Conclusion

DE QUELQUES BONS USAGES DE L’HISTOIRE CONNECTÉE

Cet ouvrage est un exercice d’« histoire connectée », mais il ne prétend pas pour autant écrire une « histoire à parts égales », pour reprendre l’irénique formule de Romain Bertrand. Outre que le monde, passé aussi bien que présent, est plus fait de discontinuités et d’inégalités que d’harmonie préétablie, il y a concrètement trop d’asymétrie entre les corpus respectifs de sources européennes et sud-asiatiques pour soutenir une telle ambition. Ainsi, pour ce qui est de la période 1500-1750, face à des dizaines de textes européens sur l’Asie méridionale, d’intérêt variable bien entendu, on n’a pu identifier que trois textes sud-asiatiques mentionnant directement les Européens, dont l’un est en arabe, et deux sont en persan. Dans l’immense corpus de textes sanscrits, on trouve seulement une vague allusion dans un ouvrage plutôt obscur. Certes, ce silence, dira-t-on, est à sa façon éloquent, à condition cependant de ne pas le sur-interpréter. Comment alors écrire une histoire, non pas « à parts égales », mais « équilibrée », qui évite le piège de l’européocentrisme sans tomber dans les excès d’un post-colonialisme mal maîtrisé ? C’était le défi à relever.

Dès lors qu’il cerne la nature de la connexion, l’historien est amené à renvoyer dos à dos l’école d’inspiration plus ou moins « impérialiste », même reconvertie en histoire de l’expansion européenne, et les écoles « nationalistes ». Tandis que la première voyait dans l’arrivée des Européens une conséquence inéluctable de l’avance de l’Europe sur le reste du monde, et un phénomène plutôt positif, les secondes soulignaient la déstabilisation catastrophique d’un ordre plutôt harmonieux. Sur le premier point, rappelons que les premiers Européens à se lancer dans l’aventure sud-asiatique n’appartenaient pas aux régions les plus avancées du continent, aux grands centres de capitalisme marchand qu’étaient alors les Flandres et l’Italie du Nord, mais à un petit royaume sud-européen encore très « féodal ». Et la nature contingente de l’arrivée des Portugais en Asie est évidente. Quand, dans un acte d’hubris qui reste sans équivalent dans l’histoire de l’humanité, les monarchies ibériques se furent partagé en 1494 à Tordesillas le monde à découvrir suivant une ligne imaginaire située à 370 milles à l’ouest des îles du Cap-Vert, les Portugais n’avaient qu’une très vague idée de ce qui leur revenait. Il fallut trois ans pour organiser la petite expédition de Vasco de Gama, et, quand ce dernier atteignit enfin Calicut en quête « de chrétiens et d’épices », il ne trouva ni les uns ni les autres. Pour expliquer la poursuite de l’aventure portugaise, il faut alors faire intervenir la folie du monarque, Manuel Ier de Portugal, un mystique influencé par les prophéties « joachimites » sur la reconquête de Jérusalem par les chrétiens et la fin prochaine de la « secte infâme de Mafamede ». Ceux qui voient dans les premiers voyages portugais les prodromes d’un capitalisme européen triomphant et s’imposant au reste du monde se trompent donc. C’est une idéologie médiévale, issue des Croisades et de la Reconquista qui inspire les premiers fidalgos, même si l’appât du gain est bien entendu une forte motivation, et si les capitalistes florentins et augsbourgeois ont vite fait de déceler dans le commerce des épices des possibilités juteuses.

Quant à l’ordre harmonieux que l’intrusion européenne aurait déstabilisé, il s’agit d’un mythe, d’ailleurs largement inventé par des Européens à partir de la fin du XVIIIe siècle. Les sociétés sud-asiatiques étaient guerrières, commerciales et agitées de contradictions (y compris religieuses), proches sur ces points des sociétés européennes contemporaines ; en outre, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle l‘intrusion des Européens n’eut sur ces sociétés que des effets modestes. L’historiographie la plus récente fait justement ressortir ces similitudes, par exemple la « révolution commerciale » qu’aurait connue l’Asie du Sud-Est au XVe siècle, si brillamment analysée par Anthony Reid. Ce sont des mondes commensurables qui se trouvent connectés à partir du début du XVIe siècle par une route maritime, la Carreira da Indià, qu’empruntent un nombre croissant de vaisseaux. Ils amenaient sur les rivages d’Asie quelques milliers d’Européens, dont certains firent souche localement, en particulier les fameux casados, Portugais mariés à des femmes indigènes converties au catholicisme. On peut aussi mentionner, au XVIIe siècle, les quelques dizaines de bourgeois hollandais régisseurs de plantations aux îles Banda (Moluques), dans lesquelles ils font travailler une main-d’œuvre esclave. Il y a enfin des missionnaires, dont le plus fameux, le Jésuite italien Roberto de Nobili, adopte le mode de vie d’un brahmane dans l’espoir d’obtenir la conversion d’hommes de haute caste. Mais la plupart des Européens restent des oiseaux de passage, désireux de rentrer chez eux et y réussissant le plus souvent, si toutefois ils n’ont pas été fauchés par les « fièvres ».

Commensurabilité et similitude au moins apparente ne signifient cependant pas compréhension mutuelle, d’autant que les flux sont caractérisés par un fort degré d’asymétrie. Pour un arrivage en Asie d’Européens par milliers, l’historien observe un mouvement inverse d’Asiatiques vers l’Europe quasi insignifiant : le groupe le plus fourni est sans doute constitué des charpentiers indiens, quelques dizaines, qui viennent travailler aux chantiers navals lisboètes, et dont certains font souche localement. Pour des achats européens de marchandises qui s’élargissent des épices vers les tissus, les ventes de vin et de lainages en Asie méridionale demeurent symboliques, obligeant, pour solder les comptes, à d’importantes sorties d’espèces d’Europe ou d’Amérique ibérique. Dans la phase qui précède la colonisation, les contacts directs entre Europe et Asie méridionale restent si limités qu’ils favorisent la persistance de mythes des deux côtés : fantasmes sur la richesse et la cruauté asiatiques, d’un côté, caricatures des « gens à chapeaux » dans les poses parfois les plus ridicules, de l’autre, comme on le voit sur les miniatures ou les parois des temples en Inde. L’effet visible produit par les Européens sur les sociétés sud-asiatiques paraît au total assez infime : en dehors de la naissance de quelques villes coloniales, qui restent des enclaves, et constituent des cités assez modestes en comparaison des capitales autochtones, il se résume pour l’essentiel à l’introduction de plantes américaines dont l’une au moins, le piment, connaîtra un succès extraordinaire, et à quelques cas d’acculturation par conversion au catholicisme parmi les populations côtières (les seules conversions massives concernent les Philippines espagnoles).

La connexion entre Europe et Asie demeura donc quantitativement limitée, et discontinue, dans l’espace comme dans le temps — ce jusque dans la période de la colonisation à grande échelle. Entre un Bengale soumis à deux siècles de domination britannique, et certaines îles extérieures de l’archipel indonésien qui connurent tout juste quarante années de règne hollandais, il n’y a pas de commune mesure. Certaines zones virent leur structure productive totalement remaniée par le développement d’une agriculture de plantation : c’est le cas des Moluques méridionales (clou de girofle, noix muscade), de l’Assam et du haut pays de Ceylan (thé), d’une partie de la Malaisie (caoutchouc, palmier à huile), de certaines îles des Philippines (canne à sucre), des hautes terres de Java-Ouest (café). Le développement des plantations s’accompagna de mouvements massifs de main-d’œuvre, de l’Inde centrale vers l’Assam, du Tamilnad vers Ceylan et la Malaisie, de Java vers l’Oostkust de Sumatra, ou du Tonkin vers la Cochinchine. La colonisation signifiait là un bouleversement complet, de nature révolutionnaire. Mais dans de bien plus vastes zones, elle se traduisit par un simple remaniement de structures d’extraction fiscale déjà en place, dont le poids sur les paysanneries s’accrut dans des proportions variables, suivant les lieux et les époques. Ce fut le cas dans la plupart des régions de l’Inde. Si la commercialisation de l’agriculture progressa sans doute globalement, l’essentiel de la production agricole restait destiné à l’autoconsommation paysanne. On ajoutera que dans les zones de montagnes et de grandes forêts, certes peu peuplées, mais couvrant ensemble plusieurs millions de kilomètres carrés, l’ordre étatique de la colonisation ne parvint généralement guère mieux à s’imposer que, précédemment, celui des États antérieurs à cette nouvelle période qui s’ouvrait. Ces populations très diverses, pratiquant l’agriculture sur brûlis, restaient autonomes de facto, recevant tout juste, de temps à autre, la visite d’un explorateur, d’un missionnaire ou d’un ethnographe.

L’effet en retour de l’intrusion des Européens en Asie méridionale fut pour sa part moins mesuré qu’on ne le croit généralement. La découverte de sociétés policées n’ayant pas connu la révélation chrétienne contribua au bouleversement des idées qui caractérisa la Renaissance. Par ailleurs, les voyages aidèrent au développement de nouveaux savoirs linguistiques, cartographiques et botaniques en particulier. La compilation du Hortus Malabaricus Indicus, réalisée au Kerala à la demande d’un gouverneur hollandais, servit de matériau à Linné pour sa classification des plantes. Outre les épices, déjà familières des tables européennes au moins depuis le XIIe siècle, arrivèrent aussi en Europe les objets divers, aux formes parfois extravagantes, qui remplirent les cabinets de curiosités (comme la collection des Médicis à Florence), ainsi que les animaux « exotiques », comme les éléphants ou les rhinocéros, qui inspirèrent les artistes de la Renaissance, un Dürer ou un Raphaël. L’imaginaire européen fut grandement stimulé par ce contact avec l’Asie méridionale.

Mais celle-ci était aussi une grande puissance économique, dont l’expansion dut beaucoup aux navires d’Occident. À partir de la fin du XVIIe siècle, affluèrent en Europe les « indiennes », ou « calicots » (de Calicut), les tissus de coton fabriqués en Inde, utilisés d’abord surtout pour l’ameublement et la décoration. Certains fabricants européens songèrent à mixer coton et lin pour produire des « futaines », faisant ainsi pénétrer les tissus de coton dans le domaine de l’habillement en Europe. À la fin du XVIIe siècle, un directeur de l’East India Company eut l’idée de faire fabriquer en Inde deux cent mille pièces de tissus pour le marché européen, introduisant ainsi le « prêt-à-porter » dans la mode vestimentaire. L’Asie méridionale, entrée d’abord dans les demeures des Européens, commença à parer leurs corps. Les conséquences à long terme pour les économies européenne et asiatique furent considérables. Tandis qu’au XVIIIe siècle la mode des indiennes se répandait à travers toute l’Europe, les fabricants européens, incapables de reproduire la qualité des produits indiens, du fait de la supériorité des Indiens en matière de teinture, tentèrent de se protéger de la concurrence par des mesures douanières. Mais, ne réussissant pas à exclure totalement les indiennes du marché, ils choisirent la voie de la substitution d’importations en développant l’innovation technologique, avec la spinning Jenny, puis le métier d’Arkwright, qui leur permirent d’abaisser leurs coûts et de devenir enfin compétitifs. Ainsi peut-on estimer que l’afflux des textiles indiens en Europe fut largement à l’origine de la révolution industrielle. En outre, suivant l’hypothèse peut-être osée d’A. R. T. Kemasang1, l’amélioration de l’état de santé et de la capacité de travail par temps froid liée depuis les premières décennies du XVIIIe siècle en Grande-Bretagne à la consommation massive de thé2 aurait permis un important accroissement de la productivité. Ceci va en tout cas à l’encontre des idées reçues sur l’avance de l’Europe.

Écrire une histoire connectée devient à la fois plus simple et plus complexe lorsqu’on aborde la période de domination coloniale européenne directe, qui commence en Inde au milieu du XVIIIe siècle et s’étend à l’ensemble de la région à la fin du XIXe siècle. Plus simple, parce que la connexion est là, visible, et documentée par l’énorme corpus d’archives laissé par la colonisation, dans lequel, quoi qu’on lise parfois, la voix des colonisés se laisse entendre. Plus complexe, car le danger est grand de s’enfermer dans des constructions binaires — colonisateurs/colonisés, Blancs/gens de couleur —, et de prendre pour argent comptant le discours colonial lui-même tout en prétendant le déconstruire, un travers typique de l’histoire postcoloniale. Pour notre part, nous avons pris ici le parti de déconstruire les catégories qui se prêtent à cette vision binaire. Ainsi, nous avons montré comment, dans l’Inde de la fin du XVIIIe siècle, la catégorie de « Britannique » fait l’objet d’une forte contestation, en liaison avec l’apparition d’un phénomène de métissage jusque-là d’ampleur très limitée. Tandis que certains militaires anglais, ayant épousé des femmes indiennes, tentent de trouver pour leurs fils métis des postes d’officiers dans les armées de la Compagnie, le gouverneur général lord Cornwallis, instruit par l’expérience de sa défaite à Yorktown sous les coups des insurgents américains, fait tout pour les en empêcher, craignant que la naissance en Inde d’une communauté « créole » n’ait des conséquences funestes pour la domination britannique. Ainsi, être « Britannique » se trouve-t-il redéfini comme équivalant à « Blanc de la métropole », ce qui aura des conséquences à long terme considérables, se traduisant par un véritable conflit racial en Inde à partir de la fin du XIXe siècle. À l’inverse, aux Indes néerlandaises, la plupart des citoyens des Pays-Bas étaient des métis, nés dans l’archipel, où ils composaient une bonne partie des élites. Cela n’empêcha cependant pas un antagonisme croissant entre ces Indos et les Totoks venus d’Europe, au point que les plus radicaux des premiers lancèrent dès 1912 l’idée d’indépendance.

Les Européens en Asie méridionale n’ont jamais constitué un monolithe : certains ont joué un rôle éminent dans le développement de mouvements de contestation de la domination coloniale, tel le haut fonctionnaire britannique Allan Octavian Hume, qui fut le premier dirigeant du Congrès National Indien. Inversement, des nationalistes indiens n’hésitèrent pas à se rendre en Grande-Bretagne pour essayer d’influencer l’opinion britannique : c’est le cas du pamphlétaire parsi Dadabhai Naoroji, élu en 1892 à la Chambre des Communes dans une circonscription londonienne. Certains hommes en vinrent à incarner la connexion intime qui s’était créée entre l’Inde et la Grande-Bretagne. On pense aussi à Kipling, né en Inde et qui, rentré en Angleterre, resta marqué jusqu’à la fin de sa vie par son expérience indienne, ou au grand écrivain indo-néerlandais Multatuli (Douwes Dekker) dont le roman Max Havelaar occupe une place si centrale dans la littérature de son pays. Même chez les responsables coloniaux, beaucoup finirent par se sentir porteurs de ce qu’ils pensaient être l’intérêt bien compris de leurs administrés. On aurait tort de sous-estimer, chez ces personnes largement coupées d’une métropole lointaine, faisant leur vie (y compris, fréquemment, leur vie sentimentale et familiale) dans un lieu concret, multidimensionnel, la capacité à en faire leur seconde patrie, sinon leur première. Ainsi, au Vietnam, Dumoutier, directeur de l’enseignement au Tonkin aux alentours de 1900, admirait tant la culture sino-vietnamienne qu’il entreprit de changer le moins possible l’enseignement traditionnel. Comme d’autres administrateurs de la même génération, mieux formée à l’Asie que la précédente, et en compagnie de Vietnamiens francophones (tel le catholique Petrus Ky), il entretint une vision idéalisée du confucianisme, recours possible aux impasses de la modernité occidentale. On peut évoquer à leur propos une « acculturation inverse », moins rare qu’on ne pourrait le penser dans l’histoire de la colonisation. Ironiquement, de grandes figures de l’histoire de France en furent aussi les objets : les manuels d’histoire vietnamiens de l’entre-deux-guerres faisaient de Jeanne d’Arc, d’Alexandre de Rhodes, de Ba Da Loc (nom vietnamien de Pigneau de Béhaine, allié du futur empereur Gia Long), de Lazare Carnot ou de Paul Bert les emblèmes des vertus ancestrales de loyauté, de fidélité, de modestie, de goût pour l’étude ou de bienveillance3.

On peut aller plus loin. Le pari de la connexion entre Europe et Asie amène en sens inverse à mettre l’accent sur la « déconnexion » entre Européens. Leurs ennemis les plus redoutables furent presque constamment d’autres Européens (et par la suite d’autres colonisateurs : Américains ou, surtout, Japonais), seuls à même de s’emparer des places fortes les mieux défendues ou d’anéantir un empire colonial entier. Jusqu’à la Grande Mutinerie de 1857, l’exaction asiatique qui révolta le plus les Anglais fut le massacre d’Amboine de 1621, commis par des Hollandais. À la fin du XVIIIe siècle, les Britanniques rendirent la monnaie de la pièce en arrachant un à un les territoires de la VOC, non sans avoir conclu une entente informelle avec les pirates de l’archipel de Sulu, qui dévastaient les Indes néerlandaises. Bien plus tôt, aux Moluques, les Portugais n’avaient pas craint de s’allier un demi-siècle durant avec le sultanat de Ternate, cependant que les Espagnols misèrent sur celui de Tidore pour résister aux Hollandais. Ceux-ci conquirent Makassar lors d’une expédition conjointe avec un autre sultanat, Bone. Nombre de conquêtes coloniales furent avant tout motivées par la volonté d’évincer d’autres Européens, ou de prévenir leurs mouvements — comme par exemple en Haute-Birmanie. Il en alla de même en matière religieuse : jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, jamais protestants et catholiques ne s’allièrent en Asie, alors que personne, pas même les Ibériques, n’hésitait à entreprendre des opérations conjointes avec des États musulmans. Dans les enclaves européennes, l’islam était moins mal toléré que la dénomination chrétienne opposée. En outre, l’expansion du bouddhisme et surtout de l’islam se poursuivirent sans entraves après le XVe siècle, leurs prédicateurs allant jusqu’à voyager sur des navires européens. Seuls les Espagnols des Philippines procédèrent aux XVIe-XVIIe siècles à une manière de refoulement, de roll back de l’influence musulmane.

Si l’on descend des groupes aux individus, il est encore plus difficile d’opposer Européens et Asiatiques, ou seulement de les distinguer nettement. Ainsi, dès la fin du XVIe siècle, beaucoup d’armées autochtones disposaient de mercenaires portugais ou parfois allemands (ainsi que de Japonais chrétiens), le plus souvent canonniers, et en rupture de ban avec leur pays d’origine. Privilégiera-t-on leurs racines, ou leur appartenance choisie ? S’agissait-il de « traîtres », ou de migrants ? Comme la plupart des Européens d’Asie, ils prirent femme localement. Ces épouses jouèrent fréquemment le rôle d’intermédiaires, en particulier pour la redistribution des marchandises importées par leurs maris, peu à même de maîtriser les arcanes des marchés asiatiques. Les choses se compliquent encore quand — cas fréquent — ces femmes étaient elles-mêmes de sang mêlé. Le métissage donna rapidement naissance à des milliers de « Portugais noirs » qui, de Timor à Ayutthaya, formèrent des communautés durables, à peine en contact avec la lointaine contrée dont ils persistaient à utiliser quelques vocables et, surtout, à pratiquer la religion. Celle-ci constitua jusqu’au XIXe siècle inclus, voire au-delà, un élément discriminant de plus de poids que l’origine géographique, la couleur de la peau ou même, parfois, la maîtrise de la langue du colonisateur. Un Hollandais protestant se mariait plus volontiers avec une Moluquoise réformée qu’avec une Européenne catholique. Le recrutement des fonctionnaires, la formation des troupes indigènes et, en plein XXe siècle, l’acquisition de la citoyenneté métropolitaine obéirent aussi très largement à ce critère religieux, qu’il soit ou non formalisé par une loi. On remarquera enfin que, quand on se préoccupa, au XIXe siècle, de définir précisément les droits et devoirs de chacun, et par conséquent quand on divisa les sociétés coloniales en divers groupes d’appartenance, la catégorie d’« Européen » eut les frontières les plus fluctuantes, dans le temps et selon les pays. En firent ainsi partie non seulement de très nombreux métis, mais aussi les soldats africains de l’armée néerlandaise, les Américains, et même au XXe siècle les résidents japonais. Quant aux Indiens pondichériens de nationalité française, ils votaient en Cochinchine dans le collège européen, ce qui leur était refusé dans leur comptoir d’origine…

Qu’un objet ait des limites floues et que sa définition soit incertaine ne signifie pas qu’il n’existe pas — sans quoi l’Europe elle-même serait une notion vide. Vues d’Asie, les entités nationales européennes sont elles-mêmes problématiques, si du moins on considère qu’elles devraient susciter chez leurs ressortissants un sentiment d’appartenance suffisamment vigoureux pour entraîner une certaine unité de projet. Or, on l’a noté, la VOC fut agitée de contradictions, entre les Dix-Sept Messieurs d’Amsterdam et le Conseil des Indes de Batavia, par exemple au sujet de la route du thé de Canton : devait-il gagner directement l’Europe, pour le plus grand profit des marchands des Provinces-Unies, ou transiter par Batavia, afin de ne pas y assécher le vital commerce des jonques chinoises ? De plus, chaque comptoir luttait opiniâtrement pour sa survie, même les plus déficitaires, à la fois par la logique des situations acquises, et parce que les négociants néerlandais, à titre individuel, participaient activement à la contrebande qui s’y abritait. À l’époque coloniale proprement dite, on retrouva le même type d’opposition d’intérêts, et à plus grande échelle. Bon nombre d’aventures coloniales — en Malaisie, au Tonkin… — furent le fruit des pressions des colons sur une métropole réticente. On doit considérer Singapour, Calcutta, Saigon ou Batavia comme des entités autonomes, que leur insertion géo-éco-politique tout comme les spécificités de leur configuration sociétale dotent d’aspirations propres. Cela transparaît par exemple dans la grande querelle entre Londres et Singapour, de 1911 à 1916, à propos de la localisation du marché international du caoutchouc, et des considérables profits afférents. Tous les intérêts locaux — Britanniques, autres Occidentaux, mais aussi Chinois — s’y coalisèrent contre les maisons londoniennes. Plus globalement encore, la temporalité des Européens d’Asie et des métropoles n’était tout simplement pas la même. Les premiers, tout particulièrement avant le milieu du XIXe siècle, quand la mortalité en Asie tropicale était extrême, raisonnaient généralement suivant le principe Get rich quick, en se prêtant à toutes les manœuvres et exactions, à l’encontre des autochtones tout autant que de leurs compatriotes. Cela ne pouvait s’accorder avec les stratégies de long terme que les lointaines autorités essayaient tant bien que mal de promouvoir.

Si les Européens ne formaient pas un bloc, il en était de même des Sud-Asiatiques. Au-delà des différences ethniques et religieuses, souvent d’importance majeure, il faut rappeler l’importance des hiérarchies sociales traditionnelles que la colonisation, loin d’abolir, ne fit souvent que renforcer. On pense en Inde à la place accrue que les brahmanes se taillèrent dans l’ordre social colonial, grâce à leur apprentissage précoce de l’anglais, qui en fit des intermédiaires indispensables du pouvoir britannique, ou à l’exclusion maintenue des « intouchables ». En Malaisie, les sultans furent certes privés d’une grande part de leurs pouvoirs temporels, mais confortés dans leur administration du culte musulman, richement dotés, et surtout stabilisés dans la durée, alors que leur détrônement ou leur assassinat étaient jusqu’à la colonisation monnaie courante. La monarchie cambodgienne, voire l’existence du Cambodge, fut vraisemblablement sauvée par le protectorat français, alors que le pays tanguait depuis des décennies entre annexion par le Vietnam et soumission à Bangkok. Quant au culte et au clergé bouddhistes khmers, ils furent semblablement séparés de ceux du Siam, et dotés de nouveaux moyens.

Certaines couches furent confortées par la pénétration européenne. Bien des marchands surent tirer parti tant de l’ouverture internationale que de la relative protection offerte par le nouvel ordre. Les intellectuels, face à la soumission des anciennes classes dirigeantes, s’érigèrent peu à peu en porte-parole, puis en leaders des peuples autochtones. Ainsi, au Vietnam, ils profitèrent tant de la coupure linguistique (avec le triomphe de la graphie latine) et idéologique avec la Chine que de l’irruption des idées, concepts et formes venus d’Occident, tôt acclimatés. Il y eut des situations plus ambiguës. La question des intermédiaires, des « go-between » (interprètes, petits employés, intendants, contremaîtres…), ces indigènes plus ou moins occidentalisés, est d’importance particulière, car c’est leur basculement dans le camp anticolonial qui fera finalement pencher la balance du côté de l’indépendance. Ces hommes et femmes auraient voulu être reconnus comme des égaux par les coloniaux, mais ils ne purent jamais surmonter la barrière raciale que ces derniers érigèrent pour se protéger de la concurrence de gens souvent plus compétents qu’eux. Plus généralement, on peut seulement dire que la connexion des Asiatiques avec les Européens varia énormément dans le temps, l’espace et suivant les couches sociales, tant en intensité que dans le sens à lui accorder.

Cela amène à cette question qu’on ne saurait délaisser : qui profita de qui ? Elle aurait pu apparaître anathème, voire absurde, il y a quelques décennies, tant la cause paraissait entendue. Qu’on s’en félicitât ou qu’on le dénonçât, l’Europe avait exploité l’Asie, tout comme ses autres colonies. Qu’elle s’y soit vigoureusement employée, on en conviendra. Mais les recherches récentes conduisent presque toutes à une vision plus complexe. Ainsi des bourgeois « compradores », relais asiatiques des affairistes occidentaux, et notion clé de la vulgate marxiste-léniniste : l’étude sur la durée de nombreux cas individuels en fait désormais plutôt des associés, et à l’occasion des concurrents victorieux, bien plus que des serviteurs. Ils furent surtout les instruments d’importants transferts de méthodes et de technologies. Les Chinois furent justement redoutés des Européens, tout en se montrant indispensables car, eux, ils avaient le nombre, et donc la main-d’œuvre. C’est pourquoi la principale activité productive du domaine de la VOC, la canne à sucre, fut jusqu’en 1740 leur chasse gardée. Impitoyablement massacrés, et chassés, on les supplia peu après de revenir, car sans eux les affaires périclitaient. Deux siècles plus tard, pour les mêmes raisons, les Chinois dominèrent durablement le secteur de l’étain dans toute l’Asie du Sud-Est. Ils contrôlaient l’essentiel de la filière indochinoise du riz, de loin première exportation de l’empire français d’Asie. Ruse de l’histoire : à partir du XVIIe siècle, les Hollandais évincèrent d’Indonésie les autres marchands européens, ainsi qu’indiens. Or l’appel d’air profita surtout aux Chinois, jusque-là assez peu nombreux. Vers 1775, ils contrôlaient la majeure partie du cabotage à Java, ainsi que la quasi-totalité des fermes fiscales des territoires néerlandais. Les autorités coloniales protégeaient ces entreprenants sujets : on ne compte pas les démarches des consuls britanniques pour les tirer de mauvais pas, y compris auprès du gouvernement chinois. Nombre de jonques arborèrent le pavillon de la VOC ou l’Union Jack dans les eaux de l’empire du Milieu, même quand elles n’étaient en réalité pas enregistrées dans les colonies. Certains historiens ont émis l’opinion osée que, sous l’apparence de la domination de l’Occident, c’était en réalité un empire chinois informel qui voyait le jour. Il trouva sans doute son apogée aux alentours de 1800.

Les États autochtones, même ceux de médiocre envergure, surent longtemps tenir tête aux plus puissants des Européens. La VOC dut accepter d’énormes prélèvements des sultans sur les exportations de poivre, et tolérer une importante contrebande menée par ceux-là mêmes qui leur avaient concédé le monopole. Le Siam et la Birmanie infligèrent des conditions draconiennes aux marchands étrangers : prix d’achat imposés, quotas, embargos, et interdiction d’acheter de la terre. La VOC finit par plier bagage. Au XIXe siècle, Batavia crut préférable de fermer les yeux sur les exactions et détournements des régents javanais, économiquement et socialement coûteux, car les Néerlandais ne se sentaient pas en mesure de les remplacer par une administration directe. Vis-à-vis de l’empire de Mataram, pourtant presque constamment hostile aux Hollandais, et qui ne respecta jamais durablement les traités signés avec la VOC, celle-ci se montra non seulement tolérante, mais disposée à intervenir pour sauver ses souverains des révoltes. La division de l’État, en 1755, fut considérée comme une défaite de Batavia. Les Européens furent généralement légitimistes à l’égard des pouvoirs autochtones : il était impensable de les remplacer tous, le commerce s’accommodait mieux de leur stabilité, et il était plus simple de traiter avec le plus petit nombre possible d’États asiatiques. Les choses changèrent certes au XIXe siècle, et même un peu plus tôt en Inde. Les Britanniques prirent d’assaut la principale cour de Mataram en 1812, ce que jamais les Hollandais n’avaient fait. Par la suite, quelques puissances autochtones furent détruites (Confédération marathe, Birmanie) ou domestiquées (Mysore, Annam). Mais, globalement, bien loin de pratiquer le « diviser pour régner » qu’on leur prête trop souvent, les Européens contribuèrent plutôt à renforcer les pouvoirs en place, à commencer par les plus puissants d’entre eux. L’action des mercenaires alla dans le même sens. Se vendant au plus offrant, c’est-à-dire au plus riche, ils consolidèrent les hiérarchies établies.

Sur le plan intellectuel, la période coloniale vit s’intensifier considérablement les connexions entre Europe et Asie. Ce fut l’âge d’or de l’« orientalisme », terme qui, depuis Edward Saïd, a acquis une connotation nettement négative, du fait du lien étroit que cet auteur a cru déceler entre pratiques de savoir et visées de domination. L’analyse présentée ici du phénomène de la « Renaissance orientale » qu’a connue l’Europe au XIXe siècle amène à nuancer fortement ces vues. En particulier, le rôle central joué par les Allemands dans la genèse de l’orientalisme laisse planer un doute sérieux sur la nature du lien entre savoir et pouvoir qu’Edward Saïd, en disciple de Foucault, avait mis au cœur de son analyse. La fortune inouïe qu’a connue la Sakuntala de Kalidasa, entre sa traduction du sanscrit par William Jones et son apparition dans la Chanson du mal-aimé d’Apollinaire, démontre la nature esthétique, plus que politique, de la fascination pour l’Inde qui s’empara alors d’une partie de l’intelligentsia européenne.

Le grand problème que rencontre l’historien qui cherche à écrire une histoire connectée du moment colonial et de la rencontre de deux mondes est celui de l’amnésie. Car les sociétés colonisatrices, incomplètement remises du traumatisme de la « perte de l’empire », refoulent leur passé colonial, soit en l’oubliant complètement, soit en le mythifiant. Mais les sociétés colonisées ne sont guère plus à l’aise face à un passé qu’elles jugent humiliant, et oscillent entre oubli et recours à la caricature. L’oubli de la langue du colonisateur (en Asie du Sud-Est davantage qu’en Inde) ajoute une couche supplémentaire d’opacité : ainsi les historiens indonésiens sont-ils rarement capables de lire les archives de la colonisation néerlandaise. Il résulte de tout cela une coupure par rapport à l’épisode colonial qui fait que l’historien de la colonisation a souvent l’impression d’être un archéologue travaillant sur les traces d’un passé très lointain. Comment faire une histoire connectée de sociétés qui rejettent l’idée même qu’elles aient pu être connectées ? Pour les unes, celles qui ont colonisé, l’épisode colonial apparaît comme une diversion par rapport à des enjeux plus importants (à l’exception sans doute du cas du Portugal, qui baigne encore dans une sorte de nostalgie impériale). Pour les autres, colonisation rime avec oppression, sans que l’on mesure à quel point les systèmes coloniaux reposaient sur la « collaboration » (un vilain mot) de nombreux colonisés, et pas seulement parmi les élites. On mesure l’ampleur du défi auquel nous avons été confrontés dans notre tentative d’écrire une histoire de la colonisation qui refuse les binômes faciles.

Il nous est apparu que la manière la plus efficace d’analyser les sociétés issues de la présence européenne en Asie, et surtout les sociétés coloniales, consiste à y voir la commune production des Occidentaux et des autochtones. En Malaisie coloniale, les intellectuels malais eurent tôt fait de récupérer la notion de race introduite par les Britanniques, afin de redéfinir et de conforter leur propre identité. Jusqu’aux alentours de 1860, bangsa Melayu désignait ceux qui descendaient de certains lignages royaux de Sumatra. Or, après un vif débat de presse entre 1888 et 1894 pour savoir si les Jawi Peranakan (musulmans de la péninsule malaise acculturés, mais d’origine indienne) pouvaient ou non être considérés comme des Malais, le terme prit une connotation nettement nationale, et de plus en plus raciale, la principale différence avec la conceptualisation britannique étant la centralité de la dimension islamique. Dans les deux acceptions, cependant, le présupposé de la concaténation entre langue et ethnie était très fort, alors même que le malais se développa comme lingua franca entre groupes humains très divers. Il est frappant que beaucoup d’auteurs malais aient trouvé leur inspiration chez Richard Windstedt, dont les œuvres (depuis sa petite histoire de Malaisie à destination scolaire, en 1918) représentent peut-être la quintessence de la vision coloniale. À l’inverse, c’est largement à partir d’informateurs malais que les Britanniques bâtirent leur image des Orang asli, populations « premières » de la jungle, et y virent des « Proto-Malais », dans une logique tant évolutionniste que malayocentrée. Il y eut donc consensus pour rejeter sur les marges les Indiens comme les Chinois, ce qui eut de lourdes conséquences politiques4.

Les savoirs et concepts élaborés dans le cadre colonial purent même être récupérés par les intellectuels d’une colonie pour décrire et glorifier le passé de leur pays. Le Cambodge du protectorat (1863-1953) en est particulièrement emblématique. S’il y eut un territoire français qui fit rêver et suscita des vocations d’une vie entière, ce fut bien celui-ci, des danseuses croquées par Rodin aux reproductions grandeur nature d’Angkor Vat et d’autres temples, clous de plusieurs expositions universelles ou coloniales. Avoir ressuscité le passé glorieux d’une nation à la dérive fut aussi présenté comme une justification de l’impérialisme français. Et c’est en s’appuyant sur ces mêmes mythes que, dès le début du XXe siècle, un bouddhisme national fut constitué, la langue purifiée, l’enseignement rénové à la fois dans l’acceptation de la modernité venue de France, et dans le culte d’une nation qui se définissait pour la première fois un territoire, des frontières et des ennemis5. Il ne s’agissait pas d’une acculturation, ou d’une greffe, et moins encore d’un geste de soumission ou d’un acte de résistance. Ce fut bien plutôt la rencontre de deux dynamiques : celle d’un Occident en mal de rêve et de grandeur, celle d’une nation en quête d’identité. Chacune avait sa boîte à outils idéelle, mais aussi ses aspirations politiques et économiques. Le tout se trouvait en reconfiguration constante, également en fonction du contexte géopolitique, asiatique comme européen.

Cette construction à la fois commune et conflictuelle ne fut ni délibérée, ni planifiée, ni seulement consentie — les Asiatiques eurent souvent à faire avec des situations qu’ils ne désiraient pas, et là se retrouve l’inégalité fondamentale entre colonisateurs et colonisés, ou, si l’on préfère, l’injustice faite à ces derniers. Il reste qu’il n’y eut pas d’un côté des acteurs, de l’autre des agis, contrairement à ce qu’ont voulu faire croire tant la vulgate colonialiste (le civilisé tendant sa main paternelle au sauvage) que le discours anticolonialiste (le colon imposant à l’indigène impuissant un système d’oppression, d’exploitation et de déculturation sans précédent). Certains colonisateurs auraient sans doute bien voulu que les choses se passassent ainsi, mais les moyens de leurs mauvaises intentions leur manquèrent.

On a là, nous semble-t-il, une bonne façon d’expliquer l’extrême variété et variabilité des situations coloniales — par exemple le fait que, dans la seule Indochine, le mode de gouvernement et l’évolution des diverses composantes territoriales furent tout sauf homogènes. Si l’on étend le tableau aux trois siècles de présence européenne qui précédèrent la colonisation à grande échelle, et furent bien davantage que la préparation de celle-ci, le tableau se complexifie encore. Il suffira, pour conclure, de prendre acte de cette indomptable complexité, tout en avançant ce qui pourrait cependant constituer une leçon, voire une prise de position : l’Asie et l’Europe s’enrichirent — mais sans doute pas toujours économiquement — au contact l’une de l’autre. Une certaine asymétrie demeure malgré tout : l’Asie méridionale, en termes d’idées, reçut in fine plus de l’Europe qu’elle ne lui donna. Mais les idées « importées » eurent tendance à se naturaliser, et firent l’objet d’appropriations souvent créatrices. On pense par exemple à la non-violence gandhienne, dont les origines sont clairement chez Thoreau, Ruskin et Tolstoï, mais qui, dans le contexte de l’Inde, prit un aspect profondément original. À partir de la rencontre qui s’effectua à la fin du XVe siècle, les histoires de l’Europe et de l’Asie méridionale devinrent des histoires connectées, indémêlables l’une de l’autre. Au-delà de la parenthèse coloniale, elles demeurent telles, même si Européens et Sud-Asiatiques en sont rarement conscients. Espérons que ce livre, s’il n’a pas d’autre utilité, aidera ses lecteurs à prendre conscience de ce lien.