22.

Le thème des expériences de mort imminente parcourt ma vie professionnelle et ma vie privée comme un fil reliant l'une et l'autre, et il ne me laisse jamais oublier que si nous apprenons à vivre, nous apprenons également à mourir.

En 1992, mon père mourut d'un myélome multiple, cancer qui se développe dans les cellules de la moelle osseuse où se forment les cellules sanguines. J'avais des sentiments tellement contradictoires envers mon père qu'il m'était impossible de me trouver à son chevet. Si je repense à notre relation, je réalise qu'elle était à la fois une bénédiction et une malédiction.

Je craignais beaucoup mon père – je le crains encore. Il était non seulement chirurgien mais aussi officier dans l'armée durant la Seconde Guerre mondiale – deux professions qui nécessitent d'avoir une personnalité forte et exigeante. Élevé par toute une ville peuplée de femmes soumises, je supportais mal son absence de tendresse. Et d'ailleurs, il supportait mal mon caractère doux. Quel que soit le sujet, il prenait toujours une position contraire à la mienne. Et il le faisait par esprit de vengeance, exprimant son mépris pour mes opinions de la manière la plus humiliante.

Je vivais dans la peur permanente de sa violence verbale et de sa cruauté mentale, ce qui fit de moi l'être timide que je suis. Mais après sa mort, j'ai pu voir le bon côté de son autoritarisme : il m'a éclairé sur la faillibilité et les dangers inhérents au fait d'être trop attaché à une opinion ou à une position pour envisager d'autres options. Je comprends maintenant que ce fut l'un des grands messages positifs que j'ai reçus de son influence négative. Grâce à lui, je suis devenu totalement indifférent au discours des autorités, juste parce que cela présente un caractère de vérité officielle. Leurs opinions méritent d'être entendues, mais je dois quand même me faire la mienne propre après avoir examiné toutes les preuves. Et si les autorités n'apprécient pas cette attitude, cela ne me dissuade en rien.

Au fur et à mesure que sa mort s'éloigne dans le temps, j'en viens à considérer mon père comme cette autorité infaillible.

Du fait que j'ai développé cette vision de lui avec le temps, je pourrais sans doute supporter d'être auprès de lui si la situation devait se représenter aujourd'hui. Mais en 1992, me trouver à son chevet au moment de sa mort aurait ravivé en moi une douleur personnelle à un point insupportable.

Néanmoins, ce qui se produisit quand il disparut constitua l'une des grandes consécrations de mon travail. Dans ses derniers instants, ont raconté mes frères qui se trouvaient à son chevet, sa respiration s'accéléra, et ils furent stupéfaits de lui voir les yeux ouverts ; les médecins leur avaient dit qu'il était dans un coma dont il ne ressortirait pas. Il arborait un sourire de béatitude tout en regardant la perplexité qui se lisait sur leurs visages : « Je me suis trouvé dans un lieu magnifique. Tout va bien. Je reverrai tout le monde. Vous me manquerez, mais nous serons réunis un jour. »

Et sur ces mots, il mourut.

Jusque-là, mon travail sur les EMI lui avait toujours inspiré des doutes. Il n'y avait jamais totalement adhéré et il le trouvait en fait insensé jusqu'au moment où mes recherches me valurent la célébrité et où celle-ci rejaillit sur lui en tant que père de l'auteur de La Vie après la vie. Et nous savons déjà comment il considérait mon travail sur les retrouvailles : l'idée de voir des parents décédés était si inepte à ses yeux qu'il m'avait fait interner dans un hôpital psychiatrique.

Je ressentis de la tristesse quand mes frères me parlèrent de ses derniers moments, et puis une pensée sardonique me traversa l'esprit. L'expérience vécue par mon père sur son lit de mort avait fait de lui un croyant. S'il avait survécu, il aurait très bien pu être mon prochain patient dans le psychomanteum.

 

Le 8 mai 1994, le jour de la fête des Mères, j'appelai ma mère à Macon, en Géorgie, depuis un téléphone public dans un centre commercial de Las Vegas, ville où je participais à une conférence traitant d'études sur les EMI à l'université du Nevada.

« Eh bien, bonjour, Raymond, dit-elle. Je savais que tu m'appellerais aujourd'hui. »

En bon fils à maman que j'étais, je trouvais la conversation avec ma mère d'un grand réconfort. C'était le cas ce jour-là aussi. Dans ce centre commercial, je prenais plaisir à converser longuement avec elle. Elle me rapporta tous les potins du voisinage et me parla de ce que faisaient mes frères et sœurs. Quand je vis qu'une heure s'était écoulée, je lui dis que je devais retourner à la conférence.

« Une chose encore, dis-je avant de raccrocher. Comment vas-tu ?

— Oh, ça va, répondit-elle. Hier, j'ai eu une éruption cutanée sur les bras, mais Kay [ma sœur] m'a emmenée aux urgences et le médecin a dit que ce n'était rien. Donc, je vais aussi bien que possible. »

Je l'interrogeai au sujet de cette éruption, mais elle minimisa la chose.

« Tout ce que je sais, c'est que ça me rendait tellement folle que j'ai dû aller aux urgences, dit-elle. Le médecin urgentiste m'a pris un rendez-vous chez un dermatologue pour demain. Nous verrons ce qu'il dira. »

Le lendemain, ma sœur m'appela pour m'annoncer la mauvaise nouvelle. L'éruption était un symptôme tardif du lymphome non hodgkinien, cancer à évolution rapide du système lymphatique qui prend naissance dans les lymphocytes. Celui de maman était de type « agressif » – à l'évolution la plus rapide. De l'avis de l'oncologue qui avait analysé ses prélèvements sanguins, il ne lui restait plus que deux semaines à vivre.

Tous ses enfants dont moi firent le voyage jusqu'à Macon dans le but de rendre ses derniers jours les plus confortables possible. Nous nous occupâmes d'elle à la maison, et quand elle fut hospitalisée, nous restâmes à son chevet. Deux semaines après la date de son diagnostic, elle décéda.

C'est dans les derniers instants de sa vie que le sujet suivant de mes recherches me fut révélé.

Elle était dans le coma depuis deux jours, et tout ce que nous espérions pour elle, c'était qu'elle s'éteigne paisiblement. Peu avant de mourir, pourtant, elle se réveilla et nous déclara avec une grande cohérence qu'elle nous aimait tous beaucoup.

« S'il te plaît, dis-le encore », dit ma sœur Kay.

Avec de grands efforts, maman écarta le masque à oxygène de son visage et redit : « Je vous aime tous beaucoup. »

Nous étions profondément touchés par son effort pour exprimer son amour. Nous nous tenions tous la main autour de son lit – mes deux sœurs, leurs époux, Cheryl et moi-même – et nous attendions l'instant de sa mort.

Tandis que nous étions tous là, main dans la main, la chambre parut changer de forme et quatre d'entre nous eurent l'impression d'être soulevés du sol. Je me sentis tiré fortement, comme par un contre-courant, sauf que la traction se faisait vers le haut.

« Regardez, dit ma sœur, montrant du doigt un point au pied du lit. Papa est ici ! Il est revenu la chercher ! »

Plus tard, tout le monde raconta que la lumière dans la chambre s'était adoucie, floutée, comme quand on regarde l'eau d'une piscine éclairée la nuit. Ce n'était pas la tristesse qui prédominait dans la chambre, au contraire, nous devînmes tous joyeux. Comme je l'écrivis plus tard : « C'était comme si le tissu de l'univers s'était déchiré et que, juste pendant un instant, nous ressentions l'énergie de ce lieu appelé “paradis”. »

Mon beau-frère Rick Lanford, pasteur méthodiste, raconta qu'il avait eu l'impression de quitter son corps physique et de « passer à un autre plan avec notre mère ».

Cela ne ressemblait à rien de ce que nous avions déjà vécu. Au cours des jours suivants, nous passâmes, tous réunis, des heures dans la maison de nos parents à évoquer l'expérience, à essayer de rassembler tous les détails en une chronologie cohérente. Ce qui s'était produit avec ma mère était une expérience de mort partagée. Ces expériences ressemblent aux expériences de mort imminente, à la différence qu'elles arrivent non pas aux mourants, mais aux personnes présentes auprès d'un être cher agonisant. Ces expériences spirituelles peuvent arriver à plus d'une personne à la fois.

J'avais déjà entendu parler des expériences de mort partagée. La première mention était celle du Dr Jamieson, qui enseignait au Medical College de Géorgie et avait suivi l'évolution de mes recherches sur les expériences de mort partagée. Un jour, elle m'invita à son bureau pour discuter de sa propre expérience.

Jamieson avait rendu visite à sa mère deux ans auparavant quand celle-ci avait eu un arrêt cardiaque. Jamieson avait effectué la RCR1 – compressions thoraciques et bouche-à-bouche – durant près de trente minutes avant de réaliser qu'elle était maintenant orpheline.

Jamieson s'était interrompue, hébétée par la situation dans laquelle elle se trouvait. Puis, à sa stupéfaction, elle s'était retrouvée soulevée hors de son corps, observant d'en haut la scène de la RCR comme si elle était sur un balcon. Essayant de se repérer, elle avait regardé vers la gauche et vu sa mère planant avec elle. Puis, tout était devenu vraiment étrange. Jamieson avait observé dans le coin de la pièce ce qui semblait être une « brèche dans l'univers », d'où la lumière entrait à flots. Au sein de cette lumière se trouvaient des personnes qu'elle connaissait depuis des années, tous des amis de sa mère décédés.

Jamieson avait vu sa mère pénétrer dans la lumière et retrouver ses amis. Puis la brèche s'était refermée en une spirale, comme le ferait l'objectif d'un appareil photo, et la lumière avait disparu.

Quand ç'avait été terminé, elle s'était retrouvée près du corps de sa mère décédée, totalement déconcertée par ce qui venait de se produire quelques secondes – ou était-ce quelques minutes ? – auparavant.

Je ne savais que penser de l'histoire de Jamieson. J'en étais aux débuts de mon étude de ces phénomènes, et je n'avais jamais entendu parler d'une expérience de ce type. Quand elle me demanda mon avis, je cherchai avec difficulté mes mots, et je finis par trouver un nom pour ce qu'elle avait vécu : « expérience de mort partagée ».

Il me fallut attendre dix ans pour entendre de nouveau une histoire du même genre, dans les années 1980. Durant cette décennie, la médecine s'ouvrit à des approches moins strictement rationalistes, et médecins et infirmiers ne craignaient plus d'évoquer certains événements qui se produisaient dans les hôpitaux et pouvaient être considérés comme relevant du spirituel ou du paranormal.

Au point que je me demandais, à propos de l'expérience avec ma mère : Le monde dans lequel nous vivons est-il le simple fruit de notre imagination ?

J'ai trouvé les histoires d'expériences de mort partagée précieuses pour l'étude de la vie après la vie. Les incrédules affirment depuis longtemps que les expériences de mort imminente sont provoquées par un manque d'oxygène dans le cerveau chez le mourant. Ce manque d'oxygène provoque des « hallucinations », avancent-ils, et les EMI ne sont que des rêves, le dernier râle d'un cerveau dysfonctionnel. Mais les expériences de mort partagée sont différentes. Ce sont des événements extraordinaires vécus par des personnes qui ne sont pas malades, mais sont susceptibles d'être au chevet d'un être cher en train de mourir. Au moment où cette personne meurt, la personne présente vit un phénomène extraordinaire qui possède les mêmes caractéristiques que l'EMI. Certaines séquences sont subjectives (par exemple, le témoin affirmera avoir vu la pièce changer de forme ou une lumière brillante l'attirer vers lui), et d'autres objectives, comme voir défiler le film de la vie du mourant qui révèle des secrets familiaux.

Après avoir examiné les événements en relation avec la mort de ma mère, je décidai qu'en effet il était temps de me pencher sur ce type d'expériences.

1. Réanimation cardio-respiratoire. (N.d.T.)