomie musulmane : al-Mudjil ar-Rusul wa’l Muluk (Histoire des prophètes et des rois ) de Muhammad Yarir Tabari, connue sous le titre d’Histoire universelle  ;

– les quatre œuvres les plus prestigieuses de la géographie musulmane : Al-Masalik wa’l Mamalik (Les routes et les pays ) de Ibn Jordadbeh ; Surat al-Ard (Configuration de la terre ), de Moussa Jarazmi, Atar al-Baqiyah’an al Qurun al-Jaliyah (Chronologie des peuples antiques et des vestiges du passé ), de Abou Rayhan al-Biruni ;

– La grammaire maîtresse de la langue arabe : al-Kitab (Le livre ), de Sibayeh ;

– La première et la plus connue des œuvres maîtresses de la poésie arabe en dehors du Coran : Al Kalila wa Dimna de Ibn al-Muqaffa  ;

– L’anthologie de poésie et de musique Al-Agani de Abou L Faray al-Isfahani ;

– Les trois œuvres principales de littératures (adab) : les Maqamat de Badi as-Zaman al-Hamadani ; le Yatimat ad-Dahr , de Taalibi, et le Maqamat de Hariri ;

– Les Alf Laylah wa-Laylah (Mille et Une nuit ), tirée de l’œuvre perse Hezar Afsaneh (Mille contes ) Mille et Une nuit restées inachevées du persan Yahesyari ;

– Les deux œuvres maîtresses de la philosophie du monde musulman : Fuçus al Hikam de Muhhamad Abou Nasr Al-Farabi (Alfarabi) et As-Sifa de Ibn Sina (Avicenne ) ;

– Le grand livre de théologie Ihya ulûm ad-Din (La revivication des sciences de la religion ) ;

– Le commentaire le plus prestigieux du Coran, Yami al-Bayan fi Tafsir al-Quran , de Muhhamad Ibn Yarir at-Tabari  ;

– Les six livres canoniques de la théologie musulmane en matière de hadith, les « six Sihah », constituant la seconde autorité juste après le Coran65 .

Philosophes hispano-berbères et arabisés d’Al-Andalus :

Outre les Syriaques-araméens et les Persans, les « Arabes » d’Espagne – en fait berbéro-arabes ou espagnols arabisés, parfois chrétiens, juifs et souvent mauvais musulmans ou hérétiques – ont en fait très peu à voir avec l’islam au nom duquel ils ont été mis à l’index. En dépit de son emprise, la composante arabo-islamique est peu déterminante dans ce maelstrom intellectuel. Citons les plus importants parmi les savants arabo-espagnols ou arabo-berbères d’Al-Andalus :

– Ibn Gabriol Salomon (en arabe Abou Ayyoub Souleiman ibn Yahya ibn Jabirul , latinisé en Avicebron) : juif espagnol, non arabe et non musulman, né en Andalousie en 1001 et mort vers 1058 à Valence. Ce rabbin et savant, à la fois poète, philosophe, théologien et néoplatonicien, est l’auteur d’une œuvre philosophique qui a plus influencé la scolastique chrétienne que la philosophie juive.

– Ibn Badja : Avempace (Abu Bakr Mohammed ben Yahya ben as-Sayegh ) : philosophe, médecin, astronome, poète, géomètre, et musicien espagnol, considéré comme le premier ayant introduit la philosophie en Andalousie. Né à Saragosse vers l’an 1100, il écrivit des ouvrages de mathématiques, de morale et de métaphysique vantés par Ibn Tufayl , comme la Lettre d’adieu (Risalat al-Wida ), L’Épître de la conjonction de l’Intellect agent avec l’homme et le Régime du solitaire . Il s’intéresse surtout à la logique et à la relation entre l’intellect (Dieu) et l’homme. Sa philosophie mystique le fit accuser d’hérésie par ses coreligionnaires et le pouvoir islamique. Il est en Occident ce qu’est Al-Farabi pour l’Orient. Il meurt empoisonné à Fès vers 1138.

– Ibn Tufayl (Abu Bakr Mohammed ben Abd-el-Malik ben Tufayl el-Qaïci), est un philosophe espagnol-andalou arabisé, astronome, médecin, mathématicien d’orientation mutazilite (hérétique) et soufie. Né en 1110, à Wadi-Asch et mort en 1185 à Marrakech, il exerça la médecine à Grenade (dans le Califat almohade) et agit comme le protecteur d’Averroès, qu’il encouragea à commenter Aristote . Auteur de l’œuvre médicale et philosophique. Son ouvrage le plus connu est Hayy Yaqzan , (Vivant fils du conscient  ), traité philosophique-mystique avicenien et soufi sous forme de roman allégorique. Il l’écrit aussi comme réponse à L’incohérance des philosophes de Abou Mohammed Al-Ghazali . Ibn Tufayl introduisit le premier dans la pensée philosophique les concepts d’auto-information et de tabula rasa.

– Ibn Arabi (Abū ‘Abd Allāh Muhammad ibn ‘Alī ibn Muhammad ibn‘Arabī al-hātimī at-Oā’ī); né en 1165 à Murcia, dans le sud de l’Espagne, également appelé « ach-Cheikh al-Akbar  » (« le plus grand maître », en arabe), ou encore « Ibn Aflatûn » (« le fils de Platon »), est un théologien, juriste, poète, métaphysicien et maître andalou de soufisme (tasawwuf) universellement reconnu. Son père se revendiquait d’une ascendance arabe lointaine et sa mère venait d’une noble tribu berbère. On lui doit environ 846 ouvrages. Il est considéré comme le pivot de la pensée métaphysique et ésotérique islamique (théorie de « Wahdat al-Wujud » ou Unicité de l’Être). Sa vision ésotérique est proche de celle du grand soufi persécuté al-Hallaj et appréciée d’Averroès, il entra très tôt en conflit avec les docteurs de la Loi en Andalousie, ce qui l’obligea à fuir au Proche-Orient en 1202. Au Caire, quelques années plus tard, un juriste coranique réclamera sa tête mais grâce à l’intercession d’un ami auprès du souverain ayyubide al-Malik al-‘Adil, Ibn ‘Arabi fut libéré. Il termina sa vie à Damas, où il mourrut en 1241. Son œuvre mystique est restée marginalisée jusqu’à aujourd’hui par l’orthodoxie islamique.

– Ibn Rushd, l’Averroès des Latins, personnage central des trois cultures, musulmane, juive et chrétienne, fut le plus grand des philosophes dits « arabes-musulmans » de l’Age d’Or Andalous. Espagnol d’origine berbère, né à Cordoue en 112666 , Averroès fut l’une des références philosophiques majeures de cette époque. Successeur d’Ibn Tufayl au poste de Premier médecin du souverain Abou Yaquoub Yousouf, Averroès-Ibn Rushd fut nommé Cadi de Séville en 1169, puis de Cordoue en 1182. Il commenta la quasi-totalité de l’œuvre d’Aristote  : La physique , le De caelo , le De anima et la Métaphysique notamment. Il exposa un système admettant l’éternité de la matière en mouvement67 . A des années lumières de la pensée « musulmane », il ne croyait ni à la création, ni à la résurrection, ni à l’action providentielle. Son Dieu ne connaissait que les lois générales de l’univers. Sa morale pouvait être très résumée ainsi : « … je connais des hommes parfaitement moraux qui rejettent toutes ces fictions et ne le cède point en vertu à ceux qui les admettent…  »68 . Ses doctrines, recueillies par les écoles juives, traduites en hébreu puis en latin, se répandirent dans les universités chrétiennes dès le XIII e  siècle. Rationaliste avant l’heure, Averroès admirait et commenta abondamment Aristote. Il reprit la falsafa , la philosophie musulmane inspirée des Grecs, en établissant ses propres concepts. Il écrivit un grand traité médical intitulé Généralités (al-Kulliyyât ) et des commentaires de Galien. Les théologiens et la masse des croyants méprisaient ces savoirs entachés d’influences étrangères.

Averrœs fut toutefois loin d’être un humaniste. Grand Cadi de Cordoue, donc chargé d’appliquer la charià, qui persécutait les chrétiens et les juifs non soumis, il estimait que la philosophie devait être interdite au commun des mortels afin d’éviter les « erreurs » qu’ils pourraient commettre. Sa philosophie devait s’accorder avec la religion et il appela même à la guerre sainte contre les chrétiens lorsque les Almohades décidèrent de la mener. Il est vrai qu’il parut opposé à l’orthodoxie sunnite lorsqu’il répondit à Abou Mohammed Al-Ghazali (voir infra ), le réactionnaire de Bagdad qui condamna de la philosophie grecque. Il sera alors vivement critiqué en islam, parfois interdit. Il sera davantage reconnu et commenté par les Juifs et les Chrétiens que par ses propres coreligionnaires. L’effort qu’il fit pour réfuter Abou Mohammed Al-Ghazali, qu’il accusa de ne pas être de bonne foi et de vouloir se gagner l’islam orthodoxe – échoua69 . Son œuvre, fut partiellement brûlée par le Sultan de Marrakech à la suite de sa mise à l’index.

La réaction d’Al Ghazali face aux Falsafias et la fin de l’Age d’Or intellectuel de l’islam

Pour illustrer l’a priori islamique contre la philosophie rationnelle, on dispose de la traduction d’un dévot : « Un docteur de Kairouan demande à un théologien espagnol, revenu d’une séance de disputation à Bagdad, comment cela se passait.

– J’y ai assisté deux fois répond l’Espagnol mais je n’y retournerai Plus.

– Pourquoi demande l’autre ?

– Vous allez en juger… A la première séance, se trouvaient des musulmans de toutes sortes, mais aussi des mécréants, des guèbres, des chrétiens, des athées, des juifs, des matérialistes… bref des individus de toutes espèces. Chaque secte avait un chef instruit. Tous se levaient en signe de respect, et personne ne reprenait sa place avant que ce chef se fût assis. Lorsqu’on se vit au complet, un des individus prit la parole.

– Nous sommes ici pour raisonner, dit-il. Vous connaissez tous les conditions. Vous autres, musulmans, vous ne nous alléguerez pas des raisons tirées de votre Livre ou fondées sur l’autorité de votre Prophète, car nous ne croyons ni en l’un ni en l’autre. Chacun doit se borner à des arguments tirés de la raison. Tous applaudirent à ces paroles…  »70 .

De tels propos, ou de telles séances ne sauraient se tenir aujourd’hui en pays musulmans, ce qui montre bien que les pays et la doctrine musulmans ont connu une régression philosophique par rapport aux siècles des lumières de l’islam de Bagdad et Cordoue. En réalité, ce blocage de l’islam sunnite remonte à la fin des mutazilites et à la victoire des « réactionnaires » de l’époque, ancêtres des salafistes, qui, dans un contexte de sentiment d’encerclement et de péril pour l’empire islamique pris en tenailles entre les invasions barbares et mongoles, d’une part, et croisé, de l’autre, décidèrent à la suite de leur leader Abou Mohammed Al-Ghazali , de fixer les écoles juridiques de l’islam et de fermer « les portes de l’Ijtihad » (l’interprétation), afin de revenir à l’islam « purs » des « pieux ancêtres » (AsSalaf ), donc de le délivrer des apports extérieurs « impies » et « infidèles » (philosophie grecque, raison critique, polythéisme, pensée juive et chrétienne, etc.).

Les grands penseurs et « philosophes arabes » étaient désignés du nom de falasifa (pluriel de faylasuf , philosophe, du grec arabisé « philosophia »). Contrairement à l’image véhiculée par le mythe de l’Age d’Or scientifique musulman, ces falasifa n’étaient pas libres de penser librement, notamment en matière de foi et de théologie et dès que la science ou la philosophie contredisait des points essentiels soulevés par le Coran et la charià. Les garants de l’orthodoxie comme les pouvoirs politiques s’acharnèrent par conséquent à délégitimer leurs systèmes de pensée. Ceci atteint un tel degré que le terme même de faylasuf devint une appellation diabolisante capable d’entraîner la mort, comme le Zandik 71 ou le framaçoun 72 plus tard. Le mot sophia , sagesse en grec, devint synonyme d’erreur en islam. De la même manière, la notion de bidaà , innovation, devint synonyme de « blâmable ».

Les plus célèbres parmi les savants et intellectuels ouverts à la Raison grecque à l’interprétation (Ijtihad ) des textes sacrés étaient les mutazilites73 , qui soutenaient que les phénomènes cosmiques étaient indépendants de la puissance divine, que Dieu ne peut faire que ce qu’il peut ; qu’il ne peut faire l’impossible, et que le Coran n’était pas « incréé » mais « créé », donc interprétable. C’est peut-être ce qui explique que la quasi-totalité des œuvres de ces penseurs ait disparu. Pour cette raison, tous les savants du dar al-islam épris de raison et de philosophie grecque, de Maïmonide à Averroès, en passant par Avicenne ou Al-Kindi , subirent des menaces, des pressions morales ou des violences.

Abou Mohammed Al-Ghazali , l’ancien philosophe et grand « savant » musulman devenu théologien censeur et réactionnaire, fut le prédateur des falasifas . Après l’avoir admiré, il dénigra l’enseignement des philosophes (Al-Farabi , Avicenne ou Ibn Sina et d’autres) et de la philosophie grecque, accusée « d’impiété » et de « paganisme ». Référence suprême de l’islam sunnite officiel jusqu’à nos jours, Abou Mohammed Al-Ghazali écrivit l’ouvrage, Tahâfut al-falasifa (La Destruction des philosophes , 1095) qui acheva de tuer la philosophie « arabe »74 et y explique par exemple que : « nous n’avons dans ce livre, d’autre intention que d’énoncer leurs opinions et d’opposer à leurs argumentations [celle des philosophes] des raisonnements qui en montrent la nullité. Après avoir achevé ce livre, nous en composerons un autre pour affermir l’opinion vraie ; nous l’appellerons Bases Des Croyances, et nous le consacrerons à la reconstruction, de même que le présent livre a pour but la démolition  »75 . Malgré une réponse argumentée d’Averroès, avec son Tahâfut al-Tahâfut , Abou Mohammed Al-Ghazali remporta l’adhésion des masses et des juristes islamiques. Mettant un terme à plusieurs siècles d’effervescence intellectuelle, cantonnera les musulmans dans une foi aveugle et à une interprétation littérale du Coran, ramenant par ailleurs le soufisme dans le giron de l’orthodoxie. En vertu de cette censure, avalisée par les autorités religieuses et temporelles jusqu’à aujourd’hui –, seuls le néo-platonisme moniste76 ainsi qu’une partie seulement de l’aristotélisme77 devaient être étudiés par les savants musulmans pour justifier philosophiquement le monisme islamique au détriment des œuvres jugées « impies » et contraires à la foi musulmane. Abou Mohammed Al-Ghazali raya d’un coup de plume les maigres avancées « rationalistes » des mutazilites. Il réclama la peine de mort contre les philosophes et tous ceux qui exprimaient des opinions « rationalistes » (mutazilites) ou « mécréantes ». Il fut le premier et principal responsable de l’abandon de la philosophie rationnelle en Orient musulman. Certes, la tradition se perpétua tant bien que mal jusqu’au XIII e  siècle dans Al-Andalus. Toutefois, c’est surtout grâce aux travaux de Juifs et chrétiens de Tolède que les textes antiques traduits du grec vers l’arabe et le latin puis les œuvres des libre-penseurs de Bagdad excommuniés par Ghazali continuèrent à être traduits, commentées et diffusés, non pas en terre d’islam mais en Europe.

Pendant que l’islam des Lumières déclinait en pays arabes, jusqu’à être totalement banni, l’Occident chrétien, à partir des XII e -XIII e  siècle, prépara sa Renaissance grâce à la disposition inverse. Il enregistra de nombreux progrès en philosophie et en science à partir de l’apport grec-byzantin et de cet engouement qui oscille entre Tolède, le mont Saint-Michel , les réfugiés de Byzance, l’Italie, la Sicile, etc. Alors que les Européens chrétiens parviennent à séparer les domaines de la politique, de la science et de la foi, ce qui permet les progrès, dans le monde arabo-musulman, les falasifa 78 qui voulaient eux aussi séparer la science de la foi en furent incapables depuis la contre-réforme d’Abou Mohammed Al-Ghazali . Comme l’a bien montré Fereydoun Oveyda, dans ses ouvrages L’Islam bloqué et Que veulent les Arabes ? 79 , après un âge d’or de trois cinq siècles qui ne fut pas si long qu’on le dit, la civilisation arabo-musulmane se sclérosa jusqu’à aujourd’hui en raison de la victoire des religieux orthodoxes sur les laïques rationnalistes. La brillante civilisation qui s’élabora entre le IX e et le XII e  siècle dans les cours de Bagdad, Le Caire, Ispahan, ou Cordoue, avec l’encouragement des mécènes (Califes, vizirs, notables), était en fait étrangère à la religion islamique. « De toutes les grandes civilisations de la planète, la communauté islamique est celle qui a fait à la science la part la plus restreinte », confirme le prix Nobel de physique musulman Abdus Salam80 .

Sclérose récurrente et échec des réformes de l’islam

Malheureusement pour le monde arabo-musulman, il fut convenu à partir des IV-V e  siècles de l’Hégire (XI e  siècle ap. J.-C.), dans la suite logique de la Réaction d’Abou Mohammed Al-Ghazali , que les « portes de l’Ijtihad  »81 (possibilité de réviser les textes sacrés) demeureraient à jamais fermées. Depuis lors, toute tentative d’aggiornamento apparut comme une « innovation blâmable » (bidàà ), une atteinte à l’éternité et à la « perfection divine » du Coran, ancrage de la parole de Dieu, révélée à Mahomet, mot par mot par l’ange Gabriel son organe, (II, 91 ; XLII, 50-52). Aussi, le Coran, considéré comme la « copie conforme au prototype de la Révélation divine » – « la Mère du Livre » (Oum el-kitab ) – alors que c’est celui que le Calife Othman choisit – constitue, avec les Hadiths de la Sunna (dits, jugements de Mahomet), le fondement suprême de la charià (loi islamique) et du droit musulman (Fiqh).

Avec le triomphe des conservateurs et l’élimination des réformistes, mutazilites, rationalistes ou mystiques82 , l’islam fondamentaliste devint ainsi l’islam classique tel qu’on le connaît aujourd’hui et tel qu’il n’a jamais été remis en cause, faute de sanctions graves allant jusqu’à la peine de morts. Rappelons que Halladj , principal représentant du soufisme hétérodoxe, qui affirmait que Dieu respecte la liberté humaine, fut crucifié dans cette logique en 922. Peu de temps plus tard, dans l’Andalousie islamique soi-disant « tolérante », Al-Mansour, despote « non-éclairé », qui prit le pouvoir en 979, réprima quant à lui un « complot rationaliste » qualifié de « mutazilite ». Cet exemple montre que ce libéralisme arabo-islamique tant vanté d’Al-Andalus fut combattu tout comme la raison grecque et qu’il se fit contre la religion musulmane plutôt que grâce à elle.

Depuis lors, juristes et fidèles sont réduits au taqlid , la soumission aux décisions d’une des quatre écoles orthodoxes du sunnisme83 , sachant que le chiisme offre plus de marge de manœuvre en termes d’exégèse et n’a jamais déclaré le Coran « incréé » comme les sunnites ni fixé définitivement l’interprétation « ijtihad  ». Les X e et XI e  siècles coïncidèrent avec la compilation des « six Livres » de la Sunna avec la fixation définitive du dogme traditionnel. A partir de cette date, l’islam sunnite n’a connu ni réformes, ni conciles, ni innovations de grande ampleur, à l’inverse du christianisme, du mazdéisme, du bouddhisme, de l’hindouisme et même du judaïsme. L’enseignement des oulémas n’a plus changé. On comprend ainsi pourquoi il est si difficile pour les pôles musulmans du monde entier de désacraliser cette même charià, de réformer un système juridico-théologique se voulant inchangeable, sans apparaître comme des apostats.

Les quatre premiers siècles de l’islam avaient été caractérisés par quelques fastes périodes de créativité intellectuelle, permise momentanément par l’utilisation de la raison humaine de l’Ijtihad . Sous l’Andalou Al-Mansour et son fils Al-Mahdi, ce mouvement de libres penseurs (vers 750) fut appelé Zandaka et fut combattu ; les adeptes étaient appelés Zandiq, terme de droit criminel islamique. Beaucoup de lettrés et intellectuels furent exécutés sous ce grief. De l’autre côté du monde arabe, à Bagdad, l’essor du mutazilisme coïncida avec le summum de l’intérêt porté aux sciences. Mais la masse des croyants restait impénétrable aux subtilités d’école. Quand, en 827, Al-Maàmoun fit proclamer « officielle » la doctrine mutazilite, avec le dogme du Coran créé et la négation de la visibilité de Dieu dans l’autre monde, cela entraîna une levée de boucliers : Ibn Hanbal, ancêtre lointain des Salafistes et des Wahhabites qui se réfèrent à son école (hanbalisme) en fut l’un des leaders. Flagellé par Al-Mutasim, successeur d’Al Maàmoun, il persista dans son opposition et obtint une victoire posthume quand les mutazilites devinrent des hérétiques et que le hanbalisme devint l’une des quatre écoles officielles du sunnisme. Finalement, pour asseoir son autorité, le successeur d’Al-Mutasim, Al-Mutawakkil (847-861), du lâcher du lest aux oulémas, revint au sunnisme, annula le décret d’Al-Maàmoun, encouragea l’enseignement orthodoxe en chaire dans les mosquées, et prit des mesures contre les « hérétiques », les Juifs et les Chrétiens. Pour prévenir l’opposition chiite, il fit même mettre en résidence forcée jusqu’à sa mort, à Samarra, le dixième imam chiite, descendant de Hussein. En 850, il fit démolir à Karbala le mausolée de l’imam Al-Hussein et les maisons voisines84 . C’est à cette époque qu’il faut voir la défaite de la Raison en islam, le début de l’extinction des falasifa qui ne survivront un temps qu’en Al-Andalus au sein du monde musulman.

Tant qu’elle restera figée, affirment les intellectuels arabo-musulmans opposés à l’islamisme radical, la doctrine islamique sunnite traditionnelle demeurera un obstacle à toute évolution du monde musulman. Car « contrairement à Saint Thomas d’Aquin , qui a entrepris de concilier la foi chrétienne avec la philosophie rationnelle d’Aristote , la pensée d’Averroès, qui aurait pu jouer chez les Musulmans le même rôle, a malheureusement été enterrée vivante dans un climat d’orthodoxie et d’intolérance (…). Teilhard de Chardin prouve que cette conciliation entre la religion et la science a réussi dans la civilisation occidentale. Les Musulmans attendront encore longtemps leur prochain Averroès  »85 , déclare l’universitaire égyptien El Shérif Ihab.

« Rendre à César ce qui est à César »

Venons-en maintenant à tout ce que les Européens et les chrétiens du Moyen-Âge ont sur découvrir, conserver, traduire et transmettre, sans avoir besoin des « savants » orientaux ou arabo-musulmans. Ce thème est constamment occulté, mais l’on dispose de moult exemples et contre-exemples qui démentent la théorie de la dette occidentalo-chrétienne envers la « science arabe » et « islamique » En réalité, le legs grec n’a été jamais perdu dans l’empire byzantin, au point que jusqu’à la prise de Constantinople par les Turcs, les enfants de l’empire d’Orient apprenaient le grec dans Homère ! C’est notamment ce qu’écrit la célèbre historienne française Henri-Irénée Marrou, dans son ouvrage sur l’Histoire de l’éducationans l’Antiquité 86 .

Après un court rejet de sa tradition propre, en raison des polémiques chrétiennes à partir du VII e siècle (comme ce fut longuement le cas en islam), Byzance retrouva toute sa splendeur à partir du IX e  siècle. Précisons que la dénomination de « Byzance » au lieu de celle de l’Empire Romain d’Orient est trompeuse puisqu’elle vise à rompre l’unité culturelle de l’empire romain, comme si les Byzantins étaient autre chose que les héritiers d’une même civilisation gréco-romaine-européenne.

En réalité, les échanges entre l’Empire Romain d’Orient (Byzance) et l’Occident furent constants. Le savoir grec arriva vers l’Occident par plusieurs sources, dont la principale, directe, en provenance du monde gréco-byzantin chrétien, via les Balkans et l’Italie87 .

Ancien directeur du Département d’études médiévales de Paris-IV-Sorbonne, l’historien français Jacques Heers (décédé en 2010) rappelle que « Constantinople est demeurée, jusqu’à sa chute et sa mort sous les coups des ottomans de Mehmet II, en 1453, un centre de savoir inégalé partout ailleurs. On n’avait nul besoin d’aller chercher l’héritage grec et latin à Bagdad ou à Cordoue : il survivait, impérieux et impérissable, dans cette ville chrétienne, dans ses écoles, ses académies et ses communautés monastiques. Le patriarche Photius (985) avait lui-même écrit une longue suite d’exégèses des auteurs latins rassemblés pas ses disciples. Les peintures murales et les scrupules des palais impériaux contaient les exploits d’Achille et d’Alexandre et l’empereur Constantin Porphyrogénète (951) accueillait dans sa cour tout un cercle de savants et d’encyclopédistes  »88 . Hommes d’Église, de pouvoir, et marchands venaient s’instruire à Constantinople. L’empire byzantin était tout sauf inconnu de l’Occident ou coupé de lui. Rappelons que Byzance, qui rayonne vers l’Orient, assimila également la science persane syriaque et juive et que ses relations avec les rois normands de Sicile furent fructueuses.

La doxa « historiquement correcte » vise à faire croire que les Occidentaux attendirent l’an 1453 (prise de Constantinople par les Turcs-ottomans) et l’exil des intellectuels et religieux byzantins pour rentrer en contact avec ces derniers et s’instruire auprès des savants et les lettrés grecs, « pour faire d’eux leurs maîtres »89 , « c’est, là encore, pêcher par ignorance ou par volonté de tromper, affirme Jacques Heers . C’est écrire comme si l’on pouvait tout ignorer des innombrables séjours dans l’Orient, mais dans un Orient chrétien de ces latins curieux d’un héritage qu’ils ne pouvaient oublier (…). La ville phare du Levant, objet des rêves et des convoitises, n’était ni Bagdad ni Le Caire, mais bien cette métropole chrétienne et grecque où l’on parlait grec et où tout semblait plus riche, plus merveilleux. En comparaison, les pays d’Islam n’apportaient rien d’équivalent  »90 . Rappelons que trente ans après la première croisade, le savant pisan Burgundio y vécut durant six ans, de 1135 à 1140, proposant à l’empereur germanique Frédéric Barberousse de faire traduire tous les ouvrages grecs disponibles. Burgundio eut d’ailleurs de nombreux disciples, notamment ceux de l’Université de Bologne (le théologien Rolando Bandinelli devint le pape Alexandre III, puis Ugucione, professeur de droit canon et évèque de Ferrare). « Ces gens-là n’avaient que faire des traductions, ou pseudo-traductions, des Arabes  »91 , commente Jacques Heers.

Si nul ne peut nier qu’avec la chute de l’Empire romain d’Occident, le savoir antique tomba en partie dans l’oubli, il est également indéniable que Byzance sut, à partir des VIII e et IX e  siècles, se tourner de nouveau vers ses racines grecques, et que, dès la Renaissance carolingienne, l’Europe occidentale eut le même souci. Cette volonté est attestée par les efforts des savants de la fin du X e  et du début du XI e  siècles (Gerbert d’Aurillac, Abbon de Fleury), dans la quête des manuscrits gréco-arabes découverts lors de la Reconquête espagnole aux XI e  et XII e  siècles, et aussi dans la traduction des textes grecs eux-mêmes, parvenus en Occident depuis Byzance par la voie directe via l’Italie du Sud, les Balkans ou Chypre92 .

Durant huit siècles, ce fut Byzance qui brilla et non Bagdad, Cordoue ou Grenade. Dans, les arts, les sciences et les lettres, ses académies, ses collèges et bibliothèques transmirent le savoir. Il est vrai que ce rayonnement byzantin s’exerça en partie en direction du monde musulman, tellement l’ostracisme occidental à l’égard de Byzance fut grand. Ce fut donc tout logiquement que les Arabes, puis les Turcs firent converger leurs efforts militaires en direction de Constantinople qui les illuminait par sa science et son art de vivre plutôt qu’en direction de Rome. Pourtant, une fois la poule aux œux d’or capturée, les Turcs ne surent pas mettre à profit les immenses bibliothèques patiemment codifiées et répertoriées par les clercs gréco-byzantins, pas plus que la tradition scientifique et humaniste qui s’y était développée, se contentant de recycler à leur profit le personnel administratif grec pour gérer leurs conquêtes. Prêtres et clercs orthodoxes ne parvinrent à sauver le savoir accumulé par leurs prédécesseurs que par la filière des marchands génois et vénitiens et qui est à l’origine du formidable développement du Quatrocento italien. Désireux de « tuer le père gréco-orthodoxe », raison de l’oubli de l’apport grec en Occident, les Latins tentèrent d’en dissimuler l’origine et se contentèrent d’héberger les moines orthodoxes dans des couvents puis de commercialiser leurs productions et manuscrits. Le tabou byzantin, celui des églises d’Orient organisé par la Papauté du Moyen-âge, puis relayé par les églises protestantes, est allé jusqu’à considérer l’empire byzantin comme un « ennemi héréditaire », de même qu’aujourd’hui l’Occident atlantiste continue de voir dans la Russie orthodoxe – héritière de Byzance (« Troisième Rome) – un ennemi majeur. Pillée par les Croisés, harcelée par les Normands et les Angevins, puis par les marchands italiens, Byzance fut une source de matière grise première tant pour les Occidentaux que pour les musulmans. Le crédit intellectuel et scientifique dont nous auréolons aujourd’hui les Arabo-Musulmans n’a d’égal que la dette que les Occidentaux doivent aux Byzantins.

Les « Avicenne  » et les « Averroès » byzantins-chrétiens oubliés

Au XI e  siècle, les contacts permanents entre Byzance et l’Occident contribuèrent à faire diffuser l’aristotélisme. Alors que l’on vante systématiquement les prodiges des « Califes éclairés » amoureux de la sagesse grecque, on omet trop souvent de mentionner ceux des Occidentaux et Latins venus étudier à Byzance dans le même but93 . On sait qu’Eustrate de Nicée et Michel d’Éphèse commentèrent l’Éthique à Nicomaque et qu’Eustrate analysa nombre d’ouvrages d’Aristote (Politique, la Physique, De Caelo et Seconds Analytiques ). « A la fin du XII e  siècle, Nicolas le Mésarite dépeint l’Église des Saints Apôtres à Constantinople comme un véritable bouillon culturel, où l’on débattait de la nature de l’âme, des mécanismes physiques de la sensation ou de la théorie des nombres. C’est au même moment que le grand savant Jean Kamatéros devint Patriarche de Constantinople (1198-1206) », écrit l’historien médiéviste Sylvain Gouguenheim94 .

L’auteur rappelle que Byzance produisit maints savants. Dont Léon le Mathématicien , qui écrit des traités de mécanique, de géométrie ou d’astronomie. Souvent passé sous silence par les « orientalistes », ce scientifique byzantin inventa entre autres un télégraphe optique reliant la frontière du Taurus, alors menacée par les raids arabes, à Constantinople95 . Au IX e  siècle, déjà, Phôtios (820-891)96 Patriarche de Constantinople, avait élaboré une œuvre d’érudition considérable. Considéré comme l’aristotélicien chrétien, il donna raison à Aristote contre Platon et initia le classicisme byzantin. Au X e  siècle, une autre figure, Aréthas de Césarée, transmit la moitié de toute l’œuvre de Platon et toute celle d’Aristote97 . Au XI e , un néoplatonicien qui connaissait aussi les écrits d’Aristote, Michel Psellos (1020-1079), commenta la Physique pour le fils de l’empereur Constantin Doukas, Michel VII.

Les Latins venus chercher la science grecque à Byzance et la diffusion précoce de la médecine grecque en Occident.

Élève de Michel Psellos avant de lui succéder à la charge de « consul des philosophes », sur demande de l’empereur Michel VII, l’érudit aristotélicien Jean l’Italien (1025-1082)98 , installé à Constantinople en 1049, débattit avec ses contemporains de l’éternité du cosmos, des fameux Universaux ou de la matière et de la nature. Son élève, Théodore de Smyrne, écrivit un traité sur Les principes physiques et la physique des Anciens . Promoteur de la médecine grecque, le romain Cassiodore (mort en 562), qui fréquenta la prestigieuse école de Nisibe où enseignaient des savants syriaques, forma dans son école du Vivarium, en Calabre (550), des traducteurs et des copistes. Ce fut grâce à eux et non aux « Arabes » que des manuscrits grecs du VII e au X e  siècle purent alimenter les bibliothèques d’Europe. Grâce à Cassiodore, on connaît le traité de gynécologie de Soranos, six ouvrages d’Hippocrate, des livres de Galien, le traité de médecine de Dioscoride ou encore l’encyclopédie médicale d’Oribase. La diffusion des pratiques médicales des Grecs fut toujours maintenue dans le sud de l’Europe.99 La compilation des textes grecs antiques se poursuivit plus tard à Ravenne, restée byzantine de 568 à 752, pont entre Occident et Orient, avec Rome et la Sicile. Et c’est là que les Carolingiens purent, après l’annexion de l’Italie du Nord, entrer en contact avec la sagesse grecque. Dans la France des IX e -X e  siècles, des manuscrits médicaux en circulation permirent de connaître Galien, Hippocrate, Alexandre de Tralles, Rufus d’Éphèse, Soranos, Oribase, ou Dioscoride100 . A Salerne, près de Naples, une école de médecine réputée dans toute l’Europe du VIII e  au XI e  siècle ne dut jamais rien aux « Arabes ». Elle acquit ainsi la médecine hippocratico-galiénique, notamment grâce à Constantin l’Africain 101 .

Les Occidentaux n’ont jamais perdu de vue la science antique et la philosophie grecque

Dès le VIII e  siècle, lors de la renaissance carolingienne, les écoles épiscopales formaient les élites des royaumes européens. Vers l’an Mil, l’école de Chartres de l’évêque Fulbert, transmit la savoir néoplatonicien et augustinien puis la logique aristotélicienne. Sans avoir jamais besoin des traducteurs « arabes », l’école de Chartre connut ainsi le Timée de Platon. L’immense apport de Boèce, qui introduisit la logique d’Aristote , date de cette époque. L’Europe n’a donc point attendu les commentaires « arabes » d’Averroès et d’Avicenne pour découvrir la philosophie grecque. L’une des preuves évidentes se trouve dans Les Confessions de Saint Augustin, lorsque celui-ci raconte sa rencontre avec Simplicanius, père spirituel de Saint Ambroise, évêque de Milan : « je lui retraçais tout le dédale de mes erreurs. Lorsque je vins à lui dire que j’avais lu certains livres platoniciens traduits par Victorinius, autrefois rhéteur de la ville de Rome […]. Il me raconta comment ce savant vieillard, homme très expert dans toutes les sciences libérales, qui avait lu, étudié, commenté tant d’œuvres philosophiques, et qui avait été le maître de tant de nobles sénateurs, avait obtenu, en témoignage de la distinction de son enseignement, un honneur fort apprécié des citoyens de ce monde, celui de voir ériger sa statue au forum romain  ». Rappelons seulement que Saint Augustin est décédé en 430, c’est-à-dire deux siècles avant la naissance même de Mahomet, cinq siècles avant celle d’Avicenne, et 700 ans avant la naissance d’Averroès. Cela signifie que l’Europe de l’ouest était initiée à la philosophie grecque bien avant que les arabo-musulmans ne connussent les œuvres grecques grâce aux traductions syriaques.

Le grand islamologue Maxime Rodinson est catégorique : les Européens connaissaient les œuvres d’Aristote et d’autres savants grecs « grâce à de nouvelles traductions faites directement sur l’original grec »102 . L’Église chrétienne d’Occident ne perdit jamais la philosophie grecque et l’étude des œuvres helléniques existèrent toujours, tant dans l’empire byzantin, qu’à Rome, en Sicile ou dans le Proche-Orient hellénique et en Perse, sans oublier le mont Saint-Michel ou Tolède. Jacques Heers écrit : « les clercs d’Occident n’ont pas attendu les Musulmans. Aristote était connu et étudié à Ravenne, au temps du roi des Goths Théodoric et du philosophe Boèce, dans les années 510-520, soit plus d’un siècle avant l’Hégire. Cet enseignement, celui de la Logique notamment, n’a jamais cessé dans les écoles cathédrales puis dans les toutes premières universités et l’on se servait alors des traductions latines des textes grecs d’origine que les érudits, les philosophes et, les hommes d’église de Constantinople avaient pieusement gardés et largement diffusés  »103 . Heers rappelle aussi que « les traductions du grec en langue arabe et de l’arabe en latin que l’on attribue à Avicenne , Averroès et Avicebron n’apparurent que vers les années 1200, alors que les œuvres concernées étaient déjà enseignées en Occident et que l’on enseignait même depuis plus d’un siècle la Logique d’Aristote, d’ailleurs reconnue comme l’un des sept “arts libéraux” des cursus universitaires de l’époque. Précisons que les traducteurs musulmans ultérieurs à qui l’Europe n’est aucunement redevable ne présentaient que des traductions épurées des éléments jugés incompatibles avec la foi islamique par les censeurs de l’islam malikite orthodoxe qui régnait sur Al-Andalus  »104 .

Du savant chrétien Constantin l’Africain à la « Première Renaissance » occidentale

Chrétien d’Afrique du Nord (mort vers 1087), Constantin exerça la médecine au Monte Cassino, entre Rome et Naples. Formé à la célèbre école de Kairouan, en Tunisie, où professaient les plus grands érudits berbéro-arabes et surtout juifs, il dut fuir l’hostilité religieuse provoquée alors en Ifrikiyya islamique (Tunisie) par sa science médicinale. Ce fut donc en Italie qu’il vint traduire en latin des traités médicaux rédigés en arabe par le chrétien sabéen Hunayn Ibn Ishaq (809-873), le plus grand savant du Moyen-Orient au IX e  siècle, comme on l’a vu plus haut. Lié à l’Archevêque de Salerne Alfanus, lui-même traducteur d’un traité grec de médecine et du De natura hominis de Némésius évêque d’Émèse (Syrie, fin du IV e  siècle)105 , il traduisit la base du savoir médical d’Italie du sud qui sera diffusée par la suite dans tout l’Occident. Il fut le relais majeur de la science greco-syriaque en Occident106 . Nombre de médecins de Salerne (Barthélémy, Maurus, Ursus) utilisèrent ses travaux, dont l’Isagoge d’Ibn Ishaq, les Aphorismes , les Pronostics , et le Régime des maladies aigues d’Hippocrate ou l’Art médical de Galien. Ces textes parvinrent en France au XI e  siècle, notamment à Chartres. Ainsi, contrairement à ce que l’on dit, la médecine galénique – celle-là même que les chrétiens syriaques nestoriens enseignèrent à leurs conquérants arabes – n’était pas ignorée du monde latin et ce bien avant les Croisades.

Les premiers qui remirent en cause l’emprise et le contrôle de l’Église dans les sciences furent en Europe, Frédéric II Hohenstaufen de Sicile (1194-1250) et Albert le Grand (1200-1280). Le premier, bravant l’interdiction du concile de Latran au XII e  siècle, de faire usage du scalpel, ordonna par décret (1240), que les étudiants en médecine dussent présenter au moins une fois par an une dissection. Le second posa la question des premiers fossiles et la réponse ne put qu’être en opposition avec la création présentée dans la Bible. Au même moment, la « science arabe » subit le processus exactement inverse : après le Tahâfut al-Falâsifa d’Abou Mohammed Al-Ghazali et la réponse d’Averroès Tahâfut al-Tahâfut (voir supra ), l’islam tomba dans l’obscurantisme. Jacques Heers remet les pendules à l’heure : « Les “Arabes” 107 ont certainement moins recherché et étudié les auteurs grecs et romains que les chrétiens. Ceux d’Occident n’avaient nul besoin de leur aide, ayant, bien sûr, à leur disposition, dans leurs pays, des fonds des textes anciens, latins et grecs, recueillis du temps de l’empire romain et laissés sur place. De toute façon, c’est à Byzance, non chez les “Arabes”, que les clercs de l’Europe sont allés parfaire leur connaissance de l’Antiquité. Les pèlerinages en Terre sainte, les conciles œcuméniques, les voyages des prélats à Constantinople maintenaient et renforçaient toutes sortes de liens intellectuels. Dans l’Espagne des Wisigoths, les monastères (Dumio près de Braga, Agaliense près de Tolède, Caulanium près de Mérida), les écoles épiscopales (Séville, Tarragone, Tolède), les rois et les nobles recueillaient les livres anciens pour leurs bibliothèques.  »108 , l’Europe de l’Ouest ne perdit jamais le contact avec le monde byzantin où l’on allait s’abreuver depuis le X e  siècle aux sources antiques grecques109 .

Après 1200, on ne trouva plus un seul philosophe célèbre dans le monde musulman. A partir de 1275 environ, Alors qu’Averroès devint célèbre dans les écoles chrétiennes latines, il est oublié de ses coreligionnaires. A compter de 1200, la philosophie et la science furent abolies en pays musulmans : les manuscrits philosophiques furent détruits. L’astronomie ne fut tolérée que pour déterminer la direction de la prière. A Tolède, sous la protection de l’archevêque Raymond, les traducteurs chrétiens (Jacques de Venise, Burgundio de Pise, Moïse de Pergame, Léon Tuscus à Byzance et en Italie du Nord, Aristippe de Palerme en Sicile, Adélard de Bath, Platon de Tivoli, Hermann le Dalmatte, Robert Ketten, Hugues de Sanlatta, Gondisalvi, ou Gérard de Crémone ), étaient à l’œuvre, souvent assistés par des Juifs caraïtes110 qui maîtrisaient les langues et les sciences. La moisson de manuscrits, grecs byzantins, arabes, juifs, perses, mongols, la modification du rapport de force et l’évolution sociale vont projeter l’Europe dans la renaissance. L’apport des marranes (juifs convertis au christianisme) vers 1500 participera grandement à la formation de la pensée scientifique moderne. En Ile-de-France et en Champagne, affluent111 des grandes universités112 tous les courants de pensée et les connaissances. Alors qu’au XVI e  siècle, les interdits de l’Église sont levés, l’islam est gagné depuis plus deux siècles par les obscurantistes qui ont banni la philosophie et entravent le progrès scientifique113 .

Moyen âge chrétien et ouest-européen

Les érudits européens continuèrent toujours d’étudier, traduire, les manuscrits latins (Virgile, Pline, Tite-Live, Boèce, Vitruve, Caton, Columelle) et le savoir gréco-romain. Certes, ils essayèrent de le comprendre à travers le prisme du christianisme, comme les Arabes avaient tenté de le voir à travers le prisme musulman. Toujours est-il que les surdoués remarqués par les moines ou les abbés avaient leur place dans les centres d’études, tel Gerbert D’Aurillac, qui devint le Pape Sylvestre II. En pleine période de première expansion européenne, Yves de Chartres et les bâtisseurs de Cluny (1050-1100) étaient les héritiers de ceux qui, de l’an 900 à l’an 1000, avaient développé des techniques agricoles, minières et métallurgiques114 .

C’est la mosquée qui s’inspira de l’abbaye ou de la cathédrale et non l’inverse. Rappelons aussi que la peinture et la sculpture sont des arts européens, interdit par l’islam, et qui ont atteint dans les civilisations antiques des sommets qui n’ont d’égal que les arts roman, gothique et ceux de la Renaissance. Dans ces domaines, l’Occident n’eut aucun besoin de l’islam. La Chrétienté européenne s’affirma avec les peintures, les cathédrales, les enluminures, l’art de l’icône ou les sculptures. Tout ceci existait au Moyen Age Chrétien avant même que les Arabes ne devinssent musulmans.

Vers l’an 1000, on vit apparaître en Europe de nombreux progrès techniques que l’islam ne connaîtra que plus tard, entre autres, pour cause d’esclavagisme. A cette époque, les Arabes n’utilisaient que très peu la traction animale. A l’attelage de trait, ils préféraient le bât. C’est d’ailleurs en Europe que l’on inventa le harnais de trait115 . On capta à la même époque l’énergie éolienne et on développa l’énergie hydraulique (connue depuis l’Antiquité). L’Europe satisfaisait à ses besoins en énergie jusqu’à la découverte de la machine à vapeur. Ces développements techniques dans l’Europe de 900 à 1 000 furent déterminants116 . On commença à exploiter les mines de façon plus rationnelle, par exemple, le sel gemme n’était plus extrait en blocs mais en solution. En métallurgie, au IX e  siècle, les épées franques étaient réputées les meilleures (on connaît les légendaires Durandal ou Excalibur). On a pu dater en Tchécoslovaquie les premiers « hauts fourneaux » de l’époque du VIII e et IX e  siècle : le Moyen Age Chrétien n’attendit pas les réflexions de Al-Kindi sur le fer. De même en botanique, on avait depuis longtemps, bien avant les Arabes, répertorié et classifié les plantes, on en connaissait les principes actifs et l’usage qu’on pouvait en faire en peinture, en cosmétique, en médecine ou en teinturerie. Vers l’an 1100, Hildegarde de Bingen117 écrivit même un traité complet sur la médecine homéopathique. Elle classa des centaines de plantes, écorces, graines, avec les maladies à traiter118 . Enfin, entre le IX e et le X e  siècle, un frémissement prépara la « première Renaissance » des XI e et XII e  siècle119 .

La Sicile, terre du savoir grec bien avant et après la conquête arabe de l’île

La Sicile était peuplée de populations grecques depuis l’Antiquité. Dans le Haut Moyen Age, d’importants grands lettrés comme Georges, évêque de Syracuse, tué par les Arabes 669, ou le moine Cosmas, maître du penseur syriaque Jean Damascène, y ont exercé leurs talents. Méthode, le célèbre patriarche de Constantinople lors du triomphe de l’orthodoxie en 843 et qui évangélisa les Slaves, venait de Syracuse. Au VII e  siècle, toute l’Italie du Sud accueillit des Byzantins réfugiés des régions proche-orientale de Byzance conquises par des Arméniens, des Slaves120 . La conquête arabe de l’île en 827 n’apporta point d’œuvres grecques mais en détruisit : anéantissement de monastères, de bibliothèques accompagnées de déportations et de mise en esclavage d’habitants. Pas plus que l’Espagne arabo-musulmane, la Sicile envahie par les Sarrasins ne fut un havre de paix et de tolérance. Les Siciliens qui échappèrent à la servitude ou à la mort durent émigrer dans le Sud de l’Italie ou à Rome ou se réfugièrent dans les montagnes pour échapper aux persécutions islamiques. Ils ne revinrent dans les villes qu’avec la reconquête initiée d’ailleurs par les Byzantins au X e  siècle et achevée par les Normands au XI e  siècle. La culture grecque ne disparut jamais de l’île, non pas grâce mais malgré la domination arabo-musulmane.

La présence de la philosophie et de la science grecques en Sicile et dans le sud de l’Italie, qui inclut moult œuvres religieuses, médicales, mathématiques, philosophiques, est gigantesque : Pythagore, Platon (adjoint du Tyran de Syracuse, Denys l’Ancien), ou encore le fameux Archimède, sont des « Siciliens » (ou des Calabrais)121 . Elle ne fut jamais perdue avant les Arabes. La Sicile conserva aux VI e  et XII e  siècles les manuscrits grecs classiques des IV e  et V e  siècles122 . Aux V e  et VI e  siècles, les grands médecins grecs étaient connus en Sicile et en Italie du sud (traités médicaux de Dioscoride ou Galien)123 . La médecine grecque, soi-disant ignorée par l’Occident jusqu’aux Croisades, y fut mise à l’honneur (principes d’Hippocrate, Galien, livres de Dioscoride, Soranos, Alexandre de Tralles, Aétius d’Amide, Paul d’Égine). Nombre de textes médicaux nous ont été transmis par la Sicile et le Sud de l’Italie, d’ailleurs restés en partie sous domination byzantine124 . C’est sous la Reconquista chrétienne que fut traduit le Canon d’Avicenne , à Tolède, par Gérad de Crémone et non sous les Arabes. C’est aussi sous les Angevins (Charles Ier d’Anjou) – et non sous les Arabes – que fut traduite la plus importante œuvre de médecine « musulmane », al-Hawi , (Continens ) du savant perse Razi (Rhazes), par un juif, Moseh Fatay (Farragius), converti à l’islam sous le nom de Farray Ibn Salim (m. 1285)125 .

Équivalent de l’Andalousie dans la mythologie islamiquement correcte, la Sicile joua un rôle de passeur, non pas grâce aux « Arabes » mais grâce aux rois normands, notamment le roi Roger de Sicile qui recruta le grand géographe de l’Espagne islamique, Al-Idrisi (1100) pour traduire des œuvres puis pour rédiger le Livre de Roger , ouvrage de géographie majeure. Alors que l’on impute souvent les efforts scientifiques de la Sicile aux envahisseurs arabo-berbères qui pillèrent l’île de fond en comble, c’est la Sicile libérée des Arabes après la reconquête normande, comme Tolède en Espagne après la Reconquista , qui devint un centre de traductions et d’effervescence scientifique. En Sicile, la science et la philosophie doivent bien plus à la culture héllénique qu’aux dynasties musulmanes conquérantes aghlabides, fatimides et kalbites (IX e -XI e  siècles). Les rois normands, à l’époque de Roger ou Frédéric II, ont réalisé une synthèse dite gréco-latine et « arabo-normande » extraordinaire qui devait d’ailleurs bien plus à l’hellénisme byzantin et aux Perses lointains qu’aux Arabes.

D’une manière générale, l’Italie entra souvent en contact avec la culture grecque via Ravenne dans le Nord et via la Sicile dans le Sud, d’autant que les autochtones de Sicile furent longtemps d’expression grecque, jusqu’à l’arrivée des libérateurs normands, bien qu’ayant été aussi latinisés. Ce fut aussi en Sicile que le grand traducteur lombard Gérard de Crémone commença son œuvre de traduction des œuvres dites « arabes », en réalité traduites du grec, avant de s’établir à Tolède. Gérard de Crémone jouera un rôle majeur avec d’autres latins dans le vaste mouvement de traductions des œuvres scientifiques grecques et « arabes » (syriaques) qui marqua le XII e  siècle en Espagne et en Italie et qui fut le catalyseur de ladite Renaissance du XII e  siècle.

Comme Tolède libérée des Maures, c’est libérée des Arabes sous les Hœnchtauffen que la Sicile deviendra un transmetteur d’œuvres grecques traduites en arabe et surtout en latin vers l’Occident. L’empereur Fréderic II, trop souvent dépeint en un « islamophile », mais qui soumit en fait les occupants arabes de l’île, utilisa les lettrés à son service et expulsa les autres dans le Sud de l’Italie (Lucera), fit venir à sa cour des savants comme Stefano d’Antioche, Fibonacci, Frédric d’Antioche, le juif espagnol Yahuda Cohen et des savants arabo-musulmans. Manfred, le fils de Fredéric II, fit traduire en latin par Bartolomée de Messine, l’Éthique d’Aristote . Étonnamment, alors que l’on attribue aux conquérants arabes et musulmans des œuvres traduites par des savants non-musulmans sous leur règne, pareil parallélisme n’est jamais de mise à propos d’œuvres grecques et antiques traduites par des Juifs, des chrétiens ou des musulmans sous et à l’initiative des rois chrétiens, en Sicile comme en Espagne.

Pour ce qui concerne le Sud de l’Italie, on peut également citer, dans le domaine de la médecine, au X e  siècle, un savant Juif nommé Donnolo, qui fut prisonnier des Arabes et écrivit un ouvrage de médecine en hébreux, puis au siècle suivant, Constantin l’Africain (voir supra ). Étonnamment, jamais ces savants non-musulmans sont présentés comme tels et l’on continue d’assimiler systématiquement à l’islamité et à l’arabité les travaux et mérites des sujets non-musulmans de l’empire arabo-islamique conquérant. Sur ce point, l’historien J. Irigoin est catégorique : « la place de la Sicile et de l’Italie méridionale dans le développement de la scolastique et le renouveau scientifique de l’Occident, sans être exclusive ni capitale, est fort importante… bien avant l’explosion de la Renaissance, l’hellénisme italiote a joué un rôle modeste mais décisif  »126 . Les traductions directes du grec en latin se poursuivirent ensuite sans interruption durant le Moyen Age, favorisées par une réelle circulation de manuscrits religieux, philosophiques et scientifiques entre Byzance et l’Occident127 .

En vérité, sauf à commettre la faute historique de l’anachronisme, la Sicile et l’Espagne musulmane, pas plus que l’Algérie française, ne peuvent être proposées en modèle contemporain des relations entre monothéistes. Des multiculturalistes, par ignorance ou par souci de consensus, louent l’une et condamnent l’autre et se révèlent à l’unisson des islamistes pour qui l’hégémonie musulmane aurait été l’idéal. Leurs discours nostalgiques aux relents irrédentistes sur l’Andalousie ou la Sicile s’apparentent en fin de compte à des justifications d’islamisation et de néo-impérialisme, qui, s’ils étaient tenus en miroirs par des nostalgiques chrétiens des croisades ou de la colonisation, seraient qualifiés de « racistes ». L’ancien Grand reporter au journal Le Monde et spécialiste du Moyen-Orient Jean Pierre Péroncel-Hugoz raconte ainsi, à propos de cet esprit néo-impérial banalisé dans les consciences arabo-musulmanes confortées par la mauvaise conscience post-coloniale européenne : « des diplomates arabisants du roi Juan Carlos Ier se sont, au reste, inquiétés ces dernières années de mesurer l’influence, parmi les opinions publiques musulmanes de l’idée de Reconquista à rebours. A la suite d’une allusion à ce thème, je vis un jour débouler dans mon bureau, au Caire, l’ambassadeur d’Espagne en Égypte. Il voulait des précisions, voire des dates ! Je lui citai cette réflexion courante aussi bien chez les intégristes que chez les simples traditionalistes : ’l’islam n’est pas pressé, mais il est dans sa nature et dans sa mission de ne jamais reculer définitivement. Là où on a prié face à la Qibla [la direction de La Mecque], on priera tôt ou tard de nouveau dans la même orientation. Telle est la volonté divine  »128 .

La présence grecque au Vatican et auprès des Empereurs carolingiens

Au VII e  siècle, de nombreux Grecs et Levantins fuyant les invasions arabo-musulmanes du proche et Moyen-Orient immigrèrent à Rome et en Italie. On n’y trouvait pas moins de onze monastères grecs au IX e  siècle. Nombre de chrétiens syriaques-araméophones vinrent également, ce qui eut pour conséquence directe que, de 685 à 752, les Papes levantins réfugiés de l’empire byzantin d’Anatolie ou de Syrie s’y succédèrent129 et y fondèrent les monastères grecs de Rome. Nombre d’entre eux venaient d’Antioche130 . Ces Levantins, Grecs et Syriaques-araméens traduisirent des ouvrages du grec en latin, ce qui contribue à diffuser l’hellénisme qui n’a jamais été perdu dans la tradition byzantine. C’est grâce aux Grecs que Rome sortit de son isolement provincial. Rappelons que le grand théologien et patriarche Méthode qui évangélisa les Slaves fut copiste à Rome131 . Entre 758 et 763, le Latran y diffusa les œuvres grecques : le Pape Paul I (757-767) sut satisfaire la demande en livres grecs de Pépin le Bref. Le père de Charlemagne se comporta un peu comme les califes les plus éclairés de Bagdad, mais sans que l’on s’en extasiât jamais. A la fin du IX e  siècle, Anastase, bibliothécaire du Latran sous le pape Nicolas Ier , en charge des relations diplomatiques avec l’empire byzantin, commenta Érigène et instruisit Charles le Chauve Ier (840-877), communiqua également à Pépin des manuels de grammaire, d’orthographe, de géométrie, des œuvres d’Aristote  – dont La Rhétorique . A la cour de Charlemagne le célèbre italien Paul Diacre (720-799) enseigna le grec. La fille de l’Empereur, Rothrude, faillit même se marier au basileus byzantin Constantin VI. Sous Louis le Pieux (814-840), les relations avec Byzance se poursuivirent. Le petit-fils de Charlemagne, Charles le Chauve demanda quant à lui au savant irlandais Jean Scot Érigène (810-877) de traduire l’Aréopagite . Si la thèse de la « dette intellectuelle » envers le monde arabo-musulman était vraie, la Renaissance aurait débuté vers 1100, dans un islam à son zénith en Grèce, en Hongrie, en Bulgarie, dans ces régions proches de l’aire musulmane « civilisatrice », comme l’a bien démontré Sylvain Gouguenheim. Or ces contrées connurent la renaissance bien plus tard, par les Grecs-byzantins réfugiés en Italie et non par les Arabes ou les musulmans d’Espagne132 .

La « Renaissance carolingienne »

Le projet de régénération par la culture grecque et l’alphabétisation puis par le retour à la culture antique porté par Charlemagne (renovatio ) fut nommée par Jean-Jacques Ampère, de « Renaissance carolingienne »133 . Charlemagne permit en fait ce « retour aux sources » en constituant une « académie du palais » à Aix-la-Chapelle avec des lettrés Italiens (Pierre de Pise, Paul Diacre), anglo-saxons (Alcuin), wisigoths (Théodulf), Francs (Éginhard, Angilbert). Les lettrés écrivant dans les monastères des manuels pédagogiques, on doit ainsi aux copistes carolingiens pas moins de 8 000 manuscrits. La Renaissance carolingienne permit ainsi de conserver tout un patrimoine antique qui empêcha la disparition de nombreuses œuvres utilisées par la suite pour préparer d’autres « renaissances »134 avant celle avec un grand R.

Au X e  siècle, Aristote , était donc tantôt connu, tantôt redécouvert en Europe de l’Ouest sans que l’on eût besoin des « traductions arabes ». Les chiffres indo-arabes étaient déjà parvenus en Europe de l’Ouest via la Catalogne dès 976135 . Gerbert avait déjà construit un abaque permettant de multiplier et diviser avec 9 chiffres et connaissait la numération décimale136 . G. Beaujouan a bien démontré que cet instrument de calcul était alors ignoré des Arabes et qu’il s’agit d’une invention de Gerbert consistant à combiner les chiffres indiens (improprement appelés « arabes ») et le boulier romain. La géométrie euclidienne était aussi connue137 , tout comme l’astronomie avec Abbon de Fleury et de Gerbert, qui construisit des sphères de bois pour étudier la révolution des planètes ainsi qu’un tube optique permettant de connaître l’heure grâce aux positions des astres138 . Byrtferth, moine de l’abbaye de Ramsey, détermina même la durée des révolutions de mars et de Saturne139 . En Catalogne, région d’Al-Andalus qui se libéra très tôt des Arabes, l’astronomie et l’arithmétique étaient ensignées au monastère de Ripoll, grâce à des savants chrétiens mozarabes et juifs espagnols140 . A Bobbio, au X e  siècle, on disposait de 600 manuscrits dont 150 ouvrages de l’Antiquité, dont les Catégories d’Aristote, trois livres de l’arithmétique et un ouvrage d’astronomie de Boèce. Sylvain Gouguenheim rappelle que « lorsque l’Occident redécouvre le droit romain que Byzance a toujours conservé et appliqué – et que l’islam n’adopta jamais – il bâtit une société où l’influence de l’Église est limitée, où des éléments laïcs s’affirment  »141 . La Renaissance du XII e  siècle gagna les écoles de Reims, Chartres ou Salerne, qui florissaient depuis le XI e  siècle. Vers 1150, Jacques de Venise traduisit directement du grec vers le latin des traités sur Aristote sans passer par des traductions syriaco-arabes. Hermann de Carinthie fit de même en 1150 avec la Grande syntaxe de Ptolémée142 .

Jacques de Venise et le mont Saint-Michel

L’ouverture d’esprit des moines du Moyen Age fut bien plus importante qu’on ne le croit, notamment en Italie et au mont Saint-Michel . Les riches et nombreuses traductions réalisées par des savants et moines du mont Saint-Michel – trop sont souvent ignorées – ont permis de faire découvrir au monde latin les textes d’Aristote que l’on ne traduira de l’arabe que 40 à 60 ans plus tard. L’Europe de l’Ouest connaissait en fait très bien les textes d’Aristote grâce aux traductions faites du grec en latin au début du XII e  siècle, c’est-à-dire un demi-siècle avant même que les traductions « arabes » de Tolède ne fussent terminées. Cet incroyable travail fut assuré en grande partie par Jacques de Venise (Iacobus Veneticus Grecus), un prètre italien qui se mit au service du mont Saint-Michel au XII e  siècle143 .

Jacques de Venise, qui étudia la philosophie à Constantinople, y traduisit toute l’œuvre physique et métaphysique d’Aristote qui servit ensuite de base au progrès scientifique de l’Europe144 . Saint Thomas d’Aquin utilisa les traductions de Jacques de Venise qui traduisit à la fois la Métaphysique et l’Éthique à Nicomaque d’Aristote. Ses traductions gréco-latines furent recopiées dans toute l’Europe145 . Les traductions gréco-latines d’Aristote conservées au mont Saint-Michel survécurent partiellement aux bombardements de 1945 et elles ne doivent rien aux traducteurs « arabes ». Dans la première moitié du XII e  siècle, « c’est au mont Saint-Michel que, pour la première fois en Occident, furent commentés, à l’aide de textes grecs, les Premiers et les Seconds Analytiques , le De Anima , le De Generatione et corruptione , l’Ethica vetus , le De memoria , la Physica et la Metaphysica vetustissima  », rappelle Sylvain Gouguenheim 146 . Comme le confirment P. Benoit et F. Micheau, « la voie arabe n’est pas la seule à donner accès à la pensée hellénistique. Une partie des écrits d’Aristote, transmise à travers Boèce, est toujours restée connue dans les pays latins, plusieurs œuvres mineures d’Euclide proviennent d’adaptations du grec  »147 .

En Occident, où on avait conservé qu’une partie de la philosophie grecque, les traductions des chrétiens syriaques-araméens permirent de connaître ce qui manquait148 . Le grand savant et traducteur Lombard Gérard de Crémone (1114-1187) traduisit la Physique , les traités Du ciel , Du monde , De la génération et de la corruption ). Aux alentours de 1220-1235, c’est Michel Scot, membre de la cour de Frédéric II de Sicile, qui traduisit d’autres œuvres grecques149 . Ce n’est qu’au XIII e  siècle que l’Europe découvrit les traductions « arabes » (la Rhétorique , le Politique , l’Éthique à Nicomaque ) jugées incompatibles avec le Coran et donc délaissées par les souverains musulmans. On sait aussi que nombre d’œuvres grecques connues en Occident furent traduites directement du grec au latin, notamment par des savants comme Guillaume de Morbeke, célèbre chapelain du Pape (1215-1286). Comme s’en félicitera Saint Thomas d’Aquin lui-même, qui s’en servira, de Morbeke corrigea même de nombreuses erreurs contenues dans les traductions « arabes » venues d’Espagne. Sylvain Gouguenheim remarque à juste titre « qu’en réalité, l’Europe latine n’a jamais perdu de vue l’univers de la Grèce, qu’elle a conservé des liens avec sa culture et que ses liens se sont approfondis au fil du temps. Cela illustre un deuxième phénomène, essentiel : celui de la quête obstinée de savoir qui a caractérisé le Moyen Age et qui s’est nourri d’elle-même, s’enrichissant et s’approfondissant au fil du temps, de « renaissance » en « renaissance ». Les Occidentaux qui cherchèrent des textes scientifiques, philosophiques ou médicaux, ne se contentèrent pas de les reprendre à partir des traductions en arabe faites par les chrétiens syriaques aux VII e -IX e  siècles. Il y eut en effet, à côté des traductions arabo-latines élaborées en Espagne dans les années 1150-1190, au moins deux autres pôles de traduction des livres grecs, effectuées directement du grec en latin, dès la première moitié du XII e  siècle. L’un d’entre eux se situait en Italie du Sud et en Sicile ; l’autre, encore moins connu, mais beaucoup plus important dans le domaine de la philosophie et des « sciences naturelles », était en France, au mont Saint-Michel150 .

L’Espagne chrétienne et l’École de Tolède : apport majeur à la diffusion des œuvres grecques en Occident

L’Espagne elle-même n’est jamais citée lorsque ce sont des chrétiens qui ont contribué au savoir. Pourtant, nombre d’œuvres de savants dits « hispano-arabes » de confession chrétienne (mozarabes) ou juive ont réalisé des traductions latines très importantes en Espagne, notamment lorsque, au X e  siècle, la domination culturelle au sein du monde arabe passa de Bagdad à Cordoue (929-1031) puis à toute l’Espagne et l’Europe après la Reconquista , via à Tolède, notamment. Le spécialiste de l’Espagne médiévale, André Vernet , reconnaît lui-même que cette Espagne occupée par les Arabo-berbéro-musulmans bénéficia « de matériaux hétéroclites plusieurs origines (…, dont) les chiffres d’origine indienne que nous appelons aujourd’hui, à tort, arabes ou, la doctrine des conjonctions planétaires discutée en Perse sassanide ou encore la pharmacologie grecque dans la Matière Médicale de Dioscorides et la diffusion presque exclusivement par le biais de l’Espagne, de quelques textes techniques et géographiques latins  »151 .

La majorité des traducteurs d’œuvres grecques en Espagne vers les manuscrits latins utilisés par les chrétiens wisigoths furent des religieux, comme le célèbre évêque Recemundo. Même en Andalousie arabisée et musulmane, au IX e  siècle, la culture chrétienne et latine domina encore longtemps. Le premier historien « arabo-espagnol » de la médecine d’Al-Andalus, Suleyman Ibn Yulyul , écrivit en 966, dans son livre Catégories de Médecins et des Sages , que la médecine était alors pratiquée par des chrétiens, tout comme l’astronomie, d’ailleurs, qui apparut dans Le Livre des Croix 152 . Rappelons que les premières traductions de l’arabe au latin furent lancées en Espagne au milieu du X e  siècle. Fruit de la fuite des Mozarabes vers le nord, Ripoll et Vic (Catalogne) se transformèrent en centres d’intense activité culturelle. Nombre de traductions furent également faites de l’arabe vers l’hébreu153 , à l’instar d’Ibn Chicatella de Saragosse ou Ishaq ben Reuben de Barcelone, précise Sylvain Gouguenheim154 . C’est ainsi qu’au XII e  siècle, l’archevêque Raimundo (1125-1152), créateur de l’École des Traducteurs de Tolède, accueillit nombre de savants dont le fameux Gérard de Crémone , qui s’établit à Tolède en 1150. Les traducteurs opérèrent aussi à Barcelone et Tarragone (Hugo de Santalla). On peut citer également le juif savant converti au christianisme, Jean de Séville , autre protégé de Raimundo, et Domingo Gonzalez, archidiacre de Ségovie.

Cette Espagne chrétienne du XII e  siècle fit traduire Aristote non seulement via des traductions syriaques-« arabes », mais également par leurs propres canaux, comme le fit notamment Jean de Séville qui le traduisit depuis une version du philosophe juif-espagnol Salomon ibn Gabriol. Comme l’a souvent remarqué Saint Thomas d’Aquin , les nombreuses erreurs contenues dans les versions arabes firent que nombre d’entre elles furent retraduites par des juifs ou des chrétiens d’Espagne, de France ou d’Italie à partir des originaux grecs. On peut citer notamment le travail extraordinaire effectué par le dominicain Guillaume de Mœrbeke. Après avoir étudié à « Nicée », Athènes, et Thèbes en 1260, de Mœrbeke traduisit l’essentiel du patrimoine philosophique grec sans passer par les versions « arabes » (la Politique , l’Économie , les Commentaires de Simplicius , les Catégories ou le de Caelo ). L’activité de traduction en Espagne du fait des non-musulmans, chrétiens latins, et Juifs, avant la fin de la Reconquista , entre les XIII et XV e  siècle, fut gigantesque. Citons aussi l’évêque Miguel de Tarragone, « qui favorise les traductions de Robert Ketton, d’Hugo de Santalla de textes d’astronomie et de mathématiques, et d’Hermann de Carinthie qui traduit Euclide et la Planisphère de Ptolémée  »155 .

A Tolède, entre 1150 et 1167, Jean l’Hispanique traduira des œuvres d’astronomie et d’astrologie. Domingo Gundisalvo traduira d’Avicenne , les Commentaires et les Analytiques Postérieures . Gérard de Crémone traduisit et diffusa l’Almageste de Ptolémée, le Canon d’Avicenne, Euclide ; Hippocrate ou encore De Acutarum Egriludinum , de Galien. Nombre d’ouvrages de Ptolémée, d’Hippocrate, de Galien et celles d’Avicenne en médecine, d’Euclide, d’Aristote (comme l’Éthique) le seront à Tolède. Au XIII e  siècle, après la reconquête de Murcie, l’évêque Pedro Gallego publiera des œuvres d’astronomie et de philosophie aristotélicienne156 .

Contrairement à une idée reçue, et même si les Wisigoths étaient ignorants de la langue grecque, des Espagnols ayant séjourné en Orient et à Byzance la connaissaient bien. La Catalogne abritait des foyers de culture grecque dès les X e -XI e  siècles et donc d’une partie du savoir des Anciens sans avoir besoin des Arabes. Par ailleurs, lors de la Reconquista , dès le XII e  siècle, nombre de chrétiens et juifs anciennement soumis aux Arabes et fuyant vers le nord les persécutions almohades emportèrent avec eux des œuvres en latin, en hébreu, ou en arabe issus de traductions de textes grecs, et offrirent leurs services aux autorités chrétiennes de Tolède. Ils entreprirent ainsi deux siècles durant le travail de traduction de l’arabe au latin et de diffusion vers l’Occident que les Arabes musulmans d’Espagne et d’ailleurs n’avaient pas voulu réaliser. Dès la reprise de la ville en 1085, Pierre le Vénérable (abbé de Cluny) et les archevêques Raymond et Jean avaient favorisé l’activité de traductions et de diffusion du savoir grec ancien157 .

Entre le XI e et le XIII e  siècle, l’Espagne chrétienne assura un immense effort de traductions et de diffusion de la Sagesse grecque en Occident de sorte que s’il y a une « dette », l’Occident la doit bien plus à cette Espagne chrétienne des reconquistadores (et donc aux Rois catholiques) qu’aux Califes arabo-musulmans, Tolède étant dans ce contexte bien plus centrale que Cordoue ou Grenade. Reconquise sur les Arabes par les rois catholiques dès 1085, la ville saura également mettre à profit le savoir des érudits et traducteurs juifs, trop souvent sous-estimés aux aussi, ainsi que des érudits musulmans qui demeurèrent un temps avec leurs nombreux manuscrits arabes et accompagnés de savants juifs venus de Cordoue ou de Séville et qui avaient fui les persécutions des envahisseurs nord-africains musulmans de la dynastie almohade qui persécutèrent des savants que les reconquistadores chrétiens accueillirent en masse. Cette face sombre de l’Espagne islamique est bien entendu systématiquement passée sous silence par les chantres d’Al-Andalus. « Les grandes traductions de Tolède furent initiées par Raymond de Sauvetat, grand chancelier du roi de Castille, entre 1130 et 1152, et archevêque de Tolède, qui eut l’idée de fonder une espèce de Bayt al Hikma (Maison de la Sagesse), comme celle de Bagdad pour traduire les œuvres du pahlavi à l’arabe, véritables répliques de l’École de traduction de Gondisapur à l’époque sassanide  »158 , précise Sylvain Gouguenheim .

L’utilisation idéologique du mythe d’Al Andalous

Dans son ouvrage L’islam expliqué aux enfants , l’écrivain de renom Tahar Ben Jelloun, affirme sans référence sérieuse à l’appui, que lorsque les Arabes conquirent « pour son bien » l’Andalousie : « c’était le néant total. Les immigrants qui arrivaient par fournées entières d’Arabie et de Syrie trouvaient là des populations incapables de leur apporter quoi que ce fût. Rien n’existait qu’on put adopter, assimiler, imiter ou développer.  »159 Plus loin, il développe le lieu commun de la « Grenade musulmane tolérante multiculturelle » avant l’heure. En réalité, ce mythe qui projette des fantasmes propres à l’Occident post-totalitaire moderne, et qui va de pair avec celui la « dette occidentale » vis-à-vis de la science arabo-musulmane, est largement schématique, mythifié, et en grande partie faux.

Commençons par le terme même d’Al-Andalus. Cette expression est en fait improprement employée à propos de la seule actuelle Andalousie, puisqu’Al-Andalus désignait en réalité toute l’Espagne islamisée et occupée par les Arabo-berbères, jusqu’au Nord où seul un petit morceau de la péninsule ne fut pas envahi (Pays basque, Asturies). En Al-Andalus, ceux que l’on nomme les « Arabo-musulmans » étaient par ailleurs plus souvent arabophones qu’Arabes, à part quelques bastions presque totalement « purifiés » de leurs chrétiens autochtones (qui ont massivement fui vers le Nord) comme Valencia, Murcia et l’Andalousie actuelle. L’Espagne resta en réalité en grande partie ibéro-wisigothique et celte. Elle fut très peu « arabisée » puisqu’elle fut envahie et dominée par des Berbères et des Wisigoths islamisés et non par des masses d’Arabo-musulmans.

Concernant « l’arabité » d’Al-Andalus, il convient de rappeler que d’après les chroniques arabes elles-mêmes, les armées ethniquement arabes venues de la Péninsule arabique qui conquirent le Maghreb avant la prise de Gibraltar, en 711, furent au départ alimentées d’environ 10 000 soldats. L’historien français spécialiste de l’Andalousie, André Clot, écrit lui-même que les « envahisseurs allogènes, n’atteignaient pas des chiffres très élevés. L’élément le plus important semble avoir été les Berbères venus du Rif ou du Djebel marocain, renforcés au XI e  siècle par les groupes plus importants qui joueront un rôle de premier plan dans les affrontements et entre les taïfas andalous et les taïfas berbères  »160 . Clot précise, concernant les Arabes, que « bien que l’Espagne fût leur conquête la plus importante en Europe et bien que leur civilisation l’eût profondément marquée, ils étaient assez peu nombreux, certainement moins que les Berbères  »161 . Une thèse confirmée par nombre d’historiens, notamment les Français Pierre Guichard162 et Jacques Heers 163 , Charles-Emmanuel Dufourcq164 , et les espagnols Ignacio Olagüe165 ou Serafin Fanjul 166 . André Clot poursuit : « Dans les premières décennies, leur nombre ne dépassa pas probablement pas quelques dizaines de milliers, auxquels on doit ajouter leurs familles (…). Peu nombreux, ils remplaçaient leur faiblesse numérique par une agitation, un goût de la querelle qui leur donnaient dans la société une place démesurée  »167 . L’historien Pierre Guichard confirme : « Du nombre des Berbères qui s’installèrent en Espagne, on peut seulement dire qu’il était sans doute très supérieur à celui des Arabes. Les chiffres sont plus précis concernant ces derniers, notamment les contingents militaires ( Djund) entrés en Espagne (…) on peut affirmer la présence dans la péninsule de quelques dizaines de milliers d’Arabes  »168 , sur une population celto-ibérique et wisigothique forte de plusieurs millions (entre 6 et 10 millions). Leur nombre parut plus important du fait que les Arabes se mélangèrent avec nombre de femmes chrétiennes, le plus souvent captives, les femmes musulmanes ne pouvant jamais épouser un chrétien, ce qui donna naissance à une caste de plus en plus importante d’Hispano-andalous, de moins en moins « Arabes », mais plutôt arabisés et oubliant jusqu’à leur origine et leur ancienne langue du fait d’appartenir à la classe dirigeante.

Ceux que l’on nomme les « arabo-musulmans » étaient plus arabophones qu’Arabes, l’Espagne étant restée par ailleurs ibéro-wisigothique et celte et ayant été en réalité envahie par des Berbères et des Wisigoths islamisés et non par des masses d’Arabo-musulmans. Lorsque l’on parle d’art « mozarabe », de culture « mozarabe », il s’agit en fait d’art ou de culture wisigothiques. Mais la langue arabe étant devenue une langue de science et de communication entre les peuples conquis et conquérants, on assimila par un jeu de langage les faits et créations de ces peuples soumis : Juifs, proche-orientaux chrétiens, wisigoths, etc., aux Arabes et aux musulmans alors que les Évêques, traducteurs, chercheurs et scientifiques juifs ou chrétiens qui réalisaient une partie de leurs travaux en arabe ou les traduisaient en langue arabe n’étaient le plus souvent ni Arabes ni musulmans. Le plus célèbre d’entre eux étant le grand médecin et commentateur du Talmud juif, Maïmonide .

« Les Mozarabes constituent l’immense majorité, et ils le demeureront pendant encore longtemps  »169 , explique André Clot. « L’hispano musulman est un amalgame d’Arabe, d’Ibère, de Wisigoth et de Berbère de Persan (de Bagdadien) et de Slave, c’est une conjonction heureuse de sémite et d’Aryen » (H. Pérès)170 . Trop souvent assimilés aux arabo-musulmans, les mozarabes, ces chrétiens demeurés tels à la conquête arabe et ayant accepté le statut de dhimmis , firent bénéficier aux conquérants arabes leur richesse culturelle propre. Ils apporteront beaucoup à Al-Andalus, notamment leur art architectural. Ils adopteront la langue des dominateurs arabes, sans jamais devenir ni Arabes ni musulmans. Certains d’entre eux occuperont des postes très élevés, comme l’évèque d’Elvira, Recem, auteur du fameux Calendrier de Cordoue , ouvrage sur l’agriculture et qui deviendra l’ambassadeur d’Abdel Rahman III auprès de l’empereur de Constantinople.

Révoltes permanentes de chrétiens dans l’Al-Andalus « tolérante »

Contrairement aux idées reçues, la culture chrétienne résista longtemps à l’invasion arabo-islamique en Espagne. Le processus d’islamisation des capitales espagnoles et d’arabisation puis de conversion de la population s’effectua en près de trois siècles. Au X e  siècle, l’Andalousie comptait encore moult vestiges d’édifices chrétiens très anciens, à Cordoue comme à Tolède. Sur la période d’Al-Andalus, les historiens ne décomptent pas moins 150 batailles de chrétiens contre les musulmans, ainsi que de nombreuses révoltes matées par les dominateurs musulmans. Celles-ci perturbèrent en effet Al-Andalus tout au long de la présence musulmane, preuve que les envahis juifs et surtout chrétiens, soumis à un statut humiliant de sujétion (dhimma ), n’étaient pas heureux de leur sort, présenté aujourd’hui comme « multiculturel ». Les chrétiens wisigothiques mozarabes « participèrent vraisemblablement aux nombreuses révoltes de cette période et constituèrent l’élément essentiel de la principale dissidence, de 880 à 928, celle du célèbre Ibn Hafsûn », rappelle Pierre Guichard171 . La rébellion du chrétien au nom arabisé Ibn Hafsûn, qui menaça un instant le royaume ommeyade espagnol, fut anéantie en 928 avec la reddition de Bobastro, le centre de la résistance. Cela n’empêcha pas les occupants arabes d’exhumer les cadavres de Ibn Hafsûn et de son fils Djafar pour les crucifier…

La ville de Cordoue elle-même, réputée « havre de paix et d’harmonie entre les trois religions », n’échappa pas à l’intolérance islamique : entre 850 et 859, toute une série de prosélytes et résistants chrétiens furent martyrisés. Le premier martyr fut le célébrissime Perfectus, prètre de Cordoue. En 850, Perfectus fut publiquement décapité pour « blasphème » (déjà) car il avait voulu débattre des « erreurs de l’islam ». La même année, le marchand chrétien Johannes de Cordoue fut torturé puis emprisonné pour avoir prononcé le nom de Mahomet pendant une vente. La série de martyrs chrétiens d’Andalousie culmina avec celui, exemplaire, de saint Euloge, métropolitain de Tolède, sacrificié en 859. Notons que la pratique des crucifixions, relancées par Daech en 2015 dans son « État islamique » d’Irak et de Syrie, était courante en Al-Andalus contre les chrétiens rebelles. L’occupation musulmane de l’Espagne fut perpétuellement émaillée d’exactions, de discriminations dues au statut de dhimmis des conquis, de pillages et de persécutions. En 796, une sévère répression de la révolte autochtone chrétienne eut lieu dans la même ville, 20 000 familles prirent la route de l’exil. En 817 une nouvelle révolte de chrétiens convertis de force à Cordoue provoqua l’expulsion et donc la « purification » de la ville devenue non-chrétienne.

En 851, Abd el Rahman II de Cordoue promulgua un édit qui menaçait de mort les « blasphémateurs » envers l’islam et emprisonnait tous les chefs de la communauté chrétienne de la cité. L’année d’après, eut lieu l’épuration de l’administration de Cordoue de ses éléments chrétiens, ainsi que la destruction des églises datant d’après la conquête arabe. En 900, fut promulguée l’interdiction pour les chrétiens de Cordoue de construire de nouvelles églises. En 976, après l’invasion almoravide, le nouveau Calife Al-Mansour, ancêtre des salafistes d’aujourd’hui, organisa au pied de la Sierra Nevada une véritable inquisition officielle et expurgea toute les bibliothèques du califat, sans en exclure la bibliothèque royale d’Al-Hakam II, essentiellement composée d’ouvrages accumulés par les Wisigoths mécréants. Ils seront brûlés dans un gigantesque autodafé dont les chantres de l’Espagne musulmane « éclairée » ne se vantent point. Al-Mansour continua sur sa lancée obscurantiste lorsqu’en 981, Zamora fut pillée. En 985, ce fut le tour de Barcelone. En 997, le calife musulman détruisit carrément la ville de Saint Jacques de Compostelle.

Intolérance d’Al-Andalus envers Chrétiens, juifs et musulmans rationalistes

Loin d’être un « havre de paix » pour les « trois religions du Livre », l’Andalousie fut à la fois une terre d’orthodoxie islamique, de persécution des philosophes éclairés et d’intolérance envers les autochtones juifs et surtout chrétiens, souvent victimes d’humiliations, de conversions forcées et de massacres, comme ceux des Chrétiens de Cordoue entre 850-859, la ville « tolérante ». Soulignons en passant l’aberration avec laquelle les historiographes récents qualifièrent le sort des Chrétiens persécutés pour leur foi de « martyrs volontaires », autre mythe falsificateur de l’histoire, comme s’il s’agissait de suicides. Ce procédé vise en fait à minimiser l’intolérance des autorités islamiques de l’époque.

En réalité, le mouvement pacifique de résistance chrétienne à l’islamisation de l’Andalousie porté par Saint Euloge fut réprimé dans le sang. L’un des documents historiques le plus précieux de ces évènements a été laissé par Saint Euloge lui-même, le martyr décapité qui raconte quelques temps avant son supplice la vie quotidienne des Chrétiens d’Al-Andalus, ainsi que de celui des martyrs : « pour éclairer les siècles des générations futures et afin qu’ils ne demeurent pas ignorants de nos tribulations et misères  ». Euloge raconte qu’« en l’année présente de 851, la fureur du tyran Abderrahmane dévaste, incarcère les évêques, presbytes, diacres et abbés et tout le clergé dans les prisons  »172 . Loin de souscrire aux thèses de la « tolérance d’Al-Andalus  », l’intéressé, martyr sanctifié par l’Église, décrit ainsi la vie quotidienne des autochtones chrétiens réduits sur leur terre à l’état de citoyens de seconde zone soumis et humiliés par les occupants arabo-berbères : « personne parmi nous se promène en sûreté parmi eux, personne ne marche tranquillement, personne ne se promène près d’eux sans être déshonoré. En effet, quand n’importe quelle obligation privée nous pousse à sortir en public ou pour une urgente obligation domestique nous devons sortir sur la place depuis le coin de notre habitacle, à peine ils reconnaissent les signes distinctifs de notre ordre sacré qu’ils nous attaquent avec des voix féroces, en plus de cela nous subissons les moqueries quotidiennes des enfants, qui, ne se contentant pas de nous insulter avec des paroles, ne cessent de nous envoyer des pierres dans le dos… En permanence, ils nous calomnient à cause de notre religion, nous subissons leur cruauté, au point que beaucoup parmi eux nous jugent indignes de toucher leur vêtement et maudissent le fait que nous nous approchions d’eux, considérant que le fait de se mêler à quoique ce soit d’eux est une souillure  »173 .

Le témoignage de Maïmonide qui dément le mythe de la « tolérance » d’Al-Andalus envers les Juifs

Un autre lieu commun d’Al-Andalus, celui du mythe de la tolérance islamique envers les Juifs d’Espagne, est battu en brèche par le plus illustre des témoins et représentants de la civilisation judaïque-andalouse de l’époque, Maïmonide lui-même, qui dut fuir vers l’Égypte et quitter l’Andalousie « tolérante » après avoir été condamné à mort pour avoir voulu redevenir juif après une conversion forcée à l’islam : « Vous connaissez déjà, mes frères, qu’à cause de nos pêchés, Dieu nous a fait vivre au milieu de ces gens, la Nation d’Ismaël, qui nous persécute avec sévérité et qui conçoit toute sorte de façons de nous faire du mal et de nous dégrader  », raconte-t-il dans un style qui dément tous les adeptes du mythe andalous si prompts à citer Maïmonide comme la preuve de la tolérance arabo-islamique. « Aucune nation n’a jamais autant fait de torts à Israël, aucune autant que celle-ci dans la façon de nous rabaisser et de nous humilier, aucune autre n’a pu nous affaiblir comme eux l’ont fait  »174 , poursuit-il.

Rappelons que maints autres grands savants d’Al-Andalus connurent un sort comparable : Ibn Massarra (Cordoue 883-931) ; accusé d’hérésie et d’impiété, dut s’exiler, lorsqu’il décida de revenir chez lui, sous le règne d’Abdel Rahman III. Il se retira semi incognito dans un petit lieu des alentours de Cordoue, élaborant sa pensée en situation de quasi clandestinité. Ibn Hazm (Cordoue 994-1063) fut deux fois exclu de sa ville et se vit confisquer tous ses biens. C’est dans son refuge de Valence et non de Cordoue la « tolérante ville des Trois religions » qu’il put écrire sa fameuse œuvre El Collar de la Paloma175 .

Massacre de Juifs et de chrétiens en Al-Andalus

En 1010 débuta le massacre de centaines de juifs autour de Cordoue. Le carnage et les persécutions-purifications ethniques se prolongèrent durant trois années. L’année 1066 fut marquée par le massacre de milliers de juifs à Grenade. En 1102, la population chrétienne de Valence dût fuir vers l’Espagne du Nord récemment reconquise pour échapper aux persécutions. Ceci consacra une véritable purification ethno-religieuse de l’Espagne islamique qui se débarrassa de la quasi-totalité des chrétiens de Valencia. Ce vide, qui fut d’ailleurs comblé, lors de la Reconquista de Valence par des chrétiens venus du Nord et notamment des Catalans, explique que l’on parle aujourd’hui un dialecte catalan (le « valenciano ») jusqu’à Alcoy-Alicante, en dessous de la ville de Valencia. Ceux qui, comme la gauche espagnole, accusent les reyes catolicos d’avoir opéré un « génocide » des musulmans-arabes lors des reconquêtes omettent souvent de mentionner cette « purification » des chrétiens valencéens.

En 1125, les chrétiens de Grenade profitèrent de la retraite des troupes d’Alphonse d’Aragon – rentrant vers le Nord après un raid en Andalousie – pour trouver refuge dans le nord chrétien. En 1146, ce fut un autre exode massif, celui des chrétiens de Séville, qui fuyaient l’invasion de l’Espagne par les Almohades, ces berbères islamistes-extrémistes qui provoquèrent l’expulsion des juifs ou convertirent de force les non-musulmans. En 1184, les Almohades imposèrent même des signes distinctifs aux chrétiens et aux juifs d’Espagne, statut qui serait aujourd’hui assimilé à l’étoile jaune des nazis imposées aux Juifs. Et en 1270, une ségrégation généralisée et massive des Juifs fut organisée en Andalousie. Hormis cela, on put trouver des périodes d’accalmie relatives qui permirent une sorte de « cohabitation apaisée », mais à la condition non négociable de se soumettre à la pax islamica en acceptant un statut inégal (dhimma ) et le paiement d’un impôt des minoritaires (jizya ).

Commencée par une conquête assez facile (711), l’Espagne musulmane initia son déclin par la victoire des Chrétiens sur la dynastie des Almohades en 1212. Des guerres opposaient en permanence royaumes, principautés, taifas 176 entre elles. Chrétiens et Juifs vivaient sous un régime discriminatoire en tant que dhimmis, payant une taxe pour être épargnés et devant se soumettre à une série de règles d’humiliations et d’infériorité prévus par la charià. Chrétiens et Juifs étaient discriminés : ils avaient le droit de pratiquer leur culte mais devaient reconnaître l’autorité des musulmans à tous les niveaux. Leur capacité d’ester en justice contre un musulman était nulle. Il n’existait ni égalité de droits entre « gens du Livre » (ahl al Dimma ) et musulmans, ni considération mutuelle globale, en dehors de cas isolés dans les hautes sphères de la culture ou du pouvoir.

La Grenade musulmane n’était pas cet âge d’or souvent décrit avec autant de passion que d’inexactitude. Les fêtes traditionnelles de la région de Murcia et du Levant (Alicante, Alcoy, Valencia) comme celles des Moros y Cristianos (Maures et Chrétiens) qui commémorent les guerres perpétuelles entre districts / taïfas musulmans et chrétiens rappellent encore aujourd’hui l’extrême violence et le cloisonnement mutuel qui caractérisaient les rapports entre cités musulmanes et cités chrétiennes non occupées ou « libérées ». Aussi l’histoire d’Al-Andalus fut-elle ponctuée par des guerres extrêmement violentes entre Maures, Arabes, Berbères et différentes dynasties musulmanes (Omeyyades, Almoravides et Almohades, notamment) ou taifas (émirats morcelés à la suite de la division de Al-Andalus).

Orthodoxie sunnite malikite et intolérance religieuse en Andalousie

L’école juridique très orthodoxe de l’islam sunnite appelée le malikisme fut imposée en Espagne musulmane dès le premier siècle de la présence musulmane, aux temps d’Al-Hakam Ier . Cette école contribua, d’après l’islamologue espagnol Serafin Fanjul , à « configurer une société fermée dans laquelle les juristes musulmans (alfaquies ), les muftis et les Cadis exercèrent un contrôle de fer de la population, musulmane ou infidèle », constatation qui « contraste avec l’interminable litanie d’hymnes à la tolérance et compréhension affable qui auraient soi-disant gouverné en Al-Andalus  »177 . Les textes mêmes d’Ibn ‘Abdun ou de Al-Wansarisi dépeignent l’interdiction de lire ou réciter des poésies à l’intérieur des mosquées, d’y interpréter de la musique, et même de tenter de l’interdire partout, ou encore la punition par le lynchage de ceux qui pénétraient les mosquées avec leurs chaussures.

On attribue à tort aux conquérants nord-africains fanatiques de la dynastie almohade l’essentiel de l’intolérance en Al-Andalus, alors que les procès, avec verdicts de morts, pour « impiété » étaient monnaie courante avant eux, sous les « gentils » ommeyyades et autres. De même, les mésententes entre communautés à l’époque des dynasties andalouses supposées « tolérantes » étaient constantes. Si l’on dispose d’une abondante biographie témoignant du fait que des communautés mozarabes survirent à Tolède, Cordoue, Séville ou Mérida, on sait aussi qu’au début du XII e  siècle, les chrétiens mozarabes de Malaga ou Grenade furent déportés en masse au Maroc. On oublie aussi que très rarement les chrétiens étaient autorisés à rénover une mosquée église ou à remettre en place des cloches. Outre le martyr de Chrétiens espagnols (Cordoue) entre 850 et 859 (Saint Eleuge, Alvaro, Perfecto), ou même de Juifs comme Isaac, exécuté pour avoir « déprécié » l’islam (istiyfaf ), sans oublier les massacres perpétrés par Abd al-Mumin au XII e  siècle, les populations non-musulmanes étaient brimées dans leur vie quotidienne. Contrairement aux affirmations officielles d’une tolérance religieuse inégalée d’Al-Andalus, l’histoire de l’Espagne arabo-berbéro-islamique fut plutôt celle d’une destruction quasi-systématique des églises existantes lorsque les villes ou les villages résistaient à l’envahisseur, et celle de leur remplacement par des mosquées. On en voit notablement la trace en Andalousie ou dans la région de Valence, où nombre d’actuelles églises et cathédrales sont construites sur d’anciennes mosquées, elles-mêmes églises avant d’être transformées en mosquées. Certes, en Al-Andalus, les églises subsistèrent, mais « sous la condamnation morale permanente » dont se fait écho Ibn Abdun qui rappelle qu’il était « interdit aux femmes musulmanes d’entrer dans les églises abominables, car les clercs sont libertins, fornicateurs et sodomites  », Ibn Abdun déclarant qu’il fallait même « obliger les mâles chrétiens à se faire circoncire  »178 . Même si cela ne suffit pas à condamner toute l’histoire de l’Andalousie musulmane, la liste est longue des victimes pour motifs analogues qui sont souvent passées sous silence par les sempiternelles déclarations d’admirations envers al-Andalus la « tolérante ».

Durant le règne du Calife abbasside al-Mutawakkil, (moitié du IX e  siècle), pourtant dépeint comme « siècle de la tolérance » et de « la science arabo-islamique », les dhimmis étaient sujets aux restrictions et brimades dues à leur condition d’infériorité : les manifestations publiques de foi et la construction de nouveaux temples étaient interdits et réprimés. En Espagne, à la même époque, au IX et X e  siècle, le juriste malikite maghrébin Ahmad Ibn Yahya Al-Wansarisi signale qu’il était interdit d’acquérir ou de porter des vêtements de chrétiens ; que les tribunaux donnaient toujours la priorité et la supériorité (jugements, répartitions, témoignages, etc.) aux musulmans dans tout litige les opposant aux non-musulmans et que la peine de mort était requise pour les dhimmis suspectés « d’offenser » le Prophète ou l’Islam179 . On peut noter en passant que l’obsession de lutter contre le blasphème et les « offenses » envers Mahomet et l’islam, qui défraie régulièrement la chronique et mobilise de nombreux groupes islamistes radicaux aujourd’hui, n’est pas nouvelle et n’est pas propre aux seuls jihadistes. « Quant aux relations interconfessionnelles, rappelle l’islamologue Bernard Lewis , il est très important de prendre en considération le fait que les dhimmis devaient témoigner du respect pas uniquement envers l’islam mais aussi envers tout musulman. Un juif ne pouvait jamais dépasser un musulman dans rue. Il est interdit de parler fort à un musulman. Un juif créditeur d’un musulman devait réclamer sa dette à voix basse et tremblante et de manière respectueuse. Si un musulman insultait un juif, ce dernier devait baisser la tête et garder le silence  »…180 .

Outre le massacre célèbre des Juifs de Grenade en 1066, le fanatisme et le rigorisme du fondateur de l’école du malikisme espagnol, Malik Ibn Anas, qui utilisait, dans la bible du malikisme, al-Muwaa , le terme de zandik (hérétique) pour désigner les adeptes tant du dualisme manichéen, fort présent en milieu perse et espagnol, puis en général des apostats, des déviants et de tous ceux qui dérivaient de l’orthodoxie stricte malikite qui régnait en Al-Andalus. C’est ainsi que les savants et juristes de renom comme Ibn Ali Zayd, dans la célèbre Risala , puis Ibn Farhun, dans la Tabira , accusèrent de zandaka manichéenne tous les apostats ou supposés tels, puis ceux qui s’opposaient à la doctrine malikite181 . Cet aspect peu progressiste et qui tranche avec le mythe de la tolérance d’Al-Andalus a fort bien été décrit et étudié par le spécialiste comme Clément Huart, dans sa Conférence au Congrès International des Orientalistes, par l’espagnol Miguel Asin Palacios dans son œuvre magistrale sur Ibn Masarra182 , puis enfin par Levy-Provençal lui-même, bien qu’étant l’un des instigateurs de la mythologie de l’Andalousie islamique tolérante, dans son Histoire de l’Espagne musulmane 183 . Plus récemment, Maria Isabel Fierro Bello a consacré un article scientifique fort détaillé au sujet des « Accusations of Zindaqa in Al-Andalus »184 , sans oublier l’islamologue madrilène Serafin Fanjul , dans ses ouvrages précités La Quimera de Al-Andalus et Al-Andalus contra España .

On peut ainsi rappeler l’existence – souvent étonnamment passée sous silence – par les historiographes « andalousistes » – des répressions souvent brutales des « déviants », des chrétiens ou autres « mécréants » ou « apostats ». Le souverain musulman Al-Hakam Ier (796-822) fit par exemple égorger la majorité des habitants d’Algésiras, les accusant de bidàà (innovation illicite). Le neveu d’une favorite d’Abdelrahman II fut quant à lui accusé d’hérésie par les juristes musulmans andalous (alfaquies en arabo-espagnol) et condamné à mort pour avoir prononcé une phrase incorrecte. Rappelons aussi que la bibliothèque d’Al-Hakkam II, orgueil d’Al-Andalus, fut jetée dans le fleuve du Guadalquibir sur ordre d’Al-Mansour. Enfin, le livre d’Ibn Al-Qutayba, dédié à l’histoire biblique et islamique, fut considéré « impur », au même titre que l’avait été le Manavi du grand soufi Rumi par décisions de juristes. Ceux-ci entrèrent par force dans la demeure du grand penseur mutazilite (penseur musulman rationaliste) Khalil al-Gafla à sa mort et ils brûlèrent sur place tous ses livres. Ibn Hazm fut condamné par ostracisme ; Ibn Masarra fut forcé à la clandestinité ; les célébrissimes Ibn Rush (Averroès) et Ibn Tufayl exilés, tandis que le grand penseur soufi Ibn Arabi fut expulsé. Dans ces cas, ce furent à chaque fois les juristes musulmans (fuqaha ) plus encore que les chrétiens de la Reconquête qui en finirent avec l’islam libéral, rationaliste ou soufi d’Occident, ce que le philosophe marxiste converti à l’islam et installé en Andalousie, Roger Garaudy , pourtant peu suspect d’islamophobie, écrit et dénonce en détails dans son ouvrage L’Islam en occident 185 , alors même qu’il a dédié la seconde partie de sa vie à la promotion du mythe de l’Andalousie islamique où il a fini ses jours.

Les pirateries et l’industrie de l’esclavage d’Al-Andalus

Fait systématiquement passé sous silence, Al-Andalus fut au même titre que le Maghreb, durant des siècles, un État califal islamique guerrier, intolérant envers ses minorités et ses intellectuels récalcitrants, prédateur, semant la terreur en Méditerranée et pratiquant la piraterie maritime, les raids, razzias et prises d’otages puis la mise en esclavage de chrétiens occidentaux et de Slaves. Le commerce des esclaves chrétiens européens capturés par millions durant des siècles (puis plus tard, d’Africains noirs), fut à l’origine d’une véritable industrie macabre en Andalousie et dans l’ensemble du monde arabo-musulman, mais dont les détracteurs habituels de l’esclavagisme européen (commerce triangulaire ou traite atlantique) ne disent mot. « De nombreuses expéditions “esclavagistes” des pirates andalous en Méditerranée occidentale ont marqué le Haut Moyen-Âge, raconte l’historien de l’Andalousie Pierre Guichard. Elles ont commencé autour de 800, immédiatement après l’attaque des Baléares en 798, et le terme Mauri qu’utilisent les sources carolingiennes pour désigner ceux qui se livraient à ces raids maritimes suggère que bon nombre de ces pirates étaient des Berbères. Le seul chef connu, justement un Berbère de la tribu des Hawwara, participa en 829-830, à la conquête de la Sicile par les Aghlabides avec une flotte partie de Tortosa. Ces expéditions se sont développées jusqu’en Orient, où des marins andalous, profitant d’une situation d’anarchie en Égypte, s’emparent vers 815 du port d’Alexandrie ; rejoints par des réfugiés exilés à la suite de la révolte du Faubourg de Cordoue en 818, ils conquirent la Crète sur les Byzantins en 827, pour y fonder un émirat. Les Musulmans qui attaquèrent Rome en 846 venaient aussi d’Al-Andalus et du Maghreb occidental. Vers 890, une colonie de marins venus d’Espagne établit la célèbre base provençale du Freinet (Fraxinetum). Ces marins pirates andalous fondèrent également à la même époque des comptoirs actifs sur les côtes du Maghreb (Tènes en 875, Oran en 902)  »186 . La piraterie andalouse resta longtemps active en Méditerranée occidentale. L’empereur germanique Otton Ier , intéressé par les terres d’Italie du Sud, et inquiet de ces raids incessants notamment dans les Alpes, dut négocier avec Cordoue dans les années 950.

Nos bons enseignants de l’Éducation nationale, qui ne manquent jamais de verser de chaudes larmes sur toutes les horreurs que l’Occident a pu produire sur les peuples africains, ont curieusement, s’agissant d’Al-Andalus, passé totalement sous silence le sort des esclaves blancs qui y travaillaient et y périssaient. Il est vrai que l’histoire de ces esclaves est moins facile à raconter que celle du Triangle d’Or, puisqu’elle décrit une réalité très différente de la propagande officielle qui oppose le monde musulman-nord-africain de la tolérance au monde chrétien-européen de la haine. Dans la pratique, comme l’a d’ailleurs raconté l’historien Jacques Heers , les esclaves qui étaient exportés dans l’Espagne islamique étaient des Saxons puis des Slaves (d’où leur nom d’ailleurs), qui suivaient des chemins commerciaux extrêmement structurés. Pour être utilisable, la main-d’œuvre masculine devait être castrée.

Dans son ouvrage La Traite des Slaves : l’esclavage des Blancs du VIII e  au XVIII e  siècle , l’historien russe Skirda dresse une histoire détaillée du fait esclavagiste, et notamment de la castration des esclaves destinés au monde musulman, en particulier à Al-Andalus. La castration des esclaves, mortelle dans plus de la moitié des cas en ces époques de médecine rudimentaire, répondait à la stratégie millénaire de l’islam qui a toujours utilisé la démographie comme une arme de guerre. La stérilisation des immigrés esclaves évitait la submersion démographique des fidèles d’Allah par des étrangers infidèles. Aussi n’y eut-il pas plus de « problème noir » que de problème slave en Arabie Saoudite ainsi que dans les autres États islamiques esclavagistes. Les eunuques n’étaient pas seulement préposés à la garde des harems, ils étaient aussi employés comme soldats, ou comme gardes prétoriens du calife ou du sultan tels les saqalibas 187 d’Al-Andalus. On comprend dès lors la nécessité impérieuse de « renouveler le contingent » d’esclaves en permanence, du fait de la non-reproduction et de la mortalité des esclaves-militaires à la guerre ou par hémorragie suite aux castrations.

En conclusion, « l’âge d’or » philosophique arabo-andalou caractérisait une élite fort restreinte subjuguée par la philosophie grecque, et non un phénomène d’enseignement massif fait d’universités fréquentées par des centaines ou des milliers d’étudiants. D’ailleurs rien d’équivalent aux universités européennes en matière de diffusion de l’instruction n’est apparu en terre d’islam. Le microcosme de savants essentiellement au service des pouvoirs politiques, honnis des masses religieuses et des théologiens-juristes hostiles à la philosophie et à la raison, fut le plus souvent persécuté ou mis à l’index par les autorités musulmanes. Cette science ne fut pas islamique mais érigée malgré l’islam, et c’est pourquoi les théologiens musulmans ont vu dans cette philosophie et cette science des hérésies diaboliques. L’un des philosophes majeurs de la civilisation musulmane, Al-Sarakhsi, fut ainsi exécuté pour « hérésie » en 899 par le calife Al-Mutadid, juste pour avoir débattu d’idées philosophiques.

Erreurs et usurpations de la « science armane »

« Le monde islamique n’est plus créateur de science depuis le XVII e  siècle »

Abdelwahhab Meddeb

Face à la mode qui consiste à s’extasier sur les « inventions » scientifiques arabes, il convient de remettre les choses à leur place. Pour ce qui est des « découvertes » et inventions, rappelons qu’elles n’en furent souvent pas : la plus haute température d’un feu, n’est pas une invention, mais, établir que la température d’un feu dépend du combustible, du comburant et de la façon dont le comburant est distribué sur le combustible, est une invention. Commençons par l’astronomie islamique, fondée sur le système de Ptolémée. Ce système est géocentrique, donc profondément erronée, mais l’astronomie « arabe » persista dans cette erreur de base géocentrique188 , tout comme la biologie « musulmane », qui resta dans les principes dépassés d’Aristote 189 .

Pour ce qui est de la médecine et de la pharmacie, elles ne firent réellement leur révolution qu’avec l’abandon de la génération spontanée (ex nihilo ) et en s’appuyant sur la microbiologie. Quand Pasteur, par ses travaux et ses découvertes sur les micro-organismes, posa les fondements de la micro biologie, – il fallut abandonner préalablement la génération spontanée qui sous-tendait la pensée médicale musulmane190 aussi bien que chrétienne, d’ailleurs, depuis Aristote . En découvrant les bactéries, Pasteur ouvrit la voie à une nouvelle pharmacopée, d’une autre nature, à la vaccination et à la médecine occidentale qui guérit aujourd’hui, en particulier dans les pays musulmans, quantité de maladies que la médecine « arabe » n’a jamais pu ou su guérir, même si certaines étaient diagnostiquées et soignées du mieux possible. Pour guérir scientifiquement et efficacement, il fallait en fait jeter aux orties la notion même d’ex nihilo des penseurs chrétiens et musulmans du Moyen Age, y compris celle des penseurs « arabes éclairés » de Bagdad ou Cordoue.

Quand on nous assène également l’idée que les premiers grands docteurs qui examinèrent le corps humain et trouvèrent de remèdes révolutionnaires à des maladies étaient des « Arabes », la désinformation-usurpation est manifeste, car l’écrasante majorité de ces savants et docteurs (97 %) étaient, on l’a vu, des Assyriens araméophones, des Grecs, des Juifs et des Perses, dont les travaux ont été initiés au IV e  siècle par la traduction systématique des connaissances antiques. De même, en médecine ou en embryologie, Aristote pose la question : comment la vie prend-elle naissance dans la masse d’un œuf non vivant191  ? Sa réponse : « la vie est un principe immatériel animant la matière et la nature ordonnée par une intelligence supérieure en vue d’un but, d’où le rôle primordiale des causes finales. » – c’est la génération spontanée. Au début, l’Église avec Saint Augustin, rejette cette définition, bien qu’au fond, elle convienne parfaitement à sa doctrine ; mais reprise par Bacon, Albert le Grand et Saint Thomas d’Aquin , elle est admise et engage la médecine aussi bien arabe qu’européenne dans l’impasse pour des siècles. Galien né à Pergame (131-201) et ayant étudié à Alexandrie, laisse une œuvre capitale, découvre le rôle du cerveau dans la contraction musculaire, décrit le système cardio-vasculaire. Il influence la médecine alexandrine et byzantine. Les Arabes, en particulier Avicenne et Averroès, s’en inspirent largement. Son enseignement est complété par un Flamand : André Vésale. Comme Galien ne fait pas intervenir la philosophie dans ses découvertes et qu’il fait souvent référence à Dieu, l’Église adopte son œuvre. Ses œuvres existent en Europe avant l’avènement de l’islam.

Quant à la chimie « arabe », qui n’avait rien à voir avec l’alchimie, elle n’existait pratiquement pas au temps d’Al-Andalus, et il en était de même pour de nombreuses autres sciences192 . La chimie n’est devenue la chimie que lorsqu’elle est rentrée dans la rationalité occidentale. En ce sens elle ne doit rien aux recherches scientifiques musulmanes qui sont restées essentiellement des activités empiriques. Elle n’est devenue chimie qu’à la suite d’une évolution rapide, ponctuée de révolutions en réponse aux exigences de la pensée scientifique occidentale dont l’aboutissement est la connaissance de l’atome, et l’interaction des électrons de la dernière couche du cortège électronique associé au noyau de l’atome. Est-ce aux chimistes musulmans que nous devons cela ? Ils n’avaient en réalité même pas la notion de ce qu’était un atome ni même une molécule.

On attribue également souvent aux « Arabes » la distillation, du fait que le mot « alcool » serait d’origine arabe. On ajoute même souvent qu’on leur doit l’alcool éthylique. C’est leur attribuer allègrement des étapes qu’ils ne surent jamais franchir. Tout au plus, se sont-ils intéressés à l’ébullition et au refroidissement de mélanges de liquides. Ils obtenaient en effet des mélanges de concentrations différentes, sans connaître la nature et la concentration du composé obtenu ; sans savoir aller à la concentration maximale alors qu’ils avaient tous les éléments pour le faire193 . L’alcool existe en fait depuis toujours et partout : il est le résultat de fermentations naturelles. Mais depuis qu’en Occident on a déterminé ce qu’il était exactement, on peut l’obtenir de façon synthétique, sans passer par la fermentation ou encore, en contrôler la fermentation. Ceci est justement de la chimie. En chimie, on attribue également aux « Arabes » la découverte des acides et des sels métalliques, c’est-à-dire la plupart des connaissances chimiques antérieures au XVI e  siècle. En réalité, « ces affirmations, que l’on trouve dans un grand nombre d’auteurs du commencement de ce siècle, n’ont d’autre fondement que l’ignorance où ils étaient des véritables sources, je veux dire des textes grecs, syriens et arabes, demeurés manuscrits dans les bibliothèques  », expliquait notamment le scientifique Marcelin Berthelot194 .

Chacun a également entendu dire un jour ou l’autre que les architectes arabes-musulmans ont inventé des bâtiments qui « défient la gravité ». En réalité, la percée architecturale (qui permet d’employer une forme parabolique et non sphérique dans ses structures), fut inventée non par les Arabes mais par les Assyriens, soit plus de 1 300 ans avant Al-Andalus, ainsi que le démontrent les traces archéologiques. Le meilleur exemple est la merveille de Sainte-Sophie à Constantinople, inaugurée en 537, soit plus d’un siècle avant même que les Arabes commencent à envahir le Proche Orient et à quitter les déserts d’Arabie. Cette énorme coupole haute de 56 mètres et de 32 mètres de diamètre fut transformée en mosquée en 1453, et il faut savoir que plusieurs architectes turcs furent exécutés par le Sultan pour ne pas avoir réussi à égaler Sainte-Sophie, ce que le plus illustre architecte ottoman, Koca Mimar Sinan (1491-1588), un janissaire (d’origine chrétienne et converti jeune), parviendra à peine à faire mille ans plus tard seulement. On sait également que de Bagdad à Al-Andalus, en passant par Samarkand, les « architectes » arabo-musulmans et turcs ne firent qu’imiter les Romains, les Grecs et les Perses.

On l’a vu, l’algèbre était à la fois d’origine grecque et indienne (intitulée « bija-ganita  » en sanscrit), on ne la doit donc aucunement aux transmetteurs « arabes », puisque ce sont des traducteurs syriaques chrétiens et perses qui l’ont transmis en traduisant notamment les œuvres du Grec Diophante qui vécut six siècles avant que les Arabes créent un Califat islamique glorieux. Al-Khawarizmi, considéré à tort comme le père de l’algèbre, était incontestablement Perse195 et non arabe et il ne fit lui-même que recycler les savoirs antiques indiens et grecs. Quant aux « chiffres arabes », on a vu précédemment qu’ils sont en fait originaires d’Inde. On sait également que les principales avancées de l’algorithme furent le fait d’Euclide, onze siècles avant les « apports arabes ».

Seules l’optique et les mathématiques progressèrent de façon significative sous les califats « éclairés » arabo-islamiques, mais surtout à partir de l’Inde pour ces dernières. Là encore, toutefois, il ne s’agit point d’inventions imputables aux « Arabes », mais de découvertes traduites et transmises entre autres mais pas seulement à l’initiative de décideurs musulmans qui utilisaient les services de savants et traducteurs non-arabes, pour l’écrasante majorité des chrétiens assyro-syriaques araméophones. Les mathématiques pénétrèrent en Chaldée, puis en Perse, dès 600 av. J.-C., soit 1 200 ans avant la naissance même de l’islam, ceci à la demande de l’empereur sassanide Khosro Ier . Aussi les Arabes ne firent-ils que récupérer et transmettre des acquis connus de longue date et aucunement créées ou découverts par eux. Très vite, il fut même dangereux de revenir sur les notions de création, d’ex nihilo , d’immortalité de l’âme de fautes et de pêchers… Et la « science arabo-musulmane » deviendra vite, pour rester scientifique, une discipline animée par des parias, des excommuniés du monde arabo-musulman, une activité mise à l’index, on l’a vu, par les héritiers d’Abou Mohammed Al-Ghazali et les écoles juridiques orthodoxes de l’islam sunnite qui enrégimentèrent tout l’Al-Andalus.

Des siècles avant même que les Arabes ne connaissent l’islam et ne quittent les déserts de la Péninsule, les Grecs antiques s’étaient déjà intéressés à la théorie des nombres, puis avec l’équation diophantienne, découvrirent la notion de constatation (comme les Indiens) puis la méthode axiomatique, dans laquelle ils ont excellé. A la différence des Occidentaux islamiquement corrects, qui ont surévalué la science dite arabe, les savants « arabes » eux-mêmes n’ont jamais nié les apports des indiens-hindouistes en astronomie, en mathématiques ou en médecine. Ils qualifient leurs propres nombres de « chiffres hindous ». Voici ce que pensait d’ailleurs le mathématicien Chasles – entre autres – sur « l’apport culturel et scientifique des Arabes à l’Occident » : « Les arts et les sciences s’affaiblissaient déjà, lorsque l’Égypte devint la conquête des Arabes, et que l’embrasement de la fameuse bibliothèque des Ptolémées, dépôt précieux, depuis dix siècles, de toutes les productions du génie et de l’érudition, fut le signal de la barbarie et des longues ténèbres qui enveloppèrent l’esprit humain. Cependant, ces mêmes Arabes, après un ou deux siècles, reconnurent leur ignorance, et entreprirent eux-mêmes la restauration des sciences. Ceux sont eux qui nous transmirent soit le texte, soit la traduction dans leur langue, des manuscrits qui avaient échappé à leur fureur fanatique. Mais, c’est là à peu près, la seule obligation que nous leur ayons. Car la géométrie, à l’exception toutefois du calcul des triangles sphériques, resta stationnaire entre leurs mains, leurs travaux se bornant à admirer et à commenter les ouvrages grecs, comme s’ils marquaient le terme le plus élevé et le plus sublime de cette science 196 . »

L’histoire de l’astronomie, est tout aussi significative : le système de Claude Ptolémée (100, 170) fit autorité en islam ou en Occident jusqu’au XVI e  siècle. Il est pourtant archi faux, et les Arabes eux-mêmes s’en rendirent compte. Pourtant, ils le conservèrent tel que Ptolémée le conçut, et il resta de la sorte erroné jusqu’à l’apport révolutionnaire de Copernic. C’est donc en fait l’Occident et non les Arabes qui permirent de sortir d’une erreur persistante.

Les empires arabo-musulmans n’ont pas non plus fait évoluer de façon significative la mécanique théorique. Ils en sont restés peu ou prou au niveau où l’avaient laissée les Grecs de l’époque d’Aristote et à ceux d’Alexandrie ou de ceux de l’Italie du sud. Or, notre mécanique, celle aboutie de Galilée et de Newton, contredit celle des Grecs et celle des musulmans en y introduisant, entre autres, le principe d’inertie ou en contestant le rôle de l’air dans le mouvement aristotélicien (sinon comme un frein). La notion d’inertie pressentie par Philopon est reprise par Al-Bitrogi et Avicenne qui ne vont pas plus loin, en ce sens qu’ils ne font pas la distinction nette entre la force impliquée, intégrée au mobile et qui en fait désormais partie. N’imaginant pas que le mouvement du mobile est éternel tant qu’une autre force n’intervient pas, ils proposent l’idée que tout corps a tendance à rejoindre son lieu naturel lorsqu’il s’en éloigne197 , ce qui est faux. Ainsi, la mécanique rationnelle, qui ouvrait la voie à la physique, demeura dans les mains des savants musulmans ce qu’elle fut pendant des siècles. Le principe fondamental d’inertie n’y fut introduit qu’au Moyen Age européen.

De même, Avicenne lui-même ne parvint jamais pas à trouver la place exacte de la pesanteur (ou gravité) ou encore celle de friction. Il faudra attendre le XIV e  siècle européen pour que cette science connaisse un tournant décisif et parvienne à sortir de la situation de blocage dans laquelle grecs et musulmans l’avaient laissée198 . L’astronome perso-byzantin souvent qualifié à tort d’Arabe, Al-Khazini, subodora que la pesanteur était liée à la distance d’avec la terre, mais il n’aboutit pas : il manquait la généralisation du phénomène, l’élévation de la distance au carré, sa raison inverse. Mais surtout, il n’y associa pas la masse, élément essentiel de l’attraction, car c’est la masse qui imprime la force attractive impliquant le mouvement.

En Métallurgie, le document d’Al-Kindi sur le fer « … mâle, fer femelle… quant au fer qui n’est pas métallique…  » est une erreur fragrante (du fer non métallique !). Certes, Al-Kindi ne pouvait pas connaître la chimie du fer, qui doit sa complexité aux trois valences du fer (entre-autre), il ne pouvait connaître que certaines « recettes ». Mais le fait est que depuis toujours, les Européens sont en avance sur l’Orient dans ce domaine et a fortiori sur les Arabes. En Germanie et en Bretagne, les minerais étaient déjà excellents en 950 la métallurgie explosait alors en Europe, et encore plus tôt en Bohême et en Moravie. La réputation des armes franques est notifiée dans les textes musulmans ; ceux-ci en importaient jusqu’à ce que les besoins locaux européens en absorbent toute la production.

En physique, les musulmans ne firent pas évoluer les connaissances anciennes, sauf en optique. On doit attribuer au Perse de Bassorah, Al-Haytham (Alhazen), que la lumière rayonne de l’objet observé mais, bien qu’il imagine l’œil comme un appareil optique, il ne découvre pas l’inversion rétinienne, ni la focalisation opérée par le cristallin, et encore moins le rôle de correction du cerveau, en taille et position de l’image. C’est en Italie qu’apparurent les premières lunettes, pas chez les « Arabes » d’Al-Andalus. Les chirurgiens musulmans effectuaient certes des opérations ophtalmologiques – d’après entre autres le traité de Hunayn ben Ishaq –, mais on ne sait pas quels étaient les pourcentages de réussite, ni les complications que cela pouvait occasionner. Pour ce qui est de l’optique physique, et de la réfraction en particulier, Al-Haytham remarque, comme les anciens, que les milieux traversés défléchissent les rayons lumineux, proportionnellement à la densité optique des fluides traversés, et que les variations de l’angle d’incidence sont plus importantes que celles de l’angle de réfraction. Cependant, il ne formule pas la théorie de la réfraction : le rapport des sinus des angles d’incidence et de réfraction est constant quel que soit l’angle d’incidence.

Le papier vint aux Arabes par un prisonnier Chinois (vers le VIII e  siècle) ; la Turquie en développa largement la production à Pergame et il n’est pas impossible que Byzance le connût déjà. L’idée de l’imprimerie fut connue en Europe dès le XII e  siècle et ne se développa vraiment qu’avec l’invention de Gutenberg (1436), et non grâce aux Arabes. Papier, encre et imprimerie étaient les trois facteurs qui allaient faire exploser en Europe le « livre » et surtout le mettre à la portée du plus grand nombre. Mais l’imprimerie ne parvient en Turquie par les Juifs séfarades que cent ans plus tard et en Arabie que trois cents ans après ! Quant à l’horloge, elle fut empruntée aux Grecs d’Alexandrie199 . Il en est de même pour les autres sciences : on ne peut pas dire, par exemple que la médecine d’aujourd’hui est l’héritière de celle des saignées, des sangsues, des ventouses, des onguents, des encens, de la chasse aux mauvais esprits, des humeurs. Elle fit elle aussi, des sauts qualitatifs dès qu’elle put se dégager de l’emprise des dogmes et des interdits religieux.

Des « miracles du Coran » à la supériorité de la « science islamique »

Même se cela constitue une absurdité pour beaucoup de penseurs laïques, rationnalistes ou athées, d’origine msulmane ou non, l’une des idées forces de l’islamiquement correct corrélée directement avec le mythe de la science arabe de Bagdad et Al-Andalus pose comme indiscutable que maintes innovations et vérités scientifiques universelles que l’Occident a découverts au XX e  siècle auraient été annoncés dans le Coran lui-même, en tant que miracle vivant de « l’inverbation » et donc preuve par excellence de l’existence de Dieu et de Sa Parole. Afin de faire accroire cette vérité divine, maints scientifiques sont utilisés la plupart du temps à leur insu par les propagandistes islamistes qui cherchent ainsi à donner une caution scientifique pour mieux convaincre, convertir et procurer un « effet d’autorité » à l’affirmation des « miracles scientifiques » du Coran. Ainsi, nombre de citations supposées de grands chercheurs et savants du monde entier sont avancées comme autant de « preuves » que le Coran est divin par essence puisqu’il a annoncé la science avant même qu’on la connût. Depuis des décennies, cette entreprise apologétique et prosélyte largement appuyée par les institutions saoudiennes wahhabites internationales, via des ouvrages, des cassettes vidéo et aujourd’hui des CD et des sites internet ou conférences de « savants », est au cœur de la stratégie prosélyte sunnite, ainsi qu’on peut le voir notamment sur le site Islam Guide200 . C’est dans le cadre de cette stratégie qu’il faut replacer et expliquer les nombreuses rumeurs souvent ubuesques qui circulent sur le Net et en milieu islamique selon lesquels de nombreux scientifiques occidentaux, au départ incroyants, athées, juifs ou chrétiens, auraient officiellement ou « secrètement » embrassé l’islam après avoir été subjugués par les « miracles scientifiques, philosophiques et numérique du Saint Coran. Précisons que nombre d’Européens convertis à l’islam ces dernières décennies attestent s’être convertis grâce à ces « preuves scientifiques du Coran  »201 .

A la pointe de cette entreprise, on trouve la Commission sur les Signes Scientifiques, qui siège à La Mecque, qui a aussi une annexe imposante à Djeddah, donc financée par les autorités saoudiennes et la Ligue Islamique Mondiale. A titre d’exemple, la maison d’édition de la Commission a distribué près d’un million de copies papier du document « A Brief Illustrated Guide to Understanding Islam  » auquel correspond un documentaire vidéo intitulé « Ceci est la vérité », rempli de « témoignages des scientifiques »202 .

La « conversion » à l’islam du commandant Cousteau

La rumeur de conversion du célèbre commandant Cousteau, bien que démentie à maintes reprises par sa famille qui a assisté à son enterrement officiel dans le rite catholique, a la vie longue. Rappelons les faits supposés : à la suite d’une mission dans la Mer rouge, Cousteau aurait « découvert » que l’eau salée et l’eau douce ne se mélangeaient pas, ce qui était contraire aux principes fixés par les connaissances de l’époque mais était attesté par le Coran. Après avoir confié sa stupéfaction à un ami « scientifique » musulman, il aurait réalisé que le Coran avait attesté de l’impossibilité du mélange de l’eau douce et de l’eau salée dans la Mer rouge, là même où Moise aurait écarté les eaux pendant l’exode des Hébreux203 . Le commandant Cousteau se serait ainsi converti trois mois avant sa mort, de surcroit en « secret ». Le fait que Cousteau ait été enterré au cimetière catholique de Saint-André de Cubzac, en Gironde, et que la fondation Cousteau ait démenti la conversion dans un courrier datant du 2 novembre 1991, et alors même que dans l’Encyclopédie Cousteau , l’intéressé affirme le contraire de ce qui est écrit dans le Coran, puisque l’eau salée et l’eau peuvent se mélanger, la rumeur n’a jamais cessé de convaincre et connaît un succès continuel sur le Net. Le plus ubuesque de l’affaire est que le mouvement antiraciste communiste proche des Frères musulmans et spécialisé dans la lutte contre l’islamophobie, le MRAP, a porté plainte contre Cousteau après sa mort pour « offense à l’islam »… En 1999, en effet, deux ans après sa mort, le MRAP reprocha au commandant Cousteau son « racisme à l’encontre des musulmans » et demanda même que sa Légion d’Honneur lui fût retirée.

Au cœur de cette guerre de représentations et de ces rumeurs, on retrouve le Professeur Maurice Bucaille , lui-même réellement converti à l’islam, et qui déclare que l’allégation est bien inscrite dans le Coran. En 1976, Bucaille, Chef de file de l’école de pensée dite « concordiste », c’est-à-dire « démontrant » que le Coran est conforme aux théories scientifiques modernes, alors que la Bible serait pleine d’erreurs et d’incohérences, a publié La Bible, le Coran et la science , vendu à des millions d’exemplaires et traduit en plusieurs langues, où il soutient que le Coran est en accord avec les faits scientifiques et les connaissances modernes sur la création de l’univers, la terre, l’espace, le règne animal et végétal, la reproduction humain, etc. En fait, le professeur Bucaille se serait converti à l’islam après des études sur la monnaie d’un pharaon ramenée en France pour être étudiée et qu’il eût découvert que la façon dont ce pharaon mourut (noyade) était mentionnée dans un verset coranique spécifiant « qu’Allah lui a promis que sa mort restera une preuve jusqu’à la fin des temps  »… Bucaille affirme a contrario que la Bible et les Évangiles sont en totale contradiction avec les connaissances scientifiques modernes, tandis que le Coran énoncerait que la science et la religion seraient des « sœurs jumelles ». Bucaille, qui a été médecin de la famille royale saoudienne est unanimement critiqué par les épistémologues et scientifiques pour son manque d’objectivité, qui consistait à exiger de la Bible une conformité stricte aux connaissances scientifiques actuelles qu’il n’exigerait pas du Coran. Tout comme le scientifique américain William F. Campbell, directeur de la National Catholic Educational Association (NCEA)204 , qui affirme que Maurice Bucaille n’évalue pas le Coran selon les critères à l’aide desquels il juge la Bible, l’islamologue français Jean-Pierre Filiu confirme que l’ouvrage de Bucaille qui « prétend opposer les incohérences factuelles des textes chrétiens à la conformité du Coran avec la science moderne », n’est pas scientifique, ce qui ne l’empêche pas d’être très populaire chez les prêcheurs musulmans, au point que la Libye en a assuré la diffusion en Afrique francophone par le biais de son Association mondiale pour l’appel islamique205 .

Ainsi, dans l’ouvrage les Raisons pour lesquelles ils sont devenu musulmans (The Reasons Why They Become Muslims ), une collection de documentaires édités en turquie et imprimés par l’éditeur islamique Waqf Ikhlas Publications, réitère l’affirmation selon laquelle le Coran et les hadiths contiennent nombre de miracles scientifiques, dont les principaux seraient les suivants :

– de grands scientifiques auraient introduit le Coran dans un ordinateur et auraient trouvé le multiple du chiffre 19.

– Mahomet, en immergeant complètement une mouche tombée dans son verre et après l’avoir bu206 , aurait découvert ce que les scientifiques ont su plus tard, à savoir que l’une des ailes de la mouche contient un poison et l’autre, son antidote, ce que les scientifiques n’ont en fait jamais affirmé.

– le Coran dans le verset : « […]. Et Nous avons fait descendre le fer, dans lequel il y a une force redoutable, aussi bien que des utilités pour les gens, […]207 aurait anticipé la découverte scientifique d’après laquelle l’origine du fer n’est pas terrestre.

En réalité, ce « fer qui provient de l’univers » était connu par les peuples antiques et même des Arabes pré-islamiques de Médine qui vénéraient la fameuse pierre noire contenue dans la « Kaaba » du pèlerinage de La Mecque fondé sur la litholâtrie. Ce Fer céleste était aussi connu de la Mésopotamie et de l’Égypte antiques.

– le fait que la terre tourne autour d’elle-même, serait attesté par le verset 88 de la Sourate 2208 .

– le miracle du fendage de la lune : Dans le Coran, le verset affirmant que : « L’Heure approche et la lune s’est fendue. Et s’ils voient un prodige, ils s’en détournent et disent : Une magie persistante  » (Coran 54,1-2), serait un miracle puisque les savants de la NASA ont trouvé sur la lune une fissure de plusieurs kilomètres. En réalité, la NASA n’a jamais identifié cette fissure relatée aussi par les ahadith .


1 . Jacques Heers , L’Histoire assassinée , Éditions de Paris, 2006.

3 . Voir le site internet du Projet Aladin (en cinq langues : français, anglais, arabe, persan et turc). Les beaux discours sur la tolérance islamique et l’histoire des Arabes et des Juifs occultent l’antijudaïsme dans l’islam (sourates hostiles aux juifs ; dhimmitude ; « l’exode oublié » de 900 000 juifs des pays musulmans, de la Turquie à l’Iran en passant par les pays arabes). Farouk Hosny, ministre égyptien de la Culture, affirme ainsi que « La Shoah a été une transgression contre l’islam, comme religion  ». Étonnante remarque de la part d’un représentant du pays arabe qui a le plus fait traduire et diffuser d’ouvrages pro-nazis, antisémites et négationnistes depuis 1945, sans oublier l’accueil triomphal, au Caire, en 1945, sous Abd al-Nasser, du Grand Mufti de Jérusalem, condamné à Nuremberg pour complicité à la Solution finale, et nombre de dignitaire nazis allemands qui y vécurent en paix jusqu’à la fin de leurs jours.

4 . Véronique CHEMLA « La conférence « islamiquement correcte » de lancement du projet Aladin, 5 oct 2009, DRZZ  », http://jforum.fr/wp-content/uploads/IMG/jpg/Mustafa_Ceric_Andre_Azoulay_Ahmed_Toufiq.jpg

6 . Gérard Simon, « Ahmed Djebbar, Une histoire de la science arabe : Introduction à la connaissance du patrimoine scientifique des pays d’islam. Entretiens avec Jean Rosmorduc, Paris : Le Seuil, 2001 ; Revue d’histoire des sciences , vol. 57, no  1, 2004, p. 209-210.

7 . « Les Arabes ont été beaucoup plus que de simples intermédiaires. Leur science ne doit pas être considérée comme un relais, mais comme un temps dans l’histoire d’une science euro asiatique  », in P. Benoît et F. Michaud, « L’intermédiaire arabe ? », in M. Serres, Eléments d’Histoire des sciences , Paris, 1997, p. 268).

8 . Cette nouvelle vulgate s’appuie parfois sans le savoir – sur une vision de l’histoire façonnée par l’orientaliste nazie Sigrid Hunke, farouche adversaire du christianisme (S. Hunke, Le soleil d’Allah rayonne sur l’Occident, Paris, Albin Michel, 1re  éd. 1963, voir infra chap VII).

9 . Sylvain Gouguenheim , Aristote au mont Saint-Michel, Les racines grecques de l’Europe chrétienne, Éditions du Seuil, Paris, 2008.

10 . De Lacy O’Leary, D.D, Comment la science grecque est passée aux Arabes , Routledge & Kegan Paul, Londres, 1949.

11 . Marion Duvauchel (Professeur de Lettres), « la science arabe, une équivoque à dissiper », document PDF consultable en ligne, http://alternativephilolettres.fr/wp-content/uploads/2017/02/la-science-arabe-une-%C3%A9quivoque-%C3%A0-dissiper.pdf .

12 . The Arab civilisation , p. 180. Cf. Alexandre del Valle, thèse de doctorat « L’Occident face à la seconde décolonisation portée par les idéologies islamistes et indigénistes, de la guerre froide à nos jours  », Université Montpellier III-Paul Valéry, op. cit .

13 . Voir document : évolution des alphabets.

14 . Bernard Lewis , The Arabs in History , p. 120.

15 . Bernard Lewis , idem. Al-Waqidi, Futu al-Islam li-Bilad al-Ayam wa-l-Jurasan , Le Caire, 1891.

16 . L’astronome et mathématicien Al-Battani, (855-923) était un Sabéen de Harran. Les Sabéens ou Adorateurs des étoiles , étaient une communauté de païens hellénisés qui conservèrent notamment l’enseignement astrologique des Babyloniens jusqu’au X e  siècle.

17 . Harrân (Carrhes), est située en Mésopotamie, dans l’actuel sud-est de la Turquie, aux frontières de la Perse et de la Syrie. En 532, dans le cadre du traité de paix conclu entre le souverain perse Khosro Ier et Justinien Ier , les philosophes grecs s’y installèrent, près de la frontière perse. Les harranites, population sémitique, étaient dépositaires de nombreux textes syriaques et grecs de l’Antiquité. Vers 700, nombre de harranites manichéens, païens, juifs, chrétiens ou sabéens de Harran jouèrent un rôle central dans la traduction en arabe d’ouvrages grecs qu’ils surent traduire grâce à leur connaissance des langues sémitiques (syriaque-araméen et arabe) et du grec. Le plus célèbre des sabéens de Harran est Thabit ibn Qurra, mathématicien et astronome qui traduisit en arabe nombre de textes scientifiques grecs. On peut citer aussi le théologien chrétien helléniste Théodore Abou Qurrah, qui fut, de 795 à 812, l’évêque orthodoxe de Harran.

18 . Shojarddin Chaffa, De la Persia a la España musulmana, La Historia recuperada, Universidad de Huelva, Huelva, 2000, p. 21.

19 . Ibn Khaldoun  ; Muqaddima , trad au français par Vincent Monteil, pp. 296-300 et 337-341.

20 . Sylvain Gouguenheim , Aristote au mont Saint-Michel, Les racines grecques de l’Europe chrétienne , Editions du Seuil, Paris, 27 p.

21 . A. Besançon, L’image interdite , Paris, 1995.

22 . Voir le hadith  : « Celui qui dessinera la figure d’un être animé sera torturé et puis contraint de lui donner le souffle de la vie, mais il n’y parviendra pas  », in Al Boukhari, L’Authentique tradition musulmane , 91-45 (trad. G. Bousquet, Paris, 1964, p. 116).

23 . L’islam n’a en effet, rien à voir avec les conceptions dominantes de l’Humanisme et de la Renaissance, alors que Byzance y exerça une profonde influence ; K. Setton, « The Byzantine Background to the Italian Renaissance », Proceedings of the American Philosophical Society , 1956.

24 . Ibn Khaldoun , Muqqaddima , t. 1, op. cit. , pp. 285-286.

25 . Yuryi Zaydan, Tarikh at-tamaddun al-Islami , t. 3, chapitre I.

26 . Traduction : Fils de l’Hébreu. Martin Plessner, « The natural Sciences of Medecine ».

27 . Martin Plessner, « The natural Sciences of Medecine », in The Legacyoflam, Schacht and Bosworth , eds, pp. 425-460.

28 . Face aux menaces arabo-turco-islamiques constantes, les élites greco-byzantines qui le purent quittèrent les régions occupées par les Ottomans et migrèrent vers Venise, Gêne, Rome, Bologne, Florence, Padoue vers Vienne, Paris, Odessa, la Moldavie, La Hongrie… Ils se groupèrent par quartiers. En 1204, après la prise de Byzance par Venise (croisade détournée), les échanges s’accentuèrent. Même après 1453, la Crète resta longtemps aux mains de Venise. Eustathius de Thessalonique écrit que mille latins et vingt mille vénitiens vivaient à Constantinople vers 1200. En 1100, Haskins crée la première école qui ouvre la Nouvelle Logique d’Aristote à l’intention des latins.

29 . Etienne Couvert, La gnose universelle , tome III, Chiré, 1996, Paris, p. 74.

30 . Il s’agit en réalité d’une paraphrase des trois dernières Ennéades de Plotin cherchant à démontrer qu’il existe un accord entre Aristote et Platon.

31 . Surnom d’Aristote , natif de Stagire, en Macédoine.

32 . A « l’intermédiaire arabe », qu’il faut distinguer du monde islamique, et dont il faut mesurer ce que les Européens sont allés d’eux-mêmes lui emprunter, il faut ajouter « l’intermédiaire byzantin ». Il est paradoxal que Byzance demeure le grand oublié de l’histoire européenne à une époque où on tient à faire entrer la Turquie dans l’Europe.

33 . Al-Maàmoun soutenait en effet l’école musulmane hétérodoxe-rationaliste dite des mutazilites, considérée comme l’une des pires hérésies de l’islam. Loin d’être honoré par l’islam orthodoxe depuis le X e  siècle jusqu’à nos jours, ce calife éclairé, coupable d’avoir promu ce courant « hérétique » et ouvert à la philosophie, a été condamné par la postérité islamique.

34 . De nombreuses traductions en Arabes arabe ont été faites par des traducteurs n’appartenant pas à cette ethnie ou à cette religion

35 . De nombreux traducteurs étaient païens-Sabéens, à l’instar de Thabit b. Qurra.

36 . Honayn Ibn Ishaq (Johannicius en Europe), fut l’une des principales figures savantes du Califat abbasside. Originaire de Al-Hira, ville syriaque de Séleucie-Ctésiphon, dans l’Irak actuel, il étudia le grec à Alexandrie, ville encore largement chrétienne bien que conquise en 640 par les Arabes. Il poursuivit ses études de médecine à Bagdad, ce qui lui permit de traduire L’Anatomie de Galien. Promu médecin à la cour du Calife Al-Mutawakkil , il fut très apprécié par le souverain qui avait pourtant émis un décret obligeant les chrétiens à porter des signes distinctifs (toile jaune avant l’heure). Il composa des Traités sur la logique, un Recueil d’histoires attribué aux philosophes grecs. Le Calife al-Ma’mun lui commanda de traduire moult œuvres grecques. Il enseigna la philosophie aux Arabes.

37 . C’est une religion païenne du Moyen-Orient. Étant citée dans le Coran, elle bénéficie du classement de dhimmi. Aussi, quand l’islam exigea que les savants de cette religion, choisissent entre les trois monothéismes, ils optèrent pour la plupart pour la religion des sabéens. Ils gardèrent donc le paganisme et les musulmans ne purent leur opposer quoi que ce soit puisque, utilisant habilement cette contradiction du Coran en quelque sorte, ils le choisirent.

38 . L’un des harranites les plus célèbres fut Tabit Ibn Qurra. Avec ses successeurs, il fut l’un des principaux artisans des traductions du Grec à l’arabe et de la connaissance du legs grec dans le monde arabe. Ils maintiendront au moins jusqu’au X e  siècle leurs activités. Tabit Ibn Qurra n’était point arabo-musulman mais païen. Obligés par l’orthodoxie musulmane à se convertir à l’une des religions du Livre, les harranites se définissaient en fait comme païens mais ils optèrent pour la religion sabéenne. Les Arabes n’y purent rien sauf à contredire le Coran. Les Sabéens ont un statut de dhimmis .

39 . Ernest Renan, De Philosophia Peripatetica Apud Syros , Paris, 1852, in Tanyos Nujaym, op. cit. , p. 119.

40 . Respectivement, anciens noms d’Antakya, d’Apamée sur l’Oronte et de Lattaquié.

41 . Le nom de cette ville, cité dans la Bible est resté le même depuis le passage d’Abraham. C’est là que traversant l’Euphrate, il se sépara de ses frères Harran et Nahor

42 . La dynastie hellénistique des Séleucides régna en Syrie de 312-305 à 65 avant J.-C. Son empire fut annexé à Rome par Pompée en 64 avant J.-C. La pensée hellénistique s’y développa continuellement depuis lors.

43 . Soumise à l’organisation romaine, Antioche était un centre d’hellénisme très important. L’école d’Alexandrie, fondée dès le premier siècle, était l’un des tous premiers foyers du christianisme. Elle donnait aux convertis un enseignement chrétien complet capable de rivaliser avec l’enseignement des écoles grecques païennes de l’Antiquité », confirme l’historien libanais maronite Tanuys al-Nujjaïm. In, Tanyos Nujaym, in « La maronité‚ chez Estephan Duwayhi  » vol. 1, « La maronité‚ religieuse  » chap. 2, p. 84, l’auteur cite Jacques Chevalier in « Histoire de la pensée  », II « La pensée chrétienne  » Flammarion, p. 44.

44 . Beaucoup plus marquée par Aristote que par Platon, l’École d’Antioche fondait l’exégèse sur la méthode historique et critique dans un souci d’objectivité Les docteurs d’Antioche adoptèrent une espèce d’éclectisme assez voisin du stoïcisme et se rapprochaient davantage de la philosophie d’Aristote dont le caractère précis et rigoureux convenait mieux à leur esprit. Leur maître, Lucien d’Antioche, fondateur de l’école, pratiquait l’interprétation rigoureuse de la bible afin de laisser le plus de place possible au rationalisme.

45 . A la mort de Hénanisho II (778), le catholicos siégeant à Séleucie-Ctésiphon, Thimotée I er, lui succéda. Il devint alors un personnage de haut rang, et s’attira le respect du calife al-Mahdi (775-785). Le calife lui commanda des traductions d’Aristote en arabe, et Thimotée traduisit les Topiques d’Aristote. Nestor, disciple de Diodore de Tarse et de Théodore de Mopsueste, tous deux « antiochiens », avait une confiance sans limites dans la raison. Il quitta le chemin de l’orthodoxie et affirma qu’il y avait deux personnes en Jésus Christ, divine et humaine. Il fut patriarche de Constantinople et à l’origine du christianisme « nestorien », jadis florissant en Orient, en Perse, et jusqu’en Chine et en Inde.

46 . Jacques Heers, op. cit. , p 171.

47 . L’Irak chrétien fut à ce moment sous la coupe du gouverneur arabe de Mossoul qui entretint de bonnes relations avec Timothée alors consacré évêque, à tel point que son diocèse fut exempt de l’impôt spécial des dhimmis .

48 . Ibn Abi Usaybi’, Uyun al-Anba’Fi Tabaqât al-Atibba , éd. Dar Maktabat al-Hayat, Beyrouth, Liban. p. 246.

49 . Né à Cordoue en 1135, contraint à l’exil dès l’âge de treize ans, il part pour Fès où il achève ses études.

50 . Cf. Florian Besson, Moïse Maïmonide  », Les Clés du Moyen Orient, 14 mars 2013.

51 . Muqaddima (Le discours sur l’histoire universelle) Trad. V.Monteil, Beyrouth, 1967. p. 1046.

52 . L’Espagne musulmane, André Clot, Perrin, Tempus, Paris, 1999, réed 2004.

53 . Shojarddin Chaffa, De la Persia a la España musulmana, La Historia recuperada, Universidad de Huelva, Huelva, 2000, pp. 132-142.

54 . Un autre médecin grec, Theodoros, qui vécut en Perse de 309 à 379, durant le Royaume de Sapur II, réédita un « Compendium » médical en langue pahlavie, lequel fut ensuite traduit en arabe et que Ibn al-Nadim mentionne dans le « Fihrist  ».

55 . Traduite en latin sous le titre de Algoritmi de numero Indorm par Adelard de Bath (Adelardus Bathoniensis) en 1126, et par Jean de Séville (Johannes Hispalensis), sous le titre de Liber augmenti et diminutionis, Algoritmi de numero Indorum .

56 . In Shojaeddin Shafa , De la Persia a la España musulmana, La Historia recuperada, op. cit. , pp. 366-369.

57 . Terme d’origine pahlavi composé de racines iraniennes : Bag (Dieu) et Dât (cadeau). D’évidence, Bagdad fut une capitale au moins autant perse qu’arabe, et elle était définie par Yahiz comme « une copie de Mada’in » (Cstesiphon).

58 . Particulièrement intéressé par la philosophie indienne, grecque, par les mathématiques et la médecine, il envoya des ambassades et des cadeaux auprès de princes indiens pour leur demander en retour de mandater des philosophes pour venir enseigner à sa cour perse.

59 . Les premiers qui utilisèrent le zéro et le système numérique, juste après les Indiens, furent non pas les Arabes mais les mathématiciens de renom perses, entre les X e et XI e  siècles : Kusyar Ibn Labban, et son disciple Abou l-Hassan an-Nasawi ou le chrétien Sévère Sebockt du monastère de Quénistré. Cf. Shojarddin Chaffa, De la Persia a la España musulmana, La Historia recuperada, Universidad de Huelva, Huelva, 2000, pp. 134-193.

60 . In A History of Mathematics de Victor J. Katz (Addison-Wesley Educational Publishers, 1999) supporte les affirmations précédentes.

61 . F. Dietrici, cité in Shojaeddin Shafa , De la Persia a la España musulmana… , op. cit., p. 366.

62 . Vossius : « De universae mathesas natura et constitutione », Bonn, 1660, pp. 39-40, cité par Georges Ifrah dans Histoire universelle des chiffres, Paris, 1994, vol. 2, p. 801.

63 . Cité in Otto Rohfield : « The value of Persian littérature, Sir J.J. Modi Memorial Volume, p. 237.

64 . Roger Arnàaldez, Sciences et philosophie dans la civilisation de Bagdad sous les premiers « Abbassides » , Arabica, IX ; 1962, pp. 357-373.

65 . Cf. Shojarddin Chaffa, De la Persia a la España musulmana, op. cit. , p. 21.

66 . Ibn Rushd (1126-1198) – Averroès, naquit à Cordoue d’une famille espagnole autochtone.

67 . Il imagine un système complexe d’intellect passif et d’intellect actif, ce dernier étant relié aux intellects supérieurs auxquels on arrive par la science, qui monte jusqu’à Dieu.

68 . Lavisse et Rambaud, Histoire Générale, Armand et Colin, Les origines, t. 1, p. 782.

69 . Averroès élabora un système de pensée permettant de réconcilier la philosophie et la loi divine, afin d’« unir le rationnel (ma’qul) et le traditionnel (manqûl) » notamment dans son Traité décisif (Fasl al-maqâl). Il tomba en disgrâce vers 1095 et fut banni par les autorités musulmanes le jugeant « hérétique ». Ses livres furent brûlés. Son nom fut longtemps ignoré en Orient, alors qu’en Occident, l’« averroïsme latin » se prolongea jusqu’au XII e  siècle. Au traité d’Abou Mohammed Al-Ghazali  : Tahafot el Falasifa (L’effondrement des Philosophes ), il répondit par une réfutation : Tahafat el Tahafot (L’effondrement de L’effondrement ou Réfutation de la réfutation , suivant la traduction). Ce fut insuffisant pour sauver du naufrage la pensée arabo-musulmane.

70 . George Ifrah : Histoire Universelle des chiffres , ed Seghers. Traduit par Dozy, cité par Renan et repris par Ifrah et Henri Serouya La Pensée Arabe , Presses Universitaires de France, p. 59.

71 . Athée, sans doute venant de zen en persan, doctrine proche des Zoroastres.

72 . Franc-Maçon.

73 . Sectes nées de la réaction des peuples assujettis par l’islam (chiites héritiers du Zoroastrisme en particulier, libres penseurs).

74 . Alias Algazel, théologien de l’islam, dont le prestige a traversé les siècles, est lui aussi Perse et non arabe. Il réussit à délégitimer la philosophie en employant, dans sa rhétorique, les mêmes méthodes logiques qu’il avait apprises d’elle, tout en mettant en place une censure implacable. Il écarta du droit et du savoir islamiques tout ce qui, dans la pensée grecque, contredisait le monothéisme musulman. Abou Mohammed Al-Ghazali ne l’aurait pas emporté contre les falsifias s’il avait régné alors une liberté non censurée. Ghazali abandonna l’humilité dubitative pour se réfugier dans sa certitude de l’islam qui ne réclamait pas de théorie structurée philosophique mais un corpus de croyances en un Dieu unique et une soumission à Lui et à sa Loi.

75 . Al-Ghazali Tohafot el Falsafia, cité par Ahmed Djebbar dans Une histoire des sciences Arabes, op. cit.

76 . Plotin et sa conception du « Un » – et du Dieu « Premier Un », parfaitement simple – utilisée par la métaphysique d’Al-Farabi .

77 . La Logique et l’Organon , d’Aristote .

78 . Nom donné aux philosophes arabes, tiré du grec

79 . L’Islam bloqué , Robert Laffont, Paris, 1992 et Que veulent les Arabes ? , Éd. Page après page, Paris, 2004

80 . Cité in Par Paul Balta, L’islam : idées reçues sur l’islam , Le Cavalier bleu, 2001.

81 . Effort d’interprétation des textes sacrés avant que ne soient définitivement fermées vers le IX e  siècle les « Portes de l’Ijtihad ».

82 . Les mystiques, qui estiment que l’on peut rencontrer Dieu dans une expérience personnelle, furent persécutés et restent minoritaires

83 . Droit révélé, le fiqh puise dans trois autres racines (osoul) de la révélation islamique complémentaires et nécessaires à l’interprétation : l analogie (Qyas ), le consensus (Idjmà) , et le Ray, ou jugement humain, à titre exceptionnel. C’est à partir de ces sources et techniques « licites » que les premiers juristes musulmans posèrent les bases des quatre écoles juridiques du Sunnisme : Chafiisme, Malikisme, Hanafisme, Hanbalisme. La charià et le Fiqh sont les interprètes de la Révélation et dictent au croyant le Statut familial, le droit pénal, le droit public et international, les relations avec les non-musulmans, la vie religieuse, politique et sociale.

84 . Toute personne insultant le Prophète, l’une de ses épouses ou l’un de ses compagnons était flagellé jusqu’à la mort.

85 . El Sherif Ihab L’islamisme militant en Egypte : ses origines, son évolution et sa radicalisation , thèse de doctorat à la Sorbonne 1993, p. 324.

86 . Tome 1, Le Monde grec , Paris, Le Seuil, 1981.

87 . Aux XII e et XIII e  siècle : Ravenne, Rome, école de médecine de Salerne Italie du Sud, « Magna Grecia, Sicile, Naples puis la Crète, Chypre et Rhodes.

88 . Jacques Heers , p. 170-171.

89 . Jacques Heers , p. 170-171.

90 . Jacques Heers , p. 172.

91 . Jacques Heers , idem. A Byzance, la rivalité entre les familles Lascari et Comnène poussa ces derniers à fonder, juste avant la première chute de Byzance, un domaine autour de Trébizonde où furent transférés des manuscrits grecs. Aussitôt après, les Latins entrèrent dans Byzance et les bibliothèques se retrouvèrent dans leurs mains. Les Lascari fondèrent un faible empire autour de Nicée 1205, où affluèrent réfugiés et professeurs.

92 . C’est en fait dès 610, donc bien avant les conquêtes musulmanes, qu’Héraclius avait opéré un retour vers la science grecque pure et demande à Stéphane d’Alexandrie de venir réorganiser l’université, après le virage chrétien de Philopon.

93 . On sait grâce à Anne Comnène (cf. son Alexiade) que la culture des élites au XI e  siècle était élevée : apprentissage complet du grec, de la réthorique, lecture des grands philosophes (Aristote et dialogues de Platon) ; la tetraktys (le quadrivium des Latins) des sciences, etc.

94 . Aristote au mont Saint-Michel, Les racines grecques de l’Europe chrétienne , Editions du Seuil, Paris, 2008.

95 . Il connaissait Platon, Porphyre, Ptolémée, Archimède, Euclide et les transmettait. Il put parfaire sa formation dans les bibliothèques de Constantinople et dirigea l’université impériale de la Magnaure à partir de 863.

96 . Cf. J. Irigoin, « Survie et renouveau de la littérature antique à Constantinople, IX e  siècle », Cahiers de civilisation médiévale, 1962, p. 287-302 ; K. Oehler, « Aristote in Byzantium », Byzantine and Modern Greek Studies , 5, 1964, p. 133-146.

97 . Voir Arethae Scripta minora , éd. L. G. Westerink, I, Leipzig, 1968, p. 325.

98 . Cf. Opera , éd. N. Kecakmadze, Tbilissi, 1966 ; Quaestiones quodlibetales , éd. P. Joannou, Ettal, 1956. Voir P. Joannou, Christliche Metaphysik in Byzanz , Ettal, 1956 ; P. Stephanou, Jean Italos, philosophe et humaniste , Rome, 1949 ; L. Clucas, The Trial of John Italos and the Crisis of Intellectual Values in Byzantium in the Eleventh century , Münich, 1981.

99 . D. Jacquart, « La scolastique médiévale » in M. Grmek, Histoire de la pensée médicale en Occident , p. 177-179

100 . André Vernet , « La transmission des textes en France », in La Cultura antica nell’ Occidente latino dal VII all’ XI secolo , Settimane di studio del Centro italiano sull’alto Mediœvo, Spolète, XXII, 1975, p. 89-123.

101 . De même, les œuvres des grands médecins du XI e  siècle, Gariopontus (mort en 1050, auteur du Passionarius ) et de Petrocellus (la Practica ) ne doivent rien aux traductions arabes de la médecine galénique, puisqu’elles sont leur également antérieures. D. Jacquart, La médecine arabe et l’Occident médiéval, Paris, 1990, p. 120.

102 . Maxime Rodinson , La fascination de l’islam, op. cit. , p. 45.

103 . Jacques Heers , L’Histoire assassinée, op. cit. , p. 171.

104 . « Première renaissance » grâce à la sagesse grecque.

105 . D. Jacquart La médecine arabe… , p. 214. Le texte de Némésius est un résumé des sciences naturelles et de la philosophie des Grecs.

106 . On lui doit Pantegni , la traduction de l’encyclopédie médicale (Le livre royal / Kamil al Sina-a ) d’Al-Majusi qui traduisit Galien, l’œuvre médicale d’Hunayn ibn Ishaq ; La chirurgie (extrait de la Pratique ), Le livre de médecine oculaire (traité ophtalmologique d’Ibn Ishaq).

107 . Pour Jacques Heers , qui utilisait des guillemets, « parler d’« arabes » est déjà une erreur. Dans les pays d’islam, les Arabes, lettrés et traducteurs, furent certainement bien moins nombreux que les Persans, les Egyptiens et les chrétiens de Syrie et d’Irak  ».

108 . Jacques Heers , « La fable de la transmission arabe du savoir antique », la Nouvelle Revue d’Histoire , juillet-Août 2002

109 . A « l’intermédiaire arabe », qu’il faut distinguer du monde islamique, il faut ajouter « l’intermédiaire byzantin ».

110 . Juifs qui ne reconnaissaient que la tradition écrite et non orale.

111 . Troyes parmi les plus importantes.

112 . Chartres, Paris, Laon, Orléans, Reims et bien d’autres encore.

113 . Les rois d’Espagne ayant repoussé de Tolède les Maures (Almohades) en 1087, Alphonse VIII créa à Palencia la première université espagnole. A Barcelone, Alphonse X après d’autres victoires sur les Maures, créa à Salamanque la deuxième université réunissant astronomes chrétiens, juifs, mozarabes et arabes.

114 . Bonaventure était italien, Raymond Lull espagnol, Roger Bacon ou Grossetête anglais, Albert le Grand allemand, Adam de la Halle français, Marco Polo vénitien, Jean Boinebroke de Douai. Le scientifique franco-israélien Serge Yana rappelle que « pour les décorer les cathédrales de magnifiques vitraux, ou de dentelles de pierres, il fallait avoir atteint un haut niveau dans la maîtrise du verre, de la couleur et de la manipulation du plomb ou de la pierre. Pour construire une maison de cette époque – dont nombre sont toujours debout – il fallait déjà avoir la parfaite connaissance des essences et du travail du bois, des assemblages de charpentes en bois avec la pierre, savoir gérer des carrières, des forêts  », in The reality of islamic and arab science, ISIC, 2003.

115 . « Outre l’amélioration des conditions de transport, ceci permit la conception de charrues à soc versant, imaginées dans l’antiquité (mais l’esclavage ne la rendait pas nécessaire) et de herses. Parallèlement, on inventa le joug qui permettait d’atteler deux bêtes  ». Serge Yana idem.

116 . Alors que les rendements à l’hectare en céréales stagnent en islam, ils se rapprochent dans l’Europe du Nord (vers 1300) de ceux de la France de 1900. En Angleterre, on rédige des manuels d’agriculture (Walter of Henley). Moulins à eau, à vent, charrues, attelages sont connus dans l’antiquité. Toutefois, c’est l’Occident européen qui a su les diffuser et les adapter.

117 . Sylvain Gouguenheim , La Sybille du Rhin , Paris, 1996 ; L. Moulinier, Le manuscrit perdu à Strasbourg. Enquête sur l’œuvre scientifique de Hildegarde de Bingen , Paris, 1995, p. 286.

118 . Maladies respiratoires, oculaires, articulaires, osseuses, dermatologiques, mentales, circulatoires, cardiaques, rénales, sexuelles, dentaires, cancérigènes, féminines, goutte et d’autres encore (cf. Liber Vitae Meritorom ).

119 . Découvertes technologiques : harnais « moderne », charrue à roue, captation d’énergies hydraulique et éolienne, bielles et cames qui transforment le mouvement rotatoire en mouvement alternatif et permettant de scier les troncs en poutres ; martelage mécanique des aciers dans les forges.

120 . En 998 est élu abbé du Mont Cassin, un moine Jean de Bénévent qui a vécu au Sinaï puis au Mont Athos J.-M. Santerre « Recherches sur les ermites du Mont Cassin », Hagiographica , II, 1995, p. 57-92.

121 . J. Irigoin, « La culture grecque dans l’Occident latin du VII e au XI e  siècle », in La Cultura antica nell’ Occidente latino dal VII all’ XI secolo, Settimane di studio del Centro italiano sull’alto Mediœvo Il fait recopier des manuscrits grecs contenant des traités ascétiques et mystiques., Spolète, XXII, 1975, p. 425-456.

122 . A. Guillou « L’école dans l’Italie byzantine », in La scuola nell’Occidente latino dell’alto mediœvo , Settimane di studio del Centro italiano sull’alto Mediœvo, Spolète, XIX, 1972, p. 303sq.  ; A. Guillou, « La Sicile byzantine. État de recherche », Byzantinische Forschungen , V, 1977.

123 . Manuscrits de L’Organon (la Logique) d’Aristote , et De interpretatione de Stéphanos d’Alexandrie, BNF, Parisinus gr. 2064.

124 . Un manuscrit du médecin Dioscoride, copié au VIII e  siècle dans l’écriture typique de Byzance, prouve les liens entre l’empire grec et l’île. Sous la domination normande, aux XI e  et XII e  siècles, la culture grecque y fut protégée. Les monastères (Saint Philippe de Demenna ; Sainte Marie de Mili ; Saints Pierre et Paul d’Italie ; Saint-Sauveur de Bordonaro) possédaient de riches bibliothèques en lien avec Byzance et des manuscrits anciens.

125 . Manuscrit conservé à la bibliothèque Nationale de Paris. Elle fut imprimée à Brescia, en Italie, en 1489.

126 . In J. Irigoin, « La culture grecque… », p. 446.

127 . P. Gandil, Les études grecques à l’abbaye de Saint-Denis au XII e  siècle , Thèse de l’Ecole des Chartes, Paris, 2003.

128 . Péroncel-Hugoz dans Le radeau de Mahomet , Champs, Flammarion, 1984. p. 46.

129 . Longue série de Papes grecs et syriaques de Boniface III 607 jusque Zacharie (741-752), Théodore I 642-649, Jean V 685-686 ; Sisinnio 708-709, Constantin I 709-715, Grégoire III 731-742 ; Jean VI 701-705, Jean VII 705-707, Zacharie.

130 . Théodore de Tarse, qui étudia à Athènes, s’installa à Rome. Il finit archevêque de Cantorbéry (669-690). Hadrien, helléniste nord-africain, rediffusa le grec en Grande-Bretagne, ce qui posa les bases de l’école de Cantorbéry.

131 . P. Canart, « Le patriarche Méthode de Constantinople copiste à Rome », Paleographica, diplomatica e archivistica. Studi in onore di Giulio Battelli, I, Rome, 1979, p. 344-352.

132 . Du nom allemand hansa  : association ; elle groupait armateurs, navigateurs, grands commerçants de 64 villes du Nord de l’Europe, possédait de grands entrepôts, des bateaux, gérait ports et comptoirs à l’étranger, défendait ses adhérents contre les pirates (1241à1723).

133 . J.-J. Ampère, Histoire littéraire de la France jusqu’au XII e  siècle, Paris, 1839.

134 . P. Riché, Les grandeurs de l’an mille , Paris, 1999, 367 p.; Ph. Wolff, L’éveil intellectuel de l’Europe , Paris, 1971 ; D. Iogna-Prat et J.-Cl. Picard, Religion et culture autour de l’an mil. Royaume capétien et Lotharingie , Paris, 1990.

135 . In O. Guyotjeannin et E. Poulle, Autour de Gerbert d’Aurillac , le pape de l’an mille, Paris, 1996, p. 322-328.

136 . In P. Riché, Les grandeurs de l’an mille , Paris, 1999, p. 208. Voir aussi K. Vogel, « L’arithmetica e la geometria di Gerberto », in Gerberto Scienza, Storia e Mito (Atti del Gerberti Symposium), Bobbio, 1985, p. 577-617.

137 . Cf. G. Beaujouan, « Les Apocryphes mathématiques de Gerbert », in Gerberto Scienza, Storia e Mito (Atti del Gerberti Symposium), Bobbio, 1985, p. 645-657.

138 . Cf. E. Poulle, « L’astronomie de Gerbert », in Gerberto Scienza, Storia e Mito, Bobbio, 1985, p. 597-617. O. Guyotjeannin et E. Poulle, Autour de Gerbert d’Aurillac , le pape de l’an mil, Paris, 1996, p. 342-345.

139 . A. Crépin, Educations anglo-saxonnes, Amiens, 1992, p. 13-18.

140 . Un traité d’astronomie du monastère de Ripoll (Catalogne) est conservé dans le manuscrit no  225 de la Bibliothèque de Barcelone.

141 . Cf. Sylvain Gouguenheim , Aristote au mont Saint-Michel, op. cit.

142 . Cf. P. Gilli, Former, enseigner, éduquer dans l’Occident médiéval, t. 1, Paris, 1999, pp. 24-27.

143 . Cf. B. Laurioux et L. Moulinier, Éducation et cultures dans l’Occident chrétien …, 1998.

144 . On lui doit la traduction des Seconds Analytiques vers 1128 ; De l’âme et De la mémoire, d es Petits traités d’Histoire naturelle (Parva naturalia ), de la Réfutation des sophismes (Elenchus Sophistici) , de la Physique  ; des huit livres des Topiques (autre partie de la Logique) et de la Métaphysique . Cf. Avranches, Bibl. Mun. Ms 221, f° 2-21v et f° 21v-24.

145 . Voir F. Bossier et J. Brams (éd.), Physica Translatio vetus (Iacobi) , in L.Minio-Paluello, Aristoteles latinus , VII 1.1, Leiden / New-York, 1990, p. XXVII-XXXV.

146 . In Sylvain Gouguenheim , Aristote au mont Saint-Michel, op. cit.

147 . P. Benoit et F. Micheau « L’intermédiaire arabe ? », in M. Serres, Eléments d’histoire des sciences, Paris, 1997, p. 265.

148 . La Métaphysique , la Physique , les Météorologiques , les Petits traités d’Histoire naturelle , les Seconds Analytiques, notamment.

149 . Selon L.Génicot (Le XIII e  siècle européen, Paris, 1968, p. 213-218).

150 . Sylvain Gouguenheim , Aristote au mont Saint-Michel, Les racines grecques de l’Europe chrétienne , Editions du Seuil, Paris, 27 p.

151 . André Vernet , « La transmission des textes en France », in La Cultura antica nell’ Occidente latino dal VII all’ XI secolo , Settimane di studio del Centro italiano sull’alto Mediœvo, Spolète, XXII, 1975, p. 89-123.

152 . J. Vemet, Los médicos andaluces de Ibn Yulul, C.H.M. 5, (1948) ; Fú´ad Sayyid, prólogo de la edición árabe del Kiuib ´fabaqiit a /-atibbii´ wa- /.hukama ´. Le Caire, 1955.

153 . Juif de Huesca, Moses Sefardi, converti au christianisme (Pedro Alfonso), jouera aussi un rôle important, aux côtés de Hugo de Santalla et ben Ezra.

154 . Aristote au mont Saint-Michel, Les racines grecques de l’Europe chrétienne, Paris, Le Seuil, p. 20.

155 . Sylvain Gouguenheim , Aristote au mont Saint-Michel, op. cit.

156 . Voir R. Lemay, « Dans l’Espagne du XII e  siècle, les traductions de l’arabe au latin », Annales ESC , 18, 1963, p. 639-665.

157 . Hermann a ainsi traduit la Grande syntaxe de Ptolémée les Données, les Optiques et les Catoptriques d’Euclide, voir p. Gilli, Former, enseigner, éduquer dans l’Occident médiéval, T. 1, p. 24-27.

158 . Sylvain Gouguenheim , Aristote au mont Saint-Michel, idem.

159 . L’Islam expliqué aux enfants , Seuil, 2002.

160 . André Clot, L’Espagne musulmane, Perrin, tempus, Paris, 1999, réed. 2004.

161 . André Clot, L’Espagne musulmane , op. cit. , p. 228.

162 . Pierre Guichard, Al-Andalus, 711-1492 , Hachette, 2000.

163 . Jacques Heers , L’Histoire assassinée, édition de Paris, 2006.

164 . La vie quotidienne dans l’Europe médiévale sous domination arabe , Hachette, 1986.

165 . Les Arabes n’ont jamais envahi l’Espagne , L’Histoire, Flammarion, 1969.

166 . Al-Andalus contra España, Siglo XXI , 2002 ; ou encore La quimera de Al-Andalus, Siglo XXI , Madrid, 2004.

167 . André Clot, L’Espagne musulmane , idem .

168 . Pierre Guichard, Al-Andalus, op. cit. , pp. 30-31.

169 . André Clot, L’Espagne musulmane , op. cit ., p. 236.

170 . Cité par André Clot, op. cit ., p. 241.

171 . Pierre Guichard, Al-Andalus , 711-1492, Hachette, op. cit.

172 . La renovada actualidad de los mártires de Córdoba y su resistencia ante la imposición », El debate de hoy, 22 novembre 2018, El debate de hoy , 22 janvier 2018.

173 . Saint Euloge de Cordoba, Memorial de los Santos , Libro I, op. cit ., pp. 88-89.

174 . Cité in Bernard Lewis , Los Judios del islam , Madrid, 2002, p. 58.

175 . Bataillon Marcel. Ibn Hazm de Córdoba, El Collar de la Paloma . Tratado sobre el Amor y los Amantes, Traducido del árabe por Emilio Garcia Gómez, con un prólogo de José Ortega y Gasset. In : Bulletin Hispanique , tome 55, no  3-4, 1953. pp. 388-391.

176 . Les taïfas désignaient les royaumes arabo-berbéro-musulmans indépendants formés après la dissolution du Califat de Cordoue en 1031et situés dans l’Espagne médiévale. Ces royaumes étaient souvent opposés entre eux et leur divisions et guerres facilitèrent la Reconquista chrétienne.

177 . Serafin Fanjul , ibid. , pp. 42.

178 . Traité, p. 150, cité in Serafin Fanjul , ibid. , pp. 43-44.

179 . Cf. « Pacte de Omar », statut légal des juifs et chrétiens sous l’islam.

180 . Bernard Lewis , Los Judios del islam, pp. 51 et 188.

181 . Melhem Chokr, Zandaqa et zindîqs en islam au second siècle de l’hégire , préface de D. Gimaret, Damas, Institut français de Damas, 1993.

182 . Miguel Asin Palacios, Abenmasarra y su escuela , p. 138.

183 . Tome 3, pp. 482-484.

184 . Maria Isabel Fierro, M.I. : Accusations of Zandaqa in Andalus , RSA, V, 1987, pp. 251-258.

185 . Roger Garaudy , L’Islam en occident , p. 213.

186 . Pierre Guichard, op. cit. , pp. 71-72.

187 . Désigne les mercenaires et esclaves slaves dans la civilisation arabo-musulmane.

188 . Selon la vision géocentriste, aberration scientifique, la Terre est fixe au centre du système solaire et tous les autres astres gravitent autour d’elle. A l’opposé, l’héliocentrisme, système copernicien, affirme que le soleil est au centre et fixe par rapport aux planètes. Le système copernicien fut pressenti par le Grec Aristaque de Samos mille ans plus tôt, et non par les Arabes.

189 . Comment la vie prend-elle naissance à partir d’un œuf non vivant ? voir réponse page 131 : la vie est un principe immatériel animant la matière et la nature ordonnée par une intelligence supérieure en vue d’un but, d’où le rôle primordiale des causes finales.

190 . Cela est net dans le conte philosophique d’ibn Toufayl : l’Histoire de Ibn Yaqzan, Vivant Fils de l’Eveillé.

191 . Première erreur, l’œuf fécondé est vivant. Il est clair que l’on ne doit pas tout à Aristote qui a fait de nombreuses erreurs.

193 . On ne peut parler de distillation sans faire référence à la pression, atmosphérique ou autre, et sans thermomètre. On ne peut parler d’alcool éthylique sans savoir que ce composé est constitué de deux atomes de carbone associés par une liaison covalente simple et entourés de six atomes d’hydrogène, l’un d’entre eux combiné à un atome d’oxygène de telle façon qu’on obtienne un groupement qui est justement la particularité des composés appelés alcool et que dans ce cas ou il y a deux carbones, il s’agit d’alcool éthylique.

194 . Marcelin Berthelot, « La chimie dans l’antiquité et au moyen-âge », Revue des deux mondes, tome 119, 1993.

195 . Ibn Khwarizmi est souvent présenté par les Arabes et les propagandistes musulmans comme l’inventeur de l’informatique. En réalité, ses écrits ne contenaient aucun chiffre, toutes les équations étant exprimées avec des mots. On ne lui doit que les termes comme « algorithme » ou « algèbre », in Shojaeddin Shafa , ibid. , p. 366.

196 . M. Chasles, Histoire de la Géométrie , op. cit., http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k996370 .

197 . Ahmed Djebbar, Une histoire des sciences Arabes, Entretiens avec Jean Rosmorduc , Points Sciences, op. cit.

198 . Buridan, alors recteur de l’université de Paris, échafauda une théorie du mouvement qui donna naissance à la mécanique rationnelle en introduisant l’idée que l’impétus (mécanique de l’impétus. Rôle de la conservation du mouvement et celui des forces de réaction – frottement de l’air, pesanteur…) devient une des propriétés d’un corps massif en mouvement. Galilée précisera l’idée, l’expérimentera et distinguera l’accélération de la vitesse. Newton l’appliquera à la mécanique céleste.

199 . Les Chinois la connaissaient aussi.

201 . « Des savants occidentaux jouent un rôle clé en vendant la « science » du Coran, http://www.faithfreedom.org/Articles/DGolden/touting_science.htm  ».

202 . Le document est notamment disponible sur des sites internet tels que www.Islamicity.com , qui a eu plus d’un million de visiteurs en novembre.

203 . Cor, 25, 53 : « C’est Allah qui a fait confluer les deux mers : l’une est douce, agréable au goût ; l’autre est salée, amère. Il a placé entre les deux une barrière, une limite Infranchissable  » ; 35, 12 : « Les deux mers ne sont pas identiques : l’eau de celle-ci est potable, douce, agréable à boire, l’autre est salée, amère, mais elles vous procurent une chair fraîche que vous mangez et vous en retirez les joyaux dont vous vous parez » ; 55, 19-20 : « Il (Allah) a fait confluer les deux mers pour qu’elles se rencontrent ; mais elles ne dépassent pas un barrière situé entre elles. »

205 . Jean Pierre Filiu, 2008, L’Apocalypse dans l’islam, Fayard, 2008, note 331.

206 . c’est Mahomet qui dit : « Si une mouche tombe dans votre tasse, plongez-la dans la boisson, parce que dans l’une de ses ailes, il y’a la maladie et dans l’autre le remède » (Sahih al-Boukhari , vol. 4, p. 537)

207 . Sourate El Hadid 25 (Coran 57, 25).

208 . « Et tu verras les montagnes – tu les crois figées – alors qu’elles passent comme des nuages. Telle est l’œuvre de Dieu qui a tout façonné à la perfection. Il est Parfaitement Connaisseur de ce que vous faites ! » (Coran 27,88) « Quand le soleil sera obscurci, 2. et que les étoiles deviendront ternes, 3 et les montagnes mises en marche,