par Philippe Haddad
Le mot « fête » se dit en hébreu moêd qui signifie « rendez-vous », rendez-vous dans le temps (Ex 9, 5) ou rendez-vous dans l’espace (Ex 29, 30). Une fête juive est donc un rendez-vous avec Dieu.
La source de ces différentes solennités se trouve soit clairement mentionnée dans la Torah (Pentateuque ou cinq livres de Moïse), soit dans la tradition des prophètes puis des sages d’Israël. Nous nommerons les premières « fêtes bibliques », les secondes « fêtes rabbiniques1 » :
Les fêtes bibliques se distinguent des fêtes rabbiniques par la prohibition du travail. Précisons que lorsque la fête dure une semaine (Pessah et Souccot), le premier et le dernier jour uniquement sont chômés, non les jours intermédiaires appelés « demi-fêtes ». Cet interdit du travail est dicté par l’idée de consacrer la journée à une vie spirituelle (prière, étude, méditation, vie familiale), par opposition aux autres jours où les préoccupations économiques ne permettent pas ce même détachement.
Les fêtes juives visent un double objectif : reconnaître la présence de Dieu dans l’Histoire en général – celle d’Israël en particulier – et reformer l’unité de la communauté. Dans cette partie consacrée aux fêtes d’Israël, nous nous focaliserons sur la période contemporaine, à savoir comment les différentes communautés juives vivent ces festivités.
Pour simplifier (la réalité étant plus complexe), disons qu’il existe trois grands courants au sein du judaïsme contemporain :
Notre présentation donnera un aperçu du vécu de ces fêtes aujourd’hui, en précisant les différences entre les communautés lorsqu’elles existent.
Abréviations
Gn = Genèse
Ex = Exode
Lv = Lévitique
Nb = Nombres
Dt = Deutéronome
TB = Talmud de Babylone
Pessah (Pâque) est la première fête de pèlerinage3. Cette solennité, qui tombe le 14 nissan (avril) et dure une semaine, commémore la libération des Hébreux de la tutelle du pharaon et la naissance d’Israël. Cette célébration du printemps fait coïncider cette libération avec le réveil de la nature. Dieu libère les hommes de l’aliénation, la faune et la flore de l’hibernation.
« Ce jour [de la sortie d’Égypte] sera pour vous une époque mémorable. […] Sept jours durant, vous mangerez des pains azymes […]. Le premier jour vous aurez une convocation sainte et le septième jour encore une sainte convocation. Aucun travail ne pourra être fait ces jours-là ; toutefois, ce qui sert à la nourriture de chacun, cela seul vous pourrez le faire. Conservez la fête des azymes, car c’est en ce même jour que j’ai fait sortir vos légions du pays d’Égypte ; conservez ce jour-là dans vos générations, comme une institution perpétuelle. »
Ex 12, 14 à 17
Le scénario de cette délivrance se trouve mentionné au début du livre de l’Exode : esclavage des descendants de Jacob, noyade des nouveau-nés, vocation de Moïse, dix plaies d’Égypte. Alors que la dernière plaie sévit dans le pays, les Israélites consomment un agneau grillé dont du sang a été badigeonné sur les portes. Ce sang devient un signe pour que l’ange de la mort saute (pessah en hébreu) au-dessus des maisons israélites. Quelques jours plus tard, les douze tribus traversent miraculeusement la mer des Joncs, qui s’ouvre à leur passage puis se referme sur les cavaliers de Pharaon. Ici s’achève l’asservissement égyptien. Cet épisode fondateur va justifier la récurrence de la formule « souvenir de la sortie d’Égypte » dans toutes les cérémonies religieuses.
Le rituel de Pessah trouve sa source dans la Torah et se caractérise par l’interdiction de consommer, de tirer profit et même de posséder cinq céréales fermentés (hamets) – blé, orge, avoine, épeautre et seigle4 – sous forme solide (pain, gâteaux, etc.) ou liquide (bière, whisky, etc.). Le pain azyme (sans levain) remplacera alors le pain de boulangerie. La Bible raconte, en effet, que, sortis précipitamment d’Égypte, les Hébreux n’eurent pas le temps de confectionner du pain levé (Dt 16, 3).
Concrètement, quelques semaines avant Pessah, la famille procède à un grand ménage de printemps, qui consiste à débarrasser la maison de toute trace de hamets, puis de remplacer cette nourriture par des produits non fermentés (pain azyme, fécule de pomme de terre, légumes, viandes, œufs, lait, fruits, etc.).
Au cours de la soirée, à la maison ou dans une salle communautaire, plusieurs familles se réunissent pour lire, méditer et chanter la sortie d’Égypte à partir d’un livret nommé Haggada (Récit), recueil de textes bibliques, rabbiniques et de cantilènes agencés autour du thème de Pâque. Pour souligner davantage le lien entre Dieu et Israël, les fidèles lisent le Cantique des cantiques (Chir Hachirim), attribué au roi Salomon. À travers la métaphore de l’amour d’un roi pour une bergère, la tradition a vu l’intervention de Dieu en Égypte qui, tel le prince charmant de nos contes, s’engage à délivrer sa bien-aimée enfermée dans les geôles du pharaon.
Au centre de la table est placé un plateau contenant des azymes, un os d’agneau, des herbes amères trempées dans de l’eau salée, un œuf dur, une compote de dattes. Les convives boivent quatre coupes de vin ou de jus de raisin en position accoudée comme les hommes libres de l’Antiquité.
La symbolique de cette diète printanière prend tout son sens durant la première nuit5, lors de la cérémonie familiale nommée Seder, l’« ordonnancement ». Les aliments au centre de la table visent à éveiller la curiosité des enfants, et le plus jeune devra demander : « Pourquoi cette nuit est-elle différente des autres nuits ? » Chaque élément constitue une réponse : le pain azyme rappelle la sortie précipitée des ancêtres ; l’os évoque le sacrifice pascal ; les herbes amères, l’amertume de l’esclavage ; l’œuf (symbole de deuil, de la vie qui tourne), la destruction du Temple ; la compote, le mortier des briques. Les coupes de vin et de raisin symbolisent la joie de la liberté. Leur nombre représente les quatre verbes utilisés par Dieu pour annoncer la fin de l’esclavage : « Je vous sortirai […] Je vous libérerai […] Je vous sauverai […] Je vous affranchirai […] » (Ex 6, 6 et 7). Ces rites manducatoires offrent ainsi autant le « goût » de l’esclavage que de la libération ; et la bouche mange l’objet rituel avant de donner une signification à ce rite6. Incontestablement, ce Seder, commenté en famille ou en communauté, a toujours forgé des liens très forts entre les générations successives d’Israël.
Ajoutons que les rabbins ont été sensibles au côté violent de cette libération (mort des premiers-nés égyptiens lors de la dernière plaie, noyade des cavaliers du pharaon). En réponse au verset des Proverbes (24, 17) – « Quand ton ennemi tombe ne te réjouis pas » –, le père coupe le vin avec de l’eau, afin de réduire la joie ; et surtout les parents enseignent aux enfants ce sentiment de fraternité universelle, même dans les situations les plus conflictuelles.
Les mystiques (kabbalistes) ont lu cette libération comme un éveil à la spiritualité. L’Égypte se dit en hébreu Mitsrayim qui peut se traduire par « lieu d’étroitesses ». Ici, l’Égypte symbolise nos fermetures, nos égoïsmes. Pour sortir de cette Égypte, le croyant consomme le pain sans levain, entendu pain sans orgueil (il ne gonfle pas), le pain de l’humilité. Dans ce même esprit, le nettoyage de printemps invite à un « nettoyage » intérieur, en allant scruter dans les recoins de sa mémoire toutes les défaillances de son comportement.
À ce niveau, il ne s’agit pas uniquement de se remémorer un passé antique, mais surtout de revivre l’événement au présent, comme l’enseigne le Talmud : « Dans chaque génération, chacun doit se considérer comme étant lui-même sorti d’Égypte » (TB Pessahim 117 b).
Chavouot, deuxième fête de pèlerinage, signifie « Semaines » (Ex 34, 22 ; Dt 16, 16). Elle tombe sept semaines après Pessah (Lv 16, 9) – ou cinquante jours (Lv 23, 16) – soit le 6 sivan (juin), d’où le nom de « Pentecôte ».
« Puis, vous compterez chacun, depuis le lendemain de la fête [Pessah], depuis le jour où vous aurez offert la mesure d’orge balancée, sept semaines, entières ; vous compterez jusqu’au lendemain de la septième semaine, soit cinquante jours, et vous offrirez à l’Éternel une offrande nouvelle. De vos habitations, vous apporterez deux pains destinés au balancement, qui seront faits de deux dixièmes de farine fine et cuits à pâte levée : ce seront des prémices pour l’Éternel. »
Lv 23, 15 à 17
Bien que la Torah ne l’explicite pas textuellement, Chavouot correspond, selon la tradition juive, au jour de la promulgation du Décalogue, soit six jours après l’arrivée des Hébreux au pied du mont Sinaï. Dieu, par l’intermédiaire de Moïse, décide de sceller une alliance avec Israël, à qui il énonce dix Paroles, les dix commandements. Cette fête tombe durant la période des moissons de blé, d’où son surnom de « fête des moissons » (Ex 23, 16) ou fêtes des prémices (Nb 28, 26).
Pour relier la fête de Pessah à celle de Chavouot, les fidèles comptent chaque soir les jours puis les semaines qui séparent ces deux solennités, conformément au verset biblique qui enjoint cette pratique.
Contrairement aux deux autres fêtes de pèlerinage (Pessah et Souccot), marquées par des objets rituels, aucun signe extérieur ne singularise Chavouot. En fait, ce jour chômé trouve son centre de gravité dans la lecture du Décalogue à l’office du matin. L’objet de culte de Chavouot est la Torah elle-même. L’après-midi de Chavouot, les fidèles lisent le rouleau de Ruth. Ce court récit raconte l’histoire touchante d’une fille de Moab, Ruth, qui décide d’intégrer le peuple d’Israël et de reconnaître son Dieu : « Ton peuple sera mon peuple, ton Dieu sera mon Dieu » (Ruth 1, 16 et 17). Elle finira par épouser Booz, un notable de la tribu de Juda. De leur union descendra le roi David, ancêtre du Messie.
Comment expliquer ce décompte des jours qui séparent Pessah de Chavouot ? La tradition y a vu un moyen de relier la libération physique, nationale (Pessah) à la libération spirituelle (Chavouot). Il ne s’agit pas pour Israël de vivre une libération exempte de tout devoir et de toutes responsabilités, mais bien plutôt de vivre selon la loi de Dieu qui appelle à des impératifs religieux et moraux, d’où la lecture du Décalogue, le matin de Chavouot.
Par cette lecture chantée sur un ton solennel, les fidèles se rappellent que le Décalogue constitue la base de la société d’Israël : reconnaissance du Dieu libérateur, interdiction de l’idolâtrie, respect du Chabbat (voir p. 167) et des parents, et interdiction de l’assassinat, de l’adultère, du vol, du faux témoignage et de la convoitise.
La lecture du livre de Ruth s’explique pour trois raisons :
Roch Hachana signifie littéralement « Tête de l’année » et correspond au nouvel an d’Israël. Bien que la Torah ne parle que d’un seul jour de solennité, la tradition a doublé ce jour qui tombe donc le 1er et le 2 du mois de tichri (septembre-octobre).
« Au septième mois [tichri], le premier jour du mois, il y aura pour vous une convocation sainte : vous ne ferez aucun travail. Ce sera pour vous un jour de sonnerie. »
Nb 29, 1
La sonnerie évoquée dans le verset cité est celle de la corne de bélier, nommée chofar. Le premier passage qui mentionne cette corne concerne la révélation du Décalogue au Sinaï (voir p. 144). La singularité de cette sonnerie fait de ce premier jour du septième mois le nouvel an d’Israël, le Roch Hachana.
Bien que la Torah ne donne aucune justification historique à ce jour, la tradition orale en propose deux.
Tout d’abord, le 1er tichri correspond à la date de naissance d’Adam et Ève, premier couple de la Bible, ancêtres de l’humanité. À Roch Hachana, Dieu, nommé dans la prière « Notre Père, notre Roi », interpelle chaque homme et chaque peuple par deux questions : « Où es-tu ? » et « Où est ton frère ? » Il s’agit là des questions que le Créateur posa successivement à Adam et à Caïn, après leur faute. Évidemment, ces questions s’entendent dans un sens éthique : « Où en es-tu de ton humanité ? » et « Où en es-tu de ta fraternité ? », autrement dit : quel sens donnons-nous à notre existence ? Comment avons-nous fait progresser l’humanité de l’homme ? Quelles graines d’altruisme, de solidarité, d’amour avons-nous semées ? Quelles bonnes résolutions sommes-nous prêts à prendre ?
Si le jugement du Ciel ne veut pas dire punition ou châtiment, il met l’accent sur notre responsabilité (notion centrale dans la foi juive) dans le devenir de notre humanité, et nous pourrions ajouter aujourd’hui dans le devenir de notre planète. Roch Hachana porte bien ainsi son surnom de « jour du jugement » qui inaugure les dix jours de repentir qui mèneront à Kippour.
Le deuxième événement auquel fait allusion Roch Hachana est la ligature d’Isaac, la dernière épreuve d’Abraham (Gn 22). Jusqu’au bout le patriarche pensa que Dieu exigeait de lui le sacrifice de son fils, comme dans les cultes cananéens ; mais à la fin, il comprit que le Créateur ne désirait nul sang versé pour Le servir ; et le père immola un bélier à la place d’Isaac. De là s’opéra le transfert vers le sacrifice animal. Le chofar évoque ainsi la corne du bélier sacrifié, mais également le triomphe de la vie sur la mort.
Durant les deux offices du matin (sauf si l’un des deux tombe un Chabbat, un samedi), l’officiant sonne le chofar pour la communauté à différents moments de la liturgie. Le chofar n’offrant qu’un son monocorde, le sonneur fait varier la durée du son : sons longs, sons courts et sons saccadés (cela peut évoquer un message en morse). Pour les rabbins, ces sons doivent éveiller un retour sincère vers Dieu.
Dans la prière, le fidèle répète cette formule, « Ô Roi de la vie, Toi qui désires la Vie, inscris-nous dans le livre de la Vie. » De même les fidèles entre eux se congratulent par ce vœu : « Sois inscrit dans le livre de la Vie. » Pour concrétiser ces vœux de bonheur, les deux soirs de la fête, le repas commence par une cérémonie de consommation de mets miellés ou dont le nom évoque un bon présage. Par exemple, de la pomme trempée dans le miel, en espérant que le côté aigrelet de la nouvelle année soit adouci par des bénédictions sucrées ; la grenade, avec ses centaines de grains, évoque la multiplication des bonheurs ; l’épinard, par son nom, exprime le souhait de voir échouer le complot des méchants, etc.
Le chofar symbolise le cri du repentant qui désire sincèrement revenir vers Dieu, et embellir ses actions futures dans un sens moral et spirituel (chofar signifie aussi « embellissement » en hébreu). Le fait que ce soit le son d’une corne de bélier et non un cri humain rappelle que notre côté animal est toujours prompt à rejaillir pour satisfaire notre propre ego aux dépens d’autrui. Enfin, des commentateurs ont vu dans l’aspect du chofar, effilé d’un côté et large au bout, la concrétisation du verset des Psaumes : « De l’étroitesse je T’ai invoqué et Tu m’as répondu avec largesse » (118, 5). Celui qui prend conscience de ses fautes se sent comme oppressé par elles, mais confiant dans la clémence du juge suprême, il reçoit le réconfort du pardon.
Roch Hachana ouvre une période de dix jours d’introspection, ou yamim noraïm (« jours redoutables »), à laquelle les fidèles se sont déjà préparés par la récitation quotidienne, tôt le matin, des sélihoth (prières pénitentielles) le mois précédant Roch Hachana.
Le jour de Kippour, qui tombe le 10 du mois de tichri (septembre-octobre), est surnommé en France « jour du Grand Pardon ». La Bible parle de yom hakipourim, qui signifie « jour des expiations » ou « jour des recouvrements » comme on parle de recouvrer une dette.
« Cependant le dixième jour du septième mois, ce sera le jour des expiations, ce sera une convocation sainte pour vous, et vous approcherez un feu sacrificiel pour l’Éternel. Car en ce jour il sera fait expiation pour vous, afin de vous purifier de toutes vos fautes ; devant l’Éternel vous serez purifiés. »
Lv 16, 31 et 32
La Torah ne justifie pas la date du 10 tichri. Cependant l’exégèse déduit que ce jour correspond à celui où Moïse redescendit du mont Sinaï avec les secondes tables de la Loi et le pardon divin pour la faute du veau d’or.
À l’époque du Temple de Jérusalem, le rituel de Kippour se vivait essentiellement autour du cérémonial du grand prêtre7 (Lv 16). Au cours de l’office du matin, ce descendant d’Aaron tirait au sort entre deux boucs, l’un était sacrifié sur l’autel (pour l’Éternel) et l’autre sacrifié dans le désert ; ce dernier bouc, le « bouc émissaire », allait porter sur lui toutes les fautes d’Israël. Cet acte hautement symbolique déchargeait la communauté du poids des transgressions commises durant l’année écoulée. Psychologiquement, elle permettait à l’individu de ne pas se sentir coupable en permanence, tout en lui donnant la possibilité de s’amender par un retour sincère vers Dieu.
Après la destruction du second Temple, le cérémonial s’est transformé en une journée de cinq prières (une la veille, et quatre le jour de Kippour). Cette journée est devenue dans l’histoire juive un pôle d’affluence communautaire remarquable : l’office de Kippour est la fête qui rassemble le plus d’Israélites, au point que les sociologues parlent des « Juifs de Kippour ». Pourquoi ce jour de jeûne prime-t-il sur les autres solennités, pourtant plus joyeuses ? Sans doute l’idée de pardon divin permet-elle ce consensus de ferveur entre les pratiquants et les moins pratiquants.
Concrètement, Kippour se vit à travers un jeûne total (sans manger ni boire) de vingt-cinq heures, depuis la veille au coucher du soleil jusqu’à l’apparition de trois étoiles la nuit suivante.
Au jeûne, les rabbins ont ajouté d’autres interdits : se laver, se parfumer, porter des chaussures de cuir (signes de richesse et de confort), pratiquer l’intimité conjugale. Par ces prohibitions, les sages ont voulu détacher le fidèle de toute satisfaction liée à son paraître ou à sa jouissance personnelle pour ne se consacrer qu’à la prière, au repentir et à son être authentique.
La liturgie de Kippour est très riche : psaumes de repentance, textes issus de la Torah, poèmes composés dans l’Antiquité et au Moyen Âge, réflexions sur le sens de la vie. À l’office du matin, un fidèle lit le chapitre 58 du livre d’Isaïe. À l’office de l’après-midi, un autre lit le livre du prophète Jonas qui évoque le repentir des habitants de Ninive. Dans l’une des prières de Kippour, les fidèles demandent : « Ô Éternel notre Dieu, fais que l’humanité devienne tel un bouquet harmonieux pour accomplir Ta volonté d’un cœur sincère ! » Il ne s’agit pas de réduire l’humanité à une seule foi : un bouquet peut être formé de plusieurs fleurs. L’espérance d’Israël affirme qu’un jour tous les peuples s’entre-béniront dans la paix, car ils se reconnaîtront enfants de Dieu.
Kippour se termine par ce verset universel du prophète Ézéchiel (18, 32) : « Car Je ne désire pas la mort du méchant, oracle de l’Éternel, mais revenez (vers le bien de Dieu) et vous vivrez ! »
Le prophète Ézéchiel précise, dans le chapitre 18, que l’expiation n’a de sens que si le fidèle s’engage dans un repentir sincère nommé en hébreu téchouva, ou « retour » vers Dieu, en corrigeant à l’avenir sa conduite. Le Talmud distingue les fautes vis-à-vis de Dieu (fautes religieuses) que Dieu pardonne le jour de Kippour, des fautes vis-à-vis du prochain qui ne sont pardonnées que si l’on a corrigé, autant que faire se peut, le préjudice pécuniaire ou moral occasionné.
Le prophète Isaïe donna plus tard l’esprit du jeûne. Dans son chapitre 58, il encourage ses contemporains à plus de solidarité et plus d’amour envers les démunis. Donner à manger, habiller et offrir un toit au malheureux constituent en effet les trois piliers de la tsédaka, ou justice sociale, en Israël. En d’autres termes, par le jeûne, le fidèle vit, d’une certaine manière, la condition de l’indigent.
À travers les textes d’Isaïe et de Jonas, Dieu apparaît comme le Père de l’humanité qui demande aux hommes d’être solidaires entre eux, de pratiquer la justice et l’amour du prochain.
Souccot (singulier soucca) signifie « cabanes, huttes » et désigne la fête des cabanes, troisième fête de pèlerinage. Cette fête tombe cinq jours après Kippour, soit le 15 tichri (septembre-
octobre), et dure une semaine. La Torah la surnomme « fête de l’engrangement » du fait que la récolte s’achève en cette période.
« Tu célébreras la fête des cabanes durant sept jours, quand tu rentreras les produits de ton aire et de ton pressoir ; et tu te réjouiras pendant la fête toi, ton fils et ta fille, ton serviteur et ta servante, et le Lévite, l’étranger, l’orphelin, la veuve qui seront dans tes murs. Tu fêteras ces sept jours en l’honneur de l’Éternel, ton Dieu, dans le lieu qu’il aura choisi ; car Il te bénira, l’Éternel, ton Dieu, dans tous tes revenus, dans tout le labeur de tes mains, et tu seras dans la joie. »
Dt 16, 13 à 15
Cette fête trouve son origine dans les quarante années de la traversée du désert par les Hébreux. Après avoir reçu le Décalogue, le peuple construisit un temple portatif durant un an, puis se déplaça durant trente-neuf ans, selon le rythme imposé par Dieu (par des nuées de gloire), pour arriver aux frontières de la Terre promise. Durant cette longue traversée, les familles d’Israël vivaient en nomades dans des tentes, ce qu’évoquent aujourd’hui les cabanes.
La tradition a ritualisé le souvenir de la traversée du désert par des cabanes dont la taille, la forme et la hauteur ont été réglementées par le Talmud. Cette cabane se présente comme une structure à quatre murs de bois ou de tentures, recouverte d’un toit de branchages (soucca signifiant « toit »). Construite dans une cour ou un balcon à ciel ouvert, elle offre un passage aux rayons du soleil. Cette soucca se monte, en famille ou en communauté, durant les cinq jours qui séparent Kippour de Souccot.
Concrètement, cette fête oblige les fidèles à vivre dans une cabane, ou tout du moins d’y prendre les principaux repas. D’où la formule consacrée : « Sors de ta demeure fixe pour entrer dans une demeure provisoire » (TB Soucca 2 a). En d’autres termes, il s’agit durant sept jours de quitter quelque peu son confort douillet, pour vivre une expérience spirituelle de « camping ». Certes, vivre dans une cabane signifie avoir la possibilité de disposer d’un espace pour la bâtir et d’un temps clément pour s’y installer. C’est pourquoi, en France, la soucca se trouve généralement dans la cour de la synagogue. En Israël, beaucoup d’hôtels construisent de grandes cabanes, joliment décorées, afin que leur clientèle puisse y prendre ses repas. Il est évident que par temps de pluie ou par froid trop intense, le rite est suspendu jusqu’au retour de l’éclaircie et de la chaleur.
Un autre commandement se pratique durant Souccot, celui du loulav ou « branche de palmier ». Bien qu’appelé du seul nom du palmier, le loulav est un bouquet de trois végétaux : palmier, saule et myrte. Il est tenu par la main droite, alors que la gauche tiendra un cédrat (étrog), sorte de citron à peau épaisse (selon l’interprétation de Lv 23, 39 et 40). Durant l’office matinal, ces quatre éléments sont agités vers les points cardinaux en récitant notamment l’hosanna (« sauve-nous ») issu du Psaume (118, 25), pour demander le pardon et les pluies bienfaisantes.
Enfin la joie constitue un élément du rituel, son esprit même. La Torah demande au fidèle : « Et tu seras dans la joie. » Joie de l’engrangement des récoltes, joie du partage avec la famille, avec les pauvres, joie de la fin du cycle des fêtes de pèlerinage.
Les rabbins ont voulu ajouter à la liturgie spécifique aux fêtes de pèlerinage une réflexion sur le sens de l’existence, à travers la lecture et la méditation du livre de l’Ecclésiaste. Le roi Salomon, l’auteur présumé, commence son discours par ce fameux verset : « Vanité des vanités […], tout est vanité. » Les critiques ont exprimé leur étonnement devant cet ouvrage biblique hautement pessimiste et sceptique, qui rompt avec l’esprit des autres livres. En fait, ce rouleau affirme une grande foi : le roi, qui a eu la possibilité d’expérimenter tous les désirs du cœur humain, en arrive à la conclusion qu’aucun de ces désirs de puissance, de connaissance, de jouissance ne constitue une valeur en soi. Il conclut : « Fin de discours, tout a été entendu, crains Dieu8 et accomplis ses commandements, car c’est cela tout l’homme. »
Selon une ancienne coutume, chaque jour de la semaine de Souccot, l’âme d’un hôte de marque préside au repas, à savoir Abraham, Isaac, Jacob, Joseph, Moïse, Aaron et David. Il s’agit ici de renouer avec les pères fondateurs pour ressourcer les nouvelles générations et maintenir la chaîne de la tradition.
La soucca offre une large pénombre mais laisse passer les rayons solaires. Symbolique lumineuse : durant la semaine de la fête, le fidèle n’est pas coupé du ciel, comme à l’intérieur d’un foyer, mais à l’ombre de Dieu. Le loulav aussi véhicule une symbolique éloquente : ce bouquet de quatre espèces différentes invite à fraterniser malgré les différences, à former un bouquet harmonieux devant Dieu, comme dans une symphonie où chaque musicien joue de son instrument devant le chef d’orchestre.
La fête de Souccot, en plus de rappeler la Providence divine, vise à interpeller les fidèles dans leur confiance en Dieu. C’est, en effet, au moment où l’agriculteur pourrait penser à un repos bien mérité après toute une année de labeur à cultiver sa terre que la Torah demande de sortir d’une situation confortable pour se mettre en situation de fragilité. En fait, durant Souccot, le citadin sédentaire redevient un tant soit peu un nomade, comme ses ancêtres. La Bible, par la voix de ses prophètes, s’est toujours méfiée de l’esprit d’enracinement, d’un trop grand conformisme, qui épaissit la ferveur religieuse et la transforme en habitus routinier. La méditation du livre de l’Ecclésiaste donne à penser la valeur des biens matériels. S’ils restent nécessaires pour la vie de chacun, ils ne constituent qu’un moyen de vivre pleinement sa foi en Dieu et son engagement pour améliorer, autant que faire se peut, l’état du monde vers plus de générosité et plus de solidarité.
Conjuguant joie, espérance et simplicité, Souccot représente la fête de l’espérance messianique, quand à la fin des temps les nations s’entre-béniront selon la promesse faite à Abraham après le récit de la ligature (Gn 22, 18).
La fête de Souccot s’achève par un huitième jour chômé nommé Chémini âtseret ou « huitième (jour) de clôture », soit le 22 tichri (septembre-octobre). Chémini âtseret porte un surnom : Simhat Torah, « Joie de la Torah ». Et bien que Souccot soit considérée comme « le temps de notre joie », Chémini âtseret en constitue le sommet.
« Le huitième jour aura lieu pour vous une fête de clôture ; vous ne ferez aucun travail. »
Nb 29, 35
Selon la Torah, ce huitième jour de Souccot constitue la clôture (âtseret) à la fois de la fête des cabanes et du cycle des fêtes de pèlerinage.
Aucun rite particulier n’est exigé, seul un sacrifice particulier était offert à l’époque du Temple. Cependant, la tradition a instauré de terminer et recommencer immédiatement la lecture publique du rouleau de Moïse (le Pentateuque). En effet, la Torah est divisée en cinquante-quatre sections dont chacune est lue d’un Chabbat sur l’autre, jusqu’à cette solennité de clôture. Chémini âtseret constitue donc un moment charnière de l’année liturgique d’Israël, en même temps que s’achèvent par elle les fêtes de tichri.
Au cours des offices du soir et du lendemain, des processions joyeuses sont organisées. Les fidèles prennent à tour de rôle le rouleau de la Torah pour danser comme on le ferait avec une fiancée, d’où le surnom de cette fête : Simhat Torah ou « Joie de la Torah ». Ainsi s’affirme le lien indéfectible qui unit le peuple d’Israël à la Torah.
Un autre rite liturgique s’ajoute à l’office du matin : la demande de la pluie. En effet, depuis le premier jour de Pessah, le fidèle récite au cours de chaque prière la formule : « Il [Dieu] fait tomber la rosée » ; à partir de Chémini âtseret, la formule devient : « Il fait souffler le vent et fait tomber la pluie. » Cette annonce se fait avec beaucoup de ferveur. Les portes de l’armoire sainte étant ouvertes, laissant voir les rouleaux de la Torah, l’officiant récite quelques poèmes qui louent la puissance divine avant de demander la pluie de bénédiction pour toute la terre : « Que par des pluies de bénédictions soit bénie la terre, que par des pluies de lumière soit illuminée la terre, etc. »
Chémini âtseret se situe au huitième jour de la fête des Cabanes. Pour la tradition rabbinique, le chiffre 8 représente le surnaturel. Si le monde de la nature est marqué du chiffre 7 (les sept jours de la semaine ou les sept branches du chandelier), le chiffre 8 transcende cette nature et se réfère à l’infini divin. En hébreu, huit se dit chémoné, qui vient de la racine chémène, l’« huile » qui surnage au-dessus de l’eau. Par extension, le chiffre 8 symbolise le monde messianique, le monde où « le loup dormira avec l’agneau » (Is 11, 6) et où « les hommes transformeront leurs épées en socs de charrue » (Is 2, 4).
Pour les rabbins, le jour qui clôture les fêtes de pèlerinage donne à espérer une humanité totalement pacifiée, ce qui, bien sûr, ne déresponsabilise pas les hommes d’agir dans ce sens. Ainsi, le judaïsme harmonise le principe d’espérance et le principe de responsabilité.
Hanoukka, qui signifie « inauguration », tombe le 25 kislev (novembre-décembre) et dure huit jours. Elle se caractérise par l’allumage crescendo d’un chandelier à neuf branches dès la nuit tombée.
« Pour les miracles, pour les prodiges et pour les délivrances que Tu as accordés à nos ancêtres dans ces jours et à cette époque. »
Liturgie de Hanoukka
La fête de Hanoukka a été instaurée à la suite de la conquête de la Judée par Alexandre. L’un de ses successeurs, Antiochus III, se montre bienveillant à l’égard des Juifs, il développe leur économie et les soutient au plan religieux. Un sénat de sages naît, qui deviendra plus tard le Sanhédrin. L’autorité religieuse suprême reste le grand prêtre, garant du culte du Temple. Cet essor économique engendre un déséquilibre entre les riches et les pauvres. De plus, les nantis s’assimilent petit à petit à la culture grecque (les hellénisants), le peuple restant attaché aux traditions ancestrales. À la mort d’Antiochus III, son fils Antiochus IV9 rêve de devenir un second Alexandre. Percevant la religion juive comme un obstacle à ses ambitions, il soutient les hellénisants et congédie le grand prêtre. Ce climat finit par engendrer de nombreux troubles en Judée. Le roi fait alors massacrer une partie des opposants, s’empare du Temple et interdit la pratique du judaïsme. Les prêtres fidèles à la Torah décident de riposter par les armes, débute alors une révolte menée par Juda, le fils du grand prêtre Mattathias10. Après une guérilla intense, la voie de Jérusalem est finalement ouverte et le Temple de nouveau inauguré, le 25 du mois de kislev (décembre). Telle est l’origine du mot Hanouka, qui veut dire « inauguration ». À partir de cette date, un État juif retrouvera son indépendance jusqu’en 63 avant J.-C. quand Pompée reprendra Jérusalem.
Ici apparaît la dimension purement religieuse de l’événement : les vainqueurs décident d’allumer le chandelier à sept branches avec de l’huile consacrée au Temple, et non souillée par le culte idolâtre. Une seule fiole porte encore la scellée du grand prêtre. Or, l’huile de la fiole ne peut brûler qu’un jour, un miracle se produit : les flammes brûlent huit jours, temps nécessaire pour préparer une nouvelle huile pure.
Pour commémorer le miracle, les rabbins instaurent huit jours de fête. À la tombée de la nuit du 25 kislev, la famille se rassemble autour d’un chandelier à neuf branches. Après avoir récité des bénédictions pour le miracle, le père de famille allume une première flamme, à partir d’une bougie allumée pour la circonstance. Puis, à chaque crépuscule, il allume une flamme supplémentaire, si bien qu’au bout du huitième jour, le chandelier est totalement illuminé. Pourquoi neuf branches pour une fête qui dure huit jours ? Huit pour accomplir le rite de l’allumage, et une branche supplémentaire, positionnée à une hauteur différente, pour y placer la bougie qui sert à allumer les autres (c’est le chamach, le « serviteur »).
Durant la première demi-heure, la famille reste près des flammes, en chantant des louanges à Dieu et souvent en dégustant des beignets de Hanoukka. Pour stimuler les enfants à ne pas s’éloigner, ils jouent avec une toupie à quatre faces, chacun pariant sur une face.
Par-delà le côté ludique et joyeux de Hanoukka, quel message religieux délivre cette fête ? La victoire de la lumière sur l’obscurité. Contrairement aux souverains antiques, Antiochus IV fut un dictateur religieux qui voulut supprimer la religion juive.
Les rabbins ont vu dans le miracle de la fiole d’huile le signe du Ciel appelant à choisir la lumière de la sagesse contre les forces obscures du chaos.
Tou Bichvat signifie « 15 du mois de chevat » (janvier-février). Le Talmud parle de ce jour comme du nouvel an des arbres. En effet, cette période correspond au début du réchauffement climatique en Orient qui précède le printemps, marqué par le début de la montée de la sève. Plus tard, les kabbalistes donneront un caractère festif au 15 chevat.
« Lorsque vous arriverez dans le pays, vous planterez des arbres fruitiers. »
Lv 19, 23
« Car l’homme est un arbre des champs. »
Dt 20, 19
Après l’expulsion des Juifs d’Espagne en 1492, une partie de la communauté retourna s’installer sur la terre ancestrale de Palestine, en Galilée (Safed, Tibériade). Parmi eux se trouvaient de nombreux mystiques. Très attachés au repeuplement et au reboisement du pays d’Israël, ils firent de Tou Bichvat une fête en soi, avec l’instauration d’un repas de fruits.
La journée de Tou Bichvat se caractérise par la consommation de nombreux fruits qui rappellent la première nourriture de l’homme dans le jardin d’Éden. À la maison ou à la synagogue, un repas frugivore est donc organisé et Dieu est loué pour sa Création.
Outre le repas de fruits, il existe une autre coutume qui consiste à planter des arbres fruitiers. Les rabbins enseignent à propos du verset : « Lorsque tu arriveras dans le pays que l’Éternel te donne, tu planteras des arbres fruitiers : de la même manière que le Saint, béni soit-Il, planta des arbres dans le jardin d’Éden, toi aussi tu planteras des arbres » (Lv 19, 23). En Israël, la journée est chômée pour les élèves qui vont dans les bois et les forêts réaliser des plantations ou apprendre à respecter la nature. Au Talmud Torah (équivalent du catéchisme), les enfants et leurs parents plantent un arbre fruitier dans le jardin de la synagogue ou chez un particulier le dimanche qui précède cette journée, faisant de Tou Bichvat une fête écologique.
À travers la collation de fruits, il s’agit tout d’abord de renouer avec l’alimentation végétarienne d’Adam et Ève. Mais les kabbalistes vont plus loin en distinguant différentes catégories de fruits : les fruits à écorce et épluchures (la noix ou l’orange), les fruits à noyau (comme la datte), les fruits à pépins (comme le raisin) et enfin les fruits totalement consommables (comme la figue). Selon leur théorie, chacune de ces catégories procède d’un monde supérieur de plus en plus éthéré. En mangeant les fruits dans cet ordre, on réalise alors une élévation spirituelle. Car l’homme peut accéder à Dieu par n’importe quelle expérience mondaine : la méditation, la prière, l’étude et les bonnes actions, mais aussi le travail, la solidarité ou la consommation.
Le nom Pourim vient du perse et signifie « tirage aux sorts », en référence à celui qu’effectua Haman pour fixer la date du massacre des Juifs, soit le 14e jour du mois d’adar (février-mars).
« Esther fit dire à Mardochée : “Va rassembler tous les juifs présents à Suse, et jeûnez à mon intention ; ne mangez ni ne buvez pendant trois jours, ni jour ni nuit. Moi aussi avec mes suivantes, je jeûnerai. Et puis je me présenterai au roi, et si je dois périr, je périrai !” Mardochée se retira et exécuta strictement ce que lui avait ordonné Esther. Le troisième jour, Esther se revêtit de ses atours de reine et se présenta dans la cour intérieure du palais du roi, en face du palais du roi. Celui-ci était assis sur son trône royal, dans le palais de la royauté, vis-à-vis de l’entrée du palais. Lorsque le roi aperçut Esther debout dans la cour, elle éveilla sa sympathie, et le roi tendit à Esther le sceptre d’or qu’il tenait en main. »
Esther 4, 15 à 5, 2
La fête de Pourim s’enracine dans le récit du rouleau d’Esther, l’un des livres de la Bible. Ayant chassé son épouse pour désobéissance, le roi Assuérus11 choisit parmi toutes les jeunes filles du royaume la belle Esther et la fait reine. Sur les conseils de son oncle, Mardochée, Esther cache sa judéité. Lors de ses visites, Mardochée surprend un complot. Esther en avise la garde : les comploteurs sont exécutés, et le fait consigné dans les annales. Quelque temps après, le roi nomme Haman Premier ministre. Personnage orgueilleux, il exige que tous se prosternent sur son passage ; Mardochée refuse, car on ne se prosterne que devant Dieu. Mis au courant des origines juives de Mardochée, Haman demande au roi l’autorisation d’exterminer la communauté juive, le roi acquiesce. Mardochée demande à Esther d’intervenir. Dans un premier temps elle hésite, car la reine ne peut se présenter devant le roi sans son accord, sous peine de mort. Mais devant le poids du danger, Esther risque sa vie après un long jeûne qu’elle s’impose avec la communauté.
Le roi accepte l’invitation à dîner de la reine, qui précise vouloir recevoir aussi Haman. À la fin du festin, elle réitère une sollicitation pour un second festin, toujours en présence du Premier ministre. Cette nuit-là, le roi, ne pouvant dormir, se fait lire les annales du palais, et découvre le bienfait de Mardochée à son égard. Il demande à Haman d’honorer son sauveur en le promenant devant le peuple de Suze, la capitale. Au second dîner, Esther révèle son identité et réclame la vie pour son peuple. Entre son ministre et sa femme, le roi choisit son épouse, et Haman est pendu à la potence préparée pour Mardochée. Le peuple juif est sauvé.
L’épisode marqua tellement les esprits que les rabbins instituèrent une nouvelle fête dans le calendrier : Pourim. Plus tard, ce récit inspira un grand dramaturge français : Racine.
La fête de Pourim a été ritualisée par les rabbins. En voici les principales règles :
Cette fête donne l’occasion aux enfants de se déguiser en reine Esther, en Mardochée, en Assuérus ou en Haman. Le carnaval antique a incontestablement influencé cette pratique, pour la joie des enfants et de leurs parents.
La fête de Pourim a été canonisée du fait de son caractère paradigmatique pour l’histoire d’Israël. En effet, depuis plus de 2 500 ans, rarement le peuple juif, en Orient ou en Occident, a connu une longue période de tranquillité, sans subir les assauts verbaux ou physiques de l’antijudaïsme ou de l’antisémitisme. Haman incarne celui qui veut rayer ce petit peuple de la famille des nations.
Le rouleau d’Esther ne met en évidence nul miracle, nulle intervention divine, mais centre son récit autour d’une jeune Juive courageuse prête à risquer sa vie pour son peuple. Certains commentateurs ont néanmoins voulu déceler la présence de Dieu derrière les événements. S’il n’agit plus de manière grandiose comme lors de la sortie d’Égypte, il intervient incognito pour faire triompher la justice contre les barbaries.
Le mot chabbat signifie « cessation » et désigne le samedi, septième et dernier jour de la semaine hébraïque. Dans ce semainier, seul le samedi possède un nom, tous les autres jours étant nommés selon leur position dans l’ordre de la Création (Gn 1) : « premier jour » pour dimanche, « deuxième jour » pour lundi, etc.
Quelques traductions proposent « repos » pour Chabbat ; non seulement cette traduction est erronée, mais théologiquement l’Hébreu ne peut concevoir un Dieu ayant besoin de repos. Le Chabbat, au contraire, traduit l’intention divine de cesser toute activité créatrice. Autrement dit, en six jours (ou six périodes que la Bible nomme « six jours ») le décor est planté, les lois physiques, chimiques, biologiques, etc., sont générées. Le Chabbat de Dieu signifie alors qu’aucune loi nouvelle ne viendra perturber cette mécanique originelle.
« Ainsi furent achevés les cieux, la terre et toute leur armée12. Dieu cessa au septième jour l’œuvre qu’Il avait faite et Il cessa au septième jour toute l’œuvre qu’il avait faite. Et Dieu bénit le septième jour et Il le sanctifia [distingua]... »
Gn 2, 1 à 3
Le Chabbat couronne les six jours antérieurs dans le texte de la Genèse. Il ne sera plus mentionné jusqu’au moment de la sortie d’Égypte, lorsque les Hébreux recevront la manne. Lorsque le peuple reçoit le Décalogue (les dix Paroles qui constitueront la base religieuse et sociale d’Israël) au pied du Sinaï, la seule solennité mentionnée est justement le Chabbat en quatrième parole : « Souviens-toi du jour du Chabbat pour le sanctifier. Durant six jours tu travailleras et tu feras toute ton œuvre, mais le septième jour est cessation pour l’Éternel ton Dieu. Tu n’y feras aucun travail, ni toi, ton fils, ta fille, ton serviteur, ta servante, ton bétail, ni l’étranger qui est au milieu de toi. Car en six jours l’Éternel a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu’ils renferment et Il a cessé le septième jour ; c’est pourquoi l’Éternel a béni le jour du Chabbat et Il l’a sanctifié » (Ex 20, 7 à 10).
Dans la répétition du Décalogue par Moïse (Dt 5, 11), le Chabbat est justifié différemment : « Et tu te souviendras que tu fus esclave au pays d’Égypte, et que l’Éternel, ton Dieu, t’en a fait sortir d’une main puissante et d’un bras étendu ; c’est pourquoi l’Éternel, ton Dieu, t’a prescrit d’observer le jour du Chabbat. »
Enfin, le Chabbat est présenté comme une « alliance » perpétuelle entre Dieu et Israël, que nulle doctrine ultérieure ne pourra remettre en cause (Ex 31, 16 et 17).
Bien que le livre des Prophètes traite surtout de l’éthique monothéiste, et non de la loi mosaïque13, le respect du Chabbat y est mentionné. Ainsi, Isaïe (58), Jérémie (17,21) et Néhémie (10 et 13, 15-22) rappellent la valeur du Chabbat, qui implique l’interdiction du commerce. Le Talmud de Babylone (compilé au début du VIe siècle ap. J.-C.) définit, notamment, les travaux interdits le Chabbat. Si la Torah spécifie clairement trois activités prohibées – labourer et moissonner (Ex 34, 21), allumer du feu (Ex 35, 2-31) –, les maîtres augmenteront ce nombre. S’appuyant sur la juxtaposition des chapitres traitant de l’édification du Sanctuaire du désert et de l’appel au respect du samedi, les rabbins en déduisent que tous les travaux nécessaires à la construction du temple portatif sont ceux interdits le Chabbat, soit trente-neuf travaux.
Ces travaux concernent les vecteurs de l’existence : manger, s’habiller, se loger et commercer. Soulignons que ces interdits sont suspendus si un danger menace la vie humaine, car « la Torah a été donnée pour vivre par elle, et non pour mourir par elle » (Midrach Ecclésiaste 1).
Cette pratique, indubitablement contraignante, commença à être contestée par le mouvement libéral au XVIIIe siècle en Allemagne, avant de s’étendre en Europe puis aux États-Unis. Quelques rabbins innovateurs considéraient que, les techniques et les mentalités ayant changé depuis l’Antiquité, il fallait revoir à la baisse le nombre des interdits, en s’attachant davantage à l’esprit qu’à la lettre du Chabbat, concentrant la ferveur autour du culte synagogal. Aujourd’hui, le judaïsme connaît différentes manières de vivre ce jour.
Quelles que soient les tendances, des éléments invariants se retrouvent ici et là. Ainsi, le Chabbat se prépare dès le vendredi au coucher du soleil. Afin de séparer le samedi des autres jours, des mets particuliers sont confectionnés, de beaux habits sont choisis et une ambiance de fête agite la maison pour accueillir « la reine Chabbat ».
Au foyer, l’épouse reçoit l’honneur d’inaugurer le Chabbat par l’allumage de deux bougies qui symbolisent le couple en paix. La famille se rend à la synagogue. Des chants composés pour la circonstance s’ajoutent aux psaumes et à la proclamation de l’unité de Dieu (le Chémâ).
De retour à la maison, la famille récite le kiddouch, prière de sanctification du Chabbat, devant la table garnie. Elle se récite sur une coupe de vin que chaque assistant portera à ses lèvres. Puis, après les ablutions des mains, Dieu est béni pour le pain, également partagé entre les convives. Cette tradition du kiddouch est pratiquée pour toutes les fêtes chômées d’origine biblique. Il faut bien noter que, dans le judaïsme, le culte domestique fait concurrence au culte synagogal car la table, comparée à l’autel du Temple, devient le lieu de transmission de la foi aux jeunes générations.
Le cœur liturgique du samedi matin se constitue de la lecture solennelle du rouleau de la Torah, prolongée par la récitation d’un passage des Prophètes en lien avec le texte de la Torah. Ces textes servent toujours de prétexte au rabbin pour son homélie (dracha). Si, dans la plupart des synagogues du monde, la prière se récite en hébreu, les commentaires se font toujours dans la langue du pays.
La fin du Chabbat, samedi soir, est marquée par un repas nommé mélavé malka, « accompagnement de la reine (Chabbat) ». Avant le quatrième repas, on récite la havdala (cérémonie de séparation) qui consiste à partager un verre de vin, à respirer des arômes pour garder le parfum du saint jour, et à allumer une bougie pour souligner la reprise du travail. Au cours de ce repas, des chants évoquent le roi David et le prophète Élie, soit l’ancêtre du Messie et son annonciateur. Ici le fidèle espère que le septième jour se prolongera par le « huitième jour » qui représente le monde réalisé, c’est-à-dire un Chabbat permanent dans la paix des cœurs et dans la reconnaissance du Dieu un.
Dans le monde moderne, le respect du Chabbat et des fêtes peut poser problème, car il n’est pas toujours possible de s’extraire du système économique. En diaspora, les Juifs pieux cherchent des emplois ou négocient leurs congés en fonction de ces impératifs religieux. En Israël, les grands services publics ne fonctionnent pas (transports, poste, etc.), hormis les services d’urgence. Quant aux individus, ils le respectent plus ou moins en fonction de leurs convictions personnelles.
Le Chabbat véhicule une dimension religieuse (foi en la Création, alliance avec Dieu), historique (naissance d’Israël) et aussi sociale. En effet, durant le Chabbat, tous les membres de la société hébraïque, hommes et femmes, du nanti au serviteur, ainsi que l’étranger retrouvent leur dignité humaine, sans nulle autre autorité que le Libérateur divin.
Il est associé symboliquement à la lumière qui éclaire (et non au feu qui brûle). Ainsi, la branche centrale du chandelier à sept branches (ménorah) représente ce saint jour, alors que les autres branches représentent les six jours de la semaine. Poser un lien entre Chabbat et la lumière signifie que ce jour de cessation et de repos de toute activité économique donne sens au travail humain. Idéalement, l’homme ne travaille pas pour emmagasiner égoïstement des richesses, mais pour aménager le monde dans la justice, la paix et l’amour du prochain.
Soulignons pour conclure que le concept de Chabbat a été une idée révolutionnaire, car dès l’Antiquité, un peuple a prôné le repos hebdomadaire, idée qui a fait son chemin jusqu’à nos jours.
Roch Hodech – « tête du mois » – correspond à l’apparition de la lune (molad), et tombe donc tous les débuts de mois, à la nouvelle lunaison. En français, on parle de néoménie (du grec neomenia, « nouvelle lune »). En hébreu, hodech (« mois ») signifie littéralement « renouvellement, recommencement ».
« L’Éternel parla à Moïse et à Aaron, dans le pays d’Égypte, en ces termes : “Ce mois-ci est pour vous le commencement des mois ; il sera pour vous le premier des mois de l’année.” »
Ex 12, 1 et 2
« Et lors de vos néoménies, vous offrirez pour holocauste à l’Éternel deux jeunes taureaux, un bélier, sept agneaux d’un an sans défaut. »
Nb 28, 11
Avant la sortie d’Égypte, Dieu s’adresse à Moïse et à Aaron pour fixer les règles du calendrier d’Israël ; à savoir fonder les mois du calendrier sur le renouvellement de la lune et considérer le mois de la sortie d’Égypte comme le premier mois de l’année.
Concrètement, à l’époque antique, les témoins de la nouvelle lune se rendaient au tribunal rabbinique de Jérusalem. Si les témoignages concordaient, le président du tribunal proclamait le Roch Hodech et le sacrifice de circonstance était brûlé sur l’autel. Ensuite, des messagers à cheval parcouraient tout le pays d’Israël pour prévenir la population. En fonction de cette date, on pouvait connaître les dates des fêtes du mois : ainsi quatorze jours après la néoménie de nissan on célébrait Pessah, et cinquante jours après, on célébrait Chavouot, etc.
Selon une tradition orale, le Roch Hodech aurait dû être chômé et consacré à chacune des tribus d’Israël ; mais du fait de la faute du veau d’or, les tribus perdirent de leur superbe, et le jour resta profane. Cependant les femmes, n’ayant pas participé à cette idolâtrie, méritèrent de recevoir le nouveau mois comme « journée de la femme ». Aussi la coutume veut que ce jour-là, les épouses n’entreprennent pas de gros travaux ménagers.
Le rite du Roch Hodech est essentiellement liturgique. Au cours de l’office à la synagogue, un fidèle sort un rouleau de la Torah, dans lequel l’officiant lira le passage traitant du sacrifice du jour. Le seul Roch Hodech de l’année ayant le caractère de solennité chômé est le nouveau mois de tichri, le Roch Hachana, caractérisé par la sonnerie du chofar (voir p. 142).
Dans beaucoup de communautés, la semaine qui suit la néoménie, les fidèles adressent à Dieu des louanges pour avoir créé le cosmos et la lune en particulier.
Sur le plan symbolique, le Roch Hodech donne à penser la notion du recommencement. La lune, qui se renouvelle après son occultation, invite le croyant, après des périodes d’épreuves ou de doute, à retrouver le chemin de Dieu. On peut dire que la pensée du Roch Hodech s’oppose à la conscience tragique ou fataliste. C’est ainsi que s’entend cet adage rabbinique sur l’Ecclésiaste (1, 3) : « Rien de nouveau sous le soleil : sous le soleil rien de nouveau, mais il y a du nouveau sous la lune. »
1. La première forme écrite de ces règles date du début du IIIe siècle ap. J.-C.
2. Pensons au Rabbi Jacob de Gérard Oury.
3. Pour les fêtes de pèlerinage, p. 137.
4. Les céréales connues au Proche-Orient antique, ce qui exclut le riz ou le quinoa par exemple.
5. En diaspora, cette cérémonie est répétée le deuxième soir, sauf dans les milieux libéraux.
6. La tradition juive déconstruit le mot PESSAH, nom du sacrifice pascal mangé au Temple, en PE-SAH : « bouche parlante ».
7. « Prêtre » se dit en hébreu Cohen, qui est l’origine du nom de famille.
8. La crainte de Dieu dans la Bible n’est pas la peur du père Fouettard, mais une vie morale et spirituelle inspirée par la conscience de la présence constante de Dieu.
9. Il régna de 175 à 164 av. J.-C., année de sa mort.
10. Tous ces faits sont mentionnés dans le livre des Macchabées.
11. La version grecque, dite la Septante, parle d’Artaxerxés qui régna de 465 à 424 avant J.-C.
12. Cette « armée » de gloire désigne l’ensemble des forces de la nature.
13. Dans le Pentateuque de Moïse existe un code législatif et religieux extrêmement détaillé (613 lois selon le Talmud), ces règles ne sont jamais mentionnées chez les Prophètes, hormis quelques lois comme le Chabbat.