L’enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, a besoin d’une protection particulière ainsi que de soins spécifiques. Le chapitre précédent nous a permis de considérer quelques-unes des méthodes auxquelles les Égyptiens recourent pour détourner, combattre ou guérir les maux menaçant la santé de leur progéniture. Mais une chance est-elle donnée à tous les enfants ?
La première partie s’intéressera à la considération portée à l’enfant né malformé et/ou handicapé mentalement. L’eugénisme est-il pratiqué, comme dans d’autres sociétés du bassin méditerranéen ? Les parents ont-ils droit de vie et de mort sur leur progéniture ? Comment la société égyptienne perçoit-elle les individus nés avec un ou plusieurs handicap(s) ?
La deuxième partie se penchera sur l’alimentation des enfants en bas âge. On lit fréquemment dans la littérature égyptologique qu’ils sont allaités jusqu’à l’âge de trois ans. Qu’en est-il vraiment ? Le lait est-il leur seule source alimentaire ? Reçoivent-ils une nourriture complémentaire ? Quelle est la fonction véritable des cornes fermées et des bols à goulot que certains associent à des biberons ? Pour traiter cette thématique, nous bénéficierons exceptionnellement d’un champ très large de sources scientifiques.
Enfin, la dernière partie nous donnera l’occasion de voir, à travers les sources épigraphiques, iconographiques, archéologiques et anthropologiques, si la protection des plus jeunes trouve également un écho dans le soin que l’on apporte à tout ce qui touche de près à leur personne physique : vêtement, sandales, coiffures et parures. Les nourrissons et enfants en bas âge sont-ils vêtus ? Portent-ils des sandales ? Comment les coiffe-t-on ? Ont-ils des bijoux ?
La considération de l’enfant né avec un ou plusieurs handicaps physiques et/ou mentaux est très difficile à appréhender chez un peuple qui n’a laissé aucun texte sur la conduite adoptée, prônée ou autorisée par la société en cas de telles naissances. Elle reste d’ailleurs difficile à saisir, dans sa globalité, chez les Grecs ou les Romains qui pratiquent librement l’exposition*. Certes, les textes classiques indiquent que le père a droit de vie et de mort sur l’enfant qui vient de naître et qu’il peut l’exposer selon son bon vouloir. Plutarque évoque même le fait qu’à Sparte, les enfants considérés comme handicapés ou trop chétifs sont précipités dans le gouffre des Apothètes292. Toutefois, les fouilles archéologiques menées jusque-là dans ce secteur n’ont permis la découverte d’aucun ossement d’enfant293. La réalité antique n’est pas aussi tranchée que ce que les textes l’indiquent et il en est bien évidemment de même en Égypte ancienne.
Déterminer de façon nette et assurée le statut des enfants handicapés et la façon dont ils sont considérés est illusoire. Cette partie tentera simplement de faire le point sur les sources dont nous disposons et les idées reçues que l’on rencontre parfois dans la littérature égyptologique à ce sujet.
En matière de sources épigraphiques, un seul précepte, rédigé par le scribe Amenemope à la fin du Nouvel Empire, évoque des individus souffrant de handicap physique :
« Ne ris pas de l’aveugle ni ne te moque du nain, ni ne réduis à rien la condition du boiteux. Ne te moque pas d’un homme qui est dans la main du dieu. »294
Cette Sagesse ne mentionne pas directement le sort des enfants nés handicapés, mais elle évoque une maladie congénitale (le nanisme) et d’éventuels syndromes (cécité et claudication) ou pathologies pouvant survenir dès la naissance. L’évocation d’un homme « dans la main du dieu » a soulevé beaucoup d’interrogations et tend à suggérer l’état d’un individu appelant à la commisération. Certains égyptologues penchent pour un homme possédé par le dieu295 quand d’autres proposent plutôt d’y voir un sujet atteint de faiblesse passagère, de maladie ou encore d’une infirmité296. On ne peut exclure également l’hypothèse qu’il s’agisse d’une allusion à une personne simple d’esprit.
Quelle que soit la nature de cet état, la nécessité pour Amenemope d’adresser un tel avertissement montre bien qu’il advient que les personnes différentes, en particulier les individus physiquement handicapés, soient l’objet de moqueries. Son avertissement montre toutefois que la morale prône leur pleine acceptation dans la société. L’attitude de la communauté à l’égard des personnes souffrant de handicaps mentaux n’est pas connue et la façon dont la famille réagit à la naissance d’un enfant atteint de malformation physique ne peut être déduite de l’Enseignement d’Amenemope.
En revanche, un témoignage de Strabon, bien que largement postérieur (Ier siècle avant notre ère), évoque une coutume qui paraît être ancrée dans une tradition ancestrale :
« Un autre usage spécial aux Égyptiens, et l’un de ceux auxquels ils tiennent le plus, consiste à élever scrupuleusement tous les enfants qui leur naissent. »297
Si cette remarque a le mérite d’indiquer que les Égyptiens ne sont pas coutumiers de l’exposition des enfants, elle ne peut toutefois être généralisée à l’ensemble des habitants du pays et à toutes les époques précédentes.
Ces deux seules sources épigraphiques ne permettent donc pas d’avoir une vision correcte de l’attitude de la famille et de la société vis-à-vis d’un enfant né avec des déficiences physiques et/ou intellectuelles. On ne peut que relever le fait qu’il n’y ait eu aucune condamnation de la communauté à leur égard, ni même d’une perception religieuse négative à leur encontre (par exemple la punition divine des parents ou de la société).
Les sources iconographiques évoquent extrêmement peu les sujets souffrant de pathologies physiques, et les individus atteints de handicap mental ne sont pas discernables des autres. Les données et leur exploitation sont donc bien minces.
À l’heure actuelle, je n’ai recensé que deux enfants atteints de pathologies physiques. Leurs statuettes furent toutes deux découvertes dans le temple de Satet à Éléphantine (pl. 35) et datées d’une période comprise entre l’époque thinite et le début de l’Ancien Empire.
La première statuette figure un garçon souffrant visiblement d’une atrophie de l’épaule droite298 et la seconde figurine montre une fillette bossue299. Ces objets sont les deux seuls artefacts qui se distinguent du lot de quelque quatre-vingt-dix statuettes et figurines d’enfants retrouvées en contexte cultuel à Éléphantine, Abydos et Tell el-Farkha. Ils évoquent, à n’en pas douter, des individus bien réels nés avec une pathologie physique. Celle-ci a peut-être conduit leur entourage à faire réaliser une statuette à leur effigie et à la déposer dans le temple de Satet. Dans l’espoir que la déesse intervienne et « guérisse » leur enfant ? Dans l’espoir de le placer sous sa protection ?
De même que pour les sources épigraphiques, nulle conclusion ne peut être tirée à partir de deux documents. On se bornera à constater que des offrandes de statuettes à l’effigie d’enfants souffrant de handicap physique lourd ont été offertes à Satet, ce qui permet d’écarter leur exclusion de leur foyer et de la communauté.
La paléopathologie est une discipline relativement récente consistant à pratiquer des examens sur les restes humains de manière à déceler des maladies, des malformations, mais aussi des troubles de croissance ou de carence invisibles d’après un simple diagnostic visuel ou que des non-spécialistes auront du mal à reconnaître. Le recours à des spécialistes – paléopathologistes ou anthropologues – n’est toujours pas systématique, actuellement, sur les chantiers de fouilles en Égypte. Il en résulte de lourdes pertes irrémédiables concernant l’ensemble des squelettes et momies exhumés.
La paléopathologie appliquée aux enfants égyptiens est fort lacunaire. À cela, plusieurs raisons : cette jeune discipline fait appel à des techniques pouvant se révéler onéreuses ou encombrantes et encore trop peu d’anthropologues travaillent sur les chantiers de fouilles. Ensuite, en raison des problèmes taphonomiques* qui touchent plus particulièrement les ossements des enfants, une bonne lisibilité des pathologies qui auraient pu laisser des traces sur les corps n’est pas toujours permise. Enfin, dans de nombreuses études anthropologiques, les sujets adultes sont privilégiés par rapport aux sujets immatures. Dans le cadre de mes travaux sur l’enfance, j’ai réuni, à ce jour, un corpus de 4600 jeunes défunts morts entre la période prédynastique et la fin du Nouvel Empire. Les données pathologiques n’ont été signalées que dans 407 cas (235 sujets souffraient de pathologie(s) et les 172 autres ne montraient aucune trace de pathologie décelable sur les restes osseux). Ce qui représente à peine 9 % de l’ensemble des données.
C’est donc principalement à partir de corps d’individus adultes que la paléopathologie va pouvoir réellement nous renseigner sur les maladies congénitales ayant affecté les Égyptiens. Les tombes ont livré, à maintes reprises, des squelettes ou des momies d’individus adultes et enfants atteints de difformités diverses ayant pu s’accompagner de handicaps mentaux. Si certaines malformations osseuses peuvent être décelées à l’œil nu par un fouilleur non anthropologue, il n’en est pas de même pour la plupart des malformations congénitales ou déformations physiques qui peuvent advenir plus tard dans la vie d’un individu. Il en résulte que nos connaissances paléopathologiques demeurent fort minces et qu’il est impossible, à ce jour, d’avoir une vision claire de la façon dont on perçoit et traite les personnes atteintes de handicaps physiques et/ou mentaux dans la société égyptienne.
Cette partie s’en tiendra donc à l’exposé des rares cas de sujets en bas âge affectés par des pathologies physiques ayant pu, dans certains cas, s’accompagner d’un handicap mental ou l’entraîner.
Si les malformations congénitales ou post-natales sont très rarement évoquées dans l’iconographie égyptienne, il en est toutefois une qui fait exception : le nanisme, qui concerne les gens de petite taille, aux proportions corporelles soit normales bien que petites, soit, au contraire, disproportionnées.
En Égypte ancienne, les textes, l’iconographie et les données relatives aux tombes de nains attestent qu’ils sont bien acceptés dans la société300. À ce jour, je n’ai recensé qu’un seul cas d’enfant en bas âge touché par le nanisme. Il s’agit d’un bébé de sexe masculin, identifié grâce à son nom écrit sur le petit coffre qui contenait son corps momifié. Il fut découvert dans une des sépultures de Gournet Mourraï301, l’un des cimetières du village des artisans de Deir el-Médineh. Le nourrisson fut décrit par le fouilleur Bernard Bruyère comme « un véritable monstre, et malgré sa taille qui est plus haute que celle d’un enfant d’un an, on se demande s’il a jamais vécu. La tête large et disproportionnée est un peu écrasée et ressemble à un mufle de bête, les membres mous et trop courts, par rapport au torse très long, donnent l’impression d’une conformation anormale incapable de vivre »302 et plus loin, comme « un petit enfant monstrueux aux jambes torses, au crâne difforme dont les hypophyses n’ont jamais pu se souder et ont doté l’enfant d’un bec de lièvre prononcé »303. Bien que l’égyptologue n’ait pas expressément indiqué que l’enfant était atteint d’achondroplasie*, il est aujourd’hui communément admis que l’enfant souffrait de cette pathologie congénitale. Il est également manifeste que l’enfant présentait un syndrome pluri-malformatif ayant entraîné sa mort dès sa naissance ou peu après. En effet, la description que Bernard Bruyère fait de la tête de l’enfant laisse à penser que celui-ci souffrait aussi d’hydrocéphalie* et l’égyptologue mentionne, en outre, très clairement le fait que l’enfant était affecté d’une fente labiale (autrefois appelé bec-de-lièvre). Cette malformation congénitale de la bouche se met en place dès la sixième semaine de vie intra-utérine. À une époque qui ne connaît pas l’opération chirurgicale de la fente labiale, les enfants meurent en période post-natale car cette malformation entraîne de grandes difficultés à téter.
Malgré son physique effrayant et son bref passage sur terre, si tant est qu’il eût vécu, le bébé ne fut pas rejeté par les siens puisqu’il eut droit aux plus grands égards en étant momifié et précautionneusement placé dans un coffre protégeant son corps des agressions extérieures. Son inhumation eut lieu, par ailleurs, dans le cimetière de l’Est, c’est-à-dire dans l’espace funéraire réservé à tous les membres du village et non à l’écart. Son apparence ne l’a donc pas non plus condamné à être rejeté de la communauté de Deir el-Médineh.
L’enfant semble avoir également été atteint d’hydrocéphalie congénitale dont le diagnostic est décelé soit dès la naissance (auquel cas, la dimension de la tête a pu représenter une complication obstétricale très souvent funeste à la mère et à l’enfant en Égypte ancienne) ou durant le premier mois de vie (le périmètre crânien augmente alors rapidement). En l’absence de traitement adéquat, cette pathologie engendre des séquelles neuropsychiques et conduit irrémédiablement à la mort des jeunes patients.
Bien que l’hydrocéphalie soit aisément reconnaissable sur un squelette ou une momie par un néophyte en anthropologie, je n’ai, à ce jour, recensé que quatre cas de squelettes d’enfants souffrant d’hydrocéphalie (en dehors de celui du nourrisson de Gournet Mourraï pour lequel le diagnostic ne peut être établi avec certitude).
Les deux plus anciens furent découverts dans un cimetière prédynastique d’Abydos. La pathologie du premier sujet n’a pas été identifiée par le fouilleur, mais celui-ci l’a décrite d’une manière qui ne laisse aucun doute quant au diagnostic : « L’enfant paraît être assez jeune mais son crâne est considérablement plus grand que celui d’un adulte mature »304. L’enfant fut placé dans un cercueil en bois sans bien funéraire305. Le rapport de fouilles mentionne que le second enfant avait une « très grosse tête »306. J’aurais tendance à voir dans cette description un nouveau cas d’hydrocéphalie. Cet enfant fut simplement allongé sur le sol de la tombe et enterré sans aucun bien funéraire307.
Le troisième cas, datant de la Première Période Intermédiaire, fut découvert à Assiout308. L’enfant fut déposé dans un cercueil au fond duquel se trouvait une natte en roseaux. Nous ignorons s’il fut pourvu de biens funéraires car la sépulture (contenant un adulte et un autre enfant) fut pillée avant sa découverte.
Le dernier cas d’hydrocéphalie congénitale recensé date du Nouvel Empire. Il est en rapport avec un enfant, âgé de 3 à 4 ans, qui fut inhumé dans une tombe familiale à Saqqarah309. Le petit corps fut placé dans un coffre en écorce de papyrus, sans mobilier d’accompagnement. Il souffrait d’hydrocéphalie, d’ostéomyélite, de tuberculose et présentait également des traces d’hypoplasie* de l’émail dentaire. Selon les anthropologues, l’enfant mourut probablement de complications dues à son hydrocéphalie et à la tuberculose.
Ces quatre voire cinq cas d’hydrocéphalie congénitale attestent de l’insertion de ces jeunes individus au sein de leur famille en dépit d’un handicap physique pour le moins spectaculaire. De plus, tous furent enterrés dans les espaces funéraires dédiés aux défunts de leur communauté, à l’instar de cet autre enfant dont le corps est ainsi décrit par Bernard Bruyère : « Sa taille de 0.80 m se décomposait en 0.52 m de longueur de torse et seulement de 0.28 m de jambes. Ses jambes étaient enflées, la droite plus courte de 7 cm que la gauche, la hanche gauche déportée par une scoliose »310. La difformité du petit garçon ne constitua en rien une barrière vis-à-vis de ses proches qui le firent momifier et l’enterrèrent avec un mobilier funéraire abondant, dans le cimetière de l’Est à Gournet Mourraï311.
L’évaluation que nous pouvons faire de la considération dans laquelle sont tenus les enfants qui naissent handicapés repose sur un éventail de sources trop peu nombreuses pour que l’on puisse en tirer un aperçu fiable. D’ailleurs, rien ne nous permet de savoir si les handicaps physiques sont considérés de la même manière que les déficiences mentales par les Égyptiens.
Je me suis ici concentrée sur les quelques cas de sujets handicapés décédés dans leur petite enfance afin d’évaluer le traitement funéraire qu’ils ont reçu à leur mort ; le faible échantillonnage collecté montre qu’ils ont été intégrés à la famille et n’ont subi aucune exclusion sociale qui les aurait stigmatisés par-delà la mort. Il est toutefois impossible de généraliser ce fait à l’ensemble des parents qui se sont retrouvés confrontés à un enfant atteint physiquement et souvent mentalement. Tout comme il est difficile d’affirmer que des enfants handicapés et totalement acceptés dans leur environnement familial l’ont également été, avec la même facilité, dans la communauté égyptienne. Si les individus souffrant de nanisme sont visiblement bien intégrés dans la société et jouissent même d’une considération favorable, il n’est pas établi qu’il en soit de même avec des personnes souffrant d’autres malformations physiques ou atteintes de déficiences mentales.
En revanche, le croisement des données littéraires, archéologiques et paléopathologiques permet de réfuter définitivement des assertions infondées et dénuées d’arguments selon lesquelles les enfants égyptiens mentalement déficients ou souffrant de handicap physique sont rejetés, abandonnés, tués ou asservis312. Si rien ne permet d’exclure que certaines familles aient rejeté leur enfant handicapé, en dépit de l’assertion de Strabon, aucun élément probant ne permet d’étayer ces théories dans une vision aussi généralisée.
Dans toutes les sociétés, l’allaitement est perçu comme le mode le plus naturel et le plus économique pour nourrir un bébé dans les premiers mois, voire les premières années de sa vie. Toutefois, d’une civilisation à une autre, d’une femme à une autre, d’un contexte social, familial, économique à un autre, des besoins d’un enfant à un autre, les temps d’allaitement diffèrent et une alimentation semi-liquide ou solide peut compléter l’alimentation du jeune enfant. En outre, ses besoins évoluent en fonction de l’acquisition de son autonomie.
Cette partie nous donnera l’occasion de nous pencher sur l’alimentation des plus jeunes, de voir si le lait donné à l’enfant est toujours d’origine humaine, et de nous intéresser à la véracité de l’existence de biberons.
L’alimentation des enfants en bas âge est exceptionnellement documentée par des champs scientifiques très divers : sources littéraires, médicales, iconographiques, anthropologiques, paléocoprologiques* et archéologiques. Pourtant, ainsi que nous allons le voir, ce domaine conserve encore beaucoup de secrets.
L’allaitement maternel est la source première de subsistance des nourrissons, et ce, dans toutes les cultures. Une lettre du Sage Ani adressée à son fils, le scribe Khonsouhotep, s’en fait ainsi l’écho :
« … L’enfant qui est dans le giron de sa mère, son désir est d’être allaité.
"Vois", dit-il, il trouve (l’usage de) sa bouche pour signifier : "Donne-moi de la nourriture". »313
L’un des enseignements du même Ani rappelle également à l’Égyptien le dévouement de sa mère durant sa petite enfance :
« Elle s’attela alors, ses seins dans ta bouche pendant trois ans, sans faiblir. »314
Un papyrus de la Basse Époque livre un témoignage similaire en s’inspirant vraisemblablement de la Sagesse d’Ani :
« Ta mère t’a conçu en dix mois, elle t’a nourri durant trois ans. » 315
Toutefois, contrairement à ce qu’affirment ces trois citations, la tétée n’est pas exclusivement donnée par la mère. Elle peut l’être aussi par l’entremise d’une nourrice dont on s’attache les services pour divers motifs : décès ou maladie de la mère, arrêt de la sécrétion lactée, lait insuffisant, vicié ou ne convenant pas à l’enfant, ou, tout simplement, pour des raisons de confort.
Dans le mythe de L’œil du soleil, connu vraisemblablement dès le Nouvel Empire, se trouve une mention fort intéressante :
« … Aussi a-t-il dit : "C’est le lait qui sert d’aliment à la bouche jusqu’à ce qu’elle produise des dents !". »316
Cette citation nuance l’âge limite des trois ans, précédemment indiqué. En effet, « jusqu’à ce que la bouche produise des dents » évoque soit un âge que l’on peut ramener entre 6 et 8 mois si le texte se réfère à l’apparition des premières dents, soit un âge compris entre 20 et 30 mois si le passage évoque l’âge de l’enfant possédant enfin toutes ses dents de lait. Cet extrait ne signifie toutefois pas que l’apparition des dents entraîne systématiquement le sevrage de l’enfant, mais il induit que l’allaitement n’est pas l’alimentation exclusive des enfants âgés de 2 à 3 ans, même si elle doit en demeurer la source principale.
Il ne faut pas prendre la période de trois ans mentionnée dans ces deux sources comme une vérité générale. En premier lieu, Ani et l’auteur anonyme du papyrus de la Basse Époque – qui s’inspire de toute évidence de l’Enseignement de son prédécesseur, toujours connu à la période tardive – mentionnent une durée de l’allaitement qu’ils n’ont certainement pas été vérifier dans la plupart des foyers égyptiens.
Ensuite, n’oublions pas que les maximes sont toujours propagandistes : elles visent à inculquer aux jeunes des préceptes de sagesse, de respect et d’obéissance. Lorsqu’Ani fait allusion à l’allaitement de l’enfant, durant trois années, par sa mère en occultant sciemment le rôle des nourrices, c’est pour rappeler à l’Égyptien tout le respect qu’il doit témoigner à sa génitrice qui a tant fait pour lui et qui a tant donné de sa personne pour l’élever durant la longue période de dépendance de la petite enfance. C’est une durée idéale et pas nécessairement conforme à la réalité antique qu’il livre dans ses écrits.
En outre, aujourd’hui encore, dans les campagnes égyptiennes, certains parents ne connaissent pas toujours avec exactitude l’âge de leurs enfants (ou ils ne s’accordent pas entre eux sur ce point). Une expérience menée sur quelque deux cents enfants de quelques mois à une dizaine d’années m’a montré qu’entre les dires de l’enfant lui-même, de ses frères et sœurs et/ou de ses parents, il peut y avoir des différences d’âge allant de quelques mois à un an et demi. Dans l’Antiquité, la majeure partie de population était analphabète et ne disposait pas de beaucoup de points de repère temporels auxquels se raccrocher. Il est donc probable que les parents ne devaient avoir qu’une idée assez vague de l’âge de leur progéniture.
Enfin, certains facteurs ou événements peuvent entraîner un sevrage plus précoce de l’enfant, tout comme d’autres raisons, par exemple liées à sa santé, peuvent exiger qu’il soit reporté.
Les sources médicales se font l’écho, à plusieurs reprises, de la crainte de l’Égyptienne, mère ou nourrice, de ne pas avoir (suffisamment) de lait ou que celui-ci soit rejeté par l’enfant.
Ainsi que nous l’avons observé dans la partie dédiée aux prescriptions iatromagiques, le fait qu’un enfant refuse de téter le sein peut se révéler fatal pour lui, surtout s’il n’a que quelques mois317. Les Égyptiens ont donc mis au point plusieurs stratégies pour parer aux problèmes d’allaitement que peuvent rencontrer les femmes : des examens permettent de déterminer, d’après l’odeur du lait, s’il est bon ou mauvais pour l’enfant318, et, le cas échéant, de prendre au plus vite des mesures. On connaît également un traitement destiné à la nourrice rencontrant des problèmes d’allaitement :
« Ramener le lait à une nourrice que tète un enfant : épine dorsale d’un poisson-combattant. (Ce) sera bouilli dans de la graisse/huile. Enduire avec (cela) son dos (= celui de la nourrice). »319
De même, des incantations magiques passent pour veiller sur le lait des femmes.
Bien qu’un seul sortilège de ce genre soit actuellement connu, il est fort probable qu’il ne soit pas isolé. Partiellement lacunaire, la formule se rencontre au papyrus Berlin 3027 et débute par :
« Protection/amulette pour une femme qui a du lait. »320
Dans l’incantation, ce sont deux revenants, mâle et femelle, qui sont à l’origine de l’« enchantement contre le lait ».
Enfin, je mentionnerai sans m’attarder le fait que les praticiens ont élaboré plusieurs traitements visant à soigner un « sein douloureux »321. Les données sont cependant trop minces pour qu’il soit permis de conclure qu’il s’agit là de médications destinées à guérir un sein en poussée de mastite. Si une infection du sein peut engendrer un blocage au niveau des canaux lactifères, elle peut également affecter une femme qui n’allaite pas. En outre, il existe bien d’autres causes de douleur au sein, comme la tumeur, et toutes n’agissent pas exclusivement sur la femme allaitant. S’il est possible que certains de ces traitements soient recommandés pour les femmes ayant des problèmes de lactation, cette hypothèse ne peut être accréditée par ces seules mentions.
J’ai répertorié, à ce jour, 174 témoignages iconographiques de l’allaitement des enfants – hors famille royale et dieux-enfants –, émanant de l’époque prédynastique à la fin du Nouvel Empire et figurés sur les supports suivants : peintures et reliefs, petite statuaire, flacons anthropomorphes, ostraca et sceaux (pl. 36-39). Ces divers documents font état de l’allaitement de 162 enfants en bas âge (dont 99 nourrissons) et de 12 enfants plus âgés. Il a été cependant malaisé, dans certains cas, de faire la distinction entre les deux classes d’âge. Dans plusieurs cas, il n’est pas impossible que les Égyptiens aient voulu figurer un bébé mais qu’il leur ait été plus facile de dessiner, sculpter ou modeler un enfant dans des proportions plus grandes. Cependant, l’allaitement d’enfants qui ne sont plus des bébés ne fait aucun doute pour plusieurs documents. L’iconographie confirme donc les écrits antiques quant au sevrage tardif des jeunes enfants égyptiens.
Les études anthropologiques détaillant avec précision et à grande échelle l’âge des enfants à leur décès sont très rares : l’égyptologue et anthropologue Eugen Strouhal est à l’origine de deux d’entre elles, effectuées sur les corps des sépultures exhumés à l’extérieur et à l’intérieur de la tombe d’Horemheb à Saqqarah322 et sur les sujets qui furent inhumés dans l’un des cimetières d’Abousir323.
Eugen Strouhal a ainsi constaté que la tranche d’âge la plus fréquente à la mort des enfants était située entre 2 et 5 ans à Saqqarah et entre 3 et 4 ans à Abousir. Dans les deux cas, les résultats impliquent des enfants en période de sevrage plus ou moins avancé qui décédaient en plus grand nombre que des nourrissons encore allaités. Le changement de nourriture progressif ou brutal, du lait humain et par ailleurs liquide, à des aliments plus variés et solides, s’accompagnait invariablement d’une augmentation d’infections intestinales. Il a inévitablement contribué à un taux de mortalité infantile notable, mais qui ne pourra jamais être évalué avec précision. En effet, ces résultats ont été obtenus à partir d’un échantillonnage qui reste faible et ne pouvant donc être considéré comme représentatif de la mortalité infantile de l’époque. En outre, les sujets de ces deux études ont vécu entre le Nouvel Empire et l’époque romaine, ce qui exclut une bonne partie de la période pharaonique. Dans ce dernier cas toutefois, on peut estimer que la mortalité infantile n’a pas dû être soumise à beaucoup de variations pour cette tranche d’âge, les conditions de vie et d’hygiène n’ayant pas subi de changements majeurs.
Les sources textuelles ont permis d’établir que les enfants âgés entre 2 et 3 ans peuvent recevoir, en complément du lait humain, une nourriture plus solide. Une étude supplémentaire, réalisée grâce à la paléocoprologie, complète nos connaissances.
Sur le site paléolithique (environ 16 000-15 000 avant notre ère) d’el-Koubanieh, en Haute-Égypte, des études de paléocoprologie ont pu être menées grâce à la conservation exceptionnelle de déjections humaines réparties en plusieurs points du campement antique324. Leur analyse a mis en évidence le fait qu’il s’agit d’excréments appartenant, pour la plupart, à des individus très jeunes. À l’intérieur des déjections, les scientifiques ont découvert des traces de plantes finement broyées qui furent ingérées par les enfants (semi-)sevrés sous forme de bouillie. Il s’agit principalement de souchet à tubercule (Cyperus rotundus), de rhizome de fougère (famille indéterminée), de tubercules et noisette de rhizome à glumes (Scirpus tuberosus) et de noix doum (Hyphaene thebaica).
Ces résultats témoignent que, déjà à une époque très reculée, un soin particulier a pu être apporté à l’alimentation des enfants en bas âge.
À ce jour, je n’ai recensé qu’une quinzaine de tombes d’enfants en bas âge dans lesquelles furent découvertes des traces de boisson ou de nourriture. L’étude de ces denrées montre que certaines offrandes furent cuisinées, à l’instar du pain, des galettes et des gâteaux, ou étaient consommables en l’état, comme les fruits, quand d’autres, déposées non préparées, ne pouvaient être ingérées en l’état.
Toutefois, certains des aliments consommables retrouvés sont en net décalage avec le très jeune âge de certains défunts et il est évident que des nourrissons sont inaptes à se nourrir de tels aliments. Ces denrées doivent donc être plutôt rapprochées d’offrandes symboliques que fonctionnelles.
Quant aux denrées non préparées, elles consistent essentiellement en graines et noix doum. Le dépôt de céréales dans une sépulture n’est pas nécessairement à visée alimentaire. Il peut symboliser l’idée de vie, de renouveau et par écho, la résurrection de l’enfant dans l’au-delà. Quant à la noix doum, il faut savoir que pour pouvoir la consommer, sa coque doit être brisée car seule la pulpe est comestible, bien que de goût fort et âpre. Ce fruit peut également être utilisé dans la préparation de certaines bouillies (comme celles qui furent données aux jeunes enfants d’el-Koubanieh) et de certains gâteaux. Les doums sont donc comestibles, mais pas en l’état pour de jeunes individus. En sus de leur fonction alimentaire, les noix doum ont également pu être déposées dans les sépultures avec un objectif magique, par un jeu d’associations symboliques en rapport avec le dieu Thot325.
Que le lait constitue l’alimentation de base des enfants en bas âge n’est plus à démontrer. Toutefois, il reste à déterminer s’il est uniquement d’origine humaine. Le Sage Ani évoque exclusivement le lait maternel tandis que l’extrait du mythe de L’œil du soleil parle seulement de « lait » sans en indiquer son origine. Que le lait maternel ou nourricier soit sous-entendu est toutefois fort probable car c’est la fonction même du lait humain que de nourrir les nourrissons. D’ailleurs, le lait maternel est considéré comme source de vie et objet de toutes les attentions. Du point de vue médical, nous avons précédemment observé que plusieurs prescriptions ont été mises au point afin de vérifier la qualité du lait. Dans le domaine de l’iconographie royale, les pharaons n’hésitent pas à se faire représenter allaités par de puissantes déesses telles qu’Isis, Hathor, Meretseger, Renenoutet ou encore Nout, afin de montrer, entre autres, par cet acte qu’ils reçoivent le lait d’une Immortelle326. D’ailleurs, le thème du prince allaité est l’objet d’un chapitre du Livre des Morts327. Enfin, nombreux sont les reliefs, peintures, flacons anthropomorphes, ostraca, sceaux et petite statuaire figurant des femmes, mères ou nourrices, en train d’allaiter.
Que le lait humain soit la source principale de nourriture des enfants en bas âge demeure un point indiscutable. Mais la question du recours à du lait d’origine animale se pose, car diverses sortes sont connues en Égypte ancienne, notamment le lait de vache, le lait de chèvre et le lait d’ânesse, pour ne reprendre que ceux mentionnés dans les papyrus médicaux328. Si je n’ai rencontré aucun texte attestant que du lait d’animal soit donné comme nourriture aux enfants, en revanche, certains écrits329 et documents iconographiques (fig. 7) 330 montrent, de façon formelle, que les adultes peuvent le consommer.
Fig. 7. Jeune garçon et veau tétant conjointement
au pis d’une vache.
Je rejoins ainsi l’avis de Thierry Bardinet et Georges Lefebvre qui admettent que lorsque la provenance du lait n’est pas explicitement mentionnée dans les papyrus iatromagiques, il s’agit de lait de vache331. En effet, bien que le lait d’ânesse soit celui qui se rapproche le plus, en terme gustatif, du lait humain, l’âne est un animal en rapport étroit avec Seth, le dieu du mal et du chaos. Il est fort possible que les Égyptiens aient décidé de l’écarter de l’alimentation, à tout le moins, des plus petits et donc des plus fragiles, et qu’ils aient privilégié le lait de vache, dont le goût déstabilise moins que celui de chèvre. Dans certains cas, motivés par des questions financières ou médicales, les Égyptiens ont certainement dû choisir de nourrir les enfants en bas âge avec du lait animal plutôt qu’humain.
L’alimentation des enfants en bas âge reste un domaine encore mal connu, même si les rares sources à notre disposition ont permis d’établir que l’allaitement maternel ou nourricier n’est pas l’unique source de subsistance des jeunes enfants. Il n’en demeure pas moins que l’allaitement par la femme occupe une place prépondérante dans l’alimentation du jeune enfant. Mais il faut bien comprendre que cet acte, mentionné dans les textes ou reproduit dans l’iconographie, sert avant tout à ancrer profondément le rôle que l’on attend de la femme en tant que mère, dans la société égyptienne. Dans l’iconographie, le thème de la femme allaitant est très fort et touche tout autant le monde des hommes que la sphère divine. Le lait est symboliquement associé à la vie et c’est cette idée qui est traditionnellement figée dans les représentations en deux et trois dimensions.
Si le lait maternel est, par excellence, l’aliment adapté au nourrisson et prévu pour subvenir à ses besoins (énergie, croissance, développement cognitif et immunitaire…) jusqu’à l’âge de 6 mois environ, par la suite, son alimentation doit être complétée par un régime solide ou semi-solide afin que l’enfant ne développe pas de carences, notamment en zinc et en fer. Par ailleurs, un enfant souffrant d’anémie doit recevoir une alimentation complémentaire sous peine d’une aggravation de ses problèmes de santé. Il paraît donc peu probable que l’allaitement soit la source exclusive de nourriture des nourrissons jusqu’à l’âge de 3 ans.
Dans une civilisation où l’allaitement des enfants est généralisé et dure plusieurs années, on pourrait s’étonner de l’intervention anachronique du biberon, destiné à remplacer l’alimentation des nourrissons au sein. Pourtant, dans la littérature, on rencontre parfois des mentions de « biberons » antiques sous la forme de corne, réelle ou artificielle, ou sous l’aspect de petit bol muni d’un bec que les anglophones désignent comme des feeding cups (litt. coupes à nourrir). Nous allons examiner quel crédit apporter à ces identifications.
De l’Égypte antique nous est parvenu un certain nombre de cornes de bovin ou de gazelle, éventuellement des artefacts en faïence reproduisant la forme d’une corne animale, dont l’extrémité effilée est soit aménagée en forme de biseau émoussé, soit pourvue d’un bec en coquillage ou en faïence (pl. 40).
Frans Jonckheere est le premier égyptologue à avoir proposé de considérer ces artefacts comme les ancêtres égyptiens des biberons332. Toutefois, les quatre arguments qu’il donne pour prouver sa théorie ne résistent pas à une étude systématique des données.
En premier lieu, l’égyptologue établit la fonction nourricière de la corne grâce à trois flacons figurant une femme portant dans le dos un enfant et tenant dans ses mains une corne du même genre (pl. 41). Premier souci : il écarte volontairement de son raisonnement les vases plastiques* figurant des Égyptiennes, cette fois sans enfant, avec ce type de corne dans les mains.
Frans Jonckheere explique ensuite que les flacons anthropomorphes contenant à l’origine du lait, la corne doit donc avoir une fonction similaire. Or, s’il est effectivement possible que les fioles figurant des femmes avec un enfant aient été conçues pour recevoir du lait, il est, en revanche, impossible de justifier l’usage d’une corne comme biberon sur la base d’un tel argument : d’une part, ce n’est toujours pas prouvé à ce jour, et d’autre part, on prête cette fonction à l’ensemble des flacons figurant des femmes, qu’elles aient été ou non associées à un enfant.
L’égyptologue indique, par ailleurs, que ces cornes offrent une capacité de contenance restreinte concordant avec les rations modestes à distribuer. Voici le problème qui se pose alors : si ces cornes ont vocation à être utilisées comme biberons, les rations doivent, par conséquent, être données régulièrement au nourrisson. Or Frans Jonckheere omet de parler du système de fermeture de ces cornes. Il est pourtant déterminant : parmi les cornes qu’il cite, au moins deux d’entre elles ont été closes avec du ciment au niveau du bouchon333 et la corne en faïence a été réalisée de façon à être définitivement fermée334. Enfin, dans les autres cas, le système de fermeture, parfois conçu à l’aide de chevilles en bois, se serait difficilement satisfait d’ouvertures et de fermetures effectuées plusieurs fois par jour.
En dernier lieu, l’égyptologue s’appuie sur les dires de ses confrères, Georges Bénédite et William Flinders Petrie – qui relevèrent tous deux un dispositif permettant de régler le débit du contenant de la corne –, afin de sous-entendre la fonction nourricière de ces objets335. Néanmoins, rien de tel ne peut être déduit de ce système de régulation puisque de l’huile aromatique, du khôl ou un onguent nécessitent un contrôle similaire pour un usage à petite dose ; de plus, lorsque l’on s’intéresse à la liste des réceptacles à partir desquels l’égyptologue fonde son propos (pl. 40), on se rend compte que l’exploitation qu’il fait des données est erronée. En effet, il omet de préciser que les rapports de fouilles ou les analyses chimiques mentionnent des traces huileuses retrouvées dans cinq cornes qu’il qualifie de biberons antiques, ce qui exclut définitivement leur usage nourricier336. Quant aux autres cornes, aucune indication n’est fournie sur leurs contenus respectifs.
Sur la base des analyses des résidus retrouvés dans ces cornes, il paraît donc fort peu probable qu’elles aient servi de biberons.
Enfin, il y a lieu de mentionner que je n’ai relevé aucune corne de ce type dans les quelque 2315 tombes d’enfants, toutes catégories d’âge confondues, au mobilier identifié et détaillé par les fouilleurs, que j’ai répertoriées.
Les cornes-récipients ne peuvent donc être considérées comme des biberons destinés à l’usage des plus petits.
Pour la seconde catégorie d’artefacts que certains égyptologues associent à des sortes de biberon, aucune étude n’a encore jamais considéré ces éléments de vaisselle dans leur ensemble. Leur identification est donc sujette à l’appréciation du fouilleur ou du conservateur de musée. Par ailleurs, le problème de la méconnaissance du contexte archéologique de l’objet se pose souvent dans les musées.
À l’heure actuelle, quatre artefacts ont été identifiés à des bols à goulot pour enfants.
Le premier provient du Djebel Moya et date du Néolithique (pl. 42a)337. Il s’agirait donc du plus ancien objet attestant de l’usage de vaisselle spécifique adaptée à l’alimentation des enfants. Il se présente sous la forme d’un minuscule bol en céramique dont le goulot, relativement proéminent et dirigé vers le bas, se situe au milieu de la panse. Ce dernier point est important car il implique que l’on ne peut verser le liquide dans le bol que jusqu’à la hauteur de l’embout. Ce qui signifie que le bol ne peut être rempli qu’aux environs de la moitié de sa hauteur. Étant donné les dimensions de la vaisselle (4,2 cm de hauteur et 6,1 cm de diamètre), la capacité volumétrique de la boisson versée est, de ce fait, assez faible. La vaisselle ne peut donc être manipulée que par des adultes ou des enfants déjà grands. Lorsque l’on considère la largeur du bec (environ 4 mm), on peut en déduire que si l’objet a été conçu pour un enfant, les bébés ne peuvent en être les destinataires, l’orifice étant encore trop grand pour permettre un contrôle efficace de l’ingurgitation de la boisson. En outre, la taille de ce bec pourrait se révéler dangereuse pour un très jeune enfant. Cet objet ne peut donc être retenu comme une vaisselle destinée à nourrir les plus petits.
La deuxième vaisselle provient d’une sépulture du cimetière de Licht (pl. 42b). Les renseignements muséologiques ne précisent pas s’il s’agit d’une tombe d’enfant ou d’adulte338. L’objet se présente sous la forme d’un minuscule bol (5 cm de hauteur et 7,8 cm de diamètre) dont une petite partie de la lèvre supérieure fut pincée pour créer un bec évasé. La forme, la taille et la faible contenance de l’objet remplissent tout à fait les critères d’une vaisselle adaptée à un enfant. Toutefois, en l’absence d’un contexte archéologique mieux établi et de données plus étoffées, il est impossible d’affirmer avec certitude que cet objet est bien un bol utilisé pour nourrir les petits Égyptiens. Son bec peut servir à une tout autre utilisation que celle de faciliter l’absorption de nourriture par un enfant.
La troisième vaisselle est un objet unique et tout à fait exceptionnel (pl. 42c)339. Il s’agit d’un petit bol en faïence bleue et par ailleurs décoré, dont le goulot, inséré au niveau de la lèvre, forme le prolongement de la vaisselle. Le diamètre estimé de l’ouverture est d’environ 5 mm, ce qui signifie qu’il est fort peu probable que le bol ait été utilisé pour nourrir un nourrisson car le débit de liquide aurait été tout de même fort élevé, quand bien même il aurait été contrôlé par un adulte. Quant à l’absorption de nourriture solide ou semi-liquide, elle paraît difficile étant donné le diamètre de l’ouverture.
Lorsque l’on se penche sur les motifs de décoration de l’objet, on constate que son ornementation diffère grandement des motifs végétaux ou géométriques que l’on rencontre généralement sur la vaisselle alimentaire. Il s’agit clairement d’une décoration apotropaïque en tout point semblable à celle qui orne les ivoires magiques (fig. 8).
Fig. 8. Frise décorant la vaisselle.
On y voit toutes sortes de divinités, animaux protecteurs, créatures fantastiques et couteaux, la plupart représentés deux fois : deux lions, symboles du dieu Aker, deux serpents, deux fauves au long cou, deux Aha ou Bès tenant dans leurs mains deux serpents, l’hippopotame femelle tenant le signe hiéroglyphique sa de la protection (sA), un dieu ou génie, une lionne mordant un serpent à pleine gueule et une tortue, normalement considérée comme un animal séthien mais pouvant, dans certains cas, être perçue comme un animal cosmique bénéfique340.
La forme et la taille de la vaisselle (3,5 cm de hauteur), le fait qu’elle possède une embouchure particulière d’une si petite taille, le faible volume de liquide qu’elle peut contenir et sa décoration penchent effectivement en faveur d’une vaisselle destinée à un enfant, mais pas un nourrisson. Compte tenu de sa décoration et de son matériau, elle a peut-être été conçue dans un but rituel, peut-être funéraire, et n’a pas forcément été utilisée pour les besoins de la vie quotidienne. Florence Friedman va plus loin dans la réflexion en suggérant que cet objet ait pu être utilisé dans le domaine médical afin de soigner un jeune enfant en lui transmettant une potion via un bol prophylactique qui aurait augmenté le pouvoir magique du remède administré341. Son argument repose en partie sur le fait que le bol a été retrouvé dans un panier avec une figurine de crocodile en faïence bleue, dans une zone qu’elle considère comme sacrée (le panier fut découvert sous une couche de débris dans le cimetière ouest de la pyramide d’Amenemhât Ier à Licht).
Que l’objet ait été utilisé rituellement dans le cadre de l’ingurgitation d’un médicament par un enfant ou qu’il ait été la copie prophylactique d’un type de bol à goulot utilisé dans la vie courante pour nourrir un enfant, cet artefact démontre en tous les cas l’existence de vaisselle spécifique adaptée à l’usage d’un enfant par ses dimensions, sa forme et sa contenance réduite.
Le dernier exemplaire, datant également du Moyen Empire, est un bol muni d’un goulot rétréci permettant l’absorption de liquide ou de nourriture semi-liquide de façon contrôlée (fig. 9). L’objet, taillé dans du calcaire, fut retrouvé dans une tombe d’Éléphantine342, auprès d’un enfant dont l’âge fut estimé entre 6 et 9 mois. Ici, non seulement le contexte archéologique est formellement identifié, mais l’âge de l’enfant a pu être évalué avec précision et il s’agit bien d’un bébé. Il est donc vraisemblable que cette vaisselle particulière ait été utilisée à des fins alimentaires.
Des bols hémisphériques avec embout ont également été signalés par Eugen Strouhal dans plusieurs tombes d’enfants en bas âge situées au Ouadi Qitna, en Nubie343. Comme aucune photographie de ces objets n’a été publiée, il n’est pas possible de savoir si ces bols sont, ou non, similaires aux rares exemplaires que l’on connaît dans la documentation égyptienne.
Fig. 9. Bol à goulot retrouvé dans la tombe d’un nourrisson.
En définitive, si nous pouvons affirmer que les anciens Égyptiens ont conçu et réalisé diverses vaisselles adaptées à un usage pour ou par les plus petits, il est, en revanche, bien plus malaisé d’identifier ce type d’objet.
L’enfant, et plus encore lorsqu’il est en bas âge, nécessite divers soins et attentions. La façon dont on l’habille, ou, au contraire, la décision de le laisser nu, la manière de le coiffer et le choix de l’orner ou non de parure(s) dépendent du bon vouloir des parents tout en répondant à certains us et coutumes. Nous étudierons donc, à travers diverses sources de documentation, la façon dont les Égyptiens appréhendent l’entretien de leur très jeune progéniture.
La panoplie vestimentaire d’un individu se résume à ce qu’il porte sur lui, hors parures et apotropaia. Les vêtements sont les principaux éléments de la garde-robe mais ils ne sont pas les seuls. D’autres accessoires, à l’utilité variable, peuvent compléter la panoplie vestimentaire d’une personne : sous-vêtement, écharpe, couvre-chef, sandales, gants ou encore chaussettes. Plusieurs choix peuvent commander la présence sur soi de tels éléments comme le climat, une raison économique, la mise en valeur sociale, le goût esthétique…
L’iconographie et l’archéologie, parfois complétées par quelques textes, demeurent nos sources principales de documentation.
Sur un ensemble de 186 sujets en bas âge pour lesquels il a pu être déterminé s’ils étaient habillés ou non, seuls deux nourrissons sont figurés vêtus.
Le premier bébé fait partie d’un petit groupe statuaire représentant une femme assise le tenant sur les genoux344 (fig. 10).
Fig. 10. Nourrisson emmailloté.
Datant de la période thinite, l’objet, sculpté dans de l’ivoire d’hippopotame, provient de Tell el-Farkha. Bien que l’ensemble soit fortement stylisé, il paraît manifeste que l’enfant a été figuré emmailloté dans un vêtement étroit et serré qui emmitoufle également ses bras.
L’autre nourrisson appartient à un petit groupe statuaire mis au jour à Gizeh et datant de l’Ancien Empire345. Il représente une femme allaitant deux enfants en bas âge (pl. 43). La fillette qui se trouve sur ses genoux porte une tunique blanche, sans manches, qui descend jusqu’à ses chevilles. Le vêtement peint est très clairement délimité dans sa partie inférieure, ne laissant aucune place au doute.
Ces deux attestations, quoique minces au regard de l’ensemble de la documentation, indiquent toutefois que les plus petits peuvent être emmaillotés ou vêtus d’habits semblables à ceux portés par les adultes.
Si les nourrissons constituent la catégorie d’enfants la plus associée à la nudité (99 % de la documentation recensée), il convient de se demander si cette représentation traditionnelle n’est pas privilégiée car évoquant l’enfant qui vient de naître. En effet, il est évident que nourrissons et enfants en bas âge sont les êtres les plus fragiles qui soient et, de ce fait, les plus aptes à prendre froid en cas de baisse de température. Nul doute donc que les Égyptiens aient été attentifs à cela et qu’ils aient habillé leurs enfants en conséquence.
Les sépultures d’enfants (toutes classes d’âge confondues) dans lesquelles des vêtements furent mis au jour sont fort rares. En outre, l’état de la question d’après les sources archéologiques est biaisé par trois faits. En premier lieu, les habits étant confectionnés en matériaux périssables, certains se sont désagrégés au fil des siècles, ce qui occasionne une sous-représentation des données. Ensuite, les nombreuses mentions, dans les rapports de fouilles, de « tissu » (ou cloth en anglais) ne permettent pas de savoir si l’on a affaire à un vêtement, une couverture ou un linceul. À la décharge des fouilleurs, lorsque seuls quelques morceaux de tissu sont conservés, il est extrêmement difficile, sinon impossible de déterminer leur nature première. Il faut également tenir compte du fait que, pour les vêtements identifiés comme tels par les archéologues, nous ignorons pratiquement toujours leur forme et leur fonction originelle. Ainsi, dans une tombe de Qaou, le rapport de fouilles indique que le jeune défunt, âgé de 1 à 2 ans, fut enveloppé dans un sous-vêtement en lin346. Cette précision ne permet toutefois pas de se faire une idée précise du type d’habit en question. Enfin, rien ne prouve que ces vêtements retrouvés sur ou à proximité des très jeunes défunts leur aient réellement appartenu. Il n’est pas impossible que les adultes aient recouvert ou enveloppé leur progéniture dans leurs propres vêtements dans un dernier geste d’affection envers leur enfant trop tôt disparu ou éventuellement dans le cadre d’un rituel qui ne nous est pas connu.
La documentation archéologique, bien que fort mince, et en grande partie faussée et biaisée, autorise néanmoins à certifier que les enfants en bas âge, tout comme leurs aînés, peuvent porter des vêtements.
Les sources textuelles sont quasiment muettes à ce sujet. La seule source que j’ai relevée provient du papyrus Berlin 3027 :
« Tout le lait que tu tètes, chaque bras dans lequel tu es placé, chaque giron sur lequel tu t’étires, les vêtements dont tu es habillé… » 347
Le texte est clair : il fait allusion à un habit dont le jeune enfant, encore allaité au sein, est revêtu. Impossible toutefois de connaître la constance avec laquelle les nourrissons sont vêtus ni même en quoi consistent ces habits.
La confrontation des sources iconographiques, archéologiques et textuelles tend à prouver que les enfants en bas âge ne portent aucun vêtement la plupart du temps. C’est là une habitude que l’on retrouve encore de nos jours dans de nombreuses régions de l’Afrique. Toutefois, quelques rares attestations montrent qu’il ne faut en aucun cas généraliser ce fait.
S’il est évident que la majorité des enfants, toutes époques confondues, va plus volontiers nu-pieds que chaussée, des sandales enfantines, de forme, de taille et de matériau différents ont toutefois été retrouvées un peu partout dans le pays.
Si l’on s’en tient uniquement aux enfants en bas âge, les témoignages sont relativement rares. À ce jour, je n’ai répertorié que quatorze exemplaires de sandales (correspondant à dix paires) qui, étant donné leurs dimensions respectives (8 cm à 13,5 cm de longueur), n’ont pu chausser que des sujets encore très jeunes348. Sept et peut-être huit paires datent du Nouvel Empire et une autre est plus tardive. La datation de la dernière n’a pu être établie avec certitude.
La corrélation taille des sandales/âge des enfants n’a pu être établie dans aucun des cas pour les motifs suivants : contexte archéologique inconnu (c’est le cas de la plupart des chaussures exposées dans les musées), sandale(s) découverte(s) dans une tombe d’adulte ou retrouvée(s) en contexte d’habitat.
Les trois types de sandales dont on chausse les enfants en bas âge en Égypte ancienne sont similaires à ceux des adultes.
La première sandale, la plus courante, est complètement ouverte (pl. 44). Le pied est maintenu à l’aide d’un système de deux courroies, l’une maintenant le pied transversalement et l’autre séparant le gros orteil des autres doigts de pied. Dans quelques cas, une troisième lanière peut être passée derrière la cheville et stabiliser le pied dans la sandale.
Le deuxième type de sandale confectionnée pour les plus jeunes a une forme semi-fermée (pl. 45). La chaussure est réalisée à partir d’une première pièce constituée par la semelle sur le pourtour de laquelle est cousue une armature en matières végétales (feuilles de palmier ou fibres végétales). À l’intérieur, le pied est fermement maintenu par le même système que celui des sandales ouvertes, c’est-à-dire avec une courroie séparant le gros orteil des autres doigts de pied.
La sandale fermée est le dernier type de chaussure pour nourrissons dont la documentation fasse état (pl. 46). Elle se présente sous la forme d’un chausson ou d’une ballerine légère s’arrêtant à la base de la cheville. Les exemplaires enfantins (toutes classes d’âge confondues) conservés de ce type de chaussure sont exclusivement en cuir.
Les modèles de sandales les plus luxueux sont en cuir, peint en vert et/ou en rouge, tandis que les autres sont en papyrus, palmier et/ou alfa.
S’il n’est pas permis de savoir à partir de quel âge précisément les Égyptiens peuvent chausser leurs enfants, en revanche, il est établi que les enfants en bas âge, vraisemblablement issus des élites, ont la possibilité d’en porter.
L’iconographie égyptienne est notre principale source de données car les textes sont muets sur ce sujet et les rapports de fouilles ne détaillent que très rarement les coiffures des enfants. En cause, le mauvais état de conservation des cheveux qui se dégradent et disparaissent souvent au cours du temps. Autre problème : des commentaires comme « restes de cheveux », « cheveux encore visibles », « cheveux bruns » ou encore « cheveux fins » ne permettent aucune exploitation des données relatives aux coupes de cheveux de ces nourrissons à leur décès.
Nous sommes donc très largement tributaires de la documentation iconographique pour savoir quelles coiffures sont choisies ou privilégiées pour les sujets en bas âge.
Si la tête entièrement rasée est la coupe de cheveux par excellence des nourrissons dans l’iconographie égyptienne349 (pl. 34, 38 et 39), il demeure plus difficile de savoir dans quelle proportion cette coiffure est réellement envisagée dans la vie quotidienne, tant l’iconographie offre une image figée et stéréotypée des enfants en bas âge. De même, il nous est impossible de savoir si cette tonte est adoptée de manière sporadique – par exemple pour lutter efficacement contre toutes sortes de parasites capillaires ou cutanés – ou sur une longue durée. Des considérations d’ordre hygiénique, voire de pureté, ont très probablement motivé le choix de cette coupe de cheveux.
Avant de considérer ce qu’il en est de cette coupe de cheveux chez les plus jeunes, il convient de rectifier une idée reçue consistant à dire que les ongles et les cheveux des défunts continuent de pousser quelque temps après le décès d’un individu. Pour produire des cheveux, les follicules ont besoin de sang ; or, lorsque celui-ci arrête de circuler, la pousse est interrompue sur-le-champ. L’impression qu’ils continuent de pousser malgré la mort de la personne est en réalité due au fait que le corps se déshydrate et, par conséquent, que la peau se rétracte, créant l’illusion que les cheveux et les ongles ont poussé.
À l’heure actuelle, seule la publication rigoureuse de Guy Brunton sur le site prédynastique de Mostagedda signale le cas de deux enfants âgés de 3 ans dont la chevelure était très courte au moment de leur inhumation350. Les cheveux du premier, de couleur brun clair, mesurent environ 2 cm de longueur. Les cheveux brun foncé du second font entre 1 et 3 cm de longueur.
Dans l’iconographie égyptienne, les enfants en bas âge sont relativement peu figurés avec les cheveux ras351 (pl. 36 et 37).
On peut penser que c’est avant tout un souci d’hygiène qui conduit les parents à couper très court les cheveux de leur progéniture quand d’autres, dans le même temps, recourent à des mesures plus drastiques en rasant entièrement ou partiellement la tête de leurs enfants.
Dans la littérature, cette coupe de cheveux est très souvent décrite comme la coiffure par excellence des petits Égyptiens. L’étude des représentations enfantines démontre pourtant qu’il n’en est rien : la tête rasée à l’exception d’une unique mèche de cheveux ne se place qu’en quatrième position des coupes de cheveux sur des sujets sortis de la petite enfance, et chez les enfants en bas âge, elle n’est attestée, à ce jour, qu’à trois reprises352 (fig. 11).
Deux cas exceptionnels font état de variantes de cette coupe de cheveux. Le premier se rencontre sur une petite statuaire du Moyen Empire figurant un bébé dont la tête fut rasée à l’exception de deux grosses mèches de cheveux latérales et d’une troisième retombant à l’arrière de la tête353.
Le second est connu par un ostracon datant du Nouvel Empire (pl. 47)354. Cet objet est particulièrement exceptionnel dans la mesure où il figure le seul enfant en bas âge officiellement désigné par son nom que nous connaissions à ce jour. Le nourrisson, de sexe féminin, se prénomme Nefernebou et porte une coiffure d’inspiration nubienne particulièrement populaire chez les enfants dans la région de Thèbes au Nouvel Empire : sa tête est rasée à l’exception de trois touffes de cheveux naissantes situées à l’avant, au milieu et à l’arrière du crâne.
Fig. 11. Scène d’allaitement sur ostracon.
Je n’ai rencontré, à ce jour, que trois cas de nourrissons avec cette coupe de cheveux alors qu’elle est relativement populaire chez les enfants plus âgés.
Le premier est l’un des principaux protagonistes de l’une des scènes figurées sur la brique de naissance d’Abydos (pl. 25) dont nous avons eu maintes fois l’occasion de parler.
Les deux autres font partie de deux petites statuaires figurant une femme tenant un jeune enfant sur les genoux355 (pl. 48).
Cette coiffure est donc caractéristique des jeunes individus sortis de la petite enfance, à tout le moins dans l’iconographie égyptienne.
Je signalerai un cas, à ce jour exceptionnel, de bébé découvert avec les cheveux « apparemment tressés » dans une tombe prédynastique de Mostagedda356.
Les coiffures qui peuvent être portées par les enfants en bas âge égyptiens sont encore très difficiles à cerner, car il est impossible de mesurer le degré de fiabilité à apporter à la documentation iconographique. Il est fort probable que des considérations hygiéniques et peut-être symboliques ont présidé au choix de coiffures qui s’offre aux parents.
L’iconographie égyptienne, notre principale source de documentation, fait essentiellement état de sujets en bas âge incarnant l’Enfant dans sa première partie de vie et non des sujets réels357. De ce fait, il est très difficile de se faire une idée du soin que les Égyptiens portent à l’entretien de leur très jeune progéniture. Les quelques exceptions iconographiques que l’on rencontre semblent montrer qu’à ce stade de l’existence, l’apparence extérieure des enfants en bas âge ne reflète pas leur rang social. Fils de noble ou de paysan, ils sont volontiers nus la plupart du temps, sauf quand les rigueurs hivernales contraignent au port d’un vêtement. Les lacunes des sources ne permettent pas de savoir si des vêtements spécifiques sont portés par les nourrissons ou si on les vêt de répliques miniatures d’habits pour adultes. De même, il ne semble pas que leur coiffure donne lieu à un marquage social. En revanche, on notera que certaines coupes de cheveux – comme les cheveux portés longs ou le crâne rasé à l’exception d’une mèche de cheveux – sont très nettement en relation avec des sujets sortis de la petite enfance.