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Petite contribution à l’histoire des jeux


Grâce au journal du médecin Heroard, nous pouvons imaginer la vie d’un enfant au début du XVIIe siècle, ses jeux et à quelles étapes de son développement physique et mental correspondait chacun de ses jeux. Quoiqu’il s’agisse d’un dauphin de France, le futur Louis XIII, le cas demeure exemplaire, car, à la cour d’Henri IV, les enfants royaux, légitimes ou bâtards, recevaient le même traitement que tous les autres enfants nobles, et il n’existait pas encore de différence absolue entre les palais royaux et les châteaux des gentilshommes. A la réserve près qu’il n’alla jamais au collège, que fréquentait déjà une partie de la noblesse, le jeune Louis XIII fut élevé comme ses compagnons ; il reçut les leçons d’armes et d’équitation du même professeur qui, dans son Académie, formait la jeunesse noble au métier de la guerre : M. de Pluvinel ; les illustrations du manuel d’équitation de M. de Pluvinel, les belles gravures de C. de Pos montrent les exercices du jeune Louis XIII au manège. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle on ne pourrait en dire autant : le culte monarchique séparait plus tôt et dès l’enfance le petit prince des autres mortels, même de haute naissance.

Louis XIII est né le 27 septembre 1601. Son médecin Heroard nous a laissé un journal minutieux de tous ses faits et gestes1. A un an et cinq mois, Heroard note qu’il « joue du violon et chante ensemble ». Auparavant, il se contentait des hochets habituels aux tout-petits, du cheval de bois, du moulinet, « il s’essaya à fouetter au sabot ». A un an et demi, on lui met déjà un violon entre les mains : le violon n’était pas encore un instrument noble, mais le crin-crin à danser pour les noces et fêtes de village. Nous apercevons ici l’importance du chant et de la musique à cette époque.

Toujours au même âge, il joue au mail ; « le dauphin jouant au palemail blessa d’un faux coup M. de Longueville. » Comme si, à un an et demi, un jeune Anglais commençait à jouer au cricket ou au golf. A un an et dix mois, nous savons qu’il « continue à battre son tambourin de toutes sortes de batteries » : chaque compagnie avait son tambour et sa marche. On commence à lui apprendre à parler : « On lui fait prononcer les syllabes à part, pour après dire les mots. » Le même mois d’août 1603, « la reine va dîner, le fait porter et mettre au bout de sa table » : les gravures et les peintures du XVIe et XVIIe siècle représentent souvent l’enfant à table, juché sur une petite chaise-pupitre, où il est maintenu et d’où il ne peut tomber. C’est d’une de ces chaises de tout-petits qu’il devait assister au repas de sa mère, comme tant d’autres enfants dans tant d’autres familles. Ce pétit bout d’homme a juste deux ans, et voici que « mené au cabinet du roi, il danse au son du violon toutes sortes de danses ». On notera la précocité de la musique et de la danse dans l’élevage des petits hommes de ce temps : elle explique la fréquence, dans les familles de professionnels, de ceux que nous appellerions aujourd’hui des jeunes prodiges, comme Mozart enfant ; ces cas deviendront plus rares et paraîtront à la fois plus prodigieux, à mesure que la familiarité avec la musique, même dans ses formes élémentaires ou bâtardes, s’atténuera ou disparaîtra. Le dauphin commence à parler : Heroard note en orthographe phonétique son babillage : « A dire à papa » je le dirai à papa ; « Equivez » pour écrivez. Il est aussi souvent fouetté : « Fâcheux, fouetté fort bien (il refusait de manger) ; apaisé, il crie après le dîner et dîne. » « Est parti, fort criant dans sa chambre et fouetté longuement. » Bien qu’il soit mêlé aux grandes personnes, s’amuse, danse et chante avec elles, il joue toujours à des jeux d’enfants. Il a deux ans et sept mois quand Sully lui fait cadeau d’un « petit carosse plein de poupées ». « Une belle poupée à theu theu (?) », dit-il dans son jargon.

Il aime la compagnie des soldats : « Il est toujours aimé des soldats. » « Il se joue avec un petit canon. » « Il fait de petites actions militaires avec ses soldats. M. de Marsan lui met le hausse col, le premier qu’il ait mis, il en est ravi. » « Il s’amuse avec ses petits seigneurs à des actions de guerre. » Nous savons aussi, qu’il fréquente le jeu de paume comme le mail : il couche pourtant encore dans un berceau. Le 19 juillet 1604, il a deux ans et neuf mois, « il voit dresser son lit avec une extrême allégresse, est mis dans son lit pour la première fois ». Il connaît déjà les rudiments de sa religion : à la messe, à l’élévation, on lui montre l’hostie : « C’est le bon Dieu. » Notons en passant cette expression : « le bon Dieu » qui revient sans cesse aujourd’hui dans la langue des prêtres et des dévots, mais qu’on ne trouve jamais dans la littérature religieuse d’Ancien Régime. Elle appartenait, nous le voyons ici, au début du XVIIe siècle, et probablement pas depuis très longtemps, à la langue des enfants ou des parents et nourrices quand ceux-ci s’adressaient aux enfants. Elle a contaminé la langue des adultes au XIXe siècle, et, avec l’efféminement de la religion, le Dieu de Jacob est devenu le « bon Dieu » des petits enfants.

Le dauphin sait maintenant bien parler, il a de ces mots insolents qui amusent les grandes personnes : « Le roi lui demandant (en lui montrant des verges) : “Mon fils, pour qui est-ce cela ?” Il répond en colère : “Pour vous.” Le roi fut contraint d’en rire. »

A la veillée de Noël 1604, il participe à la fête et aux réjouissances traditionnelles : il a trois ans. « Avant souper, il vit mettre la souche de Noël, où il dansa et chanta à la venue de Noël. » Il reçoit des étrennes : un ballon, et aussi des « petites besognes d’Italie », un pigeon mécanique, jouets destinés à la reine autant qu’à lui. Pendant les soirées d’hiver, où on est enfermé — à une époque de vie au grand air — « il s’amuse à couper du papier avec des ciseaux ». La musique et la danse occupent toujours une grande place dans sa vie. Heroard note avec une pointe d’admiration : « Le dauphin danse toutes les danses » ; il garde le souvenir des ballets qu’il a vus et où il ne tardera pas à jouer un rôle, s’il n’a déjà commencé : « Se ressouvenant d’un ballet fait il y a un an (quand il était âgé de deux ans) et demande : “Pourquoi est-ce que le petit Bélier était tout nu ?” Il faisait Cupidon tout nu. » « Il danse la gaillarde, la sarabande, la vieille bourrée. » Il s’amuse à chanter et à jouer sur la mandore de Boileau ; il chante la chanson de Robin : « Robin s’en va à Tours — Acheter du velours — Pour faire un casquin — Ma mère je veux Robin. » « Il se prend à chanter la chanson dont il se faisait endormir : “Qui veut ouïr la chanson — La fille au roi Louis — Bourbon l’a tant aimée — Qu’à la fin l’engrossit.” » Charmante chanson pour des petits enfants ! Il aura quatre ans dans quelques jours et il connaît au moins le nom des cordes du luth, et le luth est un instrument noble : « Il se joue du bout des doigts sur ses lèvres disant : vela la basse. » (Heroard transcrit toujours phonétiquement son jargon enfantin, son bégaiement parfois.) Mais sa jeune pratique du luth ne l’empêche pas d’écouter les plus populaires violons qui font danser la noce d’un des cuisiniers du roi — ou un joueur de musette, l’un des maçons qui « raccoustraient son âtre » : « Il l’écoute assez longuement. »

C’est l’époque où on lui apprend à lire. A trois ans et cinq mois « il s’amuse à un livre de figures de la Bible, sa nourrice lui nomme les lettres et les connaît toutes ». On lui apprend ensuite les quatrains de Pibrac, des règles de civilité et de moralité qu’on faisait réciter par cœur aux enfants. A partir de quatre ans on lui donne des leçons d’écriture : son maître est un clerc de la chapelle du château, Dumont. « Il fait porter son écritoire à la salle à manger pour écrire sous Dumont, dit : Je pose mon exemple, je m’en vais à l’école » (l’exemple est le modèle d’écriture qu’il doit reproduire). « Il écrit son exemple, suivant l’impression faite sur le papier, la suit fort bien, y prend plaisir. » Il commence à apprendre des mots latins. A six ans un « écrivain » de métier remplacera le clerc de la chapelle : « Il fait son exemple. Beaugrand, écrivain du roi, lui montre à écrire. »

Il joue toujours à la poupée : « Il se joue à des petits jouets et à un petit cabinet d’Allemagne » (des objets miniatures en bois que fabriquaient les artisans de Nuremberg). M. de Loménie lui donne un petit gentilhomme fort bien habillé d’un collet parfumé… Il le peigne et dit : « Je le veux marier à la poupée de Madame (sa sœur). » Il s’amuse encore aux découpages de papier. On lui raconte aussi des histoires : « Il se fait conter des contes du compère Renard, du Mauvais Riche et de Lazare par sa nourrice. » « Mis au lit, on lui faisait les contes de Mélusine. Je lui dis que c’était des fables et qu’elles n’étaient pas véritables. » (Souci nouveau d’éducation déjà moderne.) Les enfants n’étaient pas les seuls à écouter les contes : on les récitait à la veillée entre adultes.

En même temps qu’il jouait à la poupée, cet enfant de quatre à cinq ans tirait à l’arc, jouait aux cartes, aux échecs (à six ans), aux jeux des grands, comme « la balle à la raquette », les barres et les innombrables jeux de société. A trois ans, il jouait déjà à « que met-on au corbillon ? », il fallait répondre, dauphillon, damoisillon, un jeu commun aux enfants et aux jeunes, gens. Avec les pages de la chambre du roi, qui sont plus vieux que lui, il joue « à la compagnie vous plaît-elle ? puis à bis comme bis ; il fait le maître (le meneur du jeu) aucune fois et quand il ne sait pas dire quelque chose qu’il faut, il le demande ; il joue à ces jeux-ci comme s’il avait quinze ans, joue à faire allumer la chandelle les yeux bouchés ». Quand ce n’est pas avec les pages, c’est avec les soldats : « Il se joue à divers jeux comme votre place me plaît, à turlurette, avec des soldats, à frappe main, à cachette. » A six ans, il joue aux métiers, aux comédies, jeux de société qui consistaient à deviner des métiers, des histoires qu’on mimait. C’étaient aussi jeux d’adolescents et d’adultes.

De plus en plus, le dauphin se mêle aux grandes personnes et assiste à leurs spectacles. Il a cinq ans : « Il est mené au préau derrière le chenil (à Fontainebleau) pour y voir lutter des Bretons de ceux qui travaillaient aux ouvrages du roi. » « Mené au roi en la salle du bal pour y voir combattre les dogues contre les ours et le taureau. » « Il va au jeu de paume couvert pour y voir courir un blaireau. » Et surtout il participe aux ballets. A quatre ans et demi, « il se fait habiller en masque, va chez le roi danser un ballet, ne veut point se démasquer, ne voulant être reconnu ». Il se déguise souvent « en chambrière picarde », en bergère, en fille (il portait encore la cotte des garçons). « Après souper, il voit danser aux chansons d’un nommé Laforest », un soldat chorégraphe, et aussi auteur de farces. A cinq ans : « il s’amuse froidement à voir jouer une farce où Laforest faisait le badin mari, le baron de Montglat faisait la femme garce et Indret, l’amoureux qui la débaucha » ; « il danse un ballet, fort bien habillé en homme, d’un pourpoint et d’une chausse par-dessus sa cotte (il a six ans) ». Il voit danser le ballet des sorciers et diables dansé par des soldats de M. de Marsan, de l’invention de Jean-Baptiste, Piémontais (un autre soldat chorégraphe). Il ne danse pas seulement des ballets, ou des danses de cour qu’il apprend avec un maître, en même temps que la lecture et l’écriture. Il pratique ce que nous appellerions aujourd’hui des danses populaires, et celle-ci qui me rappelle une danse tyrolienne, que les garçons en culotte de cuir enlevaient dans les cafés d’Innsbruck : les pages du roi « dansent le branle : ils sont à Saint-Jean des choux, et se donnent du pied au cul ; il le dansait et faisait comme eux (il a cinq ans) ». Il était une autre fois déguisé en fille pour un divertissement : « La farce achevée, il se fait ôter la robe et danse : ils sont à Saint-Jean des choux, frappant du pied sur le cul de ses voisins. Cette danse lui plaisait. »

Enfin il se joignait aux adultes dans les fêtes traditionnelles de Noël, des Rois, de la Saint-Jean : c’est lui qui met le feu au bûcher de la Saint-Jean, dans la basse-cour du château de Saint-Germain. A la veillée des Rois : « Il fut le roi pour la première fois. On criait : le roi boit. On laisse la part de Dieu : celui qui la mange donne une aumône. » « Mené chez la reine, d’où il regarde planter le mai. »

Les choses changent quand il approche de son septième anniversaire : il abandonne l’habit d’enfance et son éducation passe désormais entre les mains des hommes ; il quitte « Mamangas », Mme de Montglas, et tombe sous la coupe de M. de Soubise. On s’efforce alors de lui faire abandonner les jeux de la petite enfance, essentiellement les jeux de poupée : « Il ne vous faut plus amuser à ces petits jouets (des jouets d’Allemagne), ni à plus faire le charretier, vous êtes grand, vous n’êtes plus enfant. » Il commence à apprendre à monter à cheval, et à tirer les armes, il va à la chasse. Il joue aux jeux de hasard : « Il tire à la blanque, gagne une turquoise. » Il semble bien que cet âge de sept ans marquait une étape d’une certaine importance : c’était l’âge généralement retenu par la littérature moraliste et pédagogique du XVIIe siècle pour l’entrée à l’école, ou dans la vie2. N’en exagérons pas l’importance. S’il ne joue plus, ou ne devrait plus jouer, à la poupée, le jeune dauphin continue la même vie ; il est toujours fouetté, et ses divertissements ne changent guère ; il va de plus en plus souvent à la comédie, bientôt presque tous les jours : importance de la comédie, de la farce, du ballet, dans les fréquents spectacles d’intérieur ou de plein air de nos ancêtres ! « Il va en la grande galerie pour voir le roi courant la bague. » « Il s’amuse à écouter de mauvais contes de La Clavette et autres. » « Joué en son cabinet avec de petits gentilshommes à croix et à pile (nous disons à pile ou face), comme le roi, à trois dés. » « Joué à cachette » avec un lieutenant des chevau-légers. « Il est allé voir jouer au tripot (à la paume) et de là en la grande galerie, voir tirer la bague. » « Se déguise, danse le Pantalon. » Il a plus de neuf ans maintenant : « Après souper, il va chez la reine, joue à colin-maillard, y fait jouer la reine et les princesses et les dames. » « Il joue à je m’assieds », aux habituels jeux de société. « Après souper, la nourrice du roi lui fait des contes, il y prend plaisir. » Il a treize ans passés, et il joue « à la cligne musette », c’est-à-dire à cache-cache.

Un peu plus de poupées et de jeux d’Allemagne, avant sept ans, plus de chasse, de cheval, d’armes, peut-être plus de comédie, après sept ans : le changement se fait insensiblement dans cette longue suite de divertissements que l’enfant emprunte aux adultes, ou partage avec eux. A deux ans, Louis XIII a commencé à jouer au mail, à la paume ; à quatre ans il tirait à l’arc ; ce sont des « jeux d’exercice » que tous pratiquaient : Mme de Sévigné félicitera son gendre de son adresse au mail. Le romancier et historien Sorel sera l’auteur d’un traité des jeux de société qui s’adresse aux grandes personnes. Mais à trois ans, Louis XIII jouait au corbillon, à six ans aux métiers, à la comédie, qui occupent une place importante dans la maison des Jeux de Sorel. A cinq ans, il joue aux cartes. A huit ans, il gagne à la blanque, jeu de hasard où les fortunes changent de main.

Il en est de même pour les spectacles musicaux ou dramamatiques : à trois ans, Louis XIII danse la gaillarde, la sarabande, la vieille bourrée, joue son rôle dans les ballets de cour. A cinq ans, il assiste aux farces, à sept ans aux comédies. Il chante, joue du violon, du luth. Il est au premier rang des spectateurs pour voir un combat de lutteurs, une course de bague, une bataille d’ours ou de taureaux, un acrobate sur la corde raide. Enfin il participe à ces grandes réjouissances collectives qu’étaient les fêtes religieuses et saisonnières : la Noël, le mai, la Saint-Jean… Il apparaît donc qu’il n’existait pas alors de séparation aussi rigoureuse qu’aujourd’hui entre les jeux réservés aux enfants et les jeux pratiqués par les adultes. Les mêmes étaient communs aux uns et aux autres.

 

 

 

Au début du XVIIe siècle, cette polyvalence ne s’étendait plus aux tout petits enfants. Nous connaissons bien leurs jeux, car depuis le XVe siècle, depuis l’avènement des putti dans l’iconographie, les artistes multiplient les représentations de petits enfants, et les scènes de jeux. On y reconnaît le cheval de bois, le moulin à vent, l’oiseau attaché par un lien… et parfois, quoique moins souvent, des poupées. Il est bien évident que ces simulacres étaient réservés aux tout-petits. On peut cependant se demander s’il en avait toujours été ainsi et si ces jouets n’avaient pas auparavant appartenu au monde des adultes. Certains, parmi eux, sont nés de l’esprit d’émulation des enfants qui les pousse à imiter les procédés des adultes, en les réduisant à leur échelle : cheval de bois, à l’époque où le cheval était le principal moyen de transport et de trait. Moulinet à vent : ces ailettes pivotant au haut d’un bâton ne peuvent qu’être l’imitation par des enfants d’une technique qui, contrairement à celle du cheval, n’était pas très ancienne, la technique des moulins à vent introduite au Moyen Age. C’est le même réflexe qui anime nos enfants d’aujourd’hui quand ils imitent le camion ou l’auto. Mais les moulins à vent ont depuis longtemps disparu de nos campagnes, alors que les petits moulinets pour enfants se vendent toujours dans les magasins de jouets, dans les kiosques des promenades publique ou des foires. Les enfants constituent les sociétés humaines les plus conservatrices.

D’autres jeux paraissent remonter à une autre origine que l’esprit d’imitation des adultes. Ainsi on représente très souvent l’enfant s’amusant avec un oiseau : Louis XIII avait une pie-grièche à laquelle il tenait beaucoup ; cela rappellera peut-être encore à quelques lecteurs le corbeau mutilé et vaguement apprivoisé de leurs premières années. L’oiseau dans ces scènes de jeux est en général attaché et l’enfant le tient par la main. Il se peut qu’il fût quelquefois un simulacre de bois. En tout cas l’oiseau attaché paraît, d’après l’iconographie, l’un des jouets les plus familiers. Or l’historien de la religion grecque, Nilsson3, nous apprend que dans la Grèce ancienne, comme d’ailleurs dans la Grèce moderne, les premiers jours de mars, la coutume voulait que les garçons façonnassent une hirondelle de bois tournant sur un pivot et ornée de fleurs. Ils la présentaient ensuite de maison en maison, et recevaient des cadeaux : l’oiseau ou son simulacre est ici, non pas un jouet individuel, mais un élément d’une fête collective et saisonnière à laquelle la jeunesse participe avec le rôle de classe d’âge qui lui est assigné, nous retrouverons plus loin cette forme de fête. Ce qui devient plus tard jouet individuel, sans relation à la communauté ni au calendrier ni à quelque contenu social, paraît à l’origine associé à des cérémonies coutumières qui mêlaient les enfants, les jeunes gens — mal distingués d’ailleurs — aux adultes. Le même Nilsson4 montre comment la balançoire, l’escarpolette, si fréquentes dans l’iconographie des jeux encore au XVIIIe siècle, figuraient parmi les rites d’une des fêtes prévues par le calendrier : les Aiora, fête de la jeunesse : les garçons sautaient sur des outres remplies de vin et on balançait les filles sur des escarpolettes ; cette dernière scène se reconnaît sur des vases peints. Nilsson l’interprète comme un sortilège de fécondité. Il existait une relation étroite entre la cérémonie religieuse communautaire et le jeu qui composait son rite essentiel. Par la suite, ce jeu s’est détaché de son symbolisme religieux, il a perdu son caractère communautaire pour devenir à la fois profane et individuel. En devenant ainsi profane et individuel, il sera de plus en plus réservé aux enfants, dont le répertoire de jeux apparaît alors comme le conservatoire de manifestations collectives désormais abandonnées par la société des adultes et désacralisées.

Le problème de la poupée et des jouets miniatures nous amène à des hypothèses semblables. Les historiens des jouets, les collectionneurs de poupées et de jouets-miniatures, ont toujours beaucoup de peine à distinguer la poupée, jouet d’enfant, de toutes les autres images et statuettes que les sites de fouille restituent en quantités quasi industrielles et qui avaient le plus souvent une signification religieuse : culte domestique, culte funéraire, ex-voto des dévots d’un pèlerinage, etc. Combien de fois nous donne-t-on pour jouets les réductions d’objets familiers déposés dans les tombes ? Je n’entends pas conclure que les petits enfants ne jouaient pas alors à la poupée ou aux simulacres des objets des adultes. Mais ils n’étaient pas les seuls à se servir de ces simulacres ; ce qui deviendra aux époques modernes, leur monopole, ils le partageaient pendant l’Antiquité, au moins avec les morts. Et cette ambiguïté de la poupée et du simulacre persistera au Moyen Age, et plus longtemps encore dans les campagnes : la poupée est aussi le dangereux instrument du sorcier, du jeteur de sort. Ce goût de représenter en réduction les choses et les gens de la vie quotidienne, aujourd’hui réservé aux petits enfants, se retrouve dans un art et un artisanat populaires, destinés autant à la satisfaction des adultes qu’à la distraction des enfants. Les fameuses crèches napolitaines sont l’une des manifestations de cet art d’illusion. Les musées surtout allemands ou suisses possèdent des ensembles compliqués de maisons, d’intérieurs, de mobiliers, qui reproduisent à petite échelle tous les détails des objets familiers. Maisons de poupées, ces petits chefs-d’œuvre d’ingéniosité et de complication ? Il est vrai que cet art populaire d’adultes était aussi apprécié des enfants : on recherchait en France les jouets d’Allemagne » ou les « petites besognes d’Italie ». Pendant que les objets en miniature devenaient le monopole des enfants, un même mot désignait cette industrie : la bimbeloterie, qu’elle s’adressât aux enfants ou aux adultes. Le bibelot ancien était aussi un jouet. L’évolution du langage l’a éloigné de son sens puéril et populaire pendant que l’évolution du sentiment au contraire limitait aux enfants l’usage des petits objets, des simulacres. Le bibelot au XIXe siècle est devenu un objet de salon, de vitrine, mais il est resté la réduction d’un objet familier : une petite chaise à porteurs, un petit meuble, une minuscule vaisselle, qui n’avaient jamais été destinés aux jeux des enfants. Dans ce goût pour le bibelot, nous devons reconnaître une survivance bourgeoise de cet art populaire des crèches d’italie ou des maisons d’Allemagne. La société d’Ancien Régime resta longtemps fidèle à ces amusettes que nous qualifierions aujourd’hui d’enfantillages, sans doute parce qu’elles sont définitivement tombées dans le domaine de l’enfance.

Encore en 1747, Barbier écrit : « On a imaginé à Paris des joujoux qu’on appelle pantins… Ces petites figures représentent Arlequin, Scaramouche (la comédie italienne) ou bien des mitrons (les métiers), des bergers, des bergères (le goût des déguisements rustiques). Ces fadaises ont amusé et occupé tout Paris de manière qu’on ne peut aller dans aucune maison sans en trouver de pendus à toutes les cheminées. On en fait présent à toutes les femmes et les filles, et la fueur en est au point qu’au commencement de cette année, toutes les boutiques en sont remplies pour les étrennes… la duchesse de Chartres en a payé une peinte par Boucher 1 500 livres. » L’excellent bibliophile Jacob qui rapporte cette citation reconnaît que, de son temps, on n’aurait pas eu l’idée de tels enfantillages : « Les gens du monde, beaucoup trop affairés (que dirait-il aujourd’hui !) ne se mettent plus de la partie comme en ce bon temps d’oisiveté (?) qui vit fleurir la mode des bilboquets et des pantins ; on laisse les hochets aux enfants. »

Le théâtre de marionnettes paraît une autre manifestation du même art populaire de l’illusion en miniature, qui produisit la bimbeloterie d’Allemagne et les crèches napolitaines. Il suivra d’ailleurs la même évolution : le Guignol lyonnais du début du XIXe siècle était un personnage de théâtre populaire, mais adulte. Le Guignol est devenu aujourd’hui le nom du théâtre de marionnettes réservé aux enfants.

Sans doute cette ambiguïté persistante des jeux enfantins explique-t-elle aussi pourquoi depuis le XVIe siècle et jusqu’au début du XIXe, la poupée habillée a servi aux élégantes de mannequin de mode, et de dessin de collection. La duchesse de Lorraine veut faire un cadeau à une accouchée (en 1571) : « Elle vous prie de lui envoyer des poupées non trop grandes et jusques à quatre et six, des mieux habillées que vous pourrez trouver, pour envoyer à l’enfant de Madame la Duchesse de Bavière, accouchée n’aguère. » Le cadeau était destiné à la mère, mais au nom de l’enfant ! La plupart des poupées des collections ne sont pas des jouets d’enfants, objets généralement grossiers et mal traités, mais des poupées de mode. Les poupées de mode disparaîtront et seront remplacées par la gravure de mode, grâce en particulier à la lithographie5.

Il existe donc autour des jouets de la petite enfance et de leurs origines une certaine marge d’ambiguïté. Elle se dissipait à l’époque où je me suis placé au début de ce chapitre, vers les anées 1600 : leur spécialisation enfantine était déjà acquise, avec quelques différences de détail par rapport à notre usage actuel : ainsi, on l’a remarqué à propos de Louis XIII, la poupée n’était pas réservée aux filles. Les garçons y jouaient aussi. A l’intérieur de la petite enfance la discrimination moderne entre les filles et les garçons était moins nette : les uns et les autres portaient alors le même costume, la même robe. Il est probable qu’il existe un rapport entre la spécialisation enfantine des jouets et l’importance de la petite enfance dans le sentiment que révèlent l’iconographie et le costume depuis la fin du Moyen Age. L’enfance devient le conservatoire des usages abandonnés par les adultes.

 

 

 

Cette spécialisation des jeux ne dépasse pas, vers 1600, la petite enfance ; au-delà de trois ou quatre ans, elle s’atténue et disparaît. L’enfant dès lors joue aux mêmes jeux que les adultes, tantôt entre enfants, tantôt mêlé aux adultes. Nous le savons surtout par le témoignage d’une abondante iconographie, car du Moyen Age au XVIIIe siècle, on aima représenter des scènes de jeux : indice de la place du divertissement dans la vie sociale de l’Ancien Régime. Nous avons déjà vu que Louis XIII jouait dès ses premières années, en même temps qu’à la poupée, à la paume, au mail, à la crosse, qui nous paraissent plutôt aujourd’hui, jeux d’adolescents et d’adultes. Sur une gravure d’Arnoult6, de la fin du XVIIe siècle, des enfants tirent la boule : des enfants de qualité si nous en croyons les fausses manches de la petite fille. On n’éprouve aucune répugnance à laisser les enfants jouer, dès qu’ils en sont capables, aux jeux de cartes et de hasard, et jouer pour de l’argent. L’une des gravures de Stella consacrée aux jeux de putti7, décrit avec sympathie le malheur de celui qui a tout perdu. Les peintres caravagesques du XVIIe siècle ont souvent mis en scène des bandes de soldats jouant avec passion dans des tavernes mal famées : à côté de vieux soudards, on voit de très jeunes garçons, d’une douzaine d’années peut-être, et qui ne paraissent pas les moins animés. Une toile de S. Bourdon8 représente un groupe de gueux, qui entourent deux enfants, et les regardent jouer aux dés. Le thème des enfants jouant pour de l’argent à des jeux de hasard ne choquait pas encore l’opinion, car le thème se retrouve dans des scènes qui ne sont plus de soudards ou de gueux, chez les personnages sérieux de Le Nain9.

Inversement les adultes jouaient à des jeux que nous réservons aujourd’hui aux enfants. Un ivoire du XIVe siècle10 représente le jeu de la grenouille : un jeune homme est assis par terre, il essaie d’attraper les hommes et les femmes qui le bousculent. Les heures d’Adélaïde de Savoie, de la fin du XVe siècle11 contiennent un calendrier qui est principalement illustré par des scènes de jeux et de jeux non chevaleresques. (Les calendriers représentaient d’abord des scènes de métiers, sauf le mois de mai réservé à une cour d’amour. Les jeux s’y introduisirent et y prirent de plus en plus de place, jeux chevaleresques comme la chasse à courre, mais aussi jeux populaires.) L’un d’eux est le jeu des fagots : un joueur fait la chandelle au milieu d’un cercle de couples où la dame se tient derrière son cavalier et le serre par la taille. A un autre endroit de ce calendrier la population du village lutte avec des boules de neige : hommes et femmes, petits et grands. Sur une tapisserie12 du début du XVIe siècle, des paysans et des gentilshommes, ces derniers plus ou moins déguisés en bergers, jouent à la main chaude. Il n’y a pas d’enfant. Des tableaux hollandais du XVIIe siècle (et de la seconde moitié), représentent aussi des parties de main chaude. Sur l’un d’eux13 il y a quelques enfants, mais ils sont confondus avec les adultes de tout âge : une femme, la tête cachée dans son tablier, tend sa main ouverte derrière le dos. Louis XIII et sa mère s’amusaient à cache-cache : à cligne musette. On jouait à colin-maillard chez la Grande Mademoiselle, à l’hôtel de Rambouillet14. Une gravure de Lepeautre15 montre que les paysans y jouaient aussi toujours entre adultes.

On comprend alors le commentaire qu’inspira à l’historien contemporain Van Marle16, son étude de l’iconographie des jeux : « Quant aux divertissements des grandes personnes, on ne peut vraiment pas dire qu’ils fussent moins enfantins que les amusements des petits. » Parbleu, c’étaient les mêmes !

 

 

 

Les enfants participaient aussi, à leur place parmi les autres classes d’âge, à des fêtes saisonnières qui réunissaient régulièrement la collectivité tout entière. Nous avons de la peine à imaginer l’importance des jeux et des fêtes dans l’ancienne société, aujourd’hui où il n’existe pour l’homme des cités ou des campagnes, qu’une marge très rétrécie entre une activité professionnelle, laborieuse, hypertrophiée, et une vocation familiale impérieuse et exclusive. Toute la littérature politique et sociale, reflet de l’opinion contemporaine, traite des conditions de vie et des conditions de travail ; un syndicalisme qui protège les salaires réels, des assurances qui allègent le risque de la maladie et du chômage, telles sont les principales conquêtes populaires, au moins les plus apparentes dans l’opinion, la littérature, l’argumentation politique. Même les retraites deviennent de moins en moins des possibilités de repos, et plutôt des privilèges permettant des cumuls fructueux. Le divertissement, devenu quasi honteux, n’est plus admis qu’à de rares intervalles, presque clandestins : il ne s’impose comme fait de mœurs qu’une fois par an, dans l’immense exode du mois d’août qui entraîne vers les plages et les montagnes, vers l’eau, l’air et le soleil, une masse toujours plus nombreuse, plus populaire et en même temps plus motorisée.

Dans l’ancienne société le travail n’occupait pas autant de temps dans la journée, ni d’importance dans l’opinion ; il n’avait pas la valeur existentielle que nous lui accordons depuis plus d’un siècle. A peine peut-on dire qu’il avait le même sens. Par contre les jeux, les divertissements s’étendaient bien au-delà des moments furtifs que nous leur abandonnons : ils formaient l’un des principaux moyens dont disposait une société pour resserrer ses liens collectifs, pour se sentir ensemble. Il en était ainsi de presque tous les jeux, mais ce rôle social apparaît mieux dans les grandes fêtes saisonnières et coutumières. Elles avaient lieu à des dates fixes du calendrier, et leurs programmes suivaient dans leurs grandes lignes des règles traditionnelles. Elles n’ont été étudiées que par des spécialistes du folklore ou des traditions populaires, qui les situent dans un milieu trop exclusivement rural. Elles intéressent au contraire la société tout entière dont elles manifestent périodiquement la vitalité. Or, les enfants — les enfants et les jeunes — y participent, au même titre que tous les autres membres de la société, et le plus souvent y jouent un rôle qui leur est réservé par l’usage. Il ne s’agit pas ici, bien entendu, d’écrire une histoire de ces fêtes — sujet immense et certainement d’un très grand intérêt pour l’histoire sociale — mais quelques exemples permettront de saisir la place qu’y tenaient les enfants. La documentation est d’ailleurs riche, même si on recourt peu aux descriptions de la littérature folklorique, surtout paysanne : une abondante iconographie, de nombreuses peintures bourgeoises et urbaines témoignent, à elles seules, de l’importance de ces fêtes dans la mémoire et la sensibilité collectives ; on s’attardait à les représenter, à en conserver le souvenir plus longtemps que le bref moment de leur durée.

L’une des scènes favorites des artistes, et de leur clientèle était la fête des Rois, probablement la plus grande fête de l’année. En Espagne, elle a conservé cette primauté qu’elle a perdue en France au profit de Noël. Quand Mme de Sévigné, qui était alors dans son château des Rochers, apprit la naissance d’un petit-fils, elle voulut associer ses gens à sa joie, et pour montrer à Mme de Grignan qu’elle avait bien fait les choses elle lui écrivait : « J’ai donné de quoi boire, j’ai donné à souper à mes gens, ni plus ni moins que la veillée des Rois17. On disait « la veillée des Rois ». Une miniature des heures d’Adélaïde de Savoie18 représente le premier épisode de la fête. Cela se passe à la fin du XVe siècle, mais ces rites demeurèrent longtemps inchangés. Des hommes et des femmes, parents et amis, sont réunis autour de la table. L’un des convives tient le gâteau des Rois, il le tient même verticalement ! Un enfant, de cinq à sept ans, se cache sous la table. L’enlumineur lui met dans la main une sorte de phylactère dont l’inscription commence par Ph… On a ainsi fixé le moment où d’après la coutume, c’était un enfant qui tirait le gâteau des Rois. Cela se passait selon un cérémonial déterminé : l’enfant se cachait sous la table. L’un des convives découpait une part de gâteau et appelait l’enfant : « Phæbe, Domine… » (d’où les lettres Ph de la miniature) et l’enfant répondait en désignant par son nom le convive à servir. Et ainsi de suite. L’une des parts était réservée aux pauvres, c’est-à-dire à Dieu, et celui qui la mangeait se rachetait par une aumône. Cette aumône n’est-elle pas devenue, en se laïcisant, l’obligation pour le roi de payer un gage ou un autre gâteau, non plus aux pauvres, mais aux autres convives ? Peu importe ici. Retenons seulement le rôle que la tradition confiait à un petit enfant dans le protocole. La procédure des loteries officielles du XVIIe siècle s’inspira sans doute de cet usage : le frontispice d’un livre19 intitulé Critique sur la loterie montre le tirage par un enfant, tradition qui s’est conservée jusqu’à nos jours. On tire à la loterie, comme on tire les rois. Ce rôle joué par l’enfant implique sa présence au milieu des adultes pendant les longues heures de la veillée.

Le second épisode de la fête, son point culminant d’ailleurs, est la santé portée par tous les convives à l’heureux inventeur de la fève, dûment couronné : le roi boit. Les peintures flamandes et hollandaises ont particulièrement aimé ce thème ; on connaît la fameuse toile du Louvre de Jordaens mais le sujet se retrouve chez de nombreux peintres septentrionaux. Par exemple, ce tableau de Metsu20 d’un réalisme moins burlesque et plus vrai. Il nous donne bien l’image de ce rassemblement autour du roi de la veillée, de tous les âges et sans doute de toutes les conditions, les serviteurs mêlés aux maîtres. On est autour de la table. Le roi, un vieillard, boit. Un enfant le salue d’un geste du chapeau : sans doute est-ce lui qui tout à l’heure a tiré les parts du gâteau, selon la coutume. Un autre enfant trop petit encore pour jouer ce rôle est juché sur l’une de ces hautes chaises fermées, toujours très répandues. Il ne sait pas se tenir sur ses jambes, mais il faut qu’il soit aussi de la fête. L’un des convives est déguisé en bouffon ; on raffolait au XVIIe siècle des déguisements, et les plus grotesques étaient ici de circonstance, mais l’habit de bouffon se retrouve dans d’autres représentations de cette scène si familière, il faisait partie du cérémonial : le fou du roi.

Il pouvait aussi bien arriver que l’un des enfants trouvât la fève. Ainsi Heroard notait à la date du 5 janvier 1607 (la fête se célébrait dans la veillée de l’Epiphanie), que le futur Louis XIII, alors âgé de six ans « fut le roi pour la première fois ». Une toile de Steen de 166821 célèbre le couronnement du plus jeune fils du peintre. Celui-ci est couronné d’un diadème de papier, on l’a juché sur un banc comme sur un trône, et une vieille femme lui donne tendrement à boire un verre de vin.

La fête ne s’arrêtait pas là. Commençait alors le troisième épisode qui devait durer jusqu’au matin. On remarque que certains convives sont déguisés : ils portent parfois sur leur couvre-chef, un écriteau qui fixe leur rôle dans la comédie. Le « fou » prend la tête d’une petite expédition, composée de quelques masques, d’un musicien, joueur de violon en général, et, cette fois encore d’un enfant. A cet enfant, l’usage impose une fonction bien définie : il porte la chandelle des rois. En Hollande, il semble qu’elle était noire. En France, elle était bariolée : Mme de Sévigné disait d’une femme qu’elle « était bariolée comme la chandelle des rois ». Sous la conduite du bouffon, le groupe des « chanteurs de l’étoile » — ainsi l’appelait-on en France — se répandait dans le voisinage où il quêtait du combustible, des provisions, où il portait le défi aux jeux de dés. Une gravure de Mazot de 164122 montre le cortège des chanteurs de l’étoile : deux hommes, une femme qui joue de la guitare et un enfant qui porte la chandelle des rois.

Grâce à un éventail gouaché du début du XVIIIe siècle23, nous pouvons suivre ce cortège bouffon au moment de son accueil dans une maison voisine. La salle de cette maison est coupée verticalement à la manière des décors de mystères ou des peintures du XVe siècle, afin de laisser voir à la fois l’intérieur de la salle, et la rue, derrière la porte. Dans la salle, on boit au roi et on couronne la reine. Dans la rue, une troupe masquée arrive et frappe à l’huis : on lui ouvrira. Plus on est de « fous », plus on s’amuse : qui sait si ce n’est pas là l’origine de cette expression ?

On constate donc tout au long de la fête, la participation active des enfants aux cérémonies coutumières. On la retrouve aussi à la veillée de Noël. Heroard nous dit que Louis XIII, à trois ans « vit mettre la souche de Noël, où il dansa et chanta à la venue de Noël. Peut-être est-ce alors lui qui jeta du sel ou du vin sur la bûche de Noël, selon le rite qui nous est décrit pour la fin du XVIe siècle par le Suisse alémanique Thomas Platter quand il faisait ses études de médecine à Montpellier. Cela se passait à Uzès24. On met une grosse bûche sur les chenets. Quand elle a pris, la maison se rassemble. Le plus jeune enfant prend dans la main droite un verre de vin, des miettes de pain, une pincée de sel, et de la gauche, il tient un cierge allumé. On se découvre et l’enfant commence à invoquer le signe de la croix. Au nom du Père… il jette une pincée de sel à un bout du foyer. Au nom du Fils…, à l’autre bout du foyer, etc. On conserve les charbons qui ont une vertu bénéfique. L’enfant joue ici encore l’un des rôles essentiels prévu par la tradition, au milieu de la collectivité rassemblée. Ce rôle d’ailleurs se retrouvait dans des occasions moins exceptionnelles, mais qui avaient alors le même caractère social : dans les repas de famille. La coutume voulait que les grâces fussent dites par l’un des plus jeunes enfants, et que le service à table fût assuré par l’ensemble des enfants présents : ils servaient à boire, changeaient les plats, tranchaient la viande… nous aurons l’occasion de serrer de plus près le sens de ces coutumes, lorsque nous étudierons la structure familiale25. Retenons ici combien était familière, du XIVe siècle au XVIIe siècle, l’habitude de confier aux enfants une fonction spéciale dans le cérémonial qui accompagnait les réunions familiales et sociales, ordinaires ou extraordinaires.

D’autres fêtes, quoiqu’elles intéressassent toujours la collectivité entière, réservaient à la jeunesse le monopole des rôles actifs, et les autres classes d’âge regardaient comme des spectateurs. Ces fêtes apparaissent déjà comme des journées de l’enfance, ou de la jeunesse : nous avons déjà vu que la frontière était incertaine et mal aperçue entre ces deux états, aujourd’hui si tranchés.

Au Moyen Age26, le jour des Saints-Innocents, les enfants occupaient l’église ; l’un d’eux était élu évêque par ses camarades, présidait la cérémonie qui se terminait par une procession, une quête, et un banquet. La tradition, encore vivante au XVIe siècle, voulait qu’au matin de ce jour-là, les jeunes gens surprissent leurs amis au lit pour leur donner le fouet, on disait : « Pour leur donner les innocents. »

Le mardi gras apparaît comme la fête des écoliers et de la jeunesse. Fitz Stephen le décrit au XIIe siècle à Londres, à propos de la jeunesse de son héros. Thomas Becket27, alors élève à l’école de la cathédrale Saint-Paul : « Tous les enfants de l’école apportaient leurs coqs de bataille à leur maître. » Les combats de coq, encore populaires là où ils subsistent, dans les Flandres ou en Amérique latine, mais destinés aux adultes, avaient au Moyen Age une relation avec la jeunesse et même avec l’école. Un texte du XVe siècle de Dieppe le laisse encore entendre, qui énumère les redevances dues au passeur d’un bac : « Le maître qui tient l’escole de Dieppe, un coq, quand les jeux sont à l’escole ou ailleurs en ville, et en soient francs audit batel tous les autres écoliers de Dieppe28. » A Londres, d’après Fitz Stephen, la journée du mardi gras commençait par des combats de coq qui duraient toute la matinée. « L’après-midi, toute la jeunesse de la ville sortait aux environs pour le fameux jeu de ballon… Les adultes, les parents, les notables venaient à cheval assister aux jeux de la jeunesse et redevenaient jeunes avec elle. » Le jeu du ballon ; le jeu de la soule, disait-on en français, réunissait plusieurs communautés en une action collective, opposant tantôt deux paroisses, tantôt deux classes d’âge : « Le jeu de la soule ou boule de chalendas, qui est un jeu accoustumé de faire le jour de Noël entre les compagnons du lieu de Cairac en Auvergne (et ailleurs, bien entendu) ; et se diversifie et divise icellui jeu de telle manière que les gens mariez soient d’une part et les non mariez d’autre ; et se porte la dite soule ou boulle d’un lieu à autre et se la ostent l’un à l’autre pour gaingner le pris, et qui mieux la porte a le pris du dit jour29. »

Encore au XVIe siècle, à Avignon, le carnaval était organisé et animé par l’abbé de la basoche, président de la confrérie des clercs de notaires et procureurs30 : ces chefs de la jeunesse étaient un peu partout, au moins dans le Midi, des « chefs des plaisirs », selon l’expression d’un érudit moderne. (Princes d’amour, roi de la basoche, abbé ou capitaine de la jeunesse, abbé des compagnons ou des enfants de la ville.) A Avignon31, les étudiants jouissaient, le jour du carnaval, du privilège de rosser les juifs et les putains, à moins de rachat. L’histoire de l’université d’Avignon nous dit que, le 20 janvier 1660, le vice-légat fixa à un écu par putain le prix de ce rachat.

Les grandes fêtes de la jeunesse étaient celles de mai et de novembre. Nous savons, par Heroard, que Louis XIII enfant allait au balcon de la reine voir planter l’arbre de mai. La fête de mai vient après celle des Rois dans la ferveur des artistes qui aimaient l’évoquer comme une des plus populaires. Elle a inspiré d’innombrables peintures, gravures, tapisseries. M. A. Varagnac32 a reconnu son thème dans le Printemps des Offices, de Botticelli. Ailleurs les cérémonies traditionnelles sont représentées avec une précision plus réaliste. Une tapisserie de 164233 nous permet d’imaginer l’aspect d’un village ou d’un bourg ce jour du 1er mai. On est dans une rue. Un couple d’âge un peu mûr et un vieillard sont sortis d’une des maisons et attendent sur le pas de leur porte. Il s’apprêtent à accueillir un groupe de jeunes filles qui se dirige vers eux. L’une d’entre elles, la première, porte un panier garni de fruits et de gâteaux. Ce groupe de jeunesse va ainsi de porte en porte et chacun lui donne quelque provision en réponse à ses souhaits : la quête à domicile est un des éléments essentiels de ces fêtes de la jeunesse. Au premier plan, des petits enfants, qui sont encore habillés d’une cotte, comme les filles, se coiffent de couronnes de fleurs et de feuilles que leurs mères ont préparées pour eux. Sur d’autres images, la procession des jeunes quêteurs s’organise autour d’un garçon qui porte l’arbre de mai : il en est ainsi d’une peinture hollandaise de 170034. La bande d’enfants parcourt le village derrière le porteur de mai : les petits enfants sont couronnés de fleurs. Les grandes personnes sont sorties sur le pas de leur porte, prêtes à accueillir le cortège des enfants. Le mai est quelquefois figuré symboliquement par une gaule couronnée de feuilles et de fleurs35. Mais peu importent les épisodes qui accompagnent l’arbre de mai. Retenons seulement la collecte par le groupe des jeunes auprès des adultes, et l’usage de couronner les enfants de fleurs qu’il faut associer à l’idée de renaissance de la végétation, symbolisée aussi que l’arbre qu’on porte et qu’on plante36. Ces couronnes de fleurs sont devenues, peut-être un jeu familier des enfants, certainement l’attribut de leur âge dans les représentations des artistes. Dans les portraits, individuels ou familiaux, les enfants portent ou tressent des couronnes de fleurs ou de feuillage. Ainsi les deux petites filles de Nicolas Maes du musée de Toulouse37 : la première revêt une couronne de feuilles, et de l’autre main prend les fleurs dans une corbeille que sa sœur lui tend ; on ne peut s’empêcher de rapprocher les cérémonies du mai et cette convention qui associait l’enfance à la végétation.

Un autre groupe de fêtes de l’enfance et de la jeunesse se situait au début de novembre. « Le 4 et 8 (novembre), écrit l’étudiant Platter, à la fin du XVIe siècle38, on fit la mascarade des chérubins. Je me masquai aussi et me rendai dans la maison du Dr Sapota où il y avait bal. » Mascarade de jeunes, et non pas seulement d’enfants. Elle a complètement disparu de nos usages, évincée par le voisinage envahissant du jour des Morts. L’opinion n’admit plus le trop proche voisinage d’une fête joyeuse de l’enfance travestie. Elle a cependant survécu dans l’Amérique anglo-saxonne : Halloween. La Saint-Martin était un peu plus tard l’occasion de démonstrations particulières aux jeunes, et plus précisément peut-être, aux écoliers : « Ce sera demain la Saint-Martin, lit-on dans un dialogue scolaire du début du XVIe siècle, évoquant la vie des écoles à Leipzig39. Nous autres écoliers, nous faisons ce jour-là, une très abondante récolte… c’est l’usage que les pauvres (écoliers) aillent de porte en porte recevoir de l’argent. » Nous retrouvons ici les collectes à domicile que nous avons notées à l’occasion de la fête de mai : pratique spécifique des fêtes de la jeunesse, tantôt geste d’accueil et de bienvenue, tantôt mendicité réelle ; on a le sentiment de toucher aux dernières traces d’une très ancienne structure où la société était organisée en classes d’âge. Il n’en subsiste d’ailleurs qu’un simple souvenir qui réservait à la jeunesse une fondation essentielle dans certaines grandes célébrations collectives. On remarquera d’ailleurs que le cérémonial distinguait mal les enfants des jeunes gens ; cette survivance d’un temps où ils étaient confondus ne correspondait plus tout à fait à la réalité des mœurs, comme le laisse entendre l’habitude prise au XVIIe siècle de décorer seulement les petits enfants, les garçons encore en cotte, des fleurs et des feuilles qui paraient dans les calendriers du Moyen Age les adolescents parvenus à l’âge des amours.

Quel que soit le rôle dévolu à l’enfance et à la jeunesse, primordial au mai, occasionnel aux rois, il obéissait toujours à un protocole coutumier et correspondait aux règles d’un jeu collectif qui mobilisait le groupe social et toutes les classes d’âge ensemble.

 

 

D’autres circonstances provoquaient la même participation des âges divers à une réjouissance commune ; du XVe au XVIIIe siècle, et parfois au début du XIXe siècle (en Allemagne), d’innombrables scènes de genre, peintes, gravées, tissées, évoquent la réunion familiale où les enfants et les parents formaient un petit orchestre de chambre, accompagnaient un chanteur. C’était le plus souvent à l’occasion d’un repas. Quelquefois on avait desservi la table. Quelquefois l’intermède musical se plaçait au cours du repas, comme sur cette toile hollandaise peinte vers 164040 : la compagnie est à table, mais le service est interrompu : le garçon qui l’assure, et qui porte une assiette et un broc de vin, s’est arrêté ; l’un des convives, debout adossé à la cheminée, un verre à la main, chante, une chanson à boire sans doute, un autre convive a pris son luth pour l’accompagner.

Nous n’avons plus idée aujourd’hui, de la place que la musique, la musique et la danse, tenaient dans la vie quotidienne. L’auteur d’une Introduction to practical music, parue en 159741, raconte comment les circonstances ont fait de lui un musicien. Il dînait en compagnie : « Lorsque le souper fut terminé et que selon la coutume des partitions furent apportées sur la table, la maîtresse de maison me désigna une partie, et me pria très sérieusement de la chanter. Je dus beaucoup m’excuser et avouer que je ne savais pas ; chacun parut alors surpris, et quelques-uns même murmurèrent aux oreilles demandant où j’avais été élevé. » Si la pratique familière et populaire d’un instrument ou du chant était peut-être plus poussée dans l’Angleterre élisabéthaine, elle était aussi répandue en France, en Italie, en Espagne, en Allemagne, selon un vieil usage médiéval qui, à travers les transformations du goût, les perfectionnements techniques, se maintint jusqu’aux XVIIIe-XIXe siècles, plus tôt ou plus tard selon les régions. Il n’existe plus aujourd’hui qu’en Allemagne, en Europe centrale, en Russie. C’était vrai alors des milieux de vie noble ou bourgeoise où des groupes aimaient se faire représenter au moment d’un concert de chambre. C’était aussi vrai des milieux plus populaires, paysans, ou même gueux, où on jouait de la cornemuse ou de la vielle, du crin-crin à danser, qui n’avait pas encore été élevé à la dignité de l’actuel violon. Les enfants pratiquaient très tôt la musique. Louis XIII dès ses premières années chantait des chansons populaires ou satiriques qui ne ressemblaient en rien aux rondes enfantines de nos deux derniers siècles ; il connaissait aussi le nom des cordes du luth, instrument noble. Les enfants tenaient leurs parties dans tous ces concerts de chambre qu’a multipliés l’ancienne iconographie. Ils jouaient aussi entre eux, et c’est une manière habituelle de les peindre que de les représenter un instrument à la main ; tels ces deux garçons de Hranz Hals42 : l’un accompagne sur le luth son frère ou son compagnon qui chante ; tels ces nombreux enfants de Franz Hals et de Le Nain qui jouent de la flûte43. Dans la rue, des gamins du peuple, plus ou moins dépenaillés, écoutent avec avidité la vielle d’un aveugle échappé d’une cour des miracles : thème de gueuserie très répandue au XVIIe siècle44. Une toile hollandaise de Vinckelbaons45 mérite d’être plus particulièrement retenue pour un détail significatif du nouveau sentiment de l’enfance : comme dans d’autres peintures semblables, un vielleux joue pour un auditoire d’enfants, la scène est prise en instantané quand les gamins accourent au son de l’instrument ; l’un d’eux trop petit n’a pu suivre le mouvement. Alors son père le prend dans ses bras et rattrape vite l’auditoire, afin que l’enfant ne perde rien de la fête : l’enfant joyeux tend ses bras vers le vielleux.

On observe la même précocité dans la pratique de la danse : nous avons vu que Louis XIII, à trois ans, dansait la gaillarde, la sarabande, la vieille bourrée. Comparons une toile de Le Nain46 et une gravure de Guérard47 : elles sont distantes d’environ un demi-siècle mais les mœurs n’ont pas tellement changé à cet égard dans l’intervalle, et l’art de la gravure est plutôt conservateur. Chez Le Nain, nous voyons une ronde de petites filles et de petits garçons : l’un de ceux-ci porte encore la cotte à collet. Deux petites filles font un pont de leurs mains levées et réunies, et la ronde passe dessous. La gravure de Guérard représente aussi une ronde, mais ce sont des adultes qui la mènent, et l’une des jeunes femmes saute en l’air, comme une fillette qui saute à la corde. Il n’y a guère de différence entre la danse des enfants et celle des adultes : plus tard la danse des adultes se transformera et se limitera définitivement, avec la valse, au couple seul. Abandonnées par la ville et la cour, la bourgeoisie et la noblesse, les anciennes danses collectives subsisteront encore dans les campagnes où les folkloristes modernes les découvriront, et dans les rondes enfantines du XIXe siècle, les unes et les autres d’ailleurs en voie de disparition aujourd’hui.

On ne peut séparer de la danse les jeux dramatiques : la danse était alors plus collective et se distinguait moins du ballet que nos danses modernes de couples. Nous avons aperçu dans le journal d’Heroard le goût des contemporains de Louis XIII pour la danse ; le ballet et la comédie, genres encore assez rapprochés : on tenait un rôle dans un ballet comme on dansait dans un bal (le rapprochement des deux mots est significatif : le même mot s’est ensuite dédoublé, le bal réservé aux amateurs, le ballet aux professionnels). Il y avait des ballets dans les comédies, même dans le théâtre scolaire des collèges de jésuites. A la cour de Louis XIII, les auteurs et acteurs se recrutaient sur place parmi les gentilshommes, mais aussi parmi les valets et les soldats ; les enfants y jouaient et assistaient aux représentations.

Pratique de cour ? non pas, pratique commune. Un texte de Sorel48 nous prouve qu’on n’avait jamais cessé de jouer dans les villages des jeux dramatiques, assez comparables aux anciens mystères, aux Passions actuelles d’Europe centrale. « Je pense qu’il aurait eu (Ariste que les comédiens professionnels ennuyaient) beaucoup de satisfaction s’il avait vêu comme moy tous les garçons d’un village (pas de filles ?) représenter la tragédie du mauvais riche sur un théâtre plus haut que le toit des maisons, où tous les personnages faisaient 7 ou 8 tours deux à deux pour se montrer avant que de commencer le jeu, comme les personnages d’une horloge. » « … J’ai été si heureux de voir encore une autre fois jouer l’Histoire de l’enfant prodigue et celle de Nabuchodonosor, et depuis les amours de Médor et d’Angélique, et la descente de Radamont aux enfers, par des comédiens de semblable livrée. » Le porte-parole de Sorel ironise, il n’apprécie guère ces spectacles populaires. Presque partout, les textes et la mise en scène étaient réglés par la tradition orale. Au pays basque, cette tradition a été fixée avant la disparition des jeux dramatiques. A la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe, on a écrit et publié des « pastorales basques » dont les sujets appartiennent à la fois aux romans de chevalerie et aux pastorales de la Renaissance49.

Comme la musique et la danse, les jeux réunissaient toute la collectivité et mélangeaient les âges aussi bien des acteurs que des spectateurs.

 

 

 

Nous nous demanderons maintenant quelle était l’attitude morale traditionnelle à l’égard de ces jeux, qui tenaient une si grande place dans les anciennes sociétés. Cette attitude nous apparaît sous deux aspects contradictoires. D’une part les jeux étaient tous admis sans réserves ni discrimination par la grande majorité. D’autre part et en même temps, une minorité puissante et éclairée de rigoristes les frappait à peu près tous d’une condamnation également absolue, et dénonçait leur immoralité, sans guère admettre d’exception. L’indifférence morale du plus grand nombre et l’intolérance d’une élite éducatrice coexistèrent longtemps : un compromis s’établit au cours du XVIIe-XVIIIe siècle qui annonce l’attitude moderne à l’égard du jeu, fondamentalement différente de l’ancienne. Il intéresse notre propos parce qu’il témoigne aussi d’un sentiment nouveau de l’enfance : un souci, auparavant inconnu, de préserver sa moralité, et aussi de l’éduquer, en lui interdisant les jeux désormais classés mauvais, en lui recommandant les jeux désormais reconnus bons.

L’estime où on tenait encore au XVIIe siècle les jeux de hasard nous permet d’évaluer l’étendue de cette indifférence morale. Nous considérons aujourd’hui les jeux de hasard comme suspects, dangereux, le gain du jeu comme le moins moral et le moins avouable des revenus. Nous pratiquons toujours ces jeux de hasard, mais avec mauvaise conscience. Il n’en était encore pas ainsi au XVIIe siècle : cette mauvaise conscience moderne résulte de la moralisation en profondeur qui fit de la société du XIXe siècle une société de « bien-pensants ».

La Fortune des gens de qualité et des gentilshommes particuliers50 est un recueil de conseils aux jeunes gentilshommes pour faire carrière. Certes, son auteur, le maréchal de Caillière n’a rien d’un aventurier ; on lui doit une bibliographie édifiante du P. Ange de Joyeuse, le saint moine ligueur, il est pieux, sinon dévot, au demeurant sans aucune originalité ni talent. Ses propos reflètent donc une opinion commune en 1661, date d’édition de son livre, chez les gens de bien. Aussi ne cesse-t-il de mettre en garde les jeunes gens contre la débauche : si celle-ci est l’ennemie de la vertu, elle l’est aussi de la fortune, car on ne peut posséder l’une sans l’autre : « Le jeune débauché voit échapper les occasions de plaire à son maître par les fenêtres du bordel et du cabaret. » Le lecteur du XXe siècle qui parcourt d’un œil un peu las ces lieux communs n’en sera que plus surpris lorsque ce moraliste pointilleux développe ses idées sur l’utilité sociale des jeux de hasard. « Si un Particulier (abréviation de “gentilhomme particulier” par opposition aux “gens de qualité” c’est-à-dire petit noble, plus ou moins besogneux) doit jouer aux jeux de hasard et comment ? » C’est le titre d’un chapitre. La chose ne va pas de soi : le maréchal reconnaît que les moralistes professionnels, les gens d’Eglise, condamnent formellement le jeu. Cela pourrait gêner notre auteur, et en tout cas, le contraint à s’expliquer longuement. Il demeure d’un autre avis, fidèle à l’ancienne opinion des laïcs, qu’il s’efforce de justifier moralement : « Il ne sera pas impossible de prouver qu’il peut estre plus utile que dommageable s’il est suivi des circonstances qui lui sont nécessaires. » « Je dis que le jeu est dangereux à un homme de qualité (c’est-à-dire à un riche gentilhomme), autant qu’il est utile à un Particulier (c’est-à-dire à un gentilhomme besogneux). L’un hasarde beaucoup parce qu’il est fort riche, et l’autre ne hasarde rien parce qu’il ne l’est pas, et cependant un Particulier peut autant espérer de la Fortune du jeu qu’un grand seigneur. » L’un a tout à perdre, l’autre tout à gagner : étrange distinction morale !

Mais le jeu, selon Caillière, présente d’autres avantages que le gain : « J’ai toujours estimé que l’amour du jeu était un bénéfice de la Nature dont j’ai reconnu l’utilité. » « Je pose pour fondement que nous l’aimons naturellement. » « Les jeux d’exercice [que nous serions aujourd’hui plus tentés de recommander] sont beaux à voir, mais mal propres à gagner de l’argent. » Et il précise bien : « J’entends parler des cartes et des dés. » « J’ai ouï dire à un sage joueur qui y avait gagné un bien très considérable, que pour réduire les jeux en art, il n’aurait point trouvé d’autre secret que de se rendre maître de sa passion, et de se proposer cet exercice comme un métier à gagner de l’argent. » Que le joueur soit sans inquiétude : la malchance ne le trouvera pas dépourvu : un joueur trouve toujours à emprunter mieux « que ne ferait un bon marchand ». « De plus cet exercice donne entrée aux Particuliers dans les meilleures compagnies, et un habile homme en peut tirer de notables avantages quand il les sait bien ménager… J’en connais qui n’ont pour revenu qu’un jeu de cartes et trois dez qui subsistent dans le monde avec plus d’éclat que des seigneurs de province avec leurs grandes possessions [mais sans argent liquide]. »

Et l’excellent maréchal conclut sur cet avis qui surprend notre morale d’aujourd’hui : « Je conseille à un homme qui sait et qui aime les jeux, d’y risquer son argent, comme il a peu à perdre, il ne risque pas grand-chose et peut beaucoup gagner. » Pour le biographe du P. Ange, le jeu devient non seulement un divertissement, mais un état, un moyen de faire fortune et d’entretenir des relations, moyen parfaitement honorable.

Caillère n’est pas seul de cet avis. Le chevalier de Méré, qu’on présente comme le type de l’homme du monde, de l’honnête l’homme, selon le goût du temps, ne s’exprime pas autrement dans Suite du commerce du monde51. « Je remarque de plus que le jeu produit de bons effets quand on s’y conduit en habile homme et de bonne grâce : c’est par là qu’on peut avoir de l’accès partout où l’on joue et les princes s’ennuieraient souvent à moins que de s’y divertir. » Il cite d’augustes exemples : Louis XIII (qui gagnait enfant une turquoise à la banque), Richelieu « qui se délassait à la Prime », Mazarin, Louis XIV et « la reine mère (qui) ne faisait plus que jouer ou prier Dieu ». « Quelque mérite qu’on puisse avoir, il serait bien difficile d’avoir une haute réputation sans voir le grand monde et le jeu en ouvre aisément les entrées. C’est même un moyen fort assuré d’être souvent de bonne compagnie sans rien dire, et surtout quand on s’y prend en galant homme », c’est-à-dire en évitant « la bizarrerie », « le caprice » et la superstition. « Il faut jouer en honnête homme et se résoudre à perdre comme à gagner, sans que l’un ni l’autre se connaisse au visage ni à la façon de procéder. » Mais attention à ne pas ruiner ses amis : on a beau se raisonner, « il nous reste toujours je ne sais quoi sur le cœur contre ceux qui nous ont ruinés ».

Si les jeux de hasard ne soulevaient aucune réprobation morale, il n’y avait aucune raison de les interdire aux enfants : d’où ces innombrables scènes, que l’art a fixées jusqu’à nous, d’enfants jouant aux cartes, aux dés, au trictrac, etc. Les dialogues scolaires qui servaient aux écoliers à la fois de manuels de civilité et de vocabulaire latin admettent parfois les jeux de hasard, sinon toujours d’enthousiasme, du moins comme une pratique trop répandue. L’Espagnol Vivès52 se contente de donner quelques règles pour éviter les excès, il dit quand il faut jouer, avec qui (éviter les mauvaises têtes), à quel jeu, à quelle mise : « La mise ne doit pas être de rien, qui est chose sotte, et dont on est incontinent saoul, aussi ne doit-elle être si grande que devant le jeu elle trouble l’esprit » ; « en quelle sorte », c’est-à-dire en bon joueur, et combien de temps.

Même dans les collèges, lieu de la moralisation la plus efficace, les jeux d’argent persistèrent longtemps, malgré la répugnance des éducateurs. Au début du XVIIIe siècle les règlements du collège des oratoriens de Troyes, précisent : « On ne jouera point d’argent, à moins que ce soit très peu et avec permission. » L’universitaire moderne qui commente ce texte en 1880, ajoute, un peu décontenancé par des habitudes si éloignées des principes d’éducation de son temps : « C’était pratiquement autoriser le jeu d’argent. » Tout au moins, s’y résigner53.

Encore vers 1830, on jouait ouvertement aux loteries, on pariait gros, dans les public schools anglaises. L’auteur du Tom Brown’s school days évoque la fièvre de pari et de jeu que provoquait alors le Derby parmi les élèves de rugby : la réforme du Dr Arnold éliminera plus tard de l’école anglaise des pratiques vieilles de plusieurs siècles, jadis admises avec indifférence, désormais réputées immorales et vicieuses54.

Du XVIIe siècle à nos jours, l’attitude morale à l’égard des jeux de hasard évoluera de manière assez complexe : si le sentiment se répand que le jeu de hasard est une passion dangereuse, un vice grave, la pratique tend à transformer certains d’entre eux en réduisant la part du hasard, qui demeure toujours, aux dépens du calcul et de l’effort intellectuel du joueur, si bien que certains jeux de cartes ou d’échecs tombent de moins en moins sous la condamnation sans appel qui frappe le principe du jeu de hasard. Un autre divertissement a suivi une évolution différente : la danse. Nous avons vu que la danse commune aux enfants et aux adultes tenait une grande place dans la vie quotidienne. Notre sens moral d’aujourd’hui devrait en être moins choqué que de la pratique générale des jeux de hasard. Nous savons que les religieux eux-mêmes dansaient à l’occasion, sans que l’opinion s’en scandalisât, au moins avant le mouvement de Réforme des communautés du XVIIe siècle. Nous connaissons la vie de l’abbaye de Maubuisson, quand la mère Angélique Arnauld y arriva, au début du XVIIe siècle, pour la réformer. Elle était peu édifiante mais pas nécessairement scandaleuse : surtout trop mondaine. « Les jours d’été, nous dit M. Cognet, citant la mère Angélique de Saint-Jean, biographe de sa sœur55, quand il faisait beau, après qu’on avait expédié les vêpres, la prieure menait la communauté loin de l’abbaye, se promener sur les étangs qui sont sur le chemin de Paris, où souvent les moines de Saint-Martin de Pontoise, qui en sont tout proches, venaient danser avec ces religieuses, et cela avec la même liberté qu’on ferait la chose au monde où l’on trouverait le moins à redire. » Ces rondes de moines et de moniales indignaient la mère Angélique de Saint-Jean, et on consentira volontiers qu’elles ne correspondaient pas à l’esprit de la vie conventuelle, mais elles n’avaient pas alors sur l’opinion l’effet choquant que produiraient aujourd’hui des couples de religieux et religieuses dansant enlacés, comme l’exigent les figures modernes. On peut admettre que ces religieux n’avaient pas si mauvaise conscience. Des coutumes traditionnelles prévoyaient des danses de clercs à certaines occasions. Ainsi à Auxerre56, chaque nouveau chanoine faisait don aux paroissiens, en signe de joyeux avènement, d’un ballon qui servait alors à un grand jeu collectif. Le ballon — ou soule — était toujours un jeu collectif en deux camps, célibataires contre mariés, ou paroisse contre paroisse. La fête commençait à Auxerre par le chant de Victimae laudes Paschali, et se terminait par une ronde que dansaient tous les chanoines. Les historiens nous apprennent que cet usage, qui remonterait au XIVe siècle, était encore attesté au XVIIIe. Il est probable que les partisans de la réforme tridentine voyaient cette ronde d’un aussi mauvais œil que la mère Angélique de Saint-Jean, les danses des filles de Maubuisson et des pères de Pontoise : un autre temps, un autre sens du profane. Les danses familières n’avaient pas au XVIIe siècle le caractère sexuel qu’elles accuseront beaucoup plus tard aux XIXe et XXe siècles. Il existait même des danses professionnelles, des danses de métier : on connaît en Biscaye des danses de nourrices, où celles-ci portaient leurs nourrissons dans les bras57.

L’exercice étendu de la danse n’a pas la même valeur que la pratique des jeux de hasard, pour illustrer l’indifférence de l’ancienne société à l’égard de la moralité des divertissements. Par contre elle permet de mieux évaluer la rigueur de l’intolérance des élites réformatrices.

Dans la société d’Ancien Régime, le jeu sous toutes ses formes : physique, de société, de hasard, occupait une place énorme qu’il a perdue dans nos sociétés techniciennes, mais qu’on retrouve encore aujourd’hui dans les sociétés primitives ou archaïques58. Or, à cette passion qui agitait tous les âges, toutes les conditions, l’Eglise opposa une réprobation absolue, et avec l’Eglise, des laïcs épris de rigueur et d’ordre qui s’efforcèrent aussi de dompter une masse encore sauvage, de civiliser des mœurs encore primitives.

L’Eglise médiévale condamnait aussi le jeu sous toutes ses formes, sans exception ni réserve, en particulier dans les communautés de clercs boursiers qui donnèrent naissance aux collèges et universités d’Ancien Régime. Leurs statuts nous donnent une idée de cette intransigeance. En les lisant, l’historien anglais des universités médiévales, J. Rashdall59, a été frappé par la proscription générale des loisirs, par le refus d’admettre qu’il existât les loisirs innocents, dans des écoles qui se recrutaient pourtant essentiellement parmi des garçons entre dix et quinze ans. On réprouvait l’immoralité des jeux de hasard, l’indécence des jeux de société, de la comédie ou de la danse, la brutalité des jeux physiques, qui en effet devaient souvent dégénérer en rixes. Les statuts des collèges furent rédigés pour limiter les prétextes de divertissement autant que les risques de délit. A fortiori, la défense était-elle catégorique et rigoureuse pour les religieux auxquels le décret du concile de Sens de 1485 interdit de jouer à la paume, surtout en chemise et en public : il est vrai qu’au XVe siècle, sans pourpoint ou sans robe, et chausses dégrafées, on avait à peu près tout dehors ! On a le sentiment qu’incapable encore de dresser les laïcs, adonnés aux jeux tumultueux, l’Eglise préservait ses clercs en leur interdisant complètement la pratique du jeu : formidable contraste des genres de vie… si l’interdit avait été vraiment respecté. Voici, par exemple, comment le règlement intérieur du collège de Narbonne60 envisage les jeux de ses boursiers, dans sa rédaction de 1379 : « Que personne ne joue dans la maison à la paume ou à la crosse (une manière de hockey) ou à d’autres jeux dangereux (insultuosos), sous peine de six deniers d’amende, ni aux dés ni à n’importe quels jeux d’argent, ni à des parties de table (comessationes : des gueuletons), sous peine de dix sous. » Le jeu et la ripaille sont mis sur le même plan. Alors jamais de détente ? « On pourra seulement se livrer quelquefois et rarement (quelle précaution, mais comme elle devait être vite emportée ! c’est au fond la porte entrouverte à tous les excès condamnés !) à des jeux honnêtes ou récréatifs (mais on voit mal lesquels, puisque même la paume est interdite ; peut-être des jeux de société ?) en jouant une pinte ou un quart de vin, ou encore des fruits, et pourvu que ce soit sans bruit et de manière inhabituelle (sine mora). »

Au collège de Seez en 147761 : « Nous ordonnons que personne ne s’adonne au jeu de dés, ni à d’autres jeux malhonnêtes ou défendus, ni même aux jeux admis comme la paume, surtout dans les lieux communs (c’est-à-dire le cloître, la salle commune servant de réfectoire) et si on les pratique ailleurs, ce sera peu fréquemment (non nimis continue). » Dans la bulle du cardinal d’Amboise fondant le collège de Montaigu en 1501, un chapitre est intitulé : de exercitio corporali62. Qu’entend-on par là ? Le texte commence par une appréciation générale plutôt ambiguë : « L’exercice corporel paraît de peu d’utilité quand il est mêlé aux études spirituelles et aux exercices religieux ; au contraire, il apporte un grand développement de la santé quand il est conduit alternativement avec les études théoriques et scientifiques. » Mais en réalité, le rédacteur entend par exercices corporels, non pas tant les jeux, que tous les travaux manuels, par opposition aux travaux intellectuels, et il donne la première place aux corvées domestiques, auxquelles on reconnaît ainsi une fonction de détente : corvées de cuisine, de propreté, service à table. « Dans tous les exercices ci-dessus (c’est-à-dire dans ces corvées domestiques), on n’oubliera jamais d’être aussi rapide et vigoureux que possible. » Les jeux ne viennent qu’après les corvées et sous quelles réserves ! « Quand le père (le chef de la communauté) estimera que les esprits fatigués par le travail et l’étude, doivent être détendus par des récréations, il les tolérera (indulgebit). » Certains jeux sont permis dans les lieux communs, les jeux honnêtes, ni fatigants ni dangereux. A Montaigu, il y avait deux groupes d’étudiants, les boursiers qu’on appelait, comme dans d’autres fondations, les pauperes, et des internes qui payaient une pension. Ces deux groupes vivaient séparément. Il est prévu que les boursiers doivent jouer moins longtemps et moins souvent que leurs camarades : sans doute parce qu’ils avaient l’obligation d’être meilleurs et par conséquent moins distraits. La réforme de l’Université de Paris en 145263, qu’anime un souci de discipline déjà moderne, persiste dans la rigueur traditionnelle : « Les maîtres (des collèges) ne permettront pas à leurs écoliers, aux fêtes des métiers ou ailleurs, de danser des danses immorales et malhonnêtes, de porter des habits indécents et laïques [habits courts, sans robe]. Ils leur permettront plutôt de jouer honnêtement et plaisamment, pour le soulagement du travail et un juste repos. » « Ils ne leur permettront pas, pendant ces fêtes, de boire en ville, ni d’aller de maison en maison. » Le réformateur vise ainsi les salutations de porte en porte, accompagnées de collectes, que la tradition permettait à la jeunesse lors des fêtes saisonnières. Dans l’un de ses dialogues scolaires, Vivès résume ainsi la situation à Paris au XVIe siècle64 : « Entre les écoliers, nul autre jeu que la paume n’est exercé du congé des maîtres, mais quelquefois secrètement l’on joue aux chartes et aux échecs, les petits enfants aux garignons et les plus mechans aux dez. » En fait les écoliers comme les autres garçons ne se gênaient pas pour fréquenter tavernes, tripots, jouer aux dés, ou danser. La rigueur des interdits ne fut jamais déconcertée par leur inefficacité : ténacité étonnante à nos yeux d’hommes modernes, plus soucieux d’efficacité que de principe !

Les officiers de justice et de police, juristes épris d’ordre et de bonne administration, de discipline et d’autorité, soutenaient l’action des maîtres d’école et des gens d’Eglise. Pendant des siècles les ordonnances se succédèrent sans interruption qui fermaient aux écoliers l’accès des salles de jeux. On en cite toujours au XVIIIe siècle, comme cette ordonnance du lieutenant général de police de Moulins du 27 mars 1752, dont on conserve au musée des Arts et Traditions populaires le placard destiné à l’affichage public : « Défense aux maîtres des jeux de paume et de billard de donner à jouer pendant les heures de classe, et à ceux qui tiennent des jeux de boules, de quilles et autres jeux de donner à jouer dans aucun tems aux écoliers ni domestiques. » On remarquera cette assimilation des domestiques aux écoliers, ils avaient souvent le même âge et on craignait également leur turbulence et leur manque de contrôle de soi. Les boules et les quilles, aujourd’hui paisibles divertissements, provoquaient de telles rixes que des magistrats de police les interdirent parfois complètement aux XVIe et XVIIe siècles, essayant d’étendre à toute la société les restrictions que les hommes d’Eglise voulaient imposer aux clercs et aux écoliers. Ainsi ces champions d’ordre moral rangeaient pratiquement les jeux parmi les activités quasi délictueuses, comme l’ivresse, la prostitution, qu’on pouvait à la limite tolérer, mais qu’il convenait d’interdire au moindre excès.

Cette attitude absolue de réprobation se modifia cependant au cours du XVIIe, et principalement sous l’influence des jésuites. Les humanistes de la Renaissance avaient déjà aperçu dans leur réaction antiscolastique les possibilités éducatives des jeux. Mais ce furent les collèges de jésuites qui imposèrent peu à peu aux gens de bien et d’ordre une opinion moins radicale à l’égard des jeux. Les pères comprirent dès le début qu’il n’était ni possible ni même souhaitable de les supprimer ou encore de les réduire à quelques tolérances, précaires et honteuses. Ils se proposèrent au contraire de les assimiler, de les introduire officiellement dans leurs programmes et règlements, sous réserve de les choisir, de les régler, de les contrôler. Ainsi disciplinés, les divertissements reconnus bons furent admis et recommandés, et considérés désormais comme des moyens d’éducation aussi estimables que les études. Non seulement on cessa de dénoncer l’immoralité de la danse, mais on apprit à danser dans les collèges, parce que la danse, en harmonisant les mouvements du corps, évitait la gaucherie, donnait de l’adresse, de la tenue, du « bel air ». De même la comédie que les moralistes du XVIIe poursuivaient de leur foudre, s’introduisit dans les collèges. On commença chez les jésuites par des dialogues en latin, sur des sujets sacrés, puis on passa à du théâtre français sur des sujets profanes. On toléra même les ballets malgré l’opposition des autorités de la Compagnie : « Le goût de la danse, écrit le P. de Dainville65, si vif chez les contemporains du roi Soleil, qui devait fonder en 1669 l’Académie de la danse, l’emporta sur les ukases des pères généraux. Après 1650, il n’y eut guère de tragédie qui ne fut entrecoupée par les entrées d’un ballet. »

Un album gravé de Crispin de Pos, daté de 1602, représente des scènes de la vie écolière dans un collège « chez les Bataves ». On reconnaît les salles de cours, la bibliothèque, mais aussi la leçon de danse, les parties de paume et de ballon66. Un sentiment nouveau est donc apparu : l’éducation a adopté des jeux qu’elle avait jusqu’alors proscrits ou tolérés comme un moindre mal. Les jésuites éditèrent en latin des traités de gymnastique où on donnait les règles des jeux recommandés. On admit de plus en plus la nécessité des exercices physiques ; Fénelon écrit : « Ceux (les jeux) qu’ils aiment le mieux (les enfants) sont ceux où le corps est en mouvement ; ils sont contents pourvu qu’ils changent de place. » Les médecins du XVIIIe siècle67 conçurent à partir des vieux « jeux d’exercice », de la gymnastique latine des jésuites, une technique nouvelle d’hygiène du corps : la culture physique. On lit dans le Traité de l’éducation des enfants de 1722, par de Crousez, professeur en philosophie et mathématiques à Lausanne : « Il est nécessaire que le corps humain pendant qu’il prend de l’accroissement, s’agite beaucoup… J’estime qu’il faut préférer les jeux d’exercice à tous les autres. » La Gymnastique médicale et chirurgicale de Tissot recommande les jeux physiques, ce sont les meilleurs exercices : « On exerce à la fois toutes les parties du corps… sans compter que l’action des poumons doit être sans cesse augmentée par les appels et les cris des joueurs. » A la fin du XVIIIe siècle, les jeux d’exercices reçurent une autre justification, patriotique : ils préparaient à la guerre. On comprit alors les services que l’éducation physique pouvait rendre à l’instruction militaire. C’était l’époque où le dressage du soldat devenait une technique presque savante, l’époque aussi où germaient les nationalismes modernes. Une parenté s’établit entre les jeux éducatifs des jésuites, la gymnastique des médecins, l’école du soldat et les nécessités du patriotisme. Sous le Consulat, paraît la Gymnastique de la jeunesse, ou Traité élémentaire des jeux d’exercices considérés sous le rapport de leur utilité physique et morale. Les auteurs, Duvivier et Jauffret, écrivent sans fard : l’exercice militaire est « celui de tous les exercices qui en a fait la base (la base de la gymnastique) dans tous les temps et qui lui appartiennent spécialement à l’époque (an XI) et dans le pays où nous écrivons ». « Voués d’avance à la défense commune par la nature et l’esprit de notre constitution, nos enfants sont soldats avant que de naître. » « Tout ce qui est militaire respire je ne sais quoi de grand et de noble qui élève l’homme au-dessus de lui-même. »

Ainsi, sous les influences successives des pédagogues humanistes, des médecins des Lumières, des premiers nationalistes, passe-t-on des jeux violents et suspects de l’ancienne coutume, à la gymnastique et à la préparation militaire, des empoignades populaires aux sociétés de gymnastique.

 

 

 

Cette évolution a été commandée par le souci de la morale, de la santé et du bien commun. Une autre évolution parallèle à celle-ci a spécialisé, selon l’âge ou la condition, des jeux à l’origine communs à toute la société.

Daniel Mornet parlait ainsi des jeux des sociétés, dans sa littérature classique68. « Quand les jeunes gens de la bourgeoisie de ma génération (D. M. est né en 1878) jouaient aux “petits jeux”, dans les matinées dansantes de leurs familles, ils ne se doutaient généralement pas que ces jeux, plus nombreux et plus savants, avaient été deux cent cinquante ans plus tôt, le régal de la haute société. » Beaucoup plus que deux cent cinquante ans ! Dans les heures de la duchesse de Bourgogne69, nous assistons, dès le XVe siècle, à une partie de « petits papiers » : une dame, assise, tient sur ses genoux une corbeille où des jeunes gens déposent des petits papiers. A la fin du Moyen Age, les jeux-partis, les jeux à vendre, étaient très à la mode. « Une dame lançait à un gentilhomme, ou un gentilhomme lançait à une dame le nom d’une fleur, d’un objet quelconque, et la personne interpellée devait à l’instant même et sans hésitation répondre par un compliment ou une épigramme rimée. » C’est l’éditeur moderne de Christine de Pisan qui nous décrit ainsi la règle du jeu, parce que Christine de Pisan composa 70 jeux à vendre70. Par exemple :

Ces procédés appartenaient sans doute à la manière courtoise. Ils passèrent ensuite dans la chanson populaire, et dans les jeux d’enfants : le jeu du corbillon qui, nous le savons, amusait Louis XIII à trois ans. Mais ils n’étaient pas abandonnés par les adultes ou les hommes jeunes depuis longtemps sortis d’enfance. Une planche d’images d’Epinal du XIXe siècle représente toujours les mêmes jeux, mais elle est intitulée « jeux d’autrefois », ce qui indique que la mode les abandonnait, qu’ils devenaient provinciaux, sinon, enfantins ou populaires : la main chaude, le jeu de sifflet, le couteau dans le pot à eau, la cachette (cache-cache), pigeon vole, chevalier gentil, colin-maillard, le petit bonhomme sans rire, le pot d’amour, le boudeur, la sellette, le baiser au-dessus du chandelier, le berceau d’amour. Les uns deviendront des jeux d’enfants, d’autres garderont le caractère ambigu et peu innocent qui les faisait condamner autrefois par les moralistes, même pas trop rigoureux comme Erasme71.

La Maison des jeux de Sorel nous permet de saisir cette évolution à un moment intéressant, dans la première moitié du XVIIe siècle72. Sorel distingue les jeux de société, des « jeux d’exercice » et des « jeux de hasard ». Ceux-ci sont « communs à toute sorte de personne, n’estant pas moins pratiqués par les valets que par les maîtres… aussi faciles aux ignorants et grossiers qu’aux savants et aux subtils ». Les jeux de société sont au contraire « des jeux d’esprit et de conversation ». En principe « ils ne peuvent plaire qu’à des personnes de bonne condition, nourries de la civilité et de la galanterie, ingénieuses à former quantité de discours et de reparties, pleines de jugement et de savoir, et ne sauraient être accomplis par d’autres ». C’est du moins l’opinion de Sorel, ce qu’il voudrait faire des jeux de société. En fait, ceux-ci étaient aussi à cette époque communs aux enfants et au peuple, aux « ignorants et grossiers ». Sorel doit le reconnaître. « Nous pouvons nommer les jeux des enfans pour les premiers jeux. » « Il y en a qui sont d’exercices » (crosse, sabot, toupie, échelles, balle, volants, « tâcher de se prendre l’un l’autre soit qu’ils aient les yeux ouverts ou bandés »). Mais « il y en a d’autres qui dépendent un peu davantage de l’esprit », et il donne l’exemple des « dialogues rimés », les jeux à vendre de Christine de Pisan, qui amusaient toujours petits et grands. Sorel devine l’origine ancienne de ces jeux : « Ces jeux d’enfans où il y a quelques paroles rimées (le corbillon, par exemple) sont d’ordinaire d’un langage fort vieil et fort simple, et cela est pris de quelque histoire ou roman du vieux siècle, ce qui montre comment l’on se divertissait autrefois par une naïve représentation de ce qui était arrivé à des chevaliers ou à des dames de haute qualité. »

Sorel observe enfin que ces jeux d’enfants sont aussi ceux des adultes dans les classes populaires, et la remarque a pour nous une grande importance : « Comme ce sont là jeux d’enfans, ils servent aussi aux personnes rustiques dont l’esprit n’est pas plus relevé en cette matière-là. » Toutefois, au début du XVIIe siècle, Sorel doit convenir que « quelquefois des personnes d’assez haut étage s’y pouvaient occuper pour récréation », et l’opinion commune ne s’y oppose pas : ces jeux « mêlés », c’est-à-dire communs à tous les âges et toutes les conditions, « se rendent recommandables pour le bon emploi qu’ils ont toujours eu » … « Il y a certaines manières de jeux auquels l’esprit ne travaille pas beaucoup, tellement qu’une jeunesse assez basse s’y peut exercer, quoiqu’en effet des personnes âgées et fort sérieuses s’en servent aussi par occasion. » Cet ancien état de choses n’est plus admis par tous. Dans la Maison des jeux, Ariste estime ces divertissements d’enfants et de vilains indignes d’un honnête homme. Le porte-parole de Sorei répugne à les proscrire aussi complètement : « Ceux même qui semblent être bas peuvent être relevés en leur donnant une autre application que leur première, laquelle je n’ai rapportée que pour servir de modèle. » Et il essaie de relever le niveau intellectuel des « jeux d’entretien » qui se font en chambre. A vrai dire, le lecteur moderne reste perplexe et voit mal comment le jeu de la mourre où le maître du jeu montre un, deux, trois doigts de la main, et où la compagnie doit aussitôt répéter exactement son geste, comment ce jeu est plus relevé et plus spirituel que celui du corbillon, abandonné sans appel aux enfants : il est de l’avis d’Ariste dont le point de vue est déjà moderne. Mais il s’étonnera plus encore qu’un romancier et historien comme Sorel consacre un gros ouvrage à ces divertissements et à leur révision : nouvelle preuve de la place qu’occupaient les jeux dans les préoccupations de l’ancienne société.

On distinguait donc au XVIIe siècle les jeux d’adultes et de gentilshommes, des jeux d’enfants et de manants. La distinction est ancienne et remonte au Moyen Age. Mais alors, à partir du XIIe siècle, elle concernait seulement certains jeux, peu nombreux et très particuliers, les jeux chevaleresques. Auparavant, avant la constitution définitive de l’idée de noblesse, les jeux étaient communs à tous, quelle que fût leur condition. Certains ont longtemps conservé ce caractère, François Ier et Henri II ne dédaignaient pas la lutte, Henri II jouait au ballon : cela ne sera plus admis au siècle suivant. Richelieu fait du saut dans sa galerie comme Tristan à la cour du roi Marc, Louis XIV joue à la paume. Mais à leur tour ces jeux traditionnels seront abandonnés au XVIIIe siècle par les gens de qualité.

Depuis le XIIe siècle, certains jeux étaient déjà réservés aux chevaliers73 et précisément aux adultes. A côté de la lutte, jeu commun, le tournoi et la bague étaient chevaleresques. L’accès des tournois était interdit aux vilains, et les enfants même nobles n’avaient pas le droit d’y prendre part : pour la première fois peut-être, une coutume défendait aux enfants, et en même temps aux vilains, de participer à des jeux collectifs. Aussi les enfants s’amusèrent-ils à imiter les tournois interdits : le calendrier du bréviaire Grimani nous montre des tournois grotesques d’enfants, parmi lesquels on a cru reconnaître le futur Charles Quint : les enfants chevauchent des tonneaux comme des dextriers.

La tendance apparaît alors que les nobles doivent éviter de frayer avec les vilains, et se distraire entre eux : tendance qui ne réussit pas à s’imposer généralement, du moins jusqu’à ce que la noblesse disparaisse en tant que fonction sociale, et soit relayée par la bourgeoisie, à partir du XVIIIe siècle. Au XVIe siècle, au début du XVIIe siècle, de nombreux documents iconographiques témoignent du mélange des conditions lors des fêtes saisonnières. Dans l’un des dialogues du courtisan de Balthazar Castiglione, ce classique du XVIe siècle traduit dans toutes les langues, on discute ce sujet, et on n’est pas d’accord74 : « En notre pays de Lombardie, dit à l’heure le seigneur Pallacivino, on n’a point ce regard (que le courtisan ne doit jouer qu’avec d’autres gentilshommes), ains se trouvent plusieurs gentilshommes, lesquels aux festes dansent tout le jour au soleil avec les païsans, jouent avec eux à jetter la barre, à lutter, courir et sauter et si je pense que ce n’est pas mal fait. » Quelques-uns protestent, parmi la compagnie ; on concède qu’à la rigueur le gentilhomme peut jouer avec des paysans, pourvu qu’il « emporte le dessus » sans effort apparent : il doit « quasi être sûr de vaincre ». « Il est une chose trop laide et indigne, voir un gentilhomme vaincu par un païsan et principalement à la lutte. » L’esprit sportif n’existait pas alors, sinon dans les jeux chevaleresques, et sous une autre forme, inspirée de l’honneur féodal.

A la fin du XVIe siècle, la pratique des tournois était abandonnée. D’autres jeux d’exercice les remplacèrent dans les assemblées de jeunes nobles, à la cour, dans les classes de préparation militaire des Académies, où, pendant la première moitié du XVIIe siècle, les gentilshommes apprenaient les armes, l’équitation. La quintaine : on visait à cheval un but de bois, qui remplaçait la cible vivante des anciens tournois, une tête de Turc. La bague : on décrochait une bague pendant la course. Dans le livre de Pluvinel, le directeur d’une de ces Académies, une gravure de Crispin de Pos75 représente Louis XIII enfant, jouant à la quintaine. L’auteur écrit de la quintaine qu’elle tenait le milieu entre « la furie de rompre en lice les uns contre les autres (le tournoi) et la gentillesse de la course de bague ». A Montpellier, dans les années 1550, rapporte l’étudiant en médecine Félix Platter76, « le 7 juin, la noblesse donna un jeu de bague, les chevaux étaient richement caparaçonnés, couverts de tapis et ornés de panaches de toutes couleurs ». Heroard dans son journal de l’enfance de Louis XIII signale souvent des courses de bague au Louvre, à Saint-Germain. « La pratique de courir la bague se pratique tous les jours » (en pourpoint, et non en armes), remarque Pluvinel, ce spécialiste. La Quintaine et la bague succédaient aux tournois, aux jeux chevaleresques du Moyen Age, ils étaient réservés à la noblesse. Or qu’arriva-t-il ? Ils n’ont pas aujourd’hui complètement disparu comme on pourrait le croire ; mais on ne les retrouvera pas près des courts de tennis ou des terrains de golf des quartiers riches, mais dans les fêtes foraines, où on tire toujours les têtes de Turcs et où les enfants, sur les chevaux de bois des manèges, peuvent encore courir la bague. C’est ce qui nous reste des tournois chevaleresques du Moyen Age : jeux d’enfants et jeux du peuple.

Les autres exemples ne manquent pas, de cette évolution qui fait glisser les jeux anciens dans le conservatoire des jeux enfantins et populaires. Le cerceau : le cerceau, à la fin du Moyen Age, n’appartenait pas aux enfants, ou seulement aux jeunes enfants. Sur une tapisserie du XVIe siècle77, des adolescents jouent au cerceau ; l’un d’eux va le lancer avec une baguette. Sur un bois de Jean Leclerc, de la fin du XVIe siècle, des enfants déjà grands ne se contentent pas de faire rouler le cerceau, en entretenant son mouvement au bâton, mais ils sautent dans le cerceau, comme à la corde : « Qui mieux, dit la légende, sautent dans le cerceau78. » Le cerceau permettait des acrobaties, des figures parfois difficiles. Il était assez familier chez les jeunes gens, assez ancien aussi, pour servir à des danses traditionnelles, comme celle que nous décrit, en 1596 et à Avignon l’étudiant suisse Félix Platter : le jour du mardi gras des troupes de jeunes gens se réunissent masqués et « costumés différemment en pèlerins, en paysans, en mariniers, en italien, en espagnol, en alsacien », en femmes, escortés de musiciens. « Le soir ils exécutent dans la rue la danse des cerceaux à laquelle prirent part beaucoup de jeunes gens et de jeunes filles de la noblesse, vêtus de blanc et couverts de bijoux. Chacun dansait, tenant en l’air un cerceau blanc et or. Ils entrèrent dans l’auberge où je fus les regarder de près. C’était admirable de les voir passer et repasser sous ces cercles, s’enroulant, se déroulant et s’entrecroisant en cadence, au son des instruments. » Des danses de ce genre appartiennent encore au répertoire villageois des pays basques.

Dès la fin du XVIIe siècle, dans les villes, il semble bien que le cerceau était déjà laissé aux enfants : une gravure de Merian79 nous montre un petit enfant poussant son cerceau, comme cela se fit pendant tout le XIXe siècle et une partie du XXe. Jouet de tous, accessoire d’acrobatie et de danse, le cerceau n’est plus désormais utilisé que par des enfants de plus en plus petits, jusqu’à son abandon définitif, tant il est vrai, peut-être, qu’un jouet pour garder l’attention des enfants, doit éveiller un rapprochement avec l’univers des adultes.

Nous avons appris, au début de ce chapitre, qu’on disait des contes à Louis XIII enfant, les contes de Mélusine, des contes de fées. Mais ces récits s’adressaient aussi, à cette époque, aux grandes personnes. « Mme de Sévigné, remarque M. E. Storer, historien de “la mode des contes de fées” à la fin du XVIIe siècle80, était nourrie de féeries. » Elle ne répond pas aux plaisanteries qui l’amusent de M. de Coulanges sur une certaine Cuverdon « de peur qu’un crapaud ne lui vînt sauter au visage pour la punir de son ingratitude ». Elle fait allusion là à une fable du troubadour Gauthier de Coincy qu’elle connaissait par la tradition.

Mme de Sévigné écrit le 6 août 1677 : « Mme de Coulanges… voulut bien nous faire part des contes avec quoi l’on amuse les dames de Versailles : cela s’appelle les mitonner. Elle nous mitonne donc et nous parla d’une île verte où on élevait une princesse plus belle que le jour. C’étaient les fées qui soufflaient sur elles à tout moment, etc. » « Ce conte dura une bonne heure. »

Nous savons aussi81 que Colbert « à ses heures perdues avait des gens tout exprès (nous soulignons) pour l’entretenir des contes qui ressemblaient à ceux de Peau d’Ane ».

Toutefois, dans la seconde moitié du siècle, on commence à trouver ces contes trop simples, et en même temps on s’y intéresse, mais d’une manière nouvelle, qui tend à transformer en un genre littéraire à la mode, des récitations orales traditionnelles et naïves. Ce goût se manifeste à la fois par des éditions réservées aux enfants, du moins en principe, comme les contes de Perrault, où le goût pour les vieux contes demeure encore honteux — et par des publications plus sérieuses, à l’usage des grandes personnes, et dont les enfants et le peuple sont exclus. L’évolution rappelle celle des jeux de société décrite plus haut. Mme de Murat s’adresse aux fées modernes : « Les anciennes fées, vos devancières, ne passent plus que pour des badines auprès de vous. Leurs occupations étaient basses et puériles, ne s’amusant qu’aux servantes et aux nourrices. Tout leur soin consistait à bien balayer la maison, mettre le pot-au-feu, faire la lessive, remuer [bercer] et dormir les enfants, traire les vaches, battre le beurre et mille autres pauvretés de cette nature… C’est pourquoi tout ce qui nous reste aujourd’hui de leurs faits et gestes ne sont que des contes de ma mère l’oye. » « Elles n’étaient que des gueuses. » « Mais vous, mesdames [les fées modernes], vous avez bien pris une autre route. Vous ne vous occupez que de grandes choses, dont les moindres sont de donner de l’esprit à ceux qui n’en ont point, de la beauté aux laides, de l’éloquence aux ignorans, de la richesse aux pauvres. »

D’autres auteurs au contraire demeurent sensibles à la saveur des vieux contes, qu’ils ont autrefois écoutés, et cherchent plutôt à la préserver. Mlle Lhéritier présente ainsi ces contes :

Cent fois ma nourrice ou ma mie

M’ont fait ce beau récit, le soir près des tisons ;

Je n’y fais qu’ajouter un peu de broderie.

« Vous vous étonnerez sans doute… que ces contes, tout incroyables qu’ils soient, soient venus d’âge en âge jusqu’à nous, sans qu’on se soit donné le soin de les écrire. »

On commence à fixer cette tradition demeurée si longtemps orale : certains contes « qu’on m’avait racontez quand j’étais enfant… ont été mis depuis peu d’années sur le papier par des plumes ingénieuses ». Mlle Lhéritier pense que l’origine doit remonter au Moyen Age : « Elle (la tradition) m’assure que les troubadours ou conteurs de Provence ont inventé Finette bien longtemps devant qu’Abelard ou le célèbre comte Thibaud de Champagne eussent produit des romans. » Ainsi le conte devient un genre littéraire frisant le conte philosophique, ou bien archaïsant, comme celui de Mlle Lhéritier : « Vous m’avouerez que les meilleurs contes que nous ayons sont ceux qui imitent le plus le style et la simplicité des nourrices. »

Tandis que le conte devient à la fin du XVIIe siècle un genre nouveau de la littérature écrite et sérieuse (philosophique ou archaïsant, il n’importe), la récitation orale des contes est abandonnée par ceux-là même auxquels s’adresse la mode des contes écrits. Colbert et Mme de Sévigné écoutaient les contes qu’on leur disait : personne alors n’avait l’idée de souligner le fait comme une singularité, distraction banale, comme aujourd’hui la lecture d’un roman policier. En 1771, il n’en est plus ainsi, et, dans la bonne société, parmi les adultes, il arrive que les vieux contes de la tradition orale, à peu près oubliés, soient à l’occasion l’objet d’une curiosité de caractère archéologique ou ethnologique, qui annonce le goût moderne du folklore ou de l’argot. La duchesse de Choiseul écrit à Mme du Deffand que Choiseul « se fait lire des contes de fées toute la journée. C’est une lecture à laquelle nous nous sommes tous mis. Nous la trouvons aussi vraisemblable que l’histoire moderne ». Comme si l’un de nos hommes d’Etat, après un échec politique, lisait Bécassine ou Tintin dans sa retraite : pas plus sot que la réalité ! La duchesse était tentée, elle écrira deux contes, où on retrouvera le ton du conte philosophique, si on en juge par le début du Prince enchanté : « Ma mie Margot, toi qui dans mon bureau rappelais le sommeil ou rouvrais ma paupière avec les contes si jolys de ma mère l’oye, de Bellier mon ami, raconte-moi quelque sublime histoire dont je puisse réjouir la compagnie. Non, dit Margot, baissons le ton, il ne faut aux hommes que des contes d’enfants. »

D’après une autre anecdote de cette époque, une dame éprouva un jour d’ennui la même curiosité que les Choiseul. Elle sonna sa servante et lui réclama l’Histoire de Pierre de Provence et de la belle Maguelonne, qu’aujourd’hui nous aurions tout à fait oubliée sans les admirables lieder de Brahms. « La soubrette étonnée se fit répéter jusqu’à trois fois et reçut avec dédain cet ordre bizarre ; il fallut pourtant obéir ; elle descendit à la cuisine et rapporta la brochure en rougissant. »

En effet au XVIIIe siècle, des éditeurs spécialisés, principalement à Troyes, publiaient des éditions imprimées de contes pour le public des campagnes où la lecture s’était répandue et qu’ils atteignaient par les colporteurs. Mais ces éditions, qu’on appelait Bibliothèque bleue (les contes bleus), parce qu’elles étaient imprimées sur papier bleu, ne devaient rien à la mode littéraire de la fin du XVIIe siècle ; elles transcrivaient aussi fidèlement que le permettait l’inévitable évolution du goût, les vieux récits de la tradition orale. Une édition de 1784 de la Bibliothèque bleue comporte à côté de Pierre de Provence et la belle Maguelonne, Robert le Diable, les quatre fils Aymon, les contes de Perrault, ceux de Mlle de la Force et de Mme d’Aulnay.

A côté des livres de la Bibliothèque bleue, il y avait toujours les conteurs occasionnels des longues veillées, et aussi des conteurs professionnels, héritiers des vieux diseurs, chanteurs, jongleurs : la peinture et la gravure des XVIIe et XVIIIe siècles, la lithographie pittoresque du début du XIXe siècle, ont aimé le thème du conteur d’histoire, du charlatan82. Le charlatan est juché sur une estrade ; il raconte son histoire, en montrant avec une gaule le texte écrit sur un grand placard, qu’un compagnon tient parfois à bout de bras et que les auditeurs peuvent suivre en même temps qu’ils écoutent. Dans quelques villes de province la petite bourgeoisie avait encore parfois conservé cette manière de passer le temps. Un mémorialiste nous raconte qu’à Troyes à la fin du XVIIIe siècle, les hommes se réunissaient à l’heure de goûter, l’hiver dans les cabarets, l’été « dans les jardins où, après avoir quitté la perruque, on arborait le petit bonnet83 ». On appelait cela « une cotterie ». « Chaque cotterie avait au moins un conteur sur lequel chacun modelait son talent. » Le mémorialiste se souvient d’un de ces conteurs : un vieux boucher. « Deux jours que je vécus avec luy (étant enfant) se passèrent en récits, en histoires et en contes dont l’agrément, l’effet et la naïveté seraient à peine, je ne dis pas rendus, mais sentis par la race actuelle » (la génération actuelle).

Ainsi les vieux contes que tous écoutaient à l’époque de Colbert et de Mme de Sévigné, ont été peu à peu abandonnés par les gens de qualité, puis par la bourgeoisie, aux enfants et au peuple des campagnes. Celui-ci les délaissa à son tour quand le Petit Journal remplaça la Bibliothèque bleue ; les enfants devinrent alors leur dernier public, pour peu de temps d’ailleurs, car la littérature enfantine subit aujourd’hui le même renouvellement que les jeux et les mœurs.

La paume fut un des jeux les plus répandus ; de tous les jeux d’exercice, il était celui que les moralistes de la fin du Moyen Age toléraient à la rigueur avec le moins de répugnance : le plus populaire, commun à toutes les conditions, aux rois et aux vilains, pendant plusieurs siècles… Cette unanimité cessa vers la fin du XVIIe siècle, désormais on constate une désaffection à l’égard de la paume des gens de qualité ; à Paris en 1657 on comptait 114 tripots, en 1700, malgré l’acroissement de la population leur nombre était tombé à 10, au XIXe siècle, il n’y en avait plus que 2, l’un rue Mazarine, l’autre sur la terrasse des Tuileries où il existait encore en 190084. Déjà, nous dit Jusserand, l’historien des jeux, Louis XIV jouait à la paume sans enthousiasme. Si les adultes bien élevés délaissèrent ce jeu, les paysans et les enfants (même bien élevés) lui demeurèrent fidèles sous diverses formes de balle ou de volant ou de pelote ; en pays basque, il subsista jusqu’à sa renaissance sous les formes perfectionnées de la grande ou petite chistera.

Une gravure de Merian85 de la fin du XVIIe siècle, nous montre une partie de ballon réunissant petits et grands : on gonfle le ballon. Mais le jeu de ballon ou de soule était déjà à cette époque suspect aux spécialistes de la civilité et des bonnes manières. Thomas Elyot et Shakespeare le déconseillaient aux nobles. Jacques Ier d’Angleterre l’interdisait à son fils. Pour du Cange, il n’est plus pratiqué que par les paysans : « La chole, espèce de ballon que chacun pousse du pied avec violence et qui est encore en usage parmi les paysans de nos provinces. » Usage qui survécut jusqu’au XIXe siècle par exemple en Bretagne : « Le seigneur ou notable du village, lisons-nous dans un texte de l’an VIII, jetait au milieu de la foule un ballon plein de son que les hommes de différents cantons essayaient de s’arracher… J’ai vu dans mon enfance (l’auteur est né en 1749) un homme se casser la jambe en sautant par un soupirail dans une cave pour la saisir (la balle). Ces jeux entretenaient les forces et le courage, mais je le répète, ils étaient dangereux. » C’est le même sentiment qui inspira le dicton : jeu de mains, jeu de vilains. Nous savons que l’usage du ballon s’est conservé chez les enfants, comme chez les paysans.

Bien d’autres jeux d’exercice passeront ainsi dans le domaine des enfants et du peuple. Ainsi le mail dont Mme de Sévigné parlait dans une lettre à son gendre de 168586 : « J’ai fait deux tours de mail avec les joueurs (aux Rochers). Ah ! mon cher comte, je songe toujours à vous, et quelle grâce vous aviez à pousser cette boule. Je voudrais que vous eussiez à Grignan une aussi belle allée. » Tous ces jeux de boule, de quilles, de croquet, abandonnés par la noblesse et la bourgeoisie, sont passés au XIXe siècle dans les campagnes pour les adultes, dans les nurseries pour les enfants.

Cette survivance populaire et enfantine de jeux autrefois communs à la collectivité tout entière, a préservé encore l’une des formes les plus générales de divertissement de l’ancienne société : le déguisement. Les romans du XVIe au XVIIIe siècle sont pleins d’histoires de travestis : garçons déguisés en filles, princesses en bergères, etc. Cette littérature traduit un goût qui s’exprimait à chaque occasion au cours des fêtes saisonnières ou occasionnelles : fêtes des Rois, mardi gras, fêtes de novembre… Longtemps on porta normalement le masque pour sortir, surtout les femmes. On aimait se faire peindre sous son apparence favorite. Cela était vrai des gentilshommes. Depuis le XVIIIe siècle, les fêtes travesties se firent plus rares et plus discrètes dans la bonne société ; alors le carnaval devint populaire et même traversa l’océan, s’imposa au noirs esclaves d’Amérique, et le déguisement fut réservé aux enfants. Il n’y a plus qu’eux qui se masquent au carnaval et se déguisent pour s’amuser.

 

 

 

Dans chaque cas la même évolution se répète avec monotonie. Elle invite à une importante conclusion.

Nous sommes partis d’un état social où les mêmes jeux étaient communs à tous les âges et à toutes les conditions. Le phénomène qu’il faut souligner est l’abandon de ces jeux par les adultes des classes sociales supérieures, et au contraire, leur survivance à la fois dans le peuple et chez les enfants de ces classes supérieures. En Angleterre, il est vrai, les gentlemen n’ont pas délaissé comme en France les vieux jeux, mais ils les ont transformés et c’est sous des formes modernes et méconnaissables qu’ils ont colonisé au XIXe siècle les bourgeoisies et le « sport »…

Il est très remarquable que l’ancienne communauté des jeux se soit rompue au même moment entre les enfants et les adultes, entre le peuple et la bourgeoisie. Cette coïncidence nous permet d’entrevoir dès maintenant un rapport entre le sentiment de l’enfance et le sentiment de classe.


1.

Heroard, Journal sur l’enfance et la jeunesse de Louis XIII, publié par E. Soulié et E. de Barthélémy, 2 vol., 1868.

2.

Cf. infra, IIIe partie, chap. 2.

3.

Nilsson, La Religion populaire dans la Grèce antique.

4.

Ibid.

5.

Ed. Fournier, Histoire des jouets et jeux d’enfants, 1889.

6.

Arnoult, gravure, Cabinet des Estampes, Oa 52 pet. fol. f° 164.

7.

Claudine Bouzonnet, Jeux de l’enfance, 1657.

8.

Musée de Genève.

9.

P. Fierens, Le Nain, 1933, pl. XX.

10.

Louvre.

11.

Chantilly.

12.

Victoria and Albert Museum, Londres.

13.

Berndt, no 509 (Cornelis de Man), no 544 (Molinar).

14.

Fournier, op. cit.

15.

Lepautre, gravure, Cabinet des Estampes, Ed. 73 in-f° p. 104.

16.

Van Marle, op. cit., t. I, p. 71.

17.

Mme de Sévigné, Lettres, 1671.

18.

Cf. n. 1, p. 103.

19.

Reproduit par H. d’Allemagne, Récréations et passe-temps, 1906, p. 107.

20.

Metsu, La fête des Rois, reproduit dans Berndt, no 515.

21.

Steen, Cassel, reproduit dans F. Schmidt-Degener et Van Gelder, Jan Steen,1928, p. 82.

22.

Gravure de F. Mazot : La Nuit.

23.

Eventails gouachés, exposition Paris, galerie Charpentier, 1954, no 70 (provenant du cabinet Duchesne).

24.

Thomas Platter à Montpellier, 1595-1599, p. 346.

25.

Cf. infra, IIIe partie, chap. 2.

26.

T. L. Jarman, Landmarks in the history of education, 1951.

27.

Ibid.

28.

Ch. de Robillard de Beaurepaire, Recherches sur l’instruction publique dans le diocèse de Rouen avant 1789, 1872, 3 vol., II, p. 284.

29.

J.-J. Jusserand, Les Sports et Jeux d’exercice dans l’ancienne France. 1901.

30.

Paul Achard, Les Chefs des plaisirs, dans Annuaire administratif du département du Vaucluse, 1869.

31.

Droit de barbe et batacule, Laval, Université d’Avignon, p. 44-45.

32.

A. Varagnac, Civilisations traditionnelles, 1948.

33.

Les saisons, Florence. H. Göbbel, Wandteppiche, 1923, t. II, p. 409.

34.

Brokenburgh (1650-1702) reproduit dans Berndt, no 131.

35.

Tapisserie de Tournai, H. Göbbel, op. cit., t. II, p. 24.

36.

Voir aussi I. Mariette, Cabinet des Estampes, Ed. 82 in-f° et Merian, Cabinet des Estampes, Ec 11 in-f°, p. 58.

37.

Musée des Augustins, Toulouse.

38.

Felix et Thomas Platter [Le Jeune] à Montpellier, Montpellier, 1892, p. 142.

39.

L. Massebieau, Les Colloques scolaires, 1878.

40.

Lamen (1606-1652). L’intermède musical, reproduit dans Berndt, no 472.

41.

Thomas Morley, cité dans F. Watson, The English grammar schools to 1660, 1907, p. 216.

42.

Franz Hals, Enfants musiciens, Kassel, Gerson, t. I, p. 167.

43.

Franz Hals, Berlin. Le Nain, Détroit ; la charette, du Louvre.

44.

Brouwer, Vielleux entouré d’enfants, Harlem, reproduit dans W. von Bode, p. 29. Atelier de Georges de La Tour, exposition Paris, Orangerie 1958, no 75.

45.

Vinckelbaons (1576-1629), reproduit dans Berndt, no 942.

46.

Le Nain, reproduit dans P. Pierens, Le Nain, 1933, pl. XCIII.

47.

N. Guérard, gravure, Cabinet des Estampes Ee 3 in f°.

48.

Charles Sorel, Maison des jeux, 1642, 2 vol., t. I, p. 469-471.

49.

Larché de Languis, auteur de Pastorales basques, vers 1769.

50.

Maréchal de Caillière, La Fortune des gens de qualité et des gentilshommes particuliers, 1661.

51.

Méré, Œuvres, éd. Ch. Boudhors, 3 vol., 1930.

52.

Vivès, Dialogues, trad. française, 1571.

53.

G. Carré, Les Elèves de l’ancien collège de Troyes, dans Mémoires de la Société académique de l’Aube, 1881.

54.

Thomas Hughes, Tom Brown’s school days, 1857.

55.

L. Cognet, La Mère Angélique et saint François de Sales, 1951, p. 28.

56.

J.-J. Jusserand, op. cit.

57.

On appelait cette danse la Karril-danza. Renseignement donné par Mme Gil Reicher.

58.

R. Caillois, Quatre Essais de sociologie contemporaine, 1951.

59.

H. Rashdall, The Universities of Europe in the middle ages, 1895, 3 vol., rééd. 1936.

60.

Félibien, V, p. 662.

61.

Ibid., p. 689.

62.

Ibid., p. 721.

63.

Publié dans Thery, Histoire de l’éducation en France, 1858, 2 vol., t. II.

64.

Vivès, Dialogues, cf. n. 2, p. 119.

65.

F. de Dainville, Entre nous, 1958, 2.

66.

Academia sive speculum vitæ scolasticæ, 1602.

67.

J.-J. Jusserand, op. cit.

68.

D. Mornet, Histoire de la littérature classique, 1940, p. 120.

69.

Cf. n. 1, p. 103.

70.

Christine de Pisan, Œuvres poétiques, publié par M. Roy, 1886, p. 34, 188, 196, 205.

71.

Erasme, Le Mariage chrétien.

72.

Ch. Sorel, Maison des jeux, 1642, 2 vol.

73.

De Vriès et Marpago, Le Bréviaire Grimani, 1904-1910, 12 vol.

74.

B. Castiglione, Le Courtisan.

75.

Pluvinel avec gravures de Crispin de Pos. Cabinet des Estampes Ec 35e, in f° fig 47.

76.

Félix et Thomas Platter à Montpellier, p. 132.

77.

Göbel, op. cit., II, 196.

78.

Leclerc, op. cit.

79.

Merian, gravure. Cabinet des Estampes Ec 11 in f°, p. 58.

80.

M. E. Storer, La Mode des contes de fées (1685-1700), 1928.

81.

Cité d’après M. E. Storer, op. cit.

82.

Guardi dans Fiocco, Venetian painting, pl. LXXIV. Magnasco dans Geiger, Magnasco, pl. XXV. G. Dou, Munich, K. d. K., pl. LXXXI.

83.

Vie de M. Grosley, 1787.

84.

J.-J. Jusserand, op. cit.

85.

Merian, gravure Cabinet des Estampes, Ec 10 in f°.

86.

Mme de Sévigné, Lettres, 13 juin 1685.