Note de l’éditeur


Roland Barthes disait souvent le dessein, au fil des dernières années, de publier de nouveaux recueils d’essais critiques, pour lesquels le tissu existait amplement. Il avait même ébauché plusieurs groupements. Au moment où il a fallu reprendre ce travail — non à sa place, on dira pourquoi —, un principe était clair : devaient être laissés à l’écart, comme dans les deux précédents volumes (Essais critiques, 1964 ; Nouveaux Essais critiques recueillis à la suite du Degré zéro de l’écriture, 1972), les textes plus occasionnels, écrits pour une intervention ponctuelle. Ce sont donc les préfaces, articles de revue et études qui devaient être retenus : bref, ce qui constitue proprement un essai. Jalons — était-il dit dans le premier volume — d’une expérience intellectuelle caractéristique de l’époque ; on ajoutera ici : à condition de mettre l’accent autant sur l’expérience que sur l’intelligence qui y est au travail ; et de préciser qu’à travers l’exploration de l’« empire des signes », s’est toujours davantage énoncé l’irremplaçable dessin — il vaudrait mieux écrire : la volumétrie — d’une subjectivité : celle de qui se désignait lui-même, dans un projet, comme « l’amateur de signes ».

Même une fois le choix opéré, l’étendue d’écrits qui demeuraient était impressionnante — insoupçonnée pour beaucoup. C’est alors que sont apparues l’importance et la progression des recherches sur ce que, faute d’un meilleur mot, on appellera l’écriture du visible (photographie, cinéma, peinture) ainsi que sur la musique ; et qu’il a semblé opportun d’ordonner cet ensemble, en réservant les essais sur le texte littéraire pour un autre recueil. Nul ne peut être sûr que R.B. aurait adopté ce découpage : il faut donc en prendre la responsabilité, comme celle du titre — emprunté à l’article sur Eisenstein —, qui a paru recouvrir assez bien tout le volume, dans son mouvement qui va de l’organisation symbolique au supplément énigmatique, « sans signifié », au « faux pli » subversif de la signifiance.

Il faut prendre aussi la responsabilité de l’ordre choisi : pour la disposition et pour les quelques grandes sections qui ont été ici proposées, on peut même se dire sûr qu’elles n’auraient pas été celles de R.B. — sûr simplement parce que le travail de la mise en place a toujours été un de ceux où la création barthésienne a surgi, pour qui la suivait au long des jours, dans ce qu’elle avait de plus imprévisible ; parce qu’ordonner appartenait à ce qu’il y avait de plus irréductible dans l’originalité de cette œuvre — dans la cohésion d’une écriture complète où rien ne peut permettre de distinguer entre l’invention du concept, le choix de l’image-clé, le phrasé et la respiration du discours. Du moins a-t-il semblé qu’à avancer comme on l’a fait, on parvenait à respecter assez généralement l’ordre chronologique tout en permettant de saisir le déplacement de la pensée comme les réappropriations du style.

Rappelons-le enfin : R.B., veillant avec le plus grand soin au moindre détail de ce qui touchait à l’activité de l’écrivain, rédigea toujours lui-même l’essentiel du « prière d’insérer » de ses livres, comme il choisit d’être l’auteur du Roland Barthes des Écrivains de toujours : c’est assez dire que l’éditeur ne peut que ressentir l’obligation où il s’est trouvé de devoir intervenir ici, comme la contrainte de marquer d’une rature inopportune l’unique responsabilité du discours1.

F.W.


1.

En un cas, la règle barthésienne de ne pas confondre l’écrit avec l’oral a été transgressée : pour la conférence sur Charles Panzéra prononcée à Rome en 1977 ; c’est que nous disposions d’un texte entièrement rédigé et qu’il nous a paru important, à la fois parce qu’il complète les écrits précédents sur la musique et par sa portée biographique.

Dans le champ de la peinture, tous les essais écrits par R.B. — et tous écrits relativement tard — auraient pu être rassemblés ici grâce à l’accord très facilement donné des différents éditeurs, si n’avait dû, à notre vif regret, être réservé le cas d’un écrit consacré à Steinberg, commandé voici plusieurs années et rédigé dans la dernière écriture de Barthes — celle des fragments. La publication originale de ce livre, pour lequel le texte de R.B. avait été remis dès 1977, s’est trouvée en effet retardée jusqu’à ce jour.