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Les images de la famille


Il apparaîtra contestable de parler d’une iconographie profane au Moyen Age jusqu’au XIVe siècle, tant le profane se distinguait mal du sacré. Toutefois parmi les apports d’origine profane à cette représentation totale du monde, il est un thème dont la fréquence et la popularité sont significatives : le thème des métiers. Les archéologues nous ont appris que les Gaulois de l’époque romaine aimaient figurer sur leurs bas-reliefs funéraires les scènes de leur vie de travailleurs1. Cette faveur des thèmes de métier ne se retrouve pas ailleurs. Les archéologues ont été aussi frappés de leur rareté sinon de leur absence dans l’iconographie funéraire de l’Afrique romaine2. Le thème remonte par conséquent à un vieux passé. Il se maintint, se développa même au Moyen Age ; sous réserve de l’anachronisme de l’expression, on peut dire, très en gros, mais sans déformer les choses, que l’iconographie « profane » médiévale est d’abord constituée surtout par le thème des métiers. Il est important que ce soit le métier qui ait longtemps paru l’activité privilégiée de la vie quotidienne, celle dont le souvenir était associé au culte funéraire de l’époque gallo-romaine, à la conception savante et sociale du monde, au Moyen Age, dans les calendriers des cathédrales. Cela paraît tout naturel, sans doute, aux historiens ? Songe-t-on assez combien aujourd’hui préféreraient oublier leur métier et rêveraient de laisser une autre image d’eux-mêmes ? En vain essaie-ton d’animer de lyrisme les aspects fonctionnels de la vie contemporaine ; on aboutit à une manière d’académisme sans racine populaire. L’homme d’aujourd’hui ne choisirait pas son métier, quand même il l’aimerait pour en proposer l’image à ses artistes, si ceux-ci pouvaient l’accepter. L’importance donnée au métier dans l’iconographie médiévale est un signe de la valeur sentimentale qu’on lui accordait. Tout se passe comme si la vie privée, c’était d’abord et surtout le métier.

L’une des représentations les plus populaires du métier le lie à cet autre thème des saisons dont nous avons déjà eu l’occasion de reconnaître l’importance, à propos des âges de la vie3. Nous savons que le Moyen Age occidental a aimé réunir par un symbolisme des notions dont il voulait souligner les secrètes correspondances, au-delà des apparences. Il rattachait aux saisons les métiers, comme les âges de la vie ou les éléments. C’est le sens des calendriers de pierre et de verre, des calendriers des cathédrales et des livres d’heures.

L’iconographie traditionnelle des douze mois de l’année était fixée au XIIe siècle, telle qu’on la retrouve, à très peu de variantes près, à Saint-Denis, à Paris, à Senlis, à Chartres, à Amiens, à Reims, etc. : les travaux et les jours. D’une part les grands travaux de la terre : le foin, le blé, la vigne et le vin, le porc. D’autre part, la pause, celle de l’hiver et celle du printemps. Ce sont les paysans qui travaillent, mais la représentation des moments d’arrêt du travail hésite entre le paysan et le noble. Janvier (la fête des rois) appartient au noble, devant une table à laquelle il ne manque rien. Février appartient au vilain qui rentre de la corvée de bois et se hâte auprès du feu. Mai est tantôt un paysan qui se repose au milieu des fleurs, tantôt un jeune noble qui part pour la chasse et prépare son faucon. C’est en tout cas l’évocation de la jeunesse aux fêtes du mai. Dans ces scènes l’homme est toujours seul : parfois un jeune valet (à Saint-Denis) se tient derrière le maître qui mange assis à sa table ; c’est une exception. D’autre part, il s’agit toujours d’un homme, jamais d’une femme.

Cette iconographie, nous la voyons évoluer au long des livres d’heures jusqu’au XVIe siècle, selon des tendances significatives.

On voit d’abord apparaître la femme, la dame de l’amour courtois, ou la maîtresse de la maison. Dans les Heures du duc de Berry, au mois de février, le paysan n’est plus, comme sur les murs de Senlis, de Paris ou d’Amiens, seul à se chauffer. Trois femmes de la maison sont déjà assises autour du feu, tandis qu’il est encore dehors, tout transi, dans la cour enneigée. Ailleurs, la scène devient la représentation d’un intérieur, un soir d’hiver où on reste à la maison : l’homme, devant l’âtre, se chauffe encore les mains et le pied déchaussé, mais à côté, sa femme travaille tranquillement à son rouet (Charles d’Angoulême). En avril, apparaît le thème de la Cour d’amour : la dame et son ami dans un jardin enclos (Charles d’Angoulême). Elle accompagne les chevaliers à la chasse. Mais même la dame noble ne reste pas l’héroïne oisive et un peu imaginaire des jardins d’avril, ou la cavalière des fêtes de mai : elle dirige aussi les travaux de ce jardin d’avril (Turin). La paysanne revient plus souvent. Elle participe aux travaux des champs avec les hommes (Berry, Angoulême). Elle porte à boire aux moissonneurs qui font la pause par des chaudes journées d’été (Hennessy, Grimani). Son mari la ramène dans la brouette avec la gourde de vin qu’elle lui a portée. Chevaliers et dames ne sont plus isolés dans les plaisirs nobles d’avril ou de mai. Comme la dame des Heures de Turin s’occupait de son jardin, ils se mêlent aux paysans, aux vendangeurs (cueillette des cerises des Heures de Turin). Plus on va dans le temps, et surtout au XVIe siècle plus souvent la famille des maîtres du domaine est représentée parmi les paysans qu’elle surveille et dont elle partage les jeux. De nombreuses tapisseries du XVIe siècle décrivent ces scènes champêtres où les maîtres et leurs enfants font la vendange, surveillent la moisson. L’homme n’est plus seul. Le couple n’est plus seulement le couple imaginaire de l’amour courtois. La femme et la famille participent au métier et vivent auprès de l’homme, dans la salle ou aux champs. Il ne s’agit pas à proprement parler de scènes de famille : les enfants sont encore absents au XVe siècle. Mais on éprouve le besoin d’exprimer discrètement la collaboration du ménage, des hommes et des femmes de la maison, au travail quotidien, avec un souci jadis inconnu d’intimité.

En même temps la rue apparaît dans les calendriers. La rue était déjà un thème familier de l’iconographie médiévale : elle s’anime d’une vie particulièrement expressive dans les admirables vues des ponts de Paris de la vie de saint Denis, manuscrit du XIIIe siècle. Comme dans les villes arabes d’aujourd’hui, la rue était le siège des métiers, de la vie professionnelle, aussi des bavardages, des conversations, des spectacles et des jeux. En dehors de cette vie privée, longtemps ignorée des artistes, tout se passait dans la rue. Pourtant les scènes des calendriers, d’inspiration rurale, l’ignorèrent longtemps. Au XVe siècle, la rue prend sa place dans les calendriers. Les mois de novembre et de décembre des Heures de Turin sont bien illustrés par le traditionnel sacrifice du porc. Mais ici, il a lieu dans la rue, et les voisins sont venus devant leurs portes pour regarder. Ailleurs (calendrier des Heures d’Adélaïde de Savoie) nous sommes au marché : des petits voyous coupent les bourses des ménagères affairées et distraites ; on reconnaît le thème des petits maraudeurs, coupeurs de bourses, qui durera tout au long de la peinture de genre picaresque du XVIIe siècle4. Une autre scène du même calendrier représente le retour du marché : une commère s’arrête pour parler à sa voisine qui regarde par sa fenêtre. Des hommes se reposent assis sur un banc, protégés par un auvent, et ils s’amusent à voir les garçons jouer à la paume et à la lutte. Cette rue médiévale, comme la rue arabe d’aujourd’hui, ne s’oppose pas à l’intimité de la vie privée ; elle est un prolongement au-dehors de cette vie privée, le cadre familier du travail et des rapports sociaux. Les artistes, dans leurs essais relativement tardifs de représentation de la vie privée, commenceront par la saisir dans la rue, avant de la poursuivre à l’intérieur de la maison. Peut-être bien que cette vie privée se passait autant ou plus dans la rue que dans la maison.

Avec la rue, les jeux envahissent les images de calendriers : les jeux chevaleresques, comme les tournois (Turin, Hennessy), les jeux communs à tous, les fêtes du folklore comme l’arbre de mai. Le calendrier des Heures d’Adélaïde de Savoie se compose essentiellement d’une description des jeux les plus divers, jeux de société, jeux de force et d’adresse, jeux traditionnels : fête des rois, danse du mai, lutte, crosse, soule, jeux-partis, joutes d’eau, batailles de neige. Dans d’autres manuscrits, nous assisterons au tir à l’arbalète (Hennessy), aux parties de barque en musique (Hennessy), aux baignades (Grimani). Or nous savons que les jeux n’étaient pas alors seulement des loisirs, mais une forme de la participation à la communauté ou au groupe : on jouait en famille, entre voisins, entre classes d’âge, entre paroisses5.

Enfin, à partir du XVIe siècle, un nouveau personnage entre en scène dans les calendriers : l’enfant. Certes, il était déjà fréquent dans l’iconographie du XVIe siècle, en particulier dans les Miracles de Notre-Dame. Mais il était resté absent des calendriers comme si cette tradition iconographique ancienne avait longtemps répugné à accepter ce tard-venu. Dans les travaux des champs, les enfants n’apparaissent pas à côté des femmes. Quelques-uns seulement servent à table les jours de banquet de janvier. On les aperçoit aussi au marché des Heures d’Adélaïde de Savoie ; dans ce même manuscrit, ils jouent aux boules de neige, chahutent à l’église le prédicateur et se font mettre à la porte. Dans les derniers manuscrits flamands du XVIe, ils s’en donnent à cœur joie ; on devine la prédilection de l’artiste à leur égard. Les calendriers des Heures de Hennessy et de Grimani ont imité d’assez près le village sous la neige des Très Riches Heures du duc de Berry, au mois de janvier que nous avons décrit plus haut, où le paysan se hâte vers sa maison, rejoindre les femmes qui se chauffent. Toutefois, ils y ont ajouté un autre personnage : l’enfant et dans la pose du Manneken-Pis, qui est devenue fréquente dans l’iconographie du temps, l’enfant pisse par l’ouverture de la porte. Ce thème du Manneken-Pis se trouve partout. Citons la prédication de saint Jean-Baptiste du musée des Augustins de Toulouse, qui ornait autrefois la chapelle du Parlement de cette ville, ou tel putto du Titien6.

Dans ces Heures de Hennessy et de Grimani, les enfants patinent sur la glace, s’amusent à singer les tournois des grandes personnes (on reconnaîtrait parmi eux le jeune Charles Quint). Dans les Heures de Munich, ils jouent aux boules de neige. Dans l’Hortulus animae, ils jouent à la Cour d’amour et aussi au tournoi, à cheval sur une barrique, ils patinent sur la glace7.

Les représentations successives des mois de l’année font apparaître ainsi ces personnages nouveaux : la femme, la société des voisins et des compagnons, enfin l’enfant. L’enfant est lié à ce besoin, autrefois inconnu, d’intimité, de vie familière, sinon encore précisément familiale.

Au cours du XVIe siècle, cette iconographie des mois va connaître une dernière transformation très significative pour notre propos : elle va devenir familiale. Elle deviendra familiale en se combinant avec le symbolisme d’une autre allégorie traditionnelle : les âges de la vie. Il y avait plusieurs manières de représenter les âges de la vie, mais d’eux d’entre elles s’imposaient ; l’une, plus populaire, survécut dans la gravure et représentait les âges sur les degrés d’une pyramide montant de la naissance à la maturité, et descendant ensuite jusqu’à la vieillesse et la mort. Les grands peintres répugnèrent à cette composition trop naïve. Par contre ils adoptèrent très généralement la représentation des trois âges de la vie sous la forme d’un enfant, d’adolescents — souvent d’un couple — et d’un vieillard. Ainsi le tableau du Titien8 : deux putti endormis, puis, au premier plan un couple composé d’une paysanne habillée jouant de la flûte, et d’un homme nu, et à l’arrière-plan, un vieillard assis, courbé, tenant dans ses mains une tête de mort. Le même sujet se retrouve chez Van Dyck9 au XVIIe siècle. Dans ces compositions, les trois ou quatre âges de la vie sont représentés, selon la tradition iconographique, séparément. On n’a pas eu l’idée de les réunir à l’intérieur d’une même famille dont les différentes générations symboliseraient les trois ou quatre âges de la vie. Les artistes, et l’opinion qu’ils traduisaient, demeuraient fidèles à une conception plutôt individualiste des âges : le même individu était représenté aux divers moments de son destin.

Cependant, au cours du XVIe siècle, une idée nouvelle était apparue, qui symbolisait la durée de la vie par la hiérarchie de la famille. Nous avons déjà eu l’occasion de citer le Grand Propriétaire de toutes choses, ce vieux texte médiéval traduit en français et imprimé en 155610. C’est, avons-nous remarqué, un miroir du monde. Le sixième livre traite des « Aages ». Il est illustré d’une gravure sur bois qui ne représente ni les degrés des âges, ni les trois ou quatre âges séparés, mais simplement une réunion de famille. Le père est assis, un petit enfant sur les genoux. Sa femme est debout à sa droite. Un de ses fils se tient à sa gauche, et l’autre plie le genou pour recevoir quelque chose que son père lui donne. C’est à la fois un portrait de famille, comme on en peint à foison à cette époque dans les Pays-Bas, en Italie, en Angleterre, en France, en Allemagne, et une scène de genre familiale comme peintres et graveurs les multiplieront au XVIIe siècle. Ce thème sera voué à la plus extraordinaire popularité. Il n’était pas tout à fait inconnu du Moyen Age, de l’extrême fin du Moyen Age. Il est développé d’une manière remarquable sur un chapiteau des loges du palais ducal de Venise, dit du mariage. Venturi le situe vers 142411 ; Toesca le remonte à la fin du XIVe siècle, ce qui paraît plus vraisemblable à cause du style et du costume, mais plus surprenant à cause de la précocité du sujet12. Les huit faces de ce chapiteau nous racontent une histoire dramatique qui illustre la fragilité de la vie — thème familier aux XIVe-XVe siècles, mais au sein d’une famille, ce qui est nouveau. On commence par les fiançailles. Ensuite la jeune femme est habillée d’une robe de cérémonie sur laquelle on a cousu des petits disques de métal : simples ornements, ou bien des monnaies ? Les monnaies jouent un rôle dans le folklore du mariage et du baptême. La troisième face représente la cérémonie du mariage, au moment où l’un des conjoints tient une couronne sur la tête de l’autre : rite demeuré dans la liturgie orientale. Alors les époux ont le droit de s’embrasser. Sur la cinquième face, ils sont couchés, nus, dans le lit nuptial. Un enfant naît que le père et la mère tiennent ensemble, emmailloté. Leurs vêtements paraissent plus simples qu’au temps des fiançailles et du mariage : ils sont devenus des gens sérieux, qui s’habillent avec une certaine austérité ou à la mode de l’ancien temps. La septième face réunit toute la famille qui pose pour son portrait. Le père et la mère tiennent chacun leur enfant par l’épaule et par la main. C’est déjà le portrait de la famille, telle que nous l’avons trouvé dans le Grand Propriétaire. Mais, avec la huitième face, le drame éclate : la famille est dans l’épreuve, l’enfant est mort ; il est étendu sur son lit, les mains jointes. La mère essuie ses larmes d’une main et pose l’autre sur un bras de l’enfant ; le père prie. D’autres chapiteaux voisins de celui-ci sont ornés de putti nus qui s’amusent avec des fruits, des oiseaux, des balles : thèmes plus banals, mais qui permettent de replacer le chapiteau du mariage dans son contexte iconographique.

L’histoire du mariage commence comme l’histoire d’une famille mais se termine par le thème différent de la mort prématurée.

On peut voir au musée Saint-Raimond, à Toulouse, les fragments d’un calendrier que les costumes permettent de dater du début de la seconde moitié du XVIe siècle. Juillet : la famille est réunie en portrait, comme sur la gravure, d’ailleurs contemporaine, du Grand Propriétaire, avec un détail en plus qui a son importance : la présence des serviteurs à côté des parents. Le père et la mère sont au milieu. Le père prend par la main son fils, et la mère, sa fille. Le valet se tient du côté des hommes, la servante du côté des femmes, car les sexes sont séparés comme sur les portraits de donateurs, les hommes, pères et fils d’un côté, les femmes, mères et filles, d’un autre. Les serviteurs font partie de la famille.

Août reste le mois de la moisson, mais le peintre s’attache à représenter plutôt que la moisson elle-même, la livraison et le règlement de la récolte au maître qui tient dans sa main les pièces de monnaie et va les donner aux paysans. Cette scène se rattache à une iconographie très fréquente au XVIe siècle, en particulier dans les tapisseries, où les gentilshommes campagnards surveillent leurs paysans ou se divertissent avec eux.

Octobre : le repas de famille. Les parents et les enfants sont à table. Le plus petit est juché sur une chaise surélevée, qui lui permet d’atteindre le niveau de la table, faite exprès pour les enfants de son âge, comme il en existe encore aujourd’hui. Un garçon sert avec une serviette, peut-être un valet, peut-être un parent, chargé ce jour-là du service à table qui n’humiliait pas, bien au contraire.

Novembre : le père est vieux et malade, si malade qu’il faut recourir au médecin ; celui-ci, selon un geste banal qui appartient à une iconographie traditionnelle, mire l’urinal.

Décembre : toute la famille est réunie dans la chambre autour du lit où le père agonise. On lui porte la communion. Sa femme est à genoux au pied du lit. Derrière elle, une jeune femme, agenouillée, pleure. Un jeune homme tient un cierge à la main. Dans le fond on aperçoit un petit enfant : le petit-fils sans doute, la prochaine génération qui continuera la famille.

Ainsi ce calendrier assimile la succession des mois de l’année à celle des âges de la vie, mais elle représente les âges de la vie sous l’aspect de l’histoire d’une famille : la jeunesse de ses fondateurs, leur maturité autour de leurs enfants, la vieillesse, la maladie et la mort qui est à la fois la bonne mort, la mort du juste, thème également traditionnel, et aussi celle du patriarche au milieu de la famille réunie.

Ce calendrier a commencé comme la famille du chapiteau du mariage du palais des Doges. Mais ce n’est pas le fils, l’enfant chéri, que la mort dérobe trop tôt. Les choses poursuivent un cours plus naturel. C’est le père qui s’en va au terme d’une vie bien remplie, entouré d’une famille unie et lui laissant sans doute un patrimoine bien géré. Toute la différence est là. Il ne s’agit plus de la mort subite, mais de l’illustration d’un sentiment nouveau : le sentiment de la famille.

 

 

 

L’apparition du thème familial dans l’iconographie des mois n’est pas un simple épisode. Une évolution massive entraîne dans ce même sens toute l’iconographie du XVIe et du XVIIe siècle.

A l’origine, les scènes représentées par les artistes se passaient soit dans un espace indéterminé, soit dans des lieux publics comme les églises, soit en plein air. Dans l’art gothique, dégagé du symbolisme romano-byzantin, les scènes de plein air sont devenues plus nombreuses, plus significatives grâce à l’invention de la perspective et au goût du paysage : la dame reçoit son chevalier dans un jardin enclos ; la chasse mène par les champs et les forêts ; le bain réunit les dames autour de la fontaine d’un jardin ; les armées manœuvrent, les chevaliers s’affrontent en tournois, l’armée est campée autour de la tente où le roi repose, les armées assiègent les villes ; les princes entrent et sortent des villes fortes dans la liesse du peuple et des bourgeois. On pénètre dans les villes sur les ponts, on passe devant les échoppes où travaillent les orfèvres. On voit passer les marchands d’oublies ; les barques chargées descendent le fleuve. En plein air encore, on s’exerce à tous les jeux. On accompagne les jongleurs ou les pèlerins à leurs étapes. L’iconographie profane médiévale est une iconographie de plein air. Quand, au XIIIe ou XIVe siècle, les artistes se proposent d’illustrer des anecdotes particulières, des faits divers, ils hésitent, et leur naïveté surprise tourne à la maladresse (rien de comparable à la virtuosité des anecdotiers du XVe-XVIe siècle !).

Les scènes d’intérieur sont donc très rares. A partir du XVe siècle, elles vont devenir plus fréquentes. L’évangéliste, jadis situé dans un milieu intemporel, devient un scribe à son pupitre, la plume et le grattoir à la main. Il est d’abord placé devant une simple draperie décorative, enfin il est dans une chambre, où des livres reposent sur des étagères : de l’évangéliste on est passé à l’auteur dans sa chambre, à Froissart écrivant, dédicaçant son livre13. Dans le Térence des Ducs, des femmes travaillent et filent dans leurs chambres, avec leurs servantes, sont couchées sur leur lit, pas toujours seules. On voit les cuisines, les salles d’auberge. Les scènes galantes, ou les conversations, se passent désormais dans l’espace clos d’une salle.

Le thème de l’accouchement apparaît : la naissance de la Vierge en est le prétexte. Servantes, commères, sages-femmes s’affairent dans la chambre autour du lit de l’accouchée. Le thème de la mort aussi, de la mort en chambre, où l’agonisant lutte dans son lit pour son salut.

La représentation plus fréquente de la chambre, de la salle, correspond à une tendance nouvelle du sentiment tourné désormais vers l’intimité de la vie privée. Les scènes d’extérieur ne disparaissent pas certes, et donneront naissance au paysage, mais les scènes d’intérieur deviennent plus nombreuses, plus originales, et caractériseront la peinture de genre pendant toute sa durée. La vie privée, refoulée au Moyen Age, va envahir l’iconographie, en particulier dans la peinture et la gravure de l’Occident, au XVIe et surtout au XVIIe siècle : la peinture hollandaise et flamande, la gravure française témoignent de l’extraordinaire puissance de ce sentiment, auparavant inconsistant ou négligé. Sentiment si moderne déjà, que nous avons peine à comprendre combien il était nouveau.

Cette énorme illustration de la vie privée pourrait se classer en deux groupes : celui de la galanterie, de la bamboche, en marge de la vie sociale, dans le monde interlope des gueux, dans les tavernes, les bivouacs, chez les bohémiens, les vagabonds — nous le négligerons car il est ici, hors de notre sujet — et son autre face, celui de la vie de famille. Si on parcourt les recueils d’estampes ou les galeries de peintures du XVIe-XVIIe siècle, on est frappé de cette véritable marée d’images familiales. Ce mouvement culmine dans la peinture pendant la première moitié du XVIIe siècle en France, mais pendant tout le siècle et au-delà en Hollande. Il persiste en France au cours de la seconde moitié du XVIIe siècle, dans la gravure, les gouaches des éventails peints, réapparaît au XVIIIe siècle dans la peinture et durera au XIXe siècle jusqu’à la grande révolution esthétique qui bannira de l’art la scène de genre.

Innombrables, aux XVIe et XVIIe siècles, les portraits de groupes. Quelques-uns sont des portraits de confrérie, de corporation. Mais la plupart représentent une famille réunie. On les voit apparaître au cours du XVe siècle, avec les donateurs qui se font représenter modestement au rez-de-chaussée de la scène religieuse, hommage et signe de leur piété. Ils sont discrets d’abord, et au début ils sont aussi seuls. Bientôt ils amèneront à leurs côtés toute leur famille, les vivants et les morts : femmes et enfants défunts ont leur place. D’un côté l’homme et ses garçons, de l’autre la ou les femmes, chacune avec les filles de son lit.

L’étage des donateurs s’étend, en même temps qu’il se peuple, au détriment de la scène religieuse qui devient alors une illustration et presque un hors-d’œuvre. Le plus souvent elle se réduit aux saints patrons du père et de la mère, le saint du côté des hommes, la sainte du côté des femmes. Il convient d’observer la place prise par la dévotion aux saints patrons, qui font figure de protecteurs de la famille : il y a là l’indication d’un culte privé de caractère familial, comme celui de l’ange gardien, quoique ce dernier soit de caractère plus personnel et plus particulier à l’enfance.

Cette étape du portrait des donateurs et de la famille peut être illustrée de nombreux exemples du XVIe siècle : vitraux de la famille de Montmorency à Montfort-L’Amaury, à Montmorency, Écouen ; nombreux tableaux accrochés en ex-voto aux piliers et aux murs des églises allemandes ; plusieurs sont encore en place dans les églises de Nuremberg. Bien d’autres peintures souvent naïves et maladroites ont abouti aux musées régionaux d’Allemagne et de Suisse alémanique. Les familles d’Holbein sont fidèles à ce style14. Il semble bien que les Allemands soient restés plus longtemps attachés à cette forme du portrait religieux de famille, destiné aux églises ; il apparaît comme une forme bon marché du vitrail de donateurs, plus ancien, et il annonce les ex-voto plus anecdotiques et pittoresques du XVIIIe et du début du XIXe siècle, qui mettent en scène, non pas la réunion familiale des vivants et des morts, mais l’événement miraculeux qui a sauvé un individu ou un membre de la famille : naufrage, accident, maladie… Le portrait de famille est aussi une manière d’ex-voto.

La sculpture funéraire anglaise à l’époque élisabéthaine fournit un autre exemple du portrait de famille au service d’une forme de dévotion. Cet exemple est d’ailleurs spécifique et ne se retrouve pas avec la même fréquence et la même banalité en France, en Allemagne ou en Italie. Beaucoup de tombes anglaises des XVIe et XVIIe siècles réunissent toute la famille autour du défunt en bas-relief, ou en ronde-basse : l’insistance mise à l’énumération des enfants, vivants ou morts, est très frappante. Plusieurs de ces tombes encombrent toujours l’abbaye de Westminster : Sir Richard Pecksall, mort en 1571, figure entre ses deux femmes, et à la base du monument on a sculpté quatre petits personnages : ses quatre filles. De chaque côté de la gisante, Margaret Stuart, morte en 1578, on voit ses garçons et ses filles. Sur la tombe d’une autre gisante, Winifred marquise de Winchester, morte en 1586, veille son mari, agenouillé, représenté à une échelle réduite, et à côté, il y a une minuscule tombe d’enfant.

Sir John et lady Puckering, morte en 1596, sont étendus côte à côte, au milieu de leurs huit filles. Les époux Norris (1601) sont agenouillés au milieu de leurs six fils.

A Holdham, on compte 21 petites figures sur le tombeau de John Coke (1639), alignés comme sur les portraits de donateurs, et ceux qui sont morts portent une croix dans leurs mains. Sur la tombe de Cope d’Ayley à Hambledone (1633) les quatre garçons et les trois filles se tiennent devant leurs parents agenouillés ; parmi eux, un garçon et une fille tiennent une tête de mort.

A Westminster, la duchesse de Buckingham fit ériger en 1634 le tombeau de son mari, assassiné en 1628 ; les deux époux sont sculptés en gisants, au milieu de leurs enfants15.

Ces représentations allemandes et anglaises prolongent des aspects encore médiévaux du portrait de famille. Dès le XVIe siècle, celui-ci s’est libéré de sa fonction religieuse. Tout se passe comme si le rez-de-chaussée des tableaux de donateurs avait envahi toute la toile, et en avait chassé l’image religieuse, soit qu’elle ait complètement disparu, soit que son souvenir persistât dans une petite image pieuse pendue au mur de fond du tableau. La tradition de l’ex-voto est encore présente dans un tableau du Titien, peint vers 156016 : les membres mâles de la famille Cornaro — un vieillard, un homme d’âge mûr à barbe grise, un homme jeune à barbe noire (la barbe, sa forme et sa couleur sont des indices d’âge) et six enfants dont le plus petit joue avec un chien — sont groupés autour d’un autel. Il peut arriver aussi que le portrait de famille adopte la forme matérielle, la présentation du tableau d’église : on conserve au Victoria and Albert Museum un triptyque de 1628 qui représente sur le volet du milieu un petit garçon et une petite fille, et sur les deux autres volets, les deux parents17. Ces tableaux ne sont plus destinés aux églises, ils décorent désormais les intérieurs privés et cette laïcisation du portrait de famille est certainement un phénomène important : la famille se contemple elle-même chez l’un de ses parents. On éprouve le besoin de fixer l’état de cette famille, en rappelant aussi parfois le souvenir des disparus : une image ou une inscription sur le mur.

Ces portraits de famille sont très nombreux, et il serait inutile de les relever ; la liste serait longue et monotone. On les trouve aussi bien en Flandre qu’en Italie, avec Titien, Pordenone, Véronèse, en France avec Le Nain, Lebrun, Tournier, en Angleterre, en Hollande avec Van Dyck, aux XVIe, XVIIe et même encore début du XVIIIe siècle. Ils doivent être à cette époque aussi nombreux que les portraits individuels. On a beaucoup dit que le portrait révélait un progrès de l’individualisme. Peut-être ; mais il est remarquable qu’il traduise surtout l’immense progrès du sentiment de la famille.

Les membres de la famille sont d’abord groupés assez sèchement, comme sur les tableaux de donateurs, comme sur la gravure des âges de la vie du Grand Propriétaire ou la miniature du musée Saint-Raimond. Même quand ils sont plus animés, ils « posent » dans une attitude plutôt solennelle, et destinée à souligner le lien qui les unit. Dans cette toile de P. Pourbus18, le mari appuie sa main gauche sur l’épaule de sa femme ; à leurs pieds, l’un des deux enfants répète le même geste sur l’épaule de sa petite sœur. Sébastien Leers se fait peindre par Van Dyck tenant la main de sa femme19. Dans une toile du Titien20 trois hommes barbus entourent un enfant, seule note claire au milieu des costumes noirs, et l’un d’eux le désigne du doigt : l’enfant est au centre de la composition. Toutefois beaucoup de ces portraits ne cherchent pas à trop animer leurs personnages : les membres de la famille sont juxtaposés, parfois liés par des gestes qui expriment leur sentiment réciproque, mais sans qu’ils participent à une action commune. C’est le cas de la famille de Pordenone, de la galerie Borghèse — le père, la mère, sept enfants — et encore de la famille Pembroke de Van Dyck21 : le comte et la comtesse sont assis, les autres personnages sont debout ; à droite un couple, sans doute le ménage d’un enfant marié, à gauche, deux adolescents très élégants (l’élégance est un signe de l’adolescence mâle, elle s’atténue avec le sérieux de la maturité), un écolier tient son livre sous le bras, deux autres garçons plus jeunes.

Mais on commence, vers le milieu du XVIe siècle, à représenter la famille autour d’une table chargée de fruits : famille Van Berchaun de Floris, 1561, ou la famille Anselme de Martin de Vos, 157722. Ou bien la famille s’est arrêtée de manger pour faire de la musique : il ne s’agit pas, nous le savons, d’un artifice du peintre, les repas se terminaient souvent par un concert, ou étaient coupés d’une chanson. La famille qui pose devant l’artiste, avec plus ou moins de maniérisme, va demeurer dans l’art français jusqu’au début du XVIIIe siècle au moins, avec Tournier, Largillière. Mais, sous l’influence en particulier des Hollandais, le portrait de famille sera très souvent traité comme une scène de genre : le concert après le repas est l’un des thèmes que les Hollandais vont multiplier. Dès lors la famille est saisie dans un instantané, sur le vif, à un moment de sa vie quotidienne23 : les hommes sont réunis autour de l’âtre ; une femme tire un chaudron du feu ; une fillette donne à manger à son petit frère. Désormais il est difficile de distinguer un portrait de famille d’une scène de genre qui évoque la vie familiale.

 

 

 

Pendant la première moitié du XVIIe siècle, les vieilles allégories médiévales sont aussi entraînées par cette contamination générale, et sont traitées, sans égard aux traditions iconographiques, comme des illustrations de la vie familiale. Nous avons déjà vu comment les choses se sont passées, à propos des calendriers. Les autres allégories classiques se sont modifiées dans le même sens. Au XVIIe siècle, les âges de la vie deviennent des prétextes à des images de la vie familiale. Abraham Bosse a gravé les quatre âges de l’homme, l’enfance est évoquée par ce que nous appellerions une nursery : un bébé au berceau, veillé par une sœur attentive, un enfant en robe tenu debout dans une sorte de parc à roulettes (instrument très fréquent du XVe au XVIIIe siècle), une fillette avec sa poupée, un garçon avec un moulinet en papier, et deux plus grands garçons prêts à s’empoigner, l’un d’eux a jeté par terre son chapeau et son manteau. La virilité est illustrée par le repas qui réunit toute la famille autour de la table, scène analogue à celle de maints portraits et qui sera souvent répétée dans la gravure française comme dans la peinture hollandaise. C’est l’esprit de la gravure des âges dans le Grand Propriétaire du milieu du XVIe siècle, de la miniature du musée Saint-Raimond de Toulouse. L’âge viril, c’est toujours la famille. Humblot24 ne l’a pas rassemblé autour de la table à manger, mais dans le cabinet du père, un riche négociant chez qui s’entassent les ballots de marchandises et s’alignent les sacs à procès. Le père fait ses comptes, la plume à la main avec l’aide de son fils qui se tient derrière, à ses côtés sa femme s’occupe de leur petite fille ; un jeune serviteur rentre, la hotte pleine de provisions, sans doute de retour de la maison des champs. A la fin du XVIIe siècle, une gravure de F. Guérard reprend le même thème. Le père — plus jeune que dans la gravure de Humbelot-Huart — montre par la fenêtre le port, les quais et les navires, source de sa fortune. Dans la pièce, près de la table où il fait ses comptes et où sont posés sa bourse, des jetons et un boulier, sa femme berce un poupon emmailloté et surveille un autre enfant en robe. La légende donne bien le ton et souligne l’esprit de cette iconographie :

La famille est mise sur le même plan que Dieu et le Roy. Ce sentiment n’a rien pour nous étonner, hommes du XXe siècle, mais il était nouveau à l’époque et son expression doit nous surprendre. Le même Humbelot illustrera le même thème en dessinant une jeune femme qui montre son sein à un enfant grimpé derrière elle. N’oublions pas qu’on sevrait très tard au XVIIe siècle. Ou bien c’est encore, toujours chez Guérard, la maîtresse de maison avec ses clés et ses enfants, qui donne ses ordres à une servante26.

Les autres allégories se ramènent aux mêmes scènes de famille. L’odorat, chez un Hollandais du début du XVIIe siècle, — l’un des cinq sens — est représenté par la scène, désormais banale, de la toilette de l’enfant nu au moment où la mère torche son petit derrière27.

Abraham Bosse symbolise aussi l’un des quatre éléments, la terre, par une image de la vie familiale : dans un jardin, une nourrice tient un enfant en robe ; ses parents, qui le contemplent avec tendresse de l’entrée de la maison, s’amusent à lui jeter des fruits — les fruits de la terre.

Même les Béatitudes donnent le jeu à des évocations de la vie de famille : chez Bonnard-Sandrart28 la Ve Béatitude est devenue le pardon de la mère à ses enfants, pardon qu’elle sanctionne par une distribution de friandises, c’est déjà la bêtification familiale du XIXe siècle.

Dans l’ensemble, la scène de genre moderne est née de l’illustration d’allégories traditionnelles, médiévales. Mais désormais, la distance est trop grande entre le thème ancien et son expression nouvelle. On oublie l’allégorie des saisons et de l’hiver devant la veillée de Stella, avec d’un côté de la grande salle le souper des hommes, et de l’autre autour de l’âtre, les femmes qui filent ou tressent le jonc, les enfants qui jouent ou qu’on lave. Ce n’est plus l’hiver, c’est la veillée. Ce n’est plus la virilité ou le troisième âge, c’est la réunion de famille. Une iconographie originale est née, étrangère aux vieux thèmes délaissés dont elle a été d’abord l’illustration. Le sentiment de famille constitue son inspiration essentielle, très différente de celle des anciennes allégories. Il serait facile de dresser un catalogue des sujets répétés à satiété : la mère veille sur l’enfant au berceau29, on l’allaite30 — la femme fait la toilette de l’enfant — la mère enlève les poux de la tête de son enfant (opération très banale et qui n’était d’ailleurs pas réservée aux enfants, Samuels Pepys s’y soumettait31) — l’enfant au berceau que son petit frère, ou sa petite sœur essaie de regarder en se dressant sur la pointe des pieds —, l’enfant à la cuisine ou au cellier, avec un valet ou une servante32 — l’enfant qui va faire les emplettes chez un marchand : ce sujet, fréquent dans la peinture hollandaise33, a été traité aussi par les graveurs français, au milieu du siècle par Abraham Bosse (chez le pâtissier), à la fin du siècle par Le Camus (chez le cabaretier, marchand de vin), mais c’est l’esprit de cette imagerie qu’il faut bien comprendre. Une toile de Le Nain représente le paysan fatigué qui s’est assoupi. Sa femme fait chut aux deux enfants en leur montrant le père qui repose et qu’il ne faut pas réveiller : c’est déjà un Greuze, non par la peinture ou le style, certes ! mais par l’inspiration sentimentale. L’action est centrée sur l’enfant. D’après Peter de Hooch34 : on est réuni pour déjeuner, le père boit assis. Un petit enfant de deux ans environ est debout sur une chaise ; il porte le chapeau rond capitonné d’usage à cet âge où la démarche était mal affermie, pour le protéger dans ses chutes. Une femme (la servante ?) le soutient d’une main et de l’autre présente un verre de vin à une autre femme (la mère ?) qui y trempe un biscuit. Elle va donner le biscuit trempé au perroquet, exprès pour amuser l’enfant, et le divertissement de l’enfant au sein de la famille dont il assure ainsi l’unité, tel est bien le vrai sujet du peintre, le sens de son anecdote. Le sentiment de famille, qui émerge ainsi aux XVIe-XVIIe siècles, est inséparable du sentiment de l’enfance. L’intérêt porté à l’enfance, que nous avons analysé au début de ce livre, n’est qu’une forme, une expression particulière de ce sentiment plus général, le sentiment de la famille.

 

 

 

L’analyse iconographique nous porte à admettre que le sentiment de la famille était inconnu au Moyen Age, qu’il est né au XVe-XVIe siècle, pour s’exprimer avec une vigueur définitive au XVIIe. Il est tentant de rapprocher de cette hypothèse les observations des historiens de la société médiévale.

L’idée essentielle des historiens du droit et de la société est que les liens du sang ne constituaient pas un seul mais deux groupes, distincts quoique concentriques : la famille ou mesnie qu’on peut comparer à notre famille conjugale moderne, et le lignage qui étendait sa solidarité à tous les descendants d’un même ancêtre. Il y aurait, plus que distinction, opposition entre la famille et le lignage, les progrès de l’une provoquant l’affaiblissement de l’autre, au moins chez les nobles. La famille ou mesnie, si elle ne s’étend jamais à tout un lignage, comprend, parmi les membres qui résident ensemble, plusieurs éléments, et parfois plusieurs ménages : ceux-ci vivent sur un patrimoine qu’on a répugné à diviser, selon un mode de jouissance appelé frereche ou fraternitas. La frereche groupe autour des parents ceux des enfants qui n’ont pas de biens propres, des neveux ou cousins célibataires. Cette tendance à l’indivision de la famille, qui d’ailleurs ne durait guère au-delà de deux générations, a donné naissance aux théories traditionalistes du XIXe siècle sur la grande famille patriarcale.

La famille conjugale moderne serait la conséquence d’une évolution qui aurait, à la fin du Moyen Age, affaibli le lignage et les tendances à l’indivision.

En fait, l’histoire des relations entre le lignage et la famille est plus compliquée. Elle a été suivie par G. Duby dans le Mâconnais, depuis le IXe siècle jusqu’au XIIIe siècle inclus35.

Dans l’Etat franc, écrit G. Duby, « la famille du Xe siècle est selon toute apparence une communauté réduite à sa plus simple expression, la cellule conjugale, dont la cohésion se prolonge parfois un moment après la mort des parents, dans les frereches ; les liens sont lâches. C’est qu’ils sont inutiles : les organes de paix du vieil état franc sont encore assez vigoureux pour permetre à l’homme libre de vivre indépendant et de préférer, s’il le veut, la compagnie de ses voisins et de ses amis à celle de ses parents ».

La solidarité lignagère et l’indivision du patrimoine se développent au contraire à la faveur de la dissolution de l’Etat : « Après l’an mil, la nouvelle répartition des pouvoirs de commandement oblige les hommes à se grouper plus étroitement. » Le resserrement des liens du sang, qui se produit alors, répond à un besoin de protection, comme ces autres formes de relations humaines et de dépendances : l’hommage vassalique, la seigneurie banale, la communauté villageoise. « Trop indépendants, mal défendus contre certains dangers, les chevaliers cherchent refuge dans la solidarité lignagère. »

On constate en même temps, en ces XIe-XIIe siècles mâconnais, le progrès de l’indivision. A cette époque remonte l’indivision entre les biens des deux conjoints qui, au Xe siècle, n’étaient pas encore fondus dans une masse commune, administrée par le mari : au Xe siècle, le mari et la femme géraient chacun leurs biens héréditaires, acquéraient et vendaient séparément sans que le conjoint ait son mot à dire.

L’indivision fut aussi plus souvent étendue aux enfants, privés d’avances d’hoiries : « Agrégation prolongée dans la maison paternelle et sous l’autorité de l’ancêtre, des descendants dépourvus de tout pécule personnel et de toute indépendance économique. » L’indivision subsistait souvent après la mort des parents : « Il faut se représenter ce qu’est alors la maison chevaleresque, rassemblant sur le même domaine, dans la même “cour” une dizaine, une vingtaine de maîtres, deux ou trois couples avec les enfants, les frères et les sœurs célibataires et l’oncle chanoine qui vient de temps en temps et qui prépare la carrière de tel ou tel de ses neveux. » La frereche ne dura guère au-delà de la seconde génération, mais même après la divisio du patrimoine, le lignage conserva sur l’ensemble du patrimoine divisé un droit collectif : la laudatio parentum, le retrait lignager.

Cette description vise surtout la famille chevaleresque, on peut déjà dire la famille noble. G. Duby suppose que la famille paysanne a moins connu ce resserrement des liens du sang parce que les paysans avaient rempli autrement que les nobles le vide laissé par la dissolution de l’Etat franc : la tutelle du seigneur s’était tout de suite substituée à la protection des pouvoirs publics, et bientôt la communauté villageoise avait fourni aux paysans un cadre d’organisation et de défense autre que la famille. La communauté villageoise aurait joué chez les paysans le rôle du lignage chez les nobles.

Au cours du XIIIe siècle, la situation se renversa une autre fois. Les formes nouvelles d’économie monétaire, l’extension de la fortune mobilière, la fréquence des transactions, et en même temps, les progrès de l’autorité du prince (roi capétien ou chef d’une grande principauté) et de la sécurité publique provoquèrent une contraction des solidarités lignagères et l’abandon des indivisions patrimoniales. La famille conjugale redevint indépendante. Toutefois, on n’est pas revenu, dans la classe noble, à la famille lâche du Xe siècle. Le père a maintenu et même accru l’autorité que lui avait donnée aux XIe et XIIe siècles, la nécessité de maintenir l’intégrité du patrimoine indivis. Nous savons, d’autre part, qu’à partir de la fin du Moyen Age, la capacité de la femme n’a cessé de diminuer. C’est aussi au XIIIe siècle, en Mâconnais, que le droit d’aînesse s’est étendu dans les familles nobles. Il a remplacé l’indivision, devenue plus rare, pour la sauvegarde du patrimoine et de son intégrité. La substitution du droit d’aînesse à l’indivision et à la communauté des ménages paraît à la fois le signe de l’importance reconnue à l’autorité paternelle et de la place prise dans la vie quotidienne par le groupe du père et des enfants.

Georges Duby conclut : « En réalité, la famille est le premier refuge où l’individu menacé vient se mettre à l’abri pendant les défaillances de l’Etat. Mais dès que les institutions politiques lui permettent des garanties suffisantes, il esquive la contrainte familiale et les liens du sang se relâchent. L’histoire du lignage est une succession de contraction et de détente dont le rythme subit les modifications de l’ordre politique. »

L’opposition entre famille et lignage est moins marquée chez G. Duby que chez d’autres historiens du droit. Il s’agit moins d’une substitution progressive de la famille au lignage — qui paraît en effet plutôt une vue de l’esprit — que de la dilatation ou de la contraction des liens du sang, tantôt étendus à tout le lignage ou aux membres de la. frereche, tantôt réduits au ménage. On a bien l’impression que le lignage était seul capable d’exalter les puissances du sentiment, de l’imagination. C’est pourquoi il a laissé tant de traces dans la littérature chevaleresque. La communauté familiale réduite a au contraire une vie obscure qui échappe aux historiens. Mais cette obscurité a un sens. Dans le monde des sentiments et des valeurs, la famille ne comptait pas autant que le lignage. On pourrait dire que le sentiment du lignage était le seul sentiment de caractère familial connu du Moyen Age. Or il apparaît très différent du sentiment de famille, tel qu’on l’a vu se dégager de l’iconographie des XVIe-XVIIe siècles. Il s’étend aux liens du sang sans égard aux valeurs nées de la cohabitation et de l’intimité. Le lignage n’est jamais réuni dans un espace commun, autour d’une même cour. Rien de comparable à la Zadrouga serbe. Les historiens du droit reconnaissent qu’il n’y a pas de traces de grandes communautés taisibles en France avant le XVe siècle. Au contraire, le sentiment de famille est lié à la maison, au gouvernement de la maison, à la vie dans la maison. Son charme n’a pas été connu du Moyen Age, parce qu’il avait de la famille une conception particulière : le lignage.

A partir du XIVe siècle, on assiste au contraire à la mise en place de la famille moderne. L’évolution, bien connue, a été clairement résumée par M. Petot36 : « Dès le XIVe siècle, on assiste à une dégradation progressive et lente de la situation de la femme dans le ménage. Elle perd le droit de se substituer au mari absent ou fou… Finalement, au XVIe siècle, la femme mariée devient une incapable et tous les actes qu’elle ferait sans être autorisée par le mari ou par justice, seraient radicalement nuls. Cette évolution renforce les pouvoirs du mari, qui finit par exercer une sorte de monarchie domestique. » « La législation royale s’est attachée depuis le XVIe siècle à renforcer la puissance paternelle en ce qui concerne le mariage des enfants. » « Tandis que s’affaiblissaient les liens du lignage, l’autorité du mari dans la maison devenait plus forte, là femme et les enfants y étaient plus strictement assujettis. Ce double mouvement dans la mesure où il fut l’œuvre inconsciente et spontanée de la coutume, manifeste certainement un changement des mœurs et des conditions sociales… » On reconnaissait désormais à la famille la valeur qu’on attribuait autrefois au lignage. Elle devenait la cellule sociale, la base des Etats, le fondement du pouvoir monarchique. Nous allons voir maintenant la place que lui attribuait la piété commune.

 

 

 

L’exaltation médiévale du lignage, de son honneur, de la solidarité entre ses membres, était un sentiment spécifiquement laïque que l’Eglise ignorait, quand elle ne s’en méfiait pas. Le naturalisme païen des liens du sang pouvait lui répugner. En France, où elle accepta l’hérédité des rois, il est remarquable qu’elle l’ait passée sous silence dans la liturgie du sacre.

D’ailleurs le Moyen Age ne connaissait pas le principe moderne de sanctification de la vie laïque, ou bien il ne l’admettait que dans des cas exceptionnels : le saint roi — mais le roi était consacré — le bon chevalier — mais le chevalier avait été initié à la suite d’une cérémonie devenue religieuse. Le mariage sacramental aurait pu anoblir l’union conjugale, lui donner une valeur spirituelle, ainsi qu’à la famille. En fait c’est tout juste si le sacrement légitimait le mariage. Celui-ci resta longtemps seulement un contrat. La cérémonie, si on en croit les représentations figurées, n’avait pas lieu à l’intérieur de l’église, mais à l’entrée seulement, devant le porche. Quel que fût le point de vue théologique, le commun des prêtres, au contact de leurs ouailles, devait partager l’opinion du curé de Chaucer selon laquelle le mariage était un pis-aller, une concession à la faiblesse de la chair37. Il n’enlevait pas à la sexualité son impureté essentielle. Certes, cette réprobation n’allait pas jusqu’à la condamnation de la famille et du mariage à la manière des cathares méridionaux, mais elle manifestait une méfiance à l’égard de toute l’œuvre de chair. Ce n’était pas dans la vie laïque que l’homme pouvait se sanctifier ; l’union sexuelle, bénie par le mariage, cessait alors d’être un péché, sans plus. D’autre part, l’autre grand péché des laïques, le péché d’usure, le guettait dans ses activités temporelles. Le laïque n’avait d’autres ressources pour assurer son salut, que d’abandonner complètement le monde et d’entrer dans la vie religieuse. A l’ombre du cloître, il pouvait réparer les fautes de son passé profane.

Il fallut attendre la fin du XVIe siècle, le temps de la philothée de saint François de Sales, ou, au XVIIe siècle, l’exemple des messieurs de Port-Royal, et plus généralement de tous ces laïcs engagés dans de hautes activités religieuses, théologiques, spirituelles, mystiques, pour qu’on admît la possibilité d’une sanctification en dehors de la vocation religieuse, dans la pratiques des devoirs d’État.

Pour qu’une institution naturelle aussi liée à la chair que la famille devînt l’objet d’une dévotion, cette réhabilitation de l’état laïc était nécessaire. Les progrès du sentiment de famille et ceux de la promotion religieuse du laïque ont suivi des chemin parallèles. Car le sentiment moderne de la famille — à la différence du sentiment médiéval du lignage — a pénétré la piété commune. Le signe le plus ancien, encore très discret, de cette piété, apparaît dans l’habitude prise par les donateurs de tableaux ou de vitraux d’église, de grouper autour d’eux toute leur famille, et plus encore, dans la coutume plus tardive, d’associer la famille au culte du saint patron. Au XVIe siècle, il était fréquent d’offrir en ex-voto les saints patrons du mari et de la femme, entourés des époux eux-mêmes et de leurs enfants. Le culte des saints patrons devint un culte de famille.

L’influence du sentiment de famille se reconnaît aussi dans la manière nouvelle, surtout au XVIIe siècle, d’illustrer le mariage ou le baptême. A la fin du Moyen Age, les miniaturistes représentent la cérémonie religieuse elle-même, telle qu’elle se déroulait à l’entrée de l’église : par exemple, le mariage du roi Cosius et de la reine Sabinède dans la vie de sainte Catherine, le prêtre enroule l’étole autour des mains des deux époux ; mariage de Philipppe de Macédoine38, du même Guillaume Vrelaut, dans l’histoire du bon roi Alexandre : derrière le prêtre, on devine sur le tympan de la porte de l’église, une scène sculptée où le mari bat sa femme ! Aux XVIe et XVIIe siècles on ne représentait plus la cérémonie du mariage — sinon celui des rois et des princes. On s’attachait au contraire à évoquer plutôt les à-côtés familiaux de la fête, quand parents, amis et voisins sont réunis autour des époux. Déjà avec Gérard David (les Noces de Cana du Louvre), le banquet de noces. Ailleurs, ce sera le cortège qui accompagne les époux : chez Stella39 la mariée au bras de son père, suivie d’un groupe d’enfants, se rend à l’église devant laquelle l’attend son fiancé. Chez Molinier40, la cérémonie est terminée et le cortège quitte l’église : à gauche le marié entre ses garçons d’honneur, à droite la mariée couronnée (mais pas encore en blanc : la couleur de l’amour est toujours le rouge comme pour les ornements sacerdotaux), entre ses demoiselles d’honneur, au son des cornemuses, une fillette jette des pièces de monnaie devant la mariée. Des recueils gravés de « coutumes d’habits » ou « diversités d’habits » de la fin du XVIe ou début du XVIIe siècle, décrivent souvent l’époux ou l’épouse avec ses garçons ou filles d’honneur : le costume du mariage devint alors plus spécifique (sans être encore l’uniforme blanc du XIXe siècle à nos jours), au moins par quelques signes. On s’attachait à présenter ces détails comme caractéristiques des mœurs d’un pays.

Enfin, toutes les petites scènes grivoises du folklore entrèrent dans l’iconographie : le coucher des mariés ou le lever de l’accouchée.

De même, à la cérémonie du baptême, préférait-on désormais les réunions traditionnelles à la maison : le verre qu’on boit au retour de l’église tandis qu’un garçon joue de la flûte, la visite des voisines à l’accouchée. Ou des coutumes folkloriques plus difficiles à identifier, comme cette scène de Molenaer41 : une femme porte un enfant au milieu de grosses plaisanteries, les dames de l’assistance couvrent leur tête de leur robe.

Il ne convient pas d’interpréter ce goût des fêtes mondaines ou folkloriques, d’où la grivoiserie n’est pas absente pas plus qu’elle ne l’était du langage des gens de bien, comme un signe d’indifférence religieuse : l’accent est seulement mis sur le caractère familial et social plutôt que sacramental. Dans les pays du Nord où les thèmes de la famille sont si répandus, une peinture très significative de J. Steen42 nous montre la nouvelle interprétation familiale du folklore ou de la piété traditionnelle. Nous avons eu l’occasion de souligner l’importance, dans les mœurs de l’Ancien Régime, des grandes fêtes collectives nous avons insisté sur la part qu’y prenaient les enfants, mêlés aux adultes ; toute une société diverse était réunie, heureuse d’être ensemble. Mais la fête qu’évoque Steen n’est plus exactement l’une de ces fêtes de la jeunesse, où les enfants se comportaient un peu comme les esclaves le jour des saturnales, où ils jouaient un rôle fixé par la coutume à côté des adultes. Ici au contraire, les grandes personnes ont organisé la fête pour amuser les enfants : c’est la Saint-Nicolas ; saint Nicolas : ancêtre de notre Père Noël. Steen saisit la scène au moment où les parents aident les enfants à découvrir les jouets qu’ils ont cachés dans les coins de la maison à leur intention. Quelques-uns ont déjà trouvé. Des petites filles tiennent des poupées. D’autres portent des seaux remplis de jouets, des souliers traînent : les jouets étaient-ils déjà cachés dans des souliers, ces souliers que les enfant du XIXe et du XXe siècle mettront devant la cheminée, le soir de Noël ? Ce n’est plus une grande fête collective, mais une fête de la famille dans son intimité ; et par conséquent, ce resserrement sur la famille se continue par une contraction de la famille autour des enfants. Les fêtes de la famille deviennent des fêtes de l’enfance. Aujourd’hui, Noël est devenu la plus grande fête, on pourrait dire la seule fête de l’année, commune aux incroyants comme aux croyants. Elle n’avait pas cette importance dans les sociétés d’Ancien Régime, elle souffrait de la concurrence de la fête des Rois, trop proche. Mais l’extraordinaire succès de Noël dans les sociétés industrielles contemporaines qui répugnent de plus en plus aux grandes fêtes collectives est dû au caractère familial qui lui a valu le transfert à son profit de la Saint-Nicolas : la peinture de Steen nous montre que dans la Hollande du XVIIe siècle, on fêtait déjà la Saint-Nicolas, comme le « Père Noël » — ou le « petit Jésus » — dans la France d’aujourd’hui, avec le même sentiment moderne de l’enfance et de la famille, de l’enfance dans la famille.

Un thème nouveau illustre d’une manière plus significative encore la composante religieuse du sentiment de famille : le Bénédicité. Depuis très longtemps, la « courtoisie » voulait qu’à défaut de prêtre, un jeune garçon bénisse la table, au début du repas. Des textes manuscrits du XVe siècle, publiés par F. J. Furnival dans un recueil intitulé Babees Book, énumèrent les règles très strictes de la conduite à table : « Les convenances de la table », « la manière de se contenir à table43 ». « Enfant, dy benedicite… Enfant quand tu seras aux places où aucun prélat d’église est, laisse luy dire, s’il lui plaît, tant benedicite que grâces. Enfant, se prélat ou seigneur te dit de son autorité que dise benedicite, fais-le hardiment, c’est honneur. » Nous savons qu’alors, le mot enfant désignait aussi bien des petits enfants que de plus grands garçons. Au contraire, les manuels de civilité du XVIe siècle réservent le soin de dire le bénédicité non pas à n’importe lequel des enfants, mais au plus jeune : la civilité puérile et honnête de Mathurin Cordier fixe ce rôle, maintenu dans les éditions remaniées postérieures ; ainsi une édition de 176144 précise toujours que le devoir de bénir la table « appartient aux ecclésiastiques, s’il y en a, ou à leur défaut, au plus jeune de la compagnie ». « Achevé qu’il aura de servir après le repas, lit-on dans la Civilité nouvelle45 de 1671, c’est une parfaite et véritable civilité de faire révérence à la compagnie et ensuite dire les grâces. » Et les Règles de la bienséance et de la civilité chrétienne de saint Jean-Baptiste de La Salle46 : « Lorsqu’il y a quelqu’enfant, il arrive souvent qu’on lui donne la commission de s’acquitter de cette fonction » (de bénir la table). Vivès, dans ses Dialogues47 décrit un grand repas. « Le maistre de la maison, selon son droit, ordonna les places. La prière fut faite par un petit enfant, brièvement, curieusement, et en rhime :

Ce qui est mis et sera ci-dessus

Tant soit bénit par le nom de Jésus. »

Ce n’est donc plus à un jeune garçon de la compagnie, mais au plus petit enfant de la maison que revient l’honneur du bénédicité. On reconnaîtra là un signe de la promotion de l’enfance au XVIe siècle dans le sentiment, mais il est important qu’il soit associé à la principale prière familiale, pendant longtemps la seule prière dite en commun par la famille réunie. A cet égard, les extraits de traités de civilité sont moins démonstratifs que l’iconographie. A partir de la fin du XVIe siècle, la scène du bénédicité devient un des thèmes fréquents de la nouvelle iconographie que nous avons tenté de distinguer. Prenons cette gravure de Merian48. Il s’agit d’un portrait de famille à table, fidèle à une convention déjà ancienne : le père et la mère, assis sur des fauteuils et leurs cinq enfants. Une servante apporte un plat, la porte est restée ouverte sur la cuisine. Mais le graveur a saisi le moment où un petit garçon en robe, appuyé sur les genoux de sa mère, ses mains jointes, récite le Bénédicité : le reste de la famille écoute la prière, la tête découverte et les mains jointes.

Une autre gravure d’Abraham Bosse49 représente la même scène, dans une famille protestante. Antoine Le Nain50 réunit une femme et ses trois enfants pour le repas : l’un des garçons est debout et dit les grâces. Lebrun a traité le sujet à l’antique, en Sainte Famille. La table est servie ; le père, barbu, le bâton du voyageur à la main, est debout. La mère, assise, regarde avec tendresse l’enfant qui, les mains jointes, récite la prière. La composition a été répandue par la gravure comme une image pieuse51.

Il est normal que nous retrouvions le thème dans la peinture hollandaise du XVIIe siècle. Chez Steen52, le père est le seul qui soit assis : vieille coutume rurale, abandonnée depuis longtemps dans la bourgeoisie française. La mère le sert, ainsi que les deux enfants qui restent debout : le plus petit, âgé d’environ deux-trois ans, joint les mains et dit la prière. Chez Heemskerck53, deux vieillards assis, un homme plus jeune debout, sont attablés, ainsi qu’une femme, assise les mains jointes : près d’elle une petite fille répète la prière qu’elle lit sur les lèvres de sa mère. C’est toujours le même thème qu’on retrouve au XVIIIe siècle, dans le célèbre Bénédicité de Chardin.

L’insistance de l’iconographie donne à ce thème une valeur singulière. La récitation du bénédicité par l’enfant n’est plus une marque de civilité. On a aimé la représenter parce qu’on reconnaissait à cette prière, jadis banale, une signification nouvelle. Le thème iconographique évoquait et associait en une synthèse, trois puissances affectives : la piété, le sentiment de l’enfance (le plus petit enfant), le sentiment de la famille (la réunion à table). Le bénédicité est devenu le modèle de la prière dite en famille. Auparavant il n’y avait pas de cultes privés. Les livres de civilité parlent de la prière du matin (dans les collèges les internes la disaient en commun après la toilette54). Ils parlent déjà moins de celle du soir. Ils insistent plutôt, et cela est significatif, sur les devoirs envers les parents (les plus anciennes règles de courtoisie du XVe siècle ne parlaient pas des devoirs des enfants envers leurs parents, mais envers leurs maîtres) : « Les enfants, dit J.-B. de La Salle, ne doivent pas aller coucher qu’ils n’aient été auparavant saluer leur père et leur mère. » La civilité de Courtin de 167155 termine la soirée de l’enfant ainsi : « Il récitera ses leçons, dira le bonsoir à ses parents et maîtres, ira à ses nécessités, enfin, estant déshabillé, il se couchera en repos dans le lit pour dormir. »

C’est pourtant à cette époque qu’est née, à côté des prières privées, une prière publique familiale. Le bénédicité est l’un des actes de ce culte, et sa faveur iconographique prouve qu’il correspondait à une forme vivante de la piété. Ce culte familial s’est développé beaucoup dans les milieux protestants : en France, surtout après la révocation de l’édit de Nantes, il se substitua au culte public au point qu’après le retour à la liberté, les pasteurs de la fin du XVIIIe siècle éprouvèrent des difficultés à ramener au culte public les fidèles habitués à se contenter de leurs prières en famille. La célèbre caricature de Hogarth montre qu’au XVIIIe siècle, la prière du soir en commun, qui réunissait autour du père de famille les parents et les serviteurs, était devenue banale et conventionnelle. Il est probable que les familles catholiques ont suivi une évolution assez parallèle, qu’on y a aussi éprouvé le besoin d’une piété ni publique ni tout à fait individuelle, d’une piété familiale.

 

 

 

Nous avons décrit à l’instant le Bénédicité de Lebrun, popularisé par la gravure de Sarrabat : on s’est aperçu tout de suite que ce bénédicité est aussi une Sainte Famille, qu’il décrit la prière et le repas de la Vierge, de saint Joseph et de l’enfant Jésus. La scène de Lebrun appartient à la fois à deux séries de représentations, également fréquentes à l’époque parce qu’elles exaltaient l’une et l’autre le même sentiment. Il faut le reconnaître avec M. V. L. Tapié : « C’était à n’en pas douter le principe même de la famille qu’on associait à cet hommage rendu à la famille du Christ56. » Chaque famille était invitée à la considérer comme son modèle. Aussi l’iconographie traditionnelle s’est-elle modifiée sous la même influence qui accroissait l’autorité paternelle ; saint Joseph n’y tient plus le rôle effacé qu’on lui attribuait encore au XVe et au début du XVIe siècle. Il apparaît au premier plan, comme le chef de la famille sur cet autre repas de la Sainte Famille, dû à Callot, et également répandu par la gravure. « La Vierge, saint Joseph et l’enfant, commente E. Mâle, prennent le repas du soir : un flambeau posé sur la table oppose de vives lumières à de grandes ombres et donne à la scène un aspect mystérieux ; saint Joseph fait boire le petit enfant, attendrissant de sagesse, avec une serviette autour du cou57. » Ou encore ce thème qu’Emile Mâle appelle : « La Sainte Famille en marche » où l’enfant est placé entre Marie et Joseph. Je veux bien que les théologiens du temps y aient vu l’image de la Trinité, mais le sentiment commun s’en émouvait comme d’une exaltation de la famille.

L’autorité de saint Joseph est remarquable dans bien des scènes : sur une toile d’un peintre napolitain du XVIIe siècle58, il porte l’enfant dans ses bras et passe ainsi au centre de la composition, thème fréquent chez Murillo, Guido Reni. Il arrive que Joseph règne sur son atelier de menuisier, aidé par l’enfant59.

Chef de famille à table au moment des repas, à l’établi, aux heures de travail, saint Joseph l’est toujours à cet autre moment dramatique de la vie familiale, souvent représenté par les artistes, quand la mort le frappe. Saint Joseph, en devenant le patron de la bonne mort, garde son sens : l’image de sa fin ressemble à celle de la fin du père si souvent représentée dans les illustrations de la bonne mort, elle appartient à la même iconographie de la famille nouvelle.

Les autres saintes familles inspirent le même sentiment. Au XVIe siècle en particulier, on aima représenter réunies les enfances des saints contemporains du Christ, jouant ensemble. Une tapisserie allemande60 représente avec un pittoresque charmant les trois Maries entourées de leurs enfants qui folâtrent, se baignent, s’amusent. Ce groupe se retrouve souvent, en particulier dans un beau bois du début du XVIIe siècle à Notre-Dame la Grande, à Poitiers.

Le thème paraît évidemment lié au sentiment de l’enfance et de la famille. Ce lien est souligné avec insistance dans la décoration baroque de la chapelle de la Vierge, dans l’église franciscaine de Lucerne. Cette décoration est datée de 1723. La voûte est ornée de petits anges, très décemment vêtus dont chacun porte l’un des symboles de la Vierge, énumérés dans ses litanies (étoile de la mer, etc.). Sur les murs latéraux, les saints parents et enfants se tiennent par la main, en grandeur naturelle : saint Jean l’Evangéliste et Marie Salomé, saint Jacques le Majeur et Zébédée…

Les sujets de l’Ancien Testament servent aussi à illustrer cette dévotion. Le peintre vénitien Carlo Roth61 traite la bénédiction de Joseph par Jacob comme la scène, fréquente dans les Ages de la vie, du vieillard entouré de ses enfants, attendant la mort. Mais c’est surtout la famille d’Adam qui a été traitée à l’image d’une Sainte Famille. Sur une toile de Véronèse62 Adam et Eve se tiennent dans la cour de leur maison, au milieu de leurs animaux et de leurs enfants, Caïn et Abel. L’un tète sa mère, l’autre, plus petit, s’agite par terre. Adam, caché derrière un arbre afin de ne pas troubler ces ébats, regarde la scène. On le voit de dos. Sans doute peut-on justement trouver une intention théologique dans cette famille du « premier Adam », qui annonce le Christ, le second Adam. Mais cette intention savante se cache derrière une scène qui évoque les joies désormais consacrées de la famille.

Le thème se retrouve sur un plafond plus tardif du couvent San Martino, à Naples, sans doute du début du XVIIIe siècle : Adam bêche la terre — comme Joseph travaille le bois — Eve file — comme il arrive à la Vierge de coudre — et leurs deux enfants les entourent.

 

 

 

Ainsi l’iconographie nous permet-elle de suivre la montée d’un sentiment nouveau : le sentiment de la famille. Qu’on me comprenne bien. Nouveau, le sentiment, mais pas la famille, quoique celle-ci ne jouât sans doute pas aux origines le rôle primordial que lui attribuèrent Fustel de Coulanges et son temps. M. Jeanmaire a souligné en Grèce les survivances encore puissantes de structures non familiales comme les classes d’âge. Les ethnologues ont montré l’importance des classes d’âge chez les Africains, des communautés claniques chez les indigènes américains. Ne sommes-nous pas impressionnés à notre insu par la fonction que la famille a assurée dans nos sociétés depuis quelques siècles, et ne sommes-nous pas tentés de l’étendre indûment et même de lui reconnaître une sorte d’autorité historique presque absolue ? Il n’y a cependant aucun doute que les influences à la fois sémitiques (pas seulement bibliques, je pense) et romaines ne cessèrent d’entretenir et de renforcer la famille. Il se peut, par contre, qu’elle ait faibli au moment des invasions germaniques. Peu importe : il serait vain de contester l’existence d’une vie familiale au Moyen Age. Mais la famille subsistait dans le silence, elle n’éveillait pas un sentiment assez fort pour inspirer poète ou artistes. Il faut accorder à ce silence une signification considérable : on ne reconnaissait pas à la famille une valeur suffisante. De même faut-il attribuer un sens aussi remarquable à la floraison iconographique qui succède à partir du XVe et surtout du XVIe siècle à cette longue période d’obscurité : naissance et développement du sentiment de la famille. Désormais la famille est non seulement discrètement vécue, mais reconnue comme une valeur et exaltée par toutes les puissances de l’émotion.

Or ce sentiment si fort s’est formé autour de la famille conjugale, celle des parents et des enfants. Il est rare qu’une image réunisse plus de deux générations ; quand des petits-enfants ou des ménages mariés y prennent place, c’est très discrètement, comme chose sans importance. Rien qui rappelle l’ancien lignage, rien qui mette l’accent sur l’élargissement de la famille, sur la grande famille patriarcale, cette invention des traditionalistes du XIXe siècle. Cette famille, ou sinon la famille elle-même, du moins l’idée qu’on s’en faisait quand on voulait la représenter et l’exalter, paraît tout à fait semblable à la nôtre. Le sentiment est le même.

Aussi ce sentiment est-il très lié à celui de l’enfance. Il est de plus en plus étranger aux soucis d’honneur du lignage, ou d’intégrité du patrimoine ou d’antiquité ou de permanence du nom : il jaillit seulement de la réunion incomparable des parents et des enfants. L’une de ces expressions les plus communes sera l’habitude prise d’insister sur les ressemblances physiques entre les parents et leurs enfants. On pensait au XVIIe siècle que saint Joseph ressemblait à son fils adoptif, soulignant ainsi la force du lien familial. Erasme avait déjà cette idée très moderne que les enfants unissaient la famille et que leur ressemblance physique produisait cette union profonde ; on ne s’étonnera pas alors que son traité du Mariage fût réimprimé encore au XVIIIe siècle et je le citerai dans une traduction française de 1714 qui habille de manière piquante et quelque peu anachronique la prose de la Renaissance63 : « L’on ne peut dans cette occasion trop admirer le soin surprenant de la Nature ; elle dépeint deux personnes dans un même visage et dans un même corps ; le mari reconnaît le portrait de sa femme dans ses enfants, et la femme, celui de son mari. Quelquefois on y trouve la ressemblance du grand-père, de la grand-mère, d’un grand-oncle ou d’une grand-tante. » Ce qui compte principalement, c’est désormais l’émotion éveillée par l’enfant, image vivante de ses parents.


1.

P. M. Duval, La Vie quotidienne en Gaule, 1952.

2.

G. Ch. Picard, Les Religions de l’Afrique antique, 1954.

3.

Cf. supra, Ire partie, chap. 1.

4.

Livre d’Heures d’Adelaïde de Savoie, duchesse de Bourgogne, Chantilly.

5.

Cf. supra, Ire partie, chap. 4.

6.

L’un des putti de la Bacchanale du Prado (Madrid).

7.

Hortulus animae, Francfort, 1907, 7 vol.

8.

Londres. Bridgewater Gallery.

9.

Les Quatre âges de la vie.

10.

Cf. supra, Ire partie, chap. 1.

11.

Venturi, Storia del Arte ital., t. VI, p. 32.

12.

Toesca, Storia del Arte ital., t. II.

13.

A. Lindner, Der Braslauer Froissart, 1912.

14.

Bâle, musée des Beaux-Arts.

15.

Cf. Fr. Bond, Westminster Abbey, 1909.

16.

Titien, K. d. K., p. 168.

17.

Victoria and Albert Museum, no 5, 1951.

18.

Pourbus, Le Portrait dans l’art flamand. Exposition Paris, 1952, no 71.

19.

Titien, Sebastien Leers, sa femme et son fils. Reproduit dans K. d. K. no 279.

20.

Titien, reproduit dans K. d. K., 236.

21.

Van Dyck, La famille Pembroke, reproduit dans K. d. K., 393.

22.

Le Portrait…, Paris, 1952, op. cit., no 19 et no 93.

23.

P. Aertsen, milieu du XVIe siècle. Reproduit dans Gerson, I, 98.

24.

Humbelot-Huart, Cabinet des Estampes, Ed. 15 in f°.

25.

Gravure de Guérard (Cabinet des Estampes, 0 à 22, t. VI, vers 1701).

26.

N. Guérard, La femme en mariage, gravure, Cabinet des Estampes Ee 3 in f°.

27.

David II Ryckaert (1586-1642). Musée de Genève.

28.

Bonnart et Sandrart, Cinquième Béatitude, Cabinet des Estampes, Ed. 113 in f° t. I.

29.

G. Dou, K. d. K., p. 90, 91, 92.

30.

Fragonard, dessin. Exposition Fragonard, Berne, 1954. G. Dou K. d. K., 94 Brouwer W. de Bode, p. 73. Berey, gravure, Cabinet des Estampes EJ. 108 in f°. Stella, L’hiver, gravure, Cabinet des Estampes Da 44 in f°, p. 41. Crispin de Pos, Cabinet des Estampes Ec 35 in f°, p. 113.

31.

Dassonville, gravure, Cabinet des Estampes Ed 35 c pet. in f°, 5, 6, 26. G. Dou, K. d. K., 94. G. Terboch, Femme épouillant la tête de son enfant, Berndt, 109. P. de Hooch, K. d. K., 60. — Siberechts, Berndt, 754.

32.

G. Dou, K. d. K. 122, 123, 124 (Enfant à la cuisine regardant préparer les légumes). P. de Hooch. Une servante passe un broc à une petite fille K. d. K., 57. A de Pope, Enfant regardant la cuisinière plumer le gibier, Berndt, 634. Velasquez, Un serviteur prend l’enfant dans ses bras pour le mettre sur la table où sont des fruits, K. d. K., 166. Strozzi, La cuisinière plume une oie, G. Fiacco, pl. IV. M. Le Nain, Le jardinier, Fierens, 87.

33.

G. Dou. Une petite fille paie la marchande, K. d. K., 133. Van Mieris, Enfant achète un biscuit et le mange, Berndt, 533. Le Camus.

34.

P. de Hooch, reproduit dans Berndt, 399.

35.

G. Duby, La Société aux XIe et XIIe siècles dans la région mâconnaise, 1953.

36.

P. Petot, « La famille en France sous. l’Ancien Régime », dans Sociologie comparée de la famille contemporaine, Colloques du CNRS, 1955.

37.

Chaucer, The Parson’s Tale. Cf. Ph. Ariès dans Populations, 1954, p. 692.

38.

Guillaume Vrelaut, Histoire du bon roi Alexandre, Petit Palais ms. 546 f° 8. Vie de sainte Catherine, Bibliothèque nationale, ms. frs. 6449 f° 17.

39.

Stella, Cabinet des Estampes, Da 44 in f°, p. 40.

40.

D. Molinier, musée de Genève.

41.

Le coucher des mariés, Abraham Bosse. Les relevailles, Molenaer, musée de Lille. Le lever de la mariée, Brakenburgh, musée de Lille.

42.

J. Steen, La Saint-Nicolas, reproduit dans Gerson no 87.

43.

The Babees Book, publié par F. J. Furnival, 1868.

44.

Civilité puérile et honnête, 1753.

45.

La civilité nouvelle contenant bon usage et parfaite instruction…, Bâle, 1671.

46.

J.-B. de La Salle, la première édition est de 1713.

47.

Vivès, Dialogues, trad. française, 1571.

48.

Merian, gravure, Cabinet des Estampes, Ec 10 in f°.

49.

A. Bosse, gravure, Cabinet des Estampes O à 44 pet. in f°, p. 65.

50.

A. Le Nain, Bénédicité.

51.

Lebrun, Bénédicité, Louvre, gravé par I. Sarrabat.

52.

J. Steen, Schmidt-Degener. p. 63.

53.

Heemskerck (1634-1704), Berndt. p. 358.

54.

Mathurin Cordier, Colloques, 1536.

55.

Cf. n 3, p. 245.

56.

V. L. Tapie, Le Baroque, 1957, p. 256.

57.

E. Male, L’Art religieux après le concile de Trente, p. 312.

58.

Paccaco di Rosa.

59.

Carrache, Pesne. Cf. Male, op. cit., p. 311. Le menuisier de Rembrandt.

60.

Göbel I, pl. CLXV. Datée de 1573.

61.

C. Loth (1632-1698), reproduit dans Fiacco, Venetian Painture, p. 49.

62.

Véronèse, La famille d’Adam, Venise, palais des Doges.

63.

Erasme, éd. de 1714 du Mariage chrétien.