L’une des lois non écrites de notre morale contemporaine, la plus impérieuse et la mieux respectée, exige que les adultes s’abstiennent devant les enfants de toute allusion, surtout plaisante, aux choses sexuelles. Ce sentiment était bien étranger à l’ancienne société. Le lecteur moderne du journal où le médecin du roi, Heroard, consigne de petits faits de la vie du jeune Louis XIII1 est confondu de la liberté avec laquelle on traitait les enfants, de la grossièreté des plaisanteries, de l’indécence de gestes dont la publicité ne choquait personne et qui paraissaient naturels. Rien ne nous donnera une meilleure idée de l’absence complète du sentiment moderne de l’enfance dans les dernières années du XVIe et le début du XVIIe siècle.
Louis XIII n’a pas encore un an : « Il rit à plein poumon quand la remueuse lui branle du bout des doigts sa guillery. » Charmante plaisanterie que l’enfant ne tarde pas à prendre à son compte, il interpelle un page : « d’un Hé ! et se retrousse, lui montrant sa guillery ».
Il a un an : « Fort gay, note Heroard, émerillonné ; il fait baiser à chacun sa guillery. » Il est sûr que chacun s’en amuse. De même s’amuse-t-on beaucoup de son jeu devant deux visiteurs, le sieur de Bonnières et sa fille : « Il lui a fort ri, se retrousse, lui montre sa guillery, mais surtout à sa fille, car alors, la tenant et riant son petit rire, il s’ébranlait tout le corps. » On trouvait cela si drôle que l’enfant ne se privait pas de répéter un geste qui lui valait un si beau succès ; devant « une petite damoiselle », « il a retroussé sa cotte, lui a montré sa guillery avec une telle ardeur qu’il en était hors de soi. Il se couchait à la renverse pour la lui montrer ».
Il a un an passé qu’il est déjà fiancé à l’infante d’Espagne ; son entourage lui fait comprendre ce que cela veut dire et il n’a pas si mal compris. On lui dit : « Où est le mignon de l’infante ? Il met la main sa guillery. »
Pendant ses trois premières années, personne ne répugne ou ne voit de mal à toucher, par plaisanterie, les parties sexuelles de cet enfant : « La marquise (de Verneuil) lui mettait souvent la main sous sa cotte ; il se fait mettre sur le lit de sa nourrice où elle se joue à lui, mettant sa main sous sa cotte. » « Mme de Veineuil se veut jouer à lui, et lui prend ses tétons ; il la repousse et dit : otez, otez, laissez cela, allez-vous-en. Il ne veut jamais permettre que la marquise lui touche les tétons, sa nourrice l’avait instruit, disant : Monsieur, ne laissez point toucher vos tétons à personne, ne votre guillery, on vous la couperait. Il s’en ressouvenait. »
« Levé, il ne veut point prendre sa chemise et dit : point ma chemise (Heroard aime reproduire le jargon et même l’accent de l’enfance balbutiante), je veux donner premièrement du lait de ma guillery ; l’on tend la main, il fait comme s’il en tirait et de sa bouche fait pss pss, mais en donne à tous, puis se laisse donner sa chemise. »
C’est une plaisanterie classique, qu’on répète souvent, de lui dire : « Monsieur, vous n’avez pas de guillery » ; « il répond : Hé la véla ti pas, gaiement, la soulevant du doigt ». Ces plaisanteries n’étaient pas réservées à la domesticité, ou à des jeunesses sans cervelle, ou à des femmes de mœurs légères, comme la maîtresse du roi. La reine, sa mère : « La reine, mettant la main à sa guillery, dit : “Mon fils, j’ai pris votre bec.” » Plus extraordinaire encore ce passage : « Dépouillé et Madame aussi (sa sœur), ils sont mis nus dans le lit avec le roi, où ils se baisent, gazouillent et donnent beaucoup de plaisir au roi. Le roi lui demande : “Mon fils, où est le paquet de l’infante ?” Il le montre, disant : “Il n’y a point d’os, papa.” Puis, comme il fut un peu tendu : Il y en a ast heure, il y en a quelquefois. »
On s’amuse, en effet, à observer ses premières érections : « Eveillé à 8 heures, il appelle Mlle Bethouzay et lui dit : Zezai, ma guillery fait le pont-levis ; le vela levé, le vela baissé. C’est qu’il la levait et la baissait. »
A quatre ans, son éducation sexuelle est bien faite : « Mené chez la reine, Mme de Guise lui montre le lit de la reine, et lui dit : “Monsieur, voilà où vous avez été fait.” Il répond : “Avec maman ?” » « Il demande au mari de sa nourrice : “Qu’est cela ? — C’est, dit-il, mon bas de soie. — Et cela ? (sur le mode des jeux de société). — Ce sont mes chausses. — De quoi sont-elles ? — De velours. — Et cela ? — C’est une brayette. — Qué qu’il y a dedans ? — Je ne sais Monsieur. — Eh, c’est une guillery. Pour qui est-elle ? — Je ne sais Monsieur. — Eh c’est pour Mme Doundoun (sa nourrice).” »
« Il se met entre les jambes de Mme de Monglat (sa gouvernante, une femme très digne, très respectable, qui ne paraît pas pourtant s’émouvoir — pas plus qu’Heroard — de toutes ces plaisanteries que nous jugeons aujourd’hui insupportables). Le roi lui dit : “Voilà le fils de Mme de Monglat, la voilà qui accouche.” Il part soudain et se va mettre entre les jambes de la reine. »
A partir de cinq-six ans, on cesse de s’amuser de ses parties sexuelles : c’est lui qui commence à s’amuser de celles des autres. Mlle Mercier, l’une de ses femmes de chambre qui avait veillé, était encore au lit contre le sien (ses domestiques, parfois mariés, couchaient dans la même chambre que lui et sa présence ne devait pas beaucoup les gêner). « Il se joue à elle », lui fait remuer les doigts de pied, les jambes en haut, « dit à sa nourrice qu’elle aille quérir des verges pour la fesser, le fait exécuter… Sa nourrice lui demande : “Monsieur qu’avez-vous vu à Mercier ?” Il répond : “J’ai vu son cu”, froidement. “Qu’avez-vous vu encore ?” Il répond froidement et sans rire qu’il a vu son conin. » Une autre fois « se joue avec Mlle Mercier, m’appelle (Heroard) me disant que c’est Mercier qui a conin gros comme cela (montrant ses deux poings) et qu’il y a de l’eau dedans ».
A partir de 1608, ce genre de plaisanterie disparaît : il devient un petit homme — l’âge fatidique de sept ans — et c’est alors qu’il faut lui apprendre la décence des manières et du langage. Quand on lui demande par où sortent les enfants, il répondra alors, comme l’Agnès de Molière, par l’oreille. Mme de Monglat le reprend quand il « montre sa guillery à la petite Ventelet ». Et si on continue encore à le mettre, le matin à son réveil, au lit de Mme de Monglat, sa gouvernante, entre elle et son mari, Heroard s’indigne et note en marge : insignis impudentia. On imposait au garçon de dix ans une retenue qu’on n’avait pas l’idée d’exiger de l’enfant de cinq ans. L’éducation ne commençait guère qu’après sept ans. Encore est-il que ce scrupule tardif de décence doit être attribué à un début de réforme des mœurs, signe de la rénovation religieuse et morale du XVIIe siècle. Comme si la valeur de l’éducation commençait seulement à l’approche de l’âge d’homme. Vers l’âge de quatorze ans, Louis XIII n’avait pourtant rien à apprendre, car c’est à quatorze ans et deux mois qu’on le mit presque de force dans le lit de sa femme. Après la cérémonie il « se couche et soupe au lit à 6 heures trois quarts. M. de Gramont et quelques jeunes, seigneurs lui faisaient des contes gras pour l’assurer. Il demande ses pantoufles et prend sa robe et va à la chambre de la reine à 8 heures où il fut mis au lit auprès de la reine sa femme, en présence de la reine sa mère ; à 10 heures un quart, il revient après avoir dormi environ une heure et fait deux fois, à ce qu’il nous dit ; il y paraissait, le g… rouge ».
Le mariage d’un garçon de quatorze ans commençait peut-être à devenir plus rare. Le mariage d’une fille de treize ans était encore monnaie courante.
Il n’y a pas lieu de penser que le climat moral devait être différent dans d’autres familles de gentilshommes ou de roturiers : cette manière familière d’associer les enfants aux plaisanteries sexuelles d’adultes appartenait aux mœurs communes et ne choquait pas l’opinion. Dans la famille de Pascal, Jacqueline Pascal écrivait à douze ans des vers sur la grossesse de la reine.
Thomas Platter rapporte, dans ses mémoires d’étudiant en médecine à Montpellier, à la fin du XVIe siècle : « J’ai connu un bambin qui fit cet affront (de nouer l’aiguillette au moment du mariage, pour frapper le mari d’impuissance) à la servante de ses parents. Celle-ci le supplia de lui lever le charme en dénouant l’aiguillette. Il y consentit et aussitôt le marié, retrouvant ses forces, fut complètement guéri. » Le P. de Dainville, historien des jésuites et de la pédagogie humaniste, constate aussi : « Le respect dû aux enfants était, pour lors (XVIe siècle) choses tout à fait ignorées. Devant eux on se permettait tout : paroles crues, actions et situations scabreuses ; ils avaient tout entendu, tout vu2. »
Cette absence de réserve vis-à-vis des enfants, cette façon de les associer à des plaisanteries qui brodent autour de thèmes sexuels, nous surprend : liberté du langage, plus encore, audace des gestes, attouchements dont on imagine aisément ce qu’en dirait un psychanalyste moderne ! Ce psychanalyste aurait tort. L’attitude devant la sexualité, et sans doute la sexualité elle-même, varie avec le milieu, et par conséquent selon les époques et les mentalités. Aujourd’hui les attouchements décrits par Heroard nous paraîtraient à la limite de l’anomalie sexuelle et personne ne les oseraient publiquement. Il n’en était pas encore ainsi au début du XVIIe siècle. Une gravure de Baldung Grien, de 1511, représente une sainte famille. Le geste de sainte Anne nous paraît singulier : elle ouvre les cuisses de l’enfant, comme si elle voulait dégager le sexe et le chatouiller. On aurait tort de voir là une allusion gaillarde3.
Ces manières de jouer avec le sexe des enfants appartenaient à une tradition très répandue, qu’on retrouve de nos jours dans les sociétés musulmanes. Celles-ci sont demeurées à l’écart en même temps que des techniques scientifiques, de la grande réforme morale, chrétienne au début, laïque ensuite, qui a discipliné la société embourgeoisée du XVIIIe et surtout du XIXe en Angleterre ou en France. Aussi retrouve-t-on, dans ces sociétés musulmanes, des traits dont l’étrangeté nous frappe, mais qui n’auraient pas autant surpris l’excellent Heroard. Qu’on en juge par cette page extraite d’un roman, la Statue de sel. L’auteur est un juif tunisien, Albert Memmi, et son livre est un curieux témoignage sur la société tunisienne traditionnelle et la mentalité des jeunes à demi occidentalisés. Le héros du roman raconte une scène dans le tramway qui conduit au lycée, à Tunis. « Devant moi un musulman et son fils, un petit garçon minuscule, chéchia miniature et henné sur les mains ; à ma gauche un épicier djerbien allant aux provisions, couffin entre les jambes et crayon sur l’oreille. Le Djerbien, gagné par la chaude quiétude du wagon, s’agita. Il sourit à l’enfant qui sourit des yeux et regarda son père. Le père, reconnaissant, flatté, le rassura et sourit au Djerbien. « Quel âge as-tu ? demanda l’épicier à l’enfant. — Deux ans et demi, répondit le père (l’âge du jeune Louis XIII). — Est-ce que le chat te l’a mangée ? demanda l’épicier à l’enfant. — Non, répondit le père, il n’est pas encore circoncis, mais bientôt. — Ah ! ah ! dit l’autre. Il avait trouvé un thème de conversation avec l’enfant. — Tu me la vends, ta petite bête ? — Non ! dit l’enfant avec violence. Visiblement il connaissait la scène, déjà on lui avait fait la même proposition. Moi aussi [l’enfant juif], je la connaissais. Je l’avais jouée dans le temps, assailli par d’autres provocateurs, avec les mêmes sentiments de honte et de concupiscence, de révolte et de curiosité complice. Les yeux de l’enfant brillaient du plaisir d’une virilité naissante [sentiment moderne, attribué par l’évolué Memmi qui connaît les récentes observations sur la précocité de l’éveil sexuel chez les enfants : les hommes d’autrefois croyaient au contraire que l’enfant impubère demeurait étranger à la sexualité] et de la révolte contre cette inqualifiable agression. Il regarda son père. Son père souriait, c’était un jeu admis [c’est moi qui souligne]. Nos voisins s’intéressaient à la scène traditionnelle avec complaisance, approbateurs. — Je t’en offre dix francs, proposa le Djerbien. — Non, dit l’enfant… — Allons, vends-moi ta petite q…, reprit le Djerbien. — Non, non ! — Je t’en offre cinquante francs. — Non ! —… Je vais faire effort : mille francs ! — Non ! Les yeux du Djerbien voulurent exprimer la gourmandise. — Et j’y ajoute un sac de bonbons ! — Non ! Non ! — C’est non ? C’est ton dernier mot ? cria le Djerbien simulant la colère, répète une dernière fois : c’est non ? — Non ! Alors brusquement l’adulte saute sur l’enfant, la figure terrible, la main brutale, fourrageant dans la petite braguette. L’enfant se défendit à coups de poing. Le père riait aux éclats, le Djerbien se tordait nerveusement, nos voisins souriaient largement. »
Cette scène du XXe siècle ne nous permet-elle pas de mieux comprendre le XVIIe siècle, avant la réforme morale ? évitons des anachronismes, comme l’explication par l’inceste des excès baroques de l’amour maternel de Mme de Sévigné, selon son dernier éditeur. Il s’agissait d’un jeu dont nous ne devons pas exagérer le caractère scabreux : celui-ci n’y étaient pas plus qu’aujourd’hui dans les anecdotes salées des conversations entre hommes.
Cette demi-innocence, qui nous semble vicieuse ou naïve, explique la popularité du thème de l’enfant pissant depuis le XVe siècle. Celui-ci a sa place dans les images des livres d’heures et dans des tableaux d’église. Dans les calendriers des heures de Hennessy4 et du bréviaire Grimani5 du début du XVIe siècle, un mois d’hiver est figuré par le village sous la neige ; la porte est ouverte, on aperçoit la femme qui file, l’homme qui se chauffe au feu ; l’enfant pisse devant la porte, sur la neige, bien en vue.
Un Ecce homo, flamand, de P. Pietersz6, destiné à une église sans doute, rassemble dans la foule des spectateurs une quantité d’enfants : une mère tient le sien à bras tendus au-dessus des têtes, pour qu’il voie mieux. Des garçons délurés escaladent des portiques. Un enfant pisse, soutenu par sa mère. Les magistrats du Parlement de Toulouse, quand ils assistaient à l’office dans la chapelle de leur propre palais, pouvaient être distraits par une scène du même genre. Un grand triptyque représentait l’histoire de saint Jean-Baptiste7. Sur le volet central : la prédication. Les enfants sont là mêlés à la foule : une femme allaite, un garçon est grimpé sur un arbre ; à l’écart, un enfant lève sa robe et pisse, face aux parlementaires.
Cette abondance et cette fréquence des enfants dans les scènes de foules, avec la répétition de certains thèmes (l’enfant au sein, l’enfant pissant) au XVe et surtout au XVIe siècle, sont bien l’indice d’un intérêt particulier et nouveau.
Il est remarquable d’ailleurs, qu’à cette époque, une scène de l’iconographie religieuse revienne si souvent : la circoncision. Celle-ci est représentée avec une précision quasi chirurgicale. Il ne faut pas y entendre malice. Il semble bien que la circoncision et la présentation de la Vierge au Temple étaient traitées aux XVIe et XVIIe siècles comme des fêtes de l’enfance : les seules fêtes religieuses de l’enfance avant la célébration solennelle de la première communion. On peut voir, dans l’église parisienne de Saint-Nicolas, une toile du début du XVIIe siècle qui provient de l’abbaye de Saint-Martin-des-Champs. La scène de la circoncision est entourée d’un grand concours d’enfants, les uns accompagnent leurs parents, d’autres grimpent le long des piliers pour mieux voir. N’y a-t-il pas, pour nous, quelque chose d’étrange, presque de choquant, dans ce choix de la circoncision comme fête de l’enfance évoquée au milieu des enfants ? Choquant pour nous peut-être, mais pas pour un musulman d’aujourd’hui ni pour l’homme du XVIe ou du début du XVIIe siècle.
Non seulement on mêlait sans répugnance les enfants à une opération, de nature religieuse il est vrai, sur le sexe, mais encore on se permettait, en bonne conscience et publiquement, des gestes, des attouchements qui devenaient interdits dès que l’enfant accédait à la puberté, c’est-à-dire, à peu près, au monde des adultes. Ceci pour deux raisons. D’abord parce qu’on croyait l’enfant impubère étranger et indifférent à la sexualité. Ainsi les gestes, les allusions n’avaient pas de conséquences avec lui, ils devenaient gratuits et perdaient leur spécificité sexuelle, ils se neutralisaient. Ensuite le sentiment n’existait pas encore que les références aux choses sexuelles même dépouillées pratiquement d’arrière-pensées équivoques, pouvaient souiller l’innocence enfantine, en fait ou dans l’opinion qu’on s’en faisait : on n’avait pas l’idée que cette innocence existât vraiment.
Telle était du moins l’opinion commune : elle n’était plus celle des moralistes et des éducateurs, du moins des meilleurs d’entre eux, novateurs d’ailleurs peu suivis. Leur importance rétrospective vient de ce qu’à la longue, ils ont fini par faire triompher leurs conceptions — les nôtres.
Ce courant d’idées remonte au XVe siècle, époque où il sera assez puissant pour provoquer un changement dans la discipline traditionnelle des écoles. Gerson est alors son principal représentant. Il s’est exprimé avec beaucoup de netteté. Il se révèle excellent observateur, pour l’époque, de l’enfance et de ses pratiques sexuelles. Cette observation des mœurs particulières de l’enfance, l’importance qu’il leur attribue en leur consacrant un traité De confessione mollicei8, témoignent d’un souci très nouveau ; il faut le rapprocher de tous les signes que nous avons retenus dans l’iconographie et dans le costume qui révèlent une attention inédite à l’égard de l’enfance.
Gerson a donc étudié le comportement sexuel des enfants. Il en traite à l’intention des confesseurs, pour que ceux-ci éveillent chez leurs petits pénitents — de dix à douze ans — le sentiment de la culpabilité. Il sait que la masturbation, l’érection sans éjaculation, sont générales : si on interroge un homme à ce sujet et s’il nie, c’est qu’il ment en toute certitude. Pour Gerson, il s’agit d’un cas très grave. Le peccatum mollicei « même si, en raison de l’âge, il n’a pas été suivi de pollution… a fait perdre la virginité d’un enfant plus que si celui-ci, au même âge, avait fréquenté les femmes ». De plus, il confine à la sodomie.
A cet égard, le jugement de Gerson est plus près de la doctrine moderne sur la masturbation, inévitable stade d’une sexualité prématurée, que les sarcasmes du romancier Sorel, le héros de Francion, qui y voit la conséquence de la claustration scolaire de l’internat.
En effet, l’enfant n’est pas à l’origine conscient de sa culpabilité : « Sentiunt ibi quemdam pruritum incognitum tum stat erectio et ils pensent qu’il est permis que se fricent ibi et se palpent et se tractent sicut in aliis locis dum pruritus inest. Il y a là une conséquence de la corruption originelle : ex corruptione naturae. Nous sommes encore très loin de l’idée d’une innocence enfantine, mais nous sommes déjà très proches d’une connaissance objective de son comportement dont l’originalité doit nous apparaître à la lumière de ce qui a été dit plus haut. Comment préserver l’enfance de ce danger ? Par le conseil du confesseur, mais aussi en changeant les mauvaises habitudes de l’éducation, en se comportant avec les enfants autrement. On leur parlera sobrement, en n’utilisant que des mots chastes. On évitera que dans les jeux les enfants ne s’embrassent, ne se touchent des mains nues ou ne se regardent : figerent oculi in eorum decore. On évitera la promiscuité des petits et des grands, au moins au lit : les pueri capaces doli, puellae, juvenes, ne doivent pas coucher dans le même lit que les personnes plus âgées, même du même sexe ; la cohabitation dans le même lit était une pratique alors très répandue, et dans toutes les conditions. On a vu qu’elle subsistait à la fin du XVIe siècle, même à la cour de France : les jeux d’Henri IV et de son fils qu’on lui amenait au lit avec sa sœur, justifient à près de deux siècles d’intervalle la prudence de Gerson. Celui-ci interdit qu’on se touche par le jeu ou autrement, in mudo, et invite à la méfiance « a societaliatibus persuis ubi colloquia prava et gestus impudici fiunt in lecto absque dormitione ».
Gerson revient sur la question dans un sermon pour le quatrième dimanche de l’Avent contre la luxure : l’enfant doit s’opposer à ce que d’autres le touchent ou l’embrassent et s’il a agi autrement, il doit dans tous les cas s’en confesser, in omnibus casibus, il faut bien souligner, parce qu’en général on n’y voyait pas de mal. Plus loin, il avance qu’il « serait bon » de séparer les enfants pendant la nuit : il rappelle à ce propos le cas signalé par saint Jérôme, d’un garçon de neuf ans qui fit un enfant ; mais « il serait bon » seulement : il n’ose pas aller plus loin, tant la pratique était générale de coucher tous les enfants ensemble, quand ce n’était pas avec un valet, une servante, ou des parents9.
Dans le règlement qu’il écrivit, de l’école de Notre-Dame-de-Paris, il s’efforce d’isoler les enfants, de les soumettre à la surveillance constante du maître ; c’est l’esprit de cette nouvelle discipline que nous étudions plus loin dans un chapitre spécial. Le maître de chant ne doit pas apprendre de cantilenas dissolutas impudicasque, les écoliers ont le devoir de dénoncer leur camarade s’il a manqué à l’honnêteté ou à la pudeur (entre autres délits : parler gallicum — et non latin — jurer, mentir, dire des injures, traîner au lit, manquer les heures, bavarder à l’église). Une veilleuse doit éclairer la nuit le dortoir : « Tant par dévotion pour l’image de la Vierge que pour des nécessités naturelles, et afin qu’ils fassent à la lumière les seuls actes qui peuvent et doivent être vus. » Aucun enfant ne devra changer de lit pendant la nuit : il restera avec le camarade qu’on lui a donné. Les conventicula, vel societates ad partem extra alias, ne seront permis ni de jour ni de nuit. Quel soin pour éviter les amitiés particulières ; pour éviter aussi les mauvaises fréquentations, spécialement les domestiques : « On interdira aux domestiques toute familiarité avec les enfants, sans excepter les clercs, les capellani, le personnel de l’église (la confiance ne régnait pas) : ils ne devront pas adresser la parole aux enfants en dehors de la présence des maîtres. »
Les autres enfants, étrangers à la fondation, ne seront pas admis à demeurer avec les écoliers, même pour apprendre avec eux (sauf permission spéciale du supérieur) « afin que nos enfants (pueri nostri) n’attrapent pas de mauvaises habitudes à l’exemple des autres ».
Cela est tout à fait nouveau : on n’en déduira pas que les choses se passaient ainsi dans la réalité, à l’école. Nous verrons, dans la seconde partie de ce livre, ce qu’il en était et combien il fallut de temps et d’efforts pour faire régner tard, au XVIIIe siècle, une stricte discipline dans les collèges. Gerson était très en avance sur les institutions de son temps. Son règlement est intéressant pour l’idéal moral qu’il révèle, qui n’existait pas auparavant avec cette précision et qui deviendra celui des jésuites, de Port-Royal, des frères de la Doctrine chrétienne, de tous les moralistes et éducateurs rigoureux du XVIIe siècle.
Au XVIe siècle, les éducateurs sont plus tolérants, tout en prenant garde de ne pas dépasser certaines limites. Nous le savons par des livres écrits pour les écoliers, où ils apprenaient à lire, à écrire, le vocabulaire latin, et enfin des leçons de civilité : les traités de civilité, et les colloques qui, pour faire plus vivant, mettent en scène plusieurs écoliers, ou l’écolier et le maître. Ces dialogues sont de bons témoins des mœurs scolaires. Dans les dialogues de Vivès, on lit des propos qui n’auraient pas été du goût de Gerson, mais qui étaient traditionnels : « Quelle est la partie la plus honteuse ou la partie de devant (on notera la recherche de discrétion) ou le trou du cul ? — Tous deux sont fort déshonnêtes, le derrière à cause de la vilenie, l’autre à cause de la paillardise et déshonneur10. »
Les plaisanteries plutôt grossières ne manquent pas, ni les sujets qui n’ont aucun caractère éducatif bien au contraire. Dans les dialogues anglais de Ch. Hoole11, on assiste à des disputes ; l’une se passe dans une taverne — et les tavernes étaient alors de plus mauvais lieux que nos cafés. On discute longuement de l’auberge où on boit la meilleure bière. Toutefois, même chez Vivès, on observe un certain sentiment de pudeur : « Le troisième doigt est dit l’infâme. Pourquoi ? — Le maître a dit qu’il savait la cause, mais qu’il n’en voulait pas disputer parce qu’elle était sale et vilaine ; pourtant ne la cherche point, car il ne convient pas à un enfant de bonne nature de s’enquérir de choses si vilaines. » C’est remarquable pour l’époque. La liberté du langage était si naturelle que même, plus tard, les réformateurs les plus stricts laisseront passer dans leurs sermons aux enfants et aux écoliers, des comparaisons qui choqueraient aujourd’hui. Ainsi le père jésuite Lebrun, en 1653, exhorte les « très nobles pensionnaires du collège de Clermont » à éviter la gourmandise : « Ils font les difficiles, tanquam praegnantes mulierculae12. »
Toutefois à la fin du XVIe siècle les choses vont chahger plus nettement. Certains éducateurs, qui vont prendre de l’autorité et imposer définitivement leurs conceptions et leurs scrupules, ne toléreront plus qu’on mette entre les mains des enfants des ouvrages douteux. Naît alors l’idée du livre classique expurgé à l’usage des enfants. C’est une étape très importante. C’est vraiment de là qu’on peut dater le respect de l’enfance. On retrouve ce souci à la même époque aussi bien chez les catholiques que chez les protestants, en France et en Angleterre Jusqu’alors on n’avait jamais répugné à donner Térence à lire aux enfants, comme un classique. Les jésuites le retirent des programmes13. En Angleterre, on se servait d’une édition modifiée de Cornelius Schonæus, publiée en 1592, rééditée en 1674. Brinsley la recommande dans son manuel du maître14.
Dans les académies protestantes françaises, on se servait des colloques de Cordier (1564) qui remplacèrent les colloques d’Erasme, de Vivès, de Mosellanus, etc. On y trouve un souci original de pudeur, du soin pour éviter des accrocs à la chasteté ou à la civilité du langage. A peine si une plaisanterie est tolérée sur les usages du papier15 « papier d’écolier », « papier pour enveloppe », « papier brouillard » — c’est un jeu de société. A la fin l’un des garçons abandonne, l’autre trouve : « Papier qui sert à torcher les fesses au retrait — cependant vous êtes vaincu. » Concession bien innocente, cette fois, aux plaisanteries traditionnelles. Cordier peut vraiment « être mis entre toutes les mains », l’expression moderne n’est plus anachronique. On doublera d’ailleurs les colloques de Cordier de colloques religieux, œuvre de S. Castellion.
A son tour Port-Royal donnera une édition très, expurgée de Térence : Comédies de Térence rendues très honnêtes en y changeant fort peu de choses16.
Quant à la pudeur, on prend dans les collèges de Jésuites des précautions inhabituelles qui sont détaillées dans des Règles à l’occasion des punitions corporelles, de l’administration des verges. On spécifiait qu’il ne fallait pas retirer les chausses des victimes, adolescentum, « quelle que soit la condition et l’âge » (j’aime assez cette référence à la condition) ; on devait seulement découvrir juste ce qu’il fallait de peau pour infliger la peine, mais pas plus : non amplius17.
Un grand changement apparaît dans les mœurs au cours du XVIIe siècle. La moindre des libertés de la cour d’Henri IV ne serait pas tolérée par Mme de Maintenon chez les enfants du roi, même bâtards, pas plus d’ailleurs que dans les maisons des libertins. Il ne s’agit plus de quelques moralistes isolés comme Gerson, mais d’un grand mouvement dont on perçoit partout les signes aussi bien dans une nombreuse littérature morale et pédagogique, que dans des pratiques de dévotion et dans une nouvelle iconographie religieuse.
Une notion essentielle s’est imposée : l’innocence enfantine. On la trouve déjà chez Montaigne, qui pourtant se faisait peu d’illusions sur la chasteté des jeunes écoliers : « Cent escoliers ont pris la verolle avant que d’estre arrivez à la leçon d’Aristote de la tempérance18. » Mais il rapporte aussi cette anecdote qui annonce un autre sentiment : Albuquerque « en un extrême péril de fortune de mer, print sur ses épaules un jeune garçon, pour cette seule fin qu’en la société de leur péril son innocence luy servit de garant et de recommandation envers la faveur divine pour le mettre à bord19 ». Près d’un siècle plus tard cette idée de l’innocence enfantine est devenue un lieu commun. Par exemple cette légende d’une gravure de F. Guérard représentant des jeux d’enfants (poupée, tambour)20.
Voilà l’âge de l’innocence
Où nous devons tous revenir
Pour jouir des biens avenirs
Qui sont icy nostre espérance ;
L’âge où l’on sait tout pardonner
L’âge où l’on ignore la haine,
Où rien ne peut nous chagriner ;
L’âge d’or de la vie humaine
L’âge qui brave les Enfers
L’âge où la vie est peu pénible
L’âge où la mort est peu terrible
Et pour qui les cieux sont ouverts
A ces jeunes plans de l’Eglise
Qu’on porte un respect tendre et doux
Le ciel est tout plein de courroux
Pour quiconque les scandalise.
Quel chemin pourcouru ! On peut le suivre au long d’une abondante littérature, dont voici quelques échantillons :
L’Honnête garçon, ou l’art de bien élever la noblesse à la vertu, aux sciences et à tous les exercices convenables à sa condition, publié en 164321 par M. de Grenaille, escuyer, sieur de Chatauniers, est un bon exemple. L’auteur avait déjà écrit l’Honeste fille. Cette intérêt porté à l’éducation, « l’institution de la jeunesse » est remarquable. L’auteur sait qu’il n’est pas seul à traiter ce sujet, et s’en excuse dans l’Avertissement : « Je ne croy point entrer dans le champ de M. Faret22 en traitant un sujet qu’il n’a touché qu’en passant, et parlant de l’éducation de ceux dont il nous représente les perfections. » « Je conduis ici l’Honneste Garçon depuis le commencement de l’enfance jusqu’à la jeunesse. Je traite premièrement de sa naissance et puis de son éducation ; je polis ses mœurs et son esprit tout ensemble ; je le forme à la piété et à la bienséance du monde, afin qu’il ne soit ni impie, ni superstitieux. » Il existait auparavant des traités de civilité qui n’étaient que des manuels de savoir-vivre, de bienséance. Ceux-ci ne cesseront pas d’être en faveur jusqu’au début du XIXe siècle. Mais à côté des civilités qui s’adressent surtout aux enfants, il existe depuis le début du XVIIe siècle une littérature pédagogique à l’usage des parents et des éducateurs. Elle a beau se référer à Quintilien, à Plutarque, à Erasme, elle est nouvelle. Si nouvelle que M. de Grenaille doit se défendre contre ceux qui voient dans l’éducation de la jeunesse un sujet de pratique seulement et non de livre. Il y a Quintilien, etc., mais il y a autre chose, et le sujet est particulièrement grave en chrétienté : « Certes puisque le Seigneur des Seigneurs appelle à soy des petits innocents, je ne croy point qu’aucun de ses sujets ait droit de les rejeter, ny que les hommes doivent trouver de la répugnance à les élever, veu qu’en ce faisant, ils ne font qu’imiter les anges. » Le rapprochement des anges et des enfants devient en thème d’édification banal. « On dit qu’un ange en forme d’enfant illumina saint Augustin, mais en revanche il se plaisait à communiquer ses lumières aux enfans, et nous trouvons dans ses œuvres des traités en leur faveur, s’il y en a d’autres pour les grands théologiens. » Il cite saint Louis qui rédigea une instruction pour son fils. « Le cardinal Bellarmin a écrit un catéchisme pour les enfants. » Richelieu « ce grand prince de l’Eglise, a donné des Instructions aux plus petits, aussi bien que des conseils aux plus grands ». Montaigne aussi, qu’on ne s’attendait pas à trouver en si bonne compagnie, s’est inquiété des mauvais éducateurs, en particulier des pédants.
« On ne doit pas s’imaginer qu’on parle toujours d’une chose faible, quand on parle de l’enfance ; au contraire, je m’en vay faire voir icy qu’un estat que plusieurs jugent méprisable est parfaitement illustre. » En fait, c’est à cette époque qu’on parle vraiment de la faiblesse, de l’imbécillité de l’enfance. Auparavant on l’ignorait plutôt, comme une transition rapidement franchie et sans importance. Cet accent mis sur le côté méprisable de l’enfance est peut-être une conséquence de l’esprit classique, de son exigence raisonnable, mais c’est surtout une réaction contre l’importance qu’avait prise l’enfant dans la famille, dans le sentiment de famille. Nous reviendrons sur ce point dans la conclusion de cette première partie. Retenons seulement que les adultes, dans toues les conditions, aimaient à s’amuser avec les petits enfants. Cela était sons doute très ancien, mais désormais on le remarquait au point qu’on s’en agaçait. Ainsi naquit ce sentiment d’agacement devant les enfantillages, envers moderne du sentiment de l’enfance. Il s’ajoutait aussi le mépris que cette société d’hommes de plein air et d’hommes de société, d’hommes du monde, éprouvait pour le professeur, le régent de collège, le « pédant », à une époque où les collèges devenaient plus nombreux et plus fréquentés et où l’enfance rappelait déjà aux adultes le temps de l’école. En réalité la mauvaise disposition, à l’égard des enfants, des esprits sérieux ou chagrins est un témoignage de la part, à leurs yeux trop importante, qu’on accordait à l’enfance.
Pour l’auteur de l’Honnête Garçon, l’enfance est illustre à cause de l’enfance du Christ. On l’interprétait d’ailleurs comme le signe de l’humiliation où était descendu le Christ en adoptant non seulement la nature humaine, mais la condition d’enfant : moindre en cela que le premier Adam, selon saint Bernard. Il y a au contraire des enfants saints : les saints Innocents, les saints enfants martyrs qui refusèrent d’honorer les idoles, le petit juif de saint Grégoire de Tours que son père a voulu brûler dans un four parce qu’il s’était converti. « Je pourray montrer encore que la Foi trouve de nos jours des martyrs parmi les enfans aussi bien que dans les siècles passés. L’histoire du Japon nous représente un petit Louis qui, à l’âge de douze ans, surpasse de beaucoup la générosité des hommes parfaits. » Sur le même bûcher que dom Charles Spinola, mourut une femme avec « son petit enfant », ce qui montre que « Dieu tire son éloge de la bouche des enfans ». Et l’auteur accumule les exemples des saints enfants des deux Testaments, et il ajoute cet autre, tiré de notre histoire médiévale, et inattendu dans la littérature classique : « Je ne dois pas oublier la vertu de ces braves garçons français dont Nauclerus a fait l’éloge, et qui se croisèrent au nombre de 20 000 du temps du pape Innocent III pour aller retirer Hierusalem d’entre les mains des infidèles. » La croisade des enfants.
Nous savons que les enfants des chansons de geste et romans de chevalerie se conduisaient comme des chevaliers, preuve pour M. de Grenaille, de la vertu et de la raison des enfants. Il cite le cas d’un enfant qui se fit le champion de l’impératrice, femme de l’empereur Conrad, en duel judiciaire contre « un fameux gladiateur ». « Qu’on lise dans les Amadis ce qu’on fait les Renaud, les Tancrède et tant d’autres chevaliers : la fable ne leur donnera point davantage en pas un combat que la vraie Histoire ne donne à ce petit Achille. »
« Après cela peut-on dire que le premier âge n’est pas comparable, voire bien souvent préférable à tous les autres ? » « Qui osera dire que Dieu favorise aussi bien les enfants que les personnes les plus âgées ? » Il les favorise à cause de leur innocence qui « approche fort de son impeccabilité ». Ils n’ont ni passion ni vice : « Leur vie semble estre toute raisonnable lors qu’ils semblent moins capables d’user de la force de la raison. » Evidemment il n’est plus question du peccatum mollicei, et notre gentilhomme de 1642 paraît, à cet égard, et à nos yeux informés par la psychanalyse, en retard sur Gerson. C’est que l’idée même d’impudeur et du péché de la chair chez l’enfant le gêne, comme un argument de ceux qui tiennent « l’enfance pour une niaiserie virile » et « vicieuse ».
Cet esprit nouveau se retrouve dans le milieu de Port-Royal et d’abord chez Saint-Cyran : ses biographes jansénites nous disent la haute idée qu’il se faisait de l’enfance et des devoirs à son égard. « Il admirait le fils de Dieu qui, dans les plus hautes fonctions de son ministère, n’avait pas voulu qu’on empêchât les enfants d’approcher de lui, qui les embrassait et les bénissait, qui nous a recommandé si fort de ne pas les mépriser ou négliger, et qui a enfin parlé d’eux en des termes si avantageux et si étonnants qu’ils sont capables d’étourdir ceux qui scandalisent les plus petits. Aussi M. de Saint-Cyran témoignait-il toujours aux enfants une bonté qui allait jusqu’à une espèce de respect pour honorer en eux l’innocence et le Saint-Esprit qui les habite23. » M. de Saint-Cyran est « très éclairé » et « fort éloigné de ces maximes du monde (le mépris des éducateurs) et comme il savait de quelle importance était le soin et l’éducation de la jeunesse, il la regardait aussi de tout autre manière. Quelque pénible et humiliante qu’elle soit aux yeux des hommes, il ne laissait pas néanmoins d’y employer des personnes considérables sans qu’elles crussent avoir droit de s’y plaindre ».
Il se forme alors cette conception morale de l’enfance qui insiste sur sa faiblesse, plutôt que sur son « illustration », comme disait M. de Grenaille, mais qui associe sa faiblesse à son innocence, vrai reflet de la pureté divine, et qui place l’éducation au premier rang des obligations. Elle réagit à la fois contre l’indifférence à l’enfance, contre un sentiment trop tendre et égoïste qui fait de l’enfant un jeu pour adulte et cultive ses caprices, contre l’inverse de ce dernier sentiment, le mépris de l’homme raisonnable. Cette conception domine la littérature pédagogique de la fin du siècle. Voici ce qu’écrit en 1687 Coustel dans Règles de l’éducation des enfants24 ; il faut aimer les enfants et vaincre la répugnance qu’ils inspirent à un homme raisonnable : « A considérer l’extérieur des enfans, qui n’est qu’infirmité et faiblesse, soit dans le corps, soit dans l’esprit, il est certain qu’on n’aurait pas lieu d’en faire grande estime. Mais l’on change de sentiments si on regarde l’avenir et qu’on agit un peu par la Foy. » Au-delà de l’enfant on verra le « bon magistrat », le « bon curé », le « grand seigneur ». Mais il faut surtout considérer que leurs âmes qui ont encore l’innocence baptismale sont la demeure de Jésus-Christ. « Dieu donne l’exemple en commandant à des Anges de les accompagner dans toutes leurs démarches, sans jamais les abandonner. »
C’est pourquoi, écrit Varet, De l’éducation chrétienne des enfans, 166625 « l’éducation des enfans est une des choses du monde de la plus grande importance ». Et Jacqueline Pascal, dans le règlement pour les petites pensionnaires de Port-Royal : « Il est de telle importance de garder toujours des enfans26, que nous devons préférer cette obligation à toutes les autres, quand l’obéissance nous en charge et, bien plus, à nos satisfactions particulières, quand elles regarderaient les choses spirituelles. »
Il ne s’agit pas de propos isolés, mais d’une véritable doctrine, généralement admise, aussi bien chez les jésuites que chez les oratoriens ou les jansénistes, qui explique en partie le foisonnement d’institutions d’éducation, collèges, petites écoles, maisons particulières, et l’évolution des mœurs scolaires vers une discipline plus stricte.
Quelques principes généraux découlent de cette doctrine, qui font figure de lieux communs dans la littérature de l’époque. On ne laissera jamais des enfants seuls : ce principe remonte au XVe siècle, et provient de l’expérience monastique. Mais il commence seulement à être réellement appliqué au XVIIe siècle, parce que sa nécessité apparaîtra au large public, et non pas à une petite poignée de religieux et de « pédants ». « Il faut fermer autant qu’il est possible toutes les ouvertures de la cage… », on laissera « quelques barreaux ouverts pour vivre et pour se porter bien ; c’est ce qu’on fait aux rossignols pour faire chanter et aux perroquets pour apprendre à parler27 ». Cela ne va pas sans finesse, car on a appris tant chez les jésuites qu’aux écoles de Port-Royal à mieux connaître la psychologie enfantine. Dans le Règlement pour les enfants de Port-Royal de Jacqueline Pascal : « Il faut veiller parfaitement les enfants, ne les laissant jamais seuls en quelque lieu que ce soit, saines ni malades. » Mais « il faut que cette garde continuelle soit faite avec douceur et une certaine confiance qui leur fasse plutôt croire qu’on les aime, et que ce n’est que pour les accompagner qu’on est avec elles. Cela fait qu’elles aiment cette veille plutôt qu’elles ne la craignent28 ».
Ce principe sera absolument général, mais il ne sera appliqué à la lettre que dans les internats de jésuites, dans les écoles de Port-Royal, dans des pensions particulières, c’est dire qu’il n’affectait qu’un petit nombre d’enfants très riches. On voulait leur éviter la promiscuité des collèges qui eurent longtemps mauvaise réputation, moins longtemps en France qu’en Angleterre, grâce aux jésuites. « Dès que des jeunes gens, écrit Coustel29, mettent le pied dans ces sortes de lieux (“la trop grande multitude d’écoliers des collèges”) ils ne tardent guère à perdre cette innocence, cette simplicité, cette modestie qui les rendaient auparavant si aimables à Dieu et aux hommes. » On hésitait à les confier à un précepteur seul : l’extrême sociabilité des mœurs s’y opposait. Il convenait que l’enfant apprît très tôt à connaître les hommes, à s’entretenir avec eux ; c’était très important, plus nécessaire que le latin. Il valait mieux « mettre cinq ou six enfants avec un honnête homme ou deux dans une maison particulière », idée qu’on trouve déjà chez Erasme.
Second principe, on évitera de cajoler les enfants et on les habituera à une précoce sévérité : « Ne me dites pas que ce ne sont encore que des enfants et qu’il faut avoir patience. Car les effets de la concupiscence ne paraissent que trop dans cet âge. » Réaction contre le « mignotage » des enfants de moins de huit ans, contre l’opinion qu’ils étaient encore trop petits pour qu’il vaille la peine de les reprendre. La civilité de Courtin de 167130 explique longuement : « On fait passer le temps à ces petits esprits sans prendre garde que c’est bien ou mal, on leur permet indifféremment ; rien ne leur est défendu : ils rient quand il faut pleurer, ils pleurent quand il faut rire, ils parlent quand il faut taire et sont muets quand la bienséance les oblige de répondre (c’est déjà le “merci, monsieur” de nos petits Français qui surprend les pères de famille américains et les scandalise). C’est estre cruel en leur endroit de les laisser vivre de la sorte. Les pères et mères disent, quand ils seront grands, on les corrigera. Ne serait-il pas plus à propos de faire en sorte qu’il n’y eût rien à corriger. »
Troisième principe : la retenue. « Grande modestie » de la tenue. A Port-Royal31 : « Aussitôt qu’elles sont couchées, elles sont fidèlement visitées dans chaque lit en particulier, pour voir si elles sont couchées avec la modestie requise, et aussi pour voir si elles sont bien couvertes en hiver. » Une vraie propagande essaie d’arracher l’habitude bien enracinée de coucher à plusieurs dans le même lit. Le conseil se répète tout au long du XVIIe siècle. On le retrouve dans la Civilité chrétienne de J.-B. de La Salle dont la première édition est de 1713 : « L’on doit surtout, à moins qu’on ne soit engagé dans le mariage (voici une réserve qu’on n’aurait pas l’idée aujourd’hui d’introduire dans un livre destiné aux enfants ; mais à vrai dire, les livres destinés aux enfants n’étaient pas limités aux enfants, et les progrès immenses de la décence, de la pudeur, n’empêchaient pas des libertés qu’on n’oserait plus), ne pas se coucher devant aucune personne d’autre sexe, cela étant tout à fait contre la prudence et l’honnêteté. Il est encore bien moins permis à des personnes de sexe différent de coucher dans un même lit, quand ce ne serait que des enfants fort jeunes, puisque même il n’est pas séant que des personnes d’un même sexe couchent ensemble. Ce sont deux choses que saint François de Sales a particulièrement recommandées à Mme de Chantal à l’égard des enfans. » « Les pères et les mères doivent apprendre à leurs enfans à se cacher leur propre corps en se couchant. »
Ce souci de décence se retrouve dans le choix des lectures, des conversations : « Faites-leur apprendre à lire dans des livres où la pureté du langage et le choix des bonnes choses se rencontrent. » « Quand ils commencent à écrire, ne souffrez point qu’on remplisse les exemples qu’on leur donne de méchantes façons de parler32. » Nous sommes loin de la liberté de langage de Louis XIII enfant, dont s’amusait même le digne Heroard. On évitera bien entendu les romans, le bal, la comédie qui sont déconseillés aussi aux adultes. On veillera aux chansons, recommandation très importante et nécessaire dans cette société où la musique était familière : « Ayez un soin tout particulier d’empêcher vos enfans d’apprendre des chansons modernes33. » Mais les vieilles chansons ne valent guère mieux : « Chansons qui sont communes parmi le monde et qu’on apprend aux enfants dès qu’ils commencent à parler… Il n’y en a presque point qui ne soient pleines des médisances et des calomnies les plus atroces et qui ne soient des satires sanglantes où l’on n’épargne ni la personne sacrée des souverains ni celles des magistrats, ni celles des personnes les plus innocentes et les plus pieuses. » Elles expriment « des passions déréglées », sont « remplies d’équivoques déshonnêtes34 ».
Saint Jean-Baptiste de La Salle au début du XVIIIe siècle35 maintient cette méfiance des spectacles : « Il n’est pas plus séant à un chrétien de se trouver à des représentations de marionnettes (qu’à la comédie). » « Une personne sage ne doit regarder ces sortes de spectacles qu’avec mépris… et les pères et les mères ne doivent jamais permettre à leurs enfants d’y assister. » Les comédies, les bals, les danses, les spectacles « plus ordinaires » des « opérateurs, des baladins, des danseurs de corde », etc., sont interdits. Seuls sont permis les jeux éducatifs, c’est-à-dire intégrés dans l’éducation : tous les autres jeux sont et demeurent suspects.
Une autre recommandation revient très souvent dans cette littérature pédagogique, soucieuse à l’extrême de la « modestie », ne pas laisser les enfants dans la compagnie des serviteurs, recommandation qui allait contre un usage absolument général : « Ne les laissez seuls que le moins qu’il se pourra avec les domestiques, et surtout avec les laquais (les domestiques : sens plus large que le sens actuel ; on y comprenait des “collaborateurs”, comme nous dirions aujourd’hui, des familiers aussi). Ces personnes, pour s’insinuer et se mettre bien dans l’esprit des enfants ne leur content ordinairement que des sottises et ne leur inspirent que l’amour du jeu, du divertissement et de la vanité36. »
Encore au début du XVIIIe siècle, le futur cardinal de Bernis, se rappelant son enfance — il était né en 171537 : « Rien n’est si dangereux pour les mœurs et peut-être pour la santé, que de laisser des enfants trop longtemps sous la tutelle de gens de chambre. » « On ose avec un enfant ce qu’on aurait honte de risquer avec un jeune homme. » Cette dernière phrase exprime très exactement la mentalité que nous avons plus haut analysée à la cour d’Henri IV et dans le tramway de Carthage au XXe siècle. Elle devait persister dans le peuple, elle n’était plus tolérée dans les milieux évolués. L’insistance mise par les moralistes à séparer les enfants de ce monde divers des « domestiques » montre combien ils étaient conscients des dangers que présentait cette promiscuité des enfants et des serviteurs, souvent eux-mêmes encore très jeunes. Ils voulaient isoler l’enfant pour le préserver de plaisanteries, de gestes désormais réputés déshonnêtes.
Le quatrième principe n’est qu’une autre application de ce souci de décence, de « modestie » : éteindre l’ancienne familiarité et la remplacer par une grande réserve de manières et de langage, même dans la vie quotidienne. Cette politique se traduisit par la lutte contre le tutoiement. Au petit collège janséniste de Chesnay38 : « On les avait tellement accoutumés à se prévenir d’honneur les uns les autres que jamais ils ne se tutoyaient et on ne les entendait non plus jamais dire la moindre parole qu’ils eussent pu juger devoir être désagréable à quelques-uns de leurs compagnons. »
Une civilité de 167139 reconnaît que la bienséance exige le vous, mais elle doit admettre quelques concessions à l’ancien usage français ; elle ne le fait pas sans un certain embarras : « L’on dit ordinairement vous, sans tutoyer personne, si ce n’estait quelque petit enfant et que vous fussiez beaucoup plus âgé et que la coutume même entre les plus courtois et les mieux appris fut de parler ainsi. Les pères toutefois envers leurs enfants, jusqu’à certain âge, comme en France jusqu’à ce qu’ils soient émancipez, les Maistres envers leurs petits escoliers et autres de semblables commandements, semblent, selon l’usage plus commun, pouvoir user du tu, du toy, tout simplement. Et pour les familiers amis, lorsqu’ils conversent ensemble, la coustume porte en certains lieux qu’il se tutoyent plus librement ; les autres, on y est plus réservé et civilisé. »
Même dans les petites écoles, où les enfants sont plus petits, saint Jean-Baptiste de La Salle interdit aux maîtres l’usage du tutoiement : « Ne parlant aux enfants qu’avec réserve, sans les tutoyer jamais, ce qui annoncerait trop de familiarité. » Il est certain que sous cette pression, l’usage du vous a dû s’étendre. On est frappé de lire dans les mémoires du colonel Gérard, qu’à la fin du XVIIIe siècle, des soldats pouvaient se vouvoyer entre camarades, l’un a vingt-cinq ans et l’autre vingt-trois ! Tout au moins, le colonel Gérard peut se servir du vous sans être arrêté par le ridicule.
Au Saint-Cyr de Mme de Maintenon, les demoiselles éviteront « de se tutoyer et d’avoir des manières contraires à la bienséance40 ». « Il ne faut jamais s’accommoder à eux (aux enfants) par un langage enfantin ni par des manières puériles ; on doit au contraire les élever à soi en leur parlant toujours raisonnablement. »
Déjà les écoliers des dialogues de Cordier, dans la seconde moitié du XVIe siècle, se vouvoyaient dans le texte français, alors que naturellement ils se tutoyaient en latin.
En fait, ce souci de gravité, que nous analysons ici, ne triomphera réellement dans les mœurs qu’à partir du XIXe siècle, malgré l’évolution contraire de la puériculture et d’une pédagogie plus libérale, plus naturaliste. Un professeur américain de français, L. Wylie, passa son année sabbatique 1950-1951 dans un village du Midi, dont il partagea la vie quotidienne ; il s’étonne du sérieux avec lequel les maîtres de l’école primaire traitent en France leurs élèves, et les parents, des paysans, leurs enfants. Le contraste lui paraît grand avec l’esprit américain : « Chaque pas dans le développement de l’enfant semble dépendre du développement de ce que les gens appellent sa raison… » « L’enfant est considéré comme désormais raisonnable, et on attend de lui qu’il reste raisonnable. » Cette raison, ce contrôle de lui-même, ce sérieux qu’on exige de lui très tôt, pour la préparation du certificat d’études, et qui n’existent plus aux Etats-Unis, sont le dernier aboutissement de la campagne engagée depuis la fin du XVIe siècle par des religieux et des moralistes réformateurs. Cet état d’esprit commence d’ailleurs à se retirer aujourd’hui de nos villes : il ne subsiste plus que dans nos campagnes où l’observateur américain l’a rencontré.
Le sens de l’innocence enfantine aboutit donc à une double attitude morale à l’égard de l’enfance : la préserver des souillures de la vie, en particulier de la sexualité tolérée, sinon admise, chez les adultes ; la fortifier en développant le caractère et la raison. On peut trouver qu’il y a là une contradiction, car d’un côté on conserve l’enfance, et de l’autre on la vieillit ; mais la contradiction n’existe que pour nous, hommes du XXe siècle. La relation entre enfance, primitivisme, et irrationalisme ou prélogisme, caractérise notre sentiment contemporain de l’enfance. Celui-ci est apparu chez Rousseau ; mais il appartient à l’histoire du XXe siècle. C’est très récemment qu’il est passé des théories de psychologues, de pédagogues, de psychiatres, de psychanalystes, dans l’opinion commune ; c’est ce sentiment qui sert au professeur américain Wylie de référence de base pour évaluer cette autre attitude qu’il découvre dans un village du Vaucluse, et où nous reonnaissons, nous, la survivance d’un autre sentiment de l’enfance, différent et plus ancien, né aux XVe et XVIe siècles, et devenu général et populaire à partir du XVIIe siècle.
Dans cette conception ancienne par rapport à notre mentalité contemporaine, mais nouvelle par rapport au Moyen Age, les notions d’innocence et de raison ne s’opposaient pas. Si puer prout decet, vixit, se traduit dans le français d’une civilité de 1671 : « Si l’enfant a vécu en homme41. »
Sous l’influence de ce nouveau climat moral, apparaît une littérature pédagogique enfantine, distincte des livres d’adultes. Il est très difficile, dans la masse des livres de civilités rédigés depuis le XVIe siècle, de reconnaître ceux qui s’adressent à des adultes, ceux qui s’adressent à des enfants. Cette confusion s’explique par des raisons qui tiennent à la structure de la famille, aux relations entre la famille et la société qui font l’objet de la dernière partie de mon étude.
Elle s’atténue au cours du XVIIe siècle. Les pères jésuites publient des livres de civilité, ou les adoptent comme usuels de même qu’ils expurgent les auteurs anciens ou patronnent des traités de gymnastique : ainsi Bienséance de la conversation entre les hommes42 imprimé en 1617 à Pont-à-Mousson pour les pensionnaires de la Compagnie de Jésus à Pont-à-Mousson et à La Flèche. Les Règles de la bienséance et de la civilité chrétienne à l’usage des écoles chrétiennes de garçons de saint Jean-Baptiste de La Salle parues en 1713, seront réimprimées tout au long du XVIIIe siècle et du début du XIXe : livre longtemps classique dont l’influence sur les mœurs a été sans aucun doute considérable. Toutefois, même la civilité chrétienne ne s’adresse pas encore directement, ouvertement, aux enfants. Certains conseils s’adressent plutôt aux parents (et pourtant c’était bien un livre où les enfants apprenaient à lire, qui fournissait des exemples d’écriture, qui leur servait de conduite, qu’ils retenaient par cœur), ou même à des grandes personnes encore mal instruites des bonnes manières. Cette ambiguïté se dissipe dans les éditions des civilités de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Voici une civilité « puerile et honneste » de 176143 : « Pour l’instruction des enfans, en laquelle est mise au commencement la manière d’apprendre à bien lire, prononcer et écrire, corrigée de nouveau (car toutes se donnent comme des rééditions des vieilles civilités de Cordier, d’Erasme ou du Galatée : le genre est traditionnel, et on ne dira du nouveau que sur une trame ancienne, d’où la persistance de certains sentiments pourtant sans aucun doute passés de mode) et augmentée à la fin d’un beau traité pour lui apprendre l’orthographe. Dressée par un missionnaire avec des préceptes et instructions pour apprendre la jeunesse. » Le ton y est nouveau, on s’adresse nommément aux enfants et sur un mode sentimental : « La lecture de ce livre ne vous sera pas inutile, mes chers enfans, elle vous apprendra… Remarquez, néanmoins, mes chers enfans… » « Cher enfant, que je considère comme un enfant de Dieu et comme frère de Jésus-Christ, commencez de bonne heure à vous porter au bien… Je prétends vous apprendre les règles d’un honnête chrétien. » « Sitôt que vous serez levé, faites d’abord le signe de la croix. » « Si vous êtes dans la chambre de vos père et mère, donnez-leur ensuite le bonjour. » A l’école : « Ne soyez point incommode avec vos compagnons… » « Ne causez point dans l’école. » « Ne vous servez pas si facilement de ces mots tu, toi. » … Mais cette douceur, cette tendresse très XVIIIe siècle n’enlèvent rien à l’idéal de caractère, de raison et de dignité qu’on veut éveiller chez l’enfant : « Mes chers enfans, ne soyez pas du nombre de ceux qui parlent sans cesse et qui ne donnent pas le temps aux autres de dire ce qu’ils pensent. » « Tenez vos promesses, c’est le fait d’un homme d’honneur. » C’est bien toujours l’esprit du XVIIe siècle, mais c’est déjà la manière du XIXe : « Mes chers enfants. » Le domaine des enfants se sépare bien de celui des adultes.
Il demeure encore d’étranges survivances de l’ancienne indifférence des âges. On a longtemps appris le latin, et même le grec, aux enfants dans des distiques faussement imputés à Caton. Le pseudo-Caton est cité dans le Roman de la Rose. L’usage en persista pendant tout le XVIIe au moins, et il en existe encore une édition en 1802. Or l’esprit de ces recommandations morales très crues est celui de la basse antiquité et du Moyen Age, qui ignoraient carrément la délicatesse de Gerson, de Cordier, des jésuites et de Port-Royal, en définitve de l’opinion du XVIIe siècle. On faisait donc encore traduire aux enfants des maximes de ce genre : « Ne crois pas ton épouse, quand elle se plaint de tes serviteurs, souvent en effet la femme déteste celui qui aime le mari. » Ou encore : « Ne cherche pas par des sortilèges à connaître les desseins de Dieu. » « Fuis l’épouse qui dominerait au nom de sa dot ; ne la retiens pas si elle devient insupportable », etc.
A la fin du XVIe siècle, on avait bien trouvé cette morale insuffisante : c’est pourquoi on proposa aux enfants les quatrains de Pibrac, écrits alors dans un esprit plus chrétien, plus édifiant et plus moderne. Toutefois les quatrains de Pibrac ne remplacèrent pas le pseudo-Caton, mais s’y ajoutèrent seulement jusqu’au début du XIXe siècle : les dernières éditions scolaires contiennent encore les deux textes. Le pseudo-Caton, et aussi Pibrac tomberont ensemble dans l’oubli.
A cette évolution du sentiment de l’enfance au XVIIe siècle correspond une tendance nouvelle de la dévotion et de l’iconographie religieuse. Là aussi l’enfant va prendre une place, presque centrale.
La peinture, la gravure et la sculpture religieuses donnent, à partir du début du XVIIe siècle, une grande importance à la représentation de l’enfant Jésus, isolé, et non plus près de la Vierge ou parmi la Sainte Famille. Comme on le voit chez le Van Dyck de Dresde, l’Enfant Jésus a en général une attitude symbolique : il met le pied sur le serpent, s’appuie sur un globe, tient une croix dans la main gauche et de l’autre main fait le signe de la bénédiction. Il se dresse, cet enfant dominateur, sur des portails d’église (à la Dalbade de Toulouse). Une dévotion particulière s’adresse alors à la Sainte Enfance. Elle était préparée, iconographiquement du moins, par toutes les saintes familles, par les présentations et circoncisions des XVe et XVIe siècles. Mais elle a au XVIIe siècle un accent très différent. Le sujet a été bien étudié. On voudrait seulement ici souligner le rapport qui s’est tout de suite établi entre cette dévotion à la sainte enfance et le grand mouvement d’intérêt à l’enfance, de création de petites écoles, de collèges, du souci pédagogique. Le collège de Juilly a été dédié par le cardinal de Bérulle au mystère de Jésus enfant44. Dans son règlement pour les petites filles pensionnaires de Port-Royal, Jacqueline Pascal insère deux prières, dont l’une45 est aussi « en l’honneur du mystère de l’enfance de Jésus-Christ ». Elle mérite d’être citée : « Soyez comme des enfans nouveau-nés. » « Faites, Seigneur, que nous soyons toujours enfans par la simplicité et l’innocence, comme les personnes du monde le sont toujours par l’ignorance et la faiblesse. (On retrouve ici les deux aspects du sentiment de l’enfance au XVIIIe siècle, l’innocence qu’il faut entretenir et l’ignorance ou faiblesse qu’il faut supprimer ou raisonner.) Donnez-nous une enfance sainte, que le cours des années ne nous puisse ôter et de laquelle nous ne passions jamais dans la vieillesse de l’ancien Adam, ni dans la mort du péché ; mais qui nous fasse de plus en plus de nouvelles créatures en Jésus-Christ et qui nous conduise à son immortalité glorieuse. »
Une religieuse du carmel de Beaune, Marguerite du Saint-Sacrement, était réputée pour sa dévotion à la sainte enfance. Nicolas Rolland46, fondateur de petites écoles à la fin du XVIIe siècle, fit un pèlerinage sur sa tombe. Il reçut à cette occasion de la prieure du carmel « une figure de Jésus enfant que la vénérable sœur Marguerite honorait de ses stations de prière ». Les fondations d’instituts enseignants se mettent alors sous le signe de la sainte enfance, comme les collèges oratoriens du cardinal de Bérulle : le P. Barré dépose en 1685 les Statuts et Règlements des écoles chrétiennes et charitables du Saint-Enfant-Jésus. Les Dames de Saint-Maur, modèle des congrégations enseignantes s’intitulent officiellement : institut du Saint-Enfant-Jésus. Le premier sceau de l’Institution des frères des écoles chrétiennes, des frères ignorantins, fut l’enfant Jésus conduit par saint Joseph.
Il est aussi souvent question de la littérature morale et pédagogique du XVIIe siècle des passages de l’Evangile où Jésus fait allusion aux enfants ; dans l’Honnête Garçon, cité, plus haut47 : « Puisque le Seigneur des Seigneurs appelle à soy les petits innocents, je ne voy point qu’aucun de ses sujets ait le droit de les rejeter. » La prière que Jacqueline Pascal insère dans ses règlements pour les enfants de Port-Royal paraphrase les phrases du Christ. « Soyez comme des enfans nouveau-nés. » « Si vous ne devenez comme des Enfans, vous n’entrerez point dans le Royaume des cieux. » Et la fin de cette prière rappelle un épisode de l’Evangile qui va connaître au XVIIe siècle une fortune nouvelle : « Seigneur faites-nous la grâce d’être du nombre de ces Enfans que vous appelez, que vous faites approcher de vous, et de la bouche desquels vous tirez vos louanges. »
La scène à laquelle il est fait allusion où Jésus demande qu’on laisse venir à lui des petits enfants, n’était pas absolument inconnue de l’iconographie ancienne ; nous avons déjà eu l’occasion48 de signaler cette miniature ottonienne où les enfants sont représentés comme des adultes, mais de plus petite taille, autour du Christ. On reconnaît aussi des représentations de cette scène dans les bibles moralisées du XIIIe siècle, toutefois elles sont peu fréquentes et sont traitées comme des illustrations banales, sans qu’il s’en dégage un sens, une ferveur. Au contraire, à partir de la fin du XVIe siècle, cette scène revient souvent, surtout dans la gravure, et il est évident qu’elle correspond désormais à une forme spéciale et nouvelle de dévotion. Cela apparaît si on regarde la belle estampe de Stradan dont l’œuvre gravée inspira, on le sait, les artistes du temps49. Le sujet est défini par la légende : Jesus parvulis oblatis imposuit manus et benedixit eis (Mathieu, 39 ; Marc, 60 ; Luc, 18). Jésus est assis. Une femme lui présente ses enfants : des putti nus. D’autres femmes et enfants attendent. On remarquera que l’enfant est ici accompagné de sa mère : dans les représentations médiévales, plus conformes à la lettre du texte, qui ne frappait pas assez leur imagination pour les inciter à broder de leur cru, les enfants étaient seuls autour du Christ. Ici l’enfant ne se sépare pas de sa famille, indice de l’importance nouvelle prise par la famille dans la sensibilité. Une peinture hollandaise de 1620 reproduit la même scène50. Le Christ est assis par terre, sur ses talons, au milieu d’une foule d’enfants qui se pressent autour de lui. Les uns sont encore dans les bras de leur mère. D’autres nus, s’amusent et luttent (le thème de la lutte des putti est fréquent à l’époque), ou pleurent et crient. Les plus grands, plus réservés, joignent les mains. L’expression du Christ apparaît souriante et attentive : ce mélange d’amusement et de tendresse que les grandes personnes adoptent pour parler aux enfants aux époques modernes, au XIXe siècle. Il tient une main au-dessus de l’une des petites têtes, et lève l’autre pour bénir un autre enfant qui se précipite vers lui. Cette scène devint populaire : il est probable qu’on donnait sa gravure aux enfants comme image de piété à leur usage, ainsi qu’on fera plus tard avec les images de première communion. Une exposition consacrée à Tours en 1947 à l’image de l’enfant51 signale dans son catalogue une gravure du même sujet, au XVIIIe siècle.
Il existe désormais une religion pour enfants et une dévotion nouvelle leur est pratiquement réservée, celle de l’ange gardien. « J’ajoute encore, lit-on dans l’Honnête Garçon52 que bien que tous les hommes soient accompagnez de ces bienheureux esprits qui se rendent leurs ministres, pour les aider à se rendre capables de recevoir l’héritage de salut, il semble pourtant que Jésus-Christ ne donna qu’aux enfants l’avantage d’avoir des anges gardiens. Ce n’est pas que nous ne participions à cette faveur ; mais la virilité la tient de l’enfance. » De leur côté, les anges préfèrent la « souplesse » des enfants à la « révolte des hommes ». Et Fleury dans son Traité des études de 168653 soutient que « l’Evangile nous défend de les mépriser (les enfants) par cette haute considération qu’ils ont des anges bienheureux pour les garder ». La figure de l’âme conduite par un ange et représentée sous l’apparence d’un enfant ou d’un adolescent, devient familière dans l’iconographie des XVIe-XVIIe siècles. On en connaît de multiples exemples, par exemple ce dominiquin54 de la pinacothèque de Naples : un petit enfant en chemise découpée en pans, est défendu par un ange, garçon un peu efféminé de treize-quatorze ans, des attaques du démon, un homme mûr qui le guette. Il étend son bouclier entre l’enfant et l’homme mûr, illustration inattendue de cette phrase de l’Honnête Garçon : « Dieu possède le premier âge, mais le Diable possède en beaucoup de personnes les meilleures parties de la vieillesse aussi bien que de l’âge que l’Apôtre appelle accompli. »
L’ancien thème de Tobie conduit par l’ange symbolise désormais le couple de l’âme-enfant et de son guide, l’ange gardien. Ainsi la belle toile de Tournier récemment exposée à Londres et à Paris (1958), la gravure d’Abraham Bosse55. Sur une gravure de Mariette56 l’ange montre à l’enfant qu’il conduit la croix dans le ciel où elle apparaît portée par d’autres anges.
Ce thème de l’ange gardien de l’âme-enfant servait à l’ornementation des fonts baptismaux : j’ai pu le relever dans une église baroque de l’Allemagne méridionale, l’église de la Croix à Donaüworth. Le couvercle de la cuvette est surmonté d’un globe autour duquel s’enroule le serpent. Sur le globe, l’ange, un jeune homme un peu efféminé, guide l’âme-enfant. Aussi ne s’agit-il pas seulement d’une représentation symbolique de l’âme sous l’apparence traditionnelle de l’enfant (idée d’ailleurs curieuse et médiévale que ce recours à l’enfant pour figurer l’âme), mais de l’illustration d’une dévotion particulière de l’enfance et dérivée du sacrement de baptême : l’Ange gardien.
Cette période des XVIe-XVIIe siècles fut aussi celle des enfants modèles. L’historien du collège des jésuites de La Flèche57 raconte, d’après les annales de la Congrégation de La Flèche de 1722 (par conséquent une cinquantaine d’années après l’événement) la vie édifiante de Guillaume Ruffin, né le 19 janvier 1657 ; il était en troisième en 1671, à quatorze ans. Il appartenait, bien entendu, à la Congrégation (association pieuse réservée aux bons élèves et placée sous l’invocation de la Vierge : elle existe toujours, je pense, dans les collèges de jésuites). Il visitait les malades et distribuait des aumônes aux pauvres. En 1674, il finissait sa première année de philosophie (il y en avait deux) quand il tomba malade. La Vierge lui apparut deux fois. Il avait été averti de la date de sa mort, « le jour de la fête de ma bonne Mère », le jour de l’Assomption. J’avoue n’avoir pu me défendre, en lisant ce texte, d’un souvenir amusé de ma propre enfance, dans un collège de jésuites ou quelques-uns faisaient campagne pour la canonisation d’un petit élève, mort quelques années plus tôt en odeur de sainteté, du moins de l’avis de sa famille. On pouvait très bien parvenir à la sainteté durant une courte vie d’écolier et sans prodiges exceptionnels, sans précocité particulière, au contraire, par la simple application des vertus d’enfance, par la simple préservation de l’innocence première. Ce fut le cas de saint Louis de Gonzague, souvent cité dans la littérature du XVIIe siècle qui traite des problèmes de l’éducation.
Outre la vie des petits saints, on donne aux écoliers comme sujet d’édification la jeunesse des saints — ou leurs remords de leur jeunesse folle. On lit, dans les Annales du collège des jésuites d’Aix, à l’année 1634 : « Nostre jeunesse ne manqua d’avoir ses prédications deux fois par semaine le caresme. Ce fut le P. de Barry, recteur, qui leur fit lesdites exhortations, ayant pris pour subject les actions héroïques de la jeunesse dès saints. » Au carême précédent de 1633 « il avait pris pour subject : les regrets de la jeunesse de saint Augustin58 ».
Il n’existait pas au Moyen Age de fêtes religieuses de l’enfance, sinon les grandes fêtes saisonnières, souvent plus païennes que chrétiennes. A partir du XVe siècle, nous l’avons déjà remarqué, certains épisodes, comme la présentation de la Vierge et surtout la circoncision, étaient traités par les artistes au milieu d’un concours d’enfants plus important que le nombre habituellement présent dans les foules du Moyen Age ou de la Renaissance. Mais ces fêtes de l’Ancien Testament, si elles étaient bien devenues dans l’iconographie des fêtes de l’enfance, ne pouvaient plus jouer ce rôle dans la dévotion réelle, surtout dans la dévotion épurée du XVIIe siècle français. La première communion va peu à peu, très progressivement, devenir la grande fête religieuse de l’enfance, ce qu’elle est aujourd’hui, même là où la pratique chrétienne n’est plus observée avec régularité. La première communion a pris aujourd’hui la place des anciennes fêtes folkloriques abandonnées. Peut-être doit-elle cette persistance, en dépit de la déchristianisation, au fait qu’elle est fête individuelle de l’enfant, et célébrée collectivement à l’église, mais surtout en privé, dans la famille : les fêtes les plus collectives sont celles qui ont le plus vite disparu.
La célébration plus solennelle de la première communion est une conséquence de la plus grande attention qu’on a apportée, surtout à Port-Royal, aux conditions requises pour bien recevoir l’Eucharistie. Il ne s’agissait pas tant de rendre la communion moins fréquente que mieux préparée, plus consciente, plus efficace. Il est probable qu’autrefois les enfants recevaient la communion sans préparation spéciale, comme ils commençaient d’aller à la messe, et probablement assez tôt, si on en juge par les habitudes de précocité et le mélange des enfants et des adultes dans la vie quotidienne. Jacqueline Pascal, dans le règlement des enfants de Port-Royal, prescrit de bien évaluer la capacité morale et spirituelle des enfants avant de leur permettre la communion et de les y préparer longtemps à l’avance59 : « On ne fera point communier les Enfans si jeunes et particulièrement celles qui sont badines, légères et attachées à quelque défaut considérable. Il faut attendre que Dieu ait fait en elles quelque changement et il est bon de prendre un temps notable, comme un an ou moins six mois, pour voir si leurs actions ont de la suite. Car je n’ai jamais eu de regret d’avoir fait reculer les Enfans, cela a toujours servi à faire avancer en vertu celles qui étaient bien disposées et à faire connaître le peu de dispositions qu’il y avait dans les autres qui ne l’étaient pas encore. On ne saurait apporter trop de précautions pour la première communion : car toutes les autres dépendent souvent de celle-là. »
La première communion était retardée à Port-Royal après la confirmation : « Quand on nous donne des Enfans qui n’ont pas été confirmées… que si elles n’ont pas fait aussi leur première communion, nous la différons ordinairement jusqu’après la confirmation, afin qu’étant remplies de l’esprit de Jésus, elles soient mieux préparées à recevoir son Saint Corps. »
La première communion était devenue au XVIIIe siècle une cérémonie organisée dans les couvents et dans les collèges. Le colonel Gérard60 nous raconte dans ses mémoires, ses souvenirs d’une première communion difficile. Il était né en 1766, d’une famille pauvre de six enfants. Devenu orphelin, il travaillait depuis l’âge de dix ans comme domestique, quand le vicaire de sa paroisse, qui s’intéressait à lui, l’envoya à l’abbaye de Saint-Avit où il était devenu chapelain auxiliaire. Le premier chapelain était un jésuite qui le prit en grippe. Il devait avoir environ quinze ans quand il fut admis à la première communion : l’expression est bien usuelle. « Il avait été décidé que je ferais ma première communion en même temps que plusieurs pensionnaires. La veille de ce jour, je m’amusais avec le chien de la basse-cour, quand M. de N., le jésuite, vint à passer. Avez-vous oublié, s’écria-t-il, que c’est demain que vous devez recevoir le corps et le sang de Notre-Seigneur ? L’abbesse me fit appeler et me signifia que je ne participerai pas à la cérémonie du lendemain. » « Trois mois après avoir fait mes pénitences… je fis ma première communion. Après la seconde, on m’ordonna de communier chaque dimanche et chaque jour de fête. »
La première communion est devenue la cérémonie qu’elle est restée. Dès le milieu du XVIIIe siècle on avait l’habitude d’en perpétuer le souvenir par une mention sur une image pieuse. On a exposé en 1931 à Versailles61 une gravure représentant saint François d’Assise. On avait écrit au dos : « Pour témoignage de la première communion faite par François Bertrand, le 26 avril 1767, jour de Quasimodo, en la paroisse Saint-Sébastien de Marly. Barail, curé de Saint-Sébastien. » Il s’agissait non seulement d’une coutume pieuse, mais d’un certificat inspiré des actes officiels de catholicité.
Il ne restera plus qu’à accentuer la solennité par le port d’un costume spécial, au XIXe siècle.
La cérémonie de la première communion est devenu la manifestation la plus visible du sentiment de l’enfance entre le XVIIe et la fin du XIXe siècle : elle en célèbre à la fois les deux aspects contradictoires, l’innocence de l’enfance, et sa raisonnable appréciation des mystères sacrés.
Heroard, Journal sur l’enfance et la jeunesse de Louis XIII, publié par E. Saulié et E. de Barthélémy, 1868, 2 vol.
F. de Dainville, La Naissance de l’humanisme moderne, 1940, p. 261. Mechin, Annales du collège royal de Bourbon Aix, 2 vol. 1892.
Curjel, H. Baldun Grien, pl. XLVIII.
J. Destrée, Les Heures de Notre-Dame dites de Hennessy, 1895 et 1923.
S. de Vriès et Marpugo, Le Bréviaire Grimani, 1904-1910, 12 vol.
H. Gerson, Von Geertgen tot Fr. Halz. 1950, I., p. 95.
Musée des Augustins, Toulouse.
Gerson, De confessione mollicei, Opera 1706, t. II, p. 309.
Gerson, Doctrina pro pueris ecclesiæ parisiensis, Opera, 1706, IV, p. 717.
Vivès, Dialogues, trad. française, 1571.
Cité dans F. Watson, The English grammar schools to 1660, 1907, p. 112.
A. Schimberg, Education morale dans les collèges de jésuites, 1913, p. 227.
F. de Dainville, op. cit.
F. Watson, op. cit.
Mathurin Cordier, Colloques, 1586.
Par Pomponius et Trobatus.
Cité par F. de Dainville, op. cit.
Montaigne, Essais, I, 26.
Montaigne, Essais, I, 39.
F. Guérard, Cabinet des Estampes Ee 3 a, pet. in f°.
M. de Grenaille, L’Honneste Garçon, 1642.
Faret, L’Honnête Homme, 1630. C’est lui que Boileau faisait rimer avec cabaret.
F. Cadet, L’Education à Port-Royal, 1887.
Coustel, Règles de l’éducation des enfants, 1687.
Varet, De l’éducation chrétienne des enfants, 1666.
Jacqueline Pascal, Règlement pour les enfants. Appendice aux Constitutions de Port-Royal, 1721.
F. Cadet, op. cit.
Jacqueline Pascal, op. cit.
Coustel, op. cit.
La Civilité nouvelle, Bâle, 1671.
Jacqueline Pascal, op. cit.
Varet, op. cit.
Ibid.
Ibid.
Jean-Baptiste de La Salle, Les Règles de la bienséance et de la civilité chrétienne. La première édition est de 1713.
Varet, op. cit.
Mémoires du cardinal de Bernis, 2 vol., 1878.
Règlement du collège du Chesnay, Wallon de Beaupuis, Suite des vies des amis de Port-Royal, 1751, t. I, p. 175.
Cf. n. 1, p. 161.
Th. Lavallée, Histoire de la maison royale de Saint-Cyr, 1862.
L. Wylie, Village in the Vaucluse, Cambridge, E. U., 1957.
Bienséance de la conversation entre les hommes, Pont-à-Mousson, 1617.
Civilité puérile et honnête pour l’instruction des enfants… dressée par un missionnaire, 1753.
H. Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux, 1921, t. III, p. 512 s.
Jacqueline Pascal, op. cit.
Rigault, Histoire générale des frères des écoles chrétiennes, 1937, t. I.
De Grenaille, op. cit.
Cf. supra Ire partie, chap. 2.
Stradan (1523-1605), gravure, Cabinet des Estampes Cc9 in f°, p. 239.
Volcskert (1585-1627) reproduit dans Berndt, no 871.
Catalogue no 106.
M. de Grenaille, op. cit.
Fleury, Traité du choix et de la méthode des études, 1686.
Naples, pinacothèque.
Tournier, l’Ange gardien, Narbonne, 1656-1657. Exposition Petit Palais, 1958, no 139. Abraham Bosse, gravure, Cabinet des Estampes Ed. 30 a in f°, GD 127.
Mariette, gravure, Cabinet des Estampes, Ed. 82 in f°.
C. de Rochemonteix, Un collège de jésuites aux XVIIe-XVIIIe siècles. Le collège Henri IV de La Flèche. Le Mans, 1889, 4 vol
Mechin, Annales du collège royal Bourbon Aix, 1892, 2 vol., t 1, p. 89.
Jacqueline Pascal, op. cit.
Les Cahiers du colonel Gérard (1766-1846), 1951.
Exposition : « Enfants d’autrefois », Versailles, 1931.