CHAPITRE 19

FACILE COMME UN DIMANCHE MATIN

 

 

Ramon s’installa dans l’un des sièges en forme d’alcôve plastifiée de Plumpy, face à l’inspecteur Dunaway. Il but une gorgée de son soda.

J’apprécie que vous acceptiez de me rencontrer, déclara Dunaway. Désolé de prendre sur votre temps de travail…

La seule raison de ma présence ici, c’est Brooke et Sammy.

Ramon tripotait un sachet de ketchup qui traînait.

Alors…

Ramon se tut. Que dire au juste ? Brooke ne remettrait plus les pieds chez Plumpy. Lui-même n’aurait pas dû s’y trouver, sauf qu’il avait pensé que son absence paraîtrait suspecte. Et puis, à supposer qu’il ne vienne pas, que ferait-il ? Il resterait assis dans l’appartement à se tourner les pouces et devenir dingue ? Il repoussa le sachet de ketchup avec un sentiment de frustration.

Un peu plus tôt dans la matinée, Ramon avait pris un bus jusque chez la mère de Sam, et y avait déposé Brooke. Haley avait gentiment accepté de s’occuper de la tête. Ramon aurait pu la laisser dans l’appartement, mais il avait craint que les flics veuillent y jeter un œil pendant qu’il était au travail. Et de toute façon, Brooke voulait partir. Elle préférait aider la famille de Sam à se changer les idées. Ramon avait fini par céder, et quand il avait vu le visage de Mme LaCroix, il n’avait plus eu aucun regret. En temps normal, Ramon aurait décrit la mère de Sam comme une femme lumineuse. Elle rayonnait de l’intérieur. Mais en déposant Brooke chez elle ce matin-là, il l’avait trouvée terne, effacée. Mme LaCroix vivait très mal l’absence de Sam. Et comment pourrait-il en être autrement ?

Tu n’as toujours aucune nouvelle de lui ?

Dunaway sortit son carnet.

Ramon secoua la tête.

Négatif.

Il avait d’abord refusé de s’adresser aux flics. Ils en avaient discuté ensemble, et s’étaient mis d’accord pour ne pas y mêler les autorités. Mais en ne voyant pas Sam revenir, Ramon n’avait pas eu d’alternative. Avec le meurtre de Brooke, la disparition de Sam serait remarquée. Si ni Franck ni lui n’avaient appelé Dunaway, ils auraient eu l’air louche. Ramon avait donc décidé de jouer franc jeu. Certains flics n’étaient que des instruments, mais Dunaway avait l’air correct. Il semblait l’écouter, même si Ramon n’avait pas su lui dire grand-chose.

Cela vous gêne si on recommence depuis le début ?

Sammy est rentré de son voyage à Bainbridge Island vendredi après-midi.

Qu’est-il allé faire là-bas ?

Voir son gros porc de père.

L’inspecteur Dunaway leva les yeux de son carnet.

Son père, séparé de sa mère, expliqua Ramon, n’est qu’un gros porc.

Dunaway fit entendre un rire qui se transforma en une toux discrète. Il tourna une page de son carnet.

Tu dis qu’il est allé là-bas pour retrouver son oncle ?

Ouais.

Il avait une raison pour cela ?

Sammy s’est beaucoup intéressé à ses racines ces derniers temps.

Ce n’était pas vraiment un mensonge. Bon, sa maman chérie ne supportait pas les menteurs, mais Ramon n’avait rien contre une demi-vérité de temps à autre.

Et alors ?

Ramon jeta le sachet de ketchup sur la table.

Rien de transcendant. Nous avons traîné avec Franck et Brooke.

Ramon s’arrêta et baissa les yeux, s’efforçant de prendre un air contrit.

Désolé, je ne suis pas encore habitué. Je voulais dire nous avons traîné, et parlé de Brooke.

Dunaway hocha la tête d’un air compatissant. Il attendit patiemment que Ramon continue. Celui-ci comprit que Dunaway attendrait le temps qu’il faudrait.

Après ça, il a pris sa planche, et il est parti.

Il a dit où il allait ?

Dunaway tapota son stylo contre son carnet.

Ou quand il rentrerait ?

Non.

Ramon se leva et se servit un verre de soda à la machine. En principe, les employés avaient droit à un seul repas et rien d’autre pendant leurs huit heures de service. Non pas que Ramon ait toujours respecté les règles. Un jeune derrière le comptoir ouvrit la bouche pour dire quelque chose. Ramon le fixa jusqu’à ce qu’il la referme et regarde ailleurs. Plumpy avait des dettes envers lui. La boisson gratuite était en tête de liste.

Ramon tapota le verre et attendit que la mousse se tasse.

Je lui ai proposé de l’accompagner.

Il finit de le remplir, et remit le couvercle.

Il a dit qu’il voulait passer un moment seul.

Ramon se réinstalla dans l’alcôve.

J’aurais dû insister.

Dunaway se frottait machinalement le cou. Il avait l’air fatigué.

Cela n’aurait certainement pas servi à grand-chose. Sauf à ce que tu disparaisses, toi aussi !

Ramon haussa les épaules. Peut-être. Et encore ! Peut-être pas.

Autre chose ?

Il a discuté avec quelqu’un au téléphone avant de partir, ajouta Ramon, mais je ne sais pas avec qui.

Dunaway lui posa encore des questions, mais aucune à laquelle il puisse répondre. Au bout d’un moment, l’inspecteur ferma son carnet et regarda par la fenêtre.

Tu sais, on a trouvé une vidéo de l’agression de Sam.

Ramon s’arrêta au milieu d’une gorgée.

La nuit où Brooke a été tuée.

Ramon haussa les sourcils et posa sa boisson.

Ouais ?

Dunaway se détourna de la fenêtre et le regarda droit dans les yeux.

J’ai regardé la vidéo en boucle.

Il fit une pause pour voir si Ramon allait répondre. Celui-ci se taisait. L’inspecteur poursuivit :

Il y a des choses bizarres sur cette bande. Des trucs bizarres partout dans cette affaire.

Ramon regarda ses mains.

Une vidéo ?

Certains commerces locaux ont des caméras de surveillance. Il y a des moments où c’est flou, mais dans l’ensemble, ce n’est pas si mauvais. Assez pour que je voie un type arrêter une voiture avec son poing.

En guise d’exemple, Dunaway tendit son propre poing, contemplant ses jointures.

Ramon sentit sa gorge s’assécher.

La drogue ?

La drogue n’a jamais permis à quiconque d’arrêter les voitures, murmura doucement l’inspecteur, comme pour lui-même.

Il posa le poing sur la table.

Et puis il y a la blessure de Sam. J’ai fait passer la bande au ralenti, j’ai zoomé, mis des filtres. Jamais vu d’arme. Juste la main du type.

Hum…

Les choses étranges se multiplient : le meurtre, l’attaque, maintenant la disparition de Sam. Et vous savez quoi ?

Ramon secoua la tête. Il ne voulait pas savoir.

Ça me ramène toujours à vous trois !

Ramon ne répondit pas. L’inspecteur se leva et se pencha par-dessus la table pour lui tendre la main. Ramon hésita, surpris. Aucun flic n’avait jamais offert de lui serrer la main. Ramon accepta et la serra.

Je ne sais pas dans quel pétrin vous êtes et j’ignore ce qu’il se passe, mais je finirai par le savoir.

OK.

Ramon lâcha la main de l’officier.

Fais attention à toi, d’accord ?

Ramon hocha la tête.

Merci encore, fit Dunaway.

Pas de problème, inspecteur.

J’essaierai de vous tenir au courant si je peux.

Ramon opina de nouveau, reconnaissant.

Dunaway glissa son carnet dans sa poche et se dirigea vers le parking.

Une boule d’angoisse s’installa dans l’estomac de Ramon tandis qu’il observait la voiture de l’officier s’éloigner. Jamais il n’avait eu aussi peur, ni ne s’était senti aussi frustré au point de ne pouvoir combattre cette peur. Il aurait tant aimé savoir quoi faire. Il ferma les yeux et réfléchit. Il ne savait pas ce qui était arrivé à Sam. Il ne pensait pas qu’il soit mort. Non. Douglas était le genre de type à laisser le corps en guise de message. Mais impossible de rester là à attendre que les choses s’arrangent. Il devait trouver le moyen d’agir. Il acceptait d’aller en enfer pourvu qu’il apprenne ce qui se tramait. Il but son soda, le temps que sa pause se termine, et se lança dans la chasse aux idées. Il avait besoin d’un plan. Un fragment de sa conversation avec Dunaway revint à la surface. Sam avait parlé à quelqu’un au téléphone.

Bingo.

Ramon jeta son soda et se précipita vers l’arrière de Plumpy. Il mit sa capuche et alla chercher sa planche de rechange, puisque l’autre reposait dans le placard à pièces à conviction, depuis qu’elle avait servi d’arme. Elle manquait à Ramon. Une bonne raison de retrouver Sammy pour qu’il lui achète son nouveau skate.

Tu vas où comme ça ?

Un éclair de panique éclaira le visage de Franck.

Ramon l’attrapa par les épaules.

Il faut que j’y aille.

Mais t’es au milieu de ton service, s’exclama-t-il. Tu es mon supérieur hiérarchique. Tu n’as pas le droit de t’en aller comme ça !

Le regard de Franck s’affolait.

Ramon prit sa spatule et la lui posa dans la main.

C’est le moment, mec.

Franck fixait la spatule métallique.

Mais je n’ai pas eu de formation !

Franck, même un singe soûl saurait faire ce boulot !

Il lui donna une claque sur l’épaule.

Tu es prêt.

Non, tu ne peux pas me faire ça. Je n’y arriverai jamais !

Il détacha ses yeux de la spatule, l’air suppliant. Un de ces jours, quand Ramon aurait le temps, il chercherait d’où venait le manque de confiance en soi de Franck, et comment le remettre sur les rails. Pour l’instant, tout ce qu’il pouvait faire, c’était assurer à Frank qu’il saurait se débrouiller seul dans cet imbécile de boulot.

Frank s’apaisa et rassembla ses esprits, du haut de son mètre soixante.

Je ne te laisserai pas tomber.

T’es un pote, va !

Il lui fit un salut et attrapa sa planche.

Qu’est-ce que je fais si le boss se pointe ?

Dis-lui que j’ai eu une urgence familiale.

Frank hocha la tête, et Ramon s’élança au dehors.

Les roulettes touchèrent le bitume avec un doux ronronnement, et il s’éloigna de Plumpy. Le poids dans son estomac s’allégea. Cela faisait du bien d’agir enfin. Et il n’avait même pas eu besoin de demander à Frank de mentir pour lui. Si Sammy n’était pas une urgence familiale, qui donc l’était ?

 

Ramon posa sa planche contre le mur de l’appartement. Il prit le téléphone de Sam, et commença à faire dérouler le menu des appels passés, à la recherche des noms qu’il ne connaissait pas. June Walker. Ce devait être ça. Parmi les appels inconnus, elle était la seule à avoir appelé peu de temps avant le départ de Sam. Il composa le numéro. Il lui sembla que son cœur cessa de battre le temps qu’une femme lui réponde. Sa voix lui rappelait Dessa, intelligente, chaleureuse, avec une pointe d’ironie. Quoique Dessa ne se contentât pas d’en avoir une pointe.

June Walker ?

Ça dépend pour qui.

Elle avait l’air amusé.

Est-ce que vous connaissez un Sam LaCroix ?

Qui est à l’appareil ?

L’amusement s’était évaporé.

C’est son ami Ramon.

Il s’était mis à faire les cent pas, trop énervé pour s’asseoir.

Je sais qu’il vous a appelé. De quoi avez-vous parlé ?

Pourquoi ne le lui demandez-vous pas ?

Parce que je ne l’ai pas revu depuis vendredi.

Il y eut un silence. Ramon percevait les pépiements des oiseaux et la respiration de June, mais rien d’autre. Puis il entendit des jurons soufflés à voix basse, et le bruit de ce qui devait être un bol qui tombait.

Ramon, c’est ça ?

Il hocha la tête, puis se rendit compte qu’elle ne le voyait pas, et lui répondit « oui ».

Je te rappelle, Ramon.

Elle raccrocha avant qu’il puisse répondre.

 

Vingt minutes et un sachet de Cheetos plus tard, June rappela.

Désolée, fit-elle, mais le messager de Sam s’est perdu.

La voix de June baissa comme si elle s’adressait à quelqu’un loin du micro du téléphone.

Oui, je sais que tu as autre chose à faire, mais quand même — est-ce que tu pourrais t’éloigner de ma machine à gaufres ?

Pardon ?

Désolée, fit-elle. Ce n’est pas à toi que je parlais. Dis-moi, Ramon, tu connais la mère de Sam ?

Depuis la sixième.

Bien. Il faut que tu la trouves. Dis-lui qu’elle doit essayer de rompre son sceau sur Sam.

Je croyais que nous avions besoin de l’oncle de Sam pour ça.

Pour l’un des deux sceaux, oui. C’est une longue histoire. Tu peux entrer en contact avec elle ?

Vous croyez qu’elle saura le faire ?

Il essuya un reste de fromage en poudre sur le canapé de Sam. Son ami n’aurait qu’à l’engueuler à son retour. Ramon avait décidé que s’il faisait assez de trucs pour le contrarier, celui-ci serait alors bien obligé de rester en vie pour lui hurler dessus. Logique, non ? Jusqu’à présent, il avait mis le bazar dans sa collection de CD et mangé son stock de chips. C’était un bon début.

Pour être honnête, je n’en suis pas certaine. Mais il faut qu’elle essaye ! Douglas le tient.

June fit une pause.

Ramon entendit le cliquetis d’un briquet. Il en déduisit qu’elle allumait une cigarette.

Ramon ?

Ouais ?

J’ai besoin que tu fasses encore autre chose.

Ramon utilisa son propre portable pour appeler l’autre numéro, comme le lui avait indiqué June. Au début, personne ne décrocha. Puis après quelques sonneries, une voix mâle pleine d’énergie se fit entendre.

Bienvenue à la tanière, un foyer pour tous. Laissez un message et on vous rappellera peut-être. Ne raccrochez pas, ne parlez pas trop longtemps, et n’attendez pas qu’on apprenne par cœur votre numéro de téléphone.

Il y eut un bruit de bisou dans l’arrière-plan sonore, puis une pause.

Salut, dit-il. Mon nom est Ramon. On ne se connaît pas, mais mon pote est coincé quelque part avec… heu… je ne sais pas. Elle s’appelle Brid, d’après ce que je sais.

Ramon ne trouva rien d’autre à ajouter. Il laissa son numéro, raccrocha, et attrapa ses clés. Il ne savait pas comment il irait chez la mère de Sam, mais il n’avait pas envie de prendre le bus. À cette heure de la journée, cela prendrait trop de temps, et il ne tenait pas en place. Frank était au travail. Il y avait bien la voiture de Sam, mais il n’avait pas le permis. Ce serait bête de risquer un accident. Un taxi ? trop cher. Il prit sa planche et ferma la porte à clé.

Et s’il appelait la mère de Sam ? Non, pas question de lui demander une autre faveur, pas après lui avoir amené la tête de Brooke. D’autant qu’elle risquait de ne pas aimer ce qu’il allait lui annoncer.

Ramon alla jusqu’à la porte voisine, et frappa. Mme Winalski ouvrit aussitôt. Le rose fluo de son sweat l’éblouit presque.

Désolée, Madame W. Je tombe mal ?

Non, non, dit-elle, un peu essoufflée. Je suis juste en train de faire mon yoga. À mon âge, il faut travailler pour rester souple, si tu vois ce que je veux dire !

Ramon s’efforça de ne pas savoir ce qu’elle voulait dire.

Des nouvelles de Sam ?

Ramon fourra ses mains dans ses poches. Mme W lui donnait toujours l’impression qu’il était au rapport.

En quelque sorte, dit-il. C’est pour ça que j’ai frappé.

Arrête de te tortiller dans tous les sens, fit-elle. Je ne mords pas ! Allez, crache !

Ramon se redressa.

Pourriez-vous me conduire chez la mère de Sam ?

Elle lui fit signe d’attendre avant même qu’il s’explique ou offre de lui payer l’essence. Deux minutes plus tard, elle ressortait en jean, avec un pull en V violet vif.

Ouah, vous êtes rapide !

Le temps n’attend pas, Ramon, pas même moi. Allez !

Ramon serra sa planche sur sa poitrine avec un bras, et sautilla à sa suite.

 

Mme Winalski possédait une Mustang 1965 décapotable rouge pomme. Elle la conduisait comme si elle allait mourir dans l’heure, et avait besoin de faire une série de choses juste avant. La voiture était son bébé, comme en témoignait l’intérieur immaculé et le brillant de la carrosserie. Cela ne le réconforta en aucun cas. Il ferma les yeux, agrippa la porte et essaya de se rappeler les noms de tous les saints.

Il n’ouvrit pas les yeux avant de sentir la voiture ralentir et s’arrêter. Il fut surpris que Mme W ait trouvé le chemin sans qu’il la guide. Il n’aurait pas été fichu de l’orienter correctement !

Nous y sommes, dit-elle en sortant de la voiture.

Vous ne rouliez pas juste sur deux roues à un moment donné ?

Elle se mit à rire.

Je pourrais bien commencer à t’apprécier, Ramon.

Il ne répondit pas. Il se concentra pour arrêter le tremblement de ses jambes. Puis il la suivit dans l’allée.

Sammy vous a déjà emmenée ici ?

Mme Winalski secoua la tête. Elle appuya son doigt sur la sonnette. Haley ouvrit et aussitôt se mit à sourire.

Eh maman, c’est Mme W !

La mère de Sam jeta un coup d’œil derrière Haley avant de les accueillir et de les faire entrer. Tia les embrassa, un sourire contraint sur le visage.

Vous avez dit que vous n’étiez jamais venue ici, lança Ramon à Mme W. Il prit son regard le plus accusateur possible tout en rangeant soigneusement sa planche à roulettes à côté de la porte.

Non, dit-elle en suivant Haley dans la cuisine. Tu m’as demandé si Sam m’avait déjà amenée ici. Et il ne l’a jamais fait !

Tia ferma la porte d’entrée et poussa Ramon dans la cuisine.

Libby est une vieille amie, dit-elle. Je lui ai demandé de veiller sur Sam pour moi.

Elle est… ?

Il fit un geste vague avec la main, tout en n’étant pas certain de ce que cela signifierait.

Elle est aussi une sorcière, Ramon. Comme moi.

Ah, d’accord.

Tout en s’asseyant à la table, il se demanda quand, dans sa vie, ce genre de propos lui aurait paru étrange.

 

Pendant que Tia rassemblait de quoi faire des sandwiches, Ramon les mit au courant. Une fois qu’il eut terminé, il laissa à la mère de Sam le temps de digérer. Il empila du fromage sur du pain, comptant bien manger pendant cette pause.

Mme W, cependant, ne perdit pas une minute.

Enlève le sceau maintenant, Tia.

Tia serra ses mains et regarda ses jointures blanches.

Je ne suis pas certaine d’y arriver. Il est tellement loin !

Sa voix s’émoussa, et elle se tut. Haley lui attrapa la main et la couvrit de la sienne.

Tu as fait ce que tu pensais être le mieux pour lui, maman, assura Haley. Ce n’était pas parfait, non. Mais ça l’a aidé. Tu as eu raison.

Tia leva les yeux, reconnaissante.

Maintenant, il faut essayer autre chose, reprit Haley. Si Sam ne retrouve pas ses pouvoirs, il n’aura aucune chance contre Douglas.

Elle n’était pas certaine qu’il ait une chance, même avec ses pouvoirs, mais elle n’en dit rien. Au risque que cela soit vrai.

Libby était d’accord avec Haley, et toutes deux insistèrent jusqu’à ce que Tia finisse par céder.

 

Ramon se tint près du sac de Brooke et s’assit pour regarder. Il ne savait pas à quoi s’attendre exactement. Jusqu’à présent, elles avaient préparé une sorte de liquide vert avec un tas de plantes impossible à identifier et murmuré un tas de mots qu’il ne comprenait pas. Il y avait eu des bougies allumées et le genre de choses auxquelles on s’attend de la part de sorcières. Il était content qu’elles n’aient rien tué, et il n’avait pas vu d’œil de crapaud ou de langue de quoi que ce soit. Elles n’avaient pas non plus dansé nues autour de la pièce. Ramon n’avait surtout pas besoin de ça en ce moment !

On dirait qu’elles cuisinent, chuchota-t-il à Brooke.

Chut, fit-elle. C’est sans doute un sort. Tu veux bien ouvrir un peu plus mon sac ? Je ne vois rien.

Ramon écarta l’ouverture.

Merci, fit-elle, trop cool ! C’est comme Magie Pratique qui rencontrerait Rachael Ray ou un truc du genre.

Brooke jeta un regard à Mme W.

Ou peut-être Julia Childs{1} !

Ramon haussa les épaules.

Pour moi, ça ressemble à de la cuisine chichiteuse.

Brooke l’ignora et continua à regarder, les yeux brillants de curiosité.

Aussi captivant que cela paraisse, Ramon se sentait toujours aussi préoccupé. Quand son téléphone sonna, il posa le sac de Brooke sur une petite table. Puis il s’excusa et sortit vers l’arrière.

Allô ?

Dis-moi ce que tu sais.

La voix basse et grondante n’avait rien à voir avec celle que Ramon avait entendue sur le répondeur. Celle-là voulait le croquer tout cru. Il sentit les cheveux sur sa nuque se hérisser. Il les aplatit avec la paume de sa main.

Douglas la tient, mais je ne sais pas où.

L’homme grogna.

C’est pas un problème, je pense que nous le savons.

Il semblait sur le point de raccrocher.

Attendez ! lança Ramon. Dites-moi où ! Il retient mon ami aussi.

Le silence se fit à l’autre bout de la ligne.

S’il vous plaît, insista-t-il.

D’accord, mais ne te mets pas en travers de notre chemin. Si ma fille est blessée à cause de ton pote, ton sang est à moi.

C’est tout à fait compréhensible, répondit Ramon, le plus naturellement possible.

Il courut à l’intérieur et prit un stylo pour écrire l’adresse.

Une fois qu’il eut obtenu l’information, il ne tint plus en place. Rester assis était insupportable. Sam avait besoin de son aide. En vérité, il ne servait à rien ici. Il ne savait même pas ce que les femmes trafiquaient, donc impossible de les aider. Non, il devait agir aussi vite que possible. Son cœur battit à tout rompre d’avoir pris cette décision. C’était lui d’habitude qui apportait les ennuis aux autres. C’était toujours sa faute s’ils se faisaient poursuivre par les vigiles parce qu’ils faisaient du skate là où ils n’avaient pas le droit, sa faute s’ils avaient colle sur colle au lycée. Chaque fois il y avait une bonne raison, bien sûr, mais c’était toujours sa faute.

Tout de même. Qu’était-il supposé faire ? Il s’agissait de Sammy.

Il se faufila le long de la pièce et traversa la cuisine pour sortir par la porte de devant. Puis, tranquillement, il prit ce dont il avait besoin au passage.

 

 

 

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{1} Rachael Ray et Julia Childs sont des cuisinières très célèbres aux États-Unis.