CHAPITRE 7

— Jacques, tu penses parfois à ta maman ?

Myriam est allongée dans son lit à côté du mien. La chambre est plongée dans le noir. Nous devrions déjà dormir.

Mais trop de pensées nous agitent.

— Parfois, j’essaie de l’imaginer en vrai à partir de vieilles photos. Je ne l’ai jamais connue, tu sais. Tu me poses la question parce que tu songes à la tienne ?

— Tout le temps. Déjà trois mois qu’ils l’ont emmenée et aucune nouvelle. Je n’arrive pas à comprendre ce qu’elle a fait de mal pour que des gens lui en veuillent à ce point.

— Myriam, elle n’a rien fait ! Et toi non plus ! Arrête de te sentir coupable. Ce sont eux les coupables…

— Écoute, Jacques, sans moi, toi et ton papa vous n’auriez pas été obligés de quitter Paris. C’est ma faute. J’aurais dû rejoindre ma mère dans ce camp à Drancy. J’aurais dû le faire avant qu’elle ne disparaisse. C’était ma place. Je l’ai abandonnée. Elle est seule maintenant. Et je n’avais pas à vous entraîner dans cette fuite.

— Tu ne nous as pas entraînés. Mon père est assez grand pour prendre ses décisions tout seul. Tu crois qu’il aurait encore pu se regarder dans un miroir s’il t’avait livrée à la police française ? Quant à toi, tu es mon amie. Tu penses qu’on peut laisser tomber ses amis au moindre problème ? Ta mère voulait que tu restes avec nous. C’est sa volonté. Tu dois la respecter.

Myriam est émue. Je l’entends au son de sa voix.

— Ma maman me manque tellement. Le soir, elle me chantait des berceuses en yiddish1. Sa voix était douce. J’ai peur de dormir et d’oublier les paroles de ses chansons. J’ai peur d’oublier le son de sa voix, la caresse de sa main, son parfum. Je ne dois pas oublier. Tant que je me souviendrai de tout, je suis sûre qu’elle se portera bien. Qu’elle reviendra saine et sauve. Que la vie reprendra comme avant.

— Tu m’apprends une berceuse, Myriam ?

Mon amie se met à chanter à mi-voix dans l’obscurité de cette nuit sans fin…

Le fracas du tonnerre vient interrompre brusquement la mélodie. Il semble que l’orage ait frappé du côté de la ligne de chemin de fer. Curieux, nous entrebâillons les volets. Le ciel est clair. Là-haut, chaque étoile est à sa place«  ce n’est pas comme sur la Terre. Même les poussières d’astres qui forment la Voie Lactée sont visibles. Alors, comment expliquer cette détonation ?

1. Langue des juifs d’Europe centrale et orientale.