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La bonté des étrangers
Tennessee Williams, de son vrai nom Thomas Lanier Williams, est né en 1911 à Colombus, dans le Mississippi. Sa mère était l’enfant unique et gâtée d’un prêtre épiscopalien ; son père travaillait alors pour la compagnie de téléphone de l’Etat. Le dramaturge n’adopta son nom de plume qu’à l’âge de 27 ans, le jour où il demanda une bourse au Group Theatre. La bourse était réservée aux dramaturges de moins de 25 ans. Tennessee Williams se rajeunit de trois ans et choisit un nouveau prénom pour que les jurés ne puissent faire le lien avec Thomas Lanier dont les poèmes et les nouvelles étaient parfois cités dans les journaux de Saint Louis, où il vivait.
Tennessee Williams fut un écrivain compulsif dès l’enfance. Il avait besoin d’écrire, comme les fumeurs ont besoin de fumer et les alcooliques de boire. (Il avait le même rapport avec le sexe.) Son ami Donald Windham, qui admirait son opiniâtreté, remarquait ainsi : « Il a fait ce que je rêvais de faire sans en avoir le courage. Ecrire passait avant tout chez lui, avant de savoir où il allait dormir et où il allait dîner ou déjeuner1. » Gore Vidal, lui, est moins admiratif lorsqu’il raconte avoir vu Tennessee Williams prendre le texte d’une nouvelle qu’il venait de publier dans une revue et le retaper sur sa machine, parce qu’il n’avait rien de mieux. Tennessee Williams transformait ses pièces en nouvelles et vice versa. Il écrivait également des poèmes et des tombereaux de lettres, qu’il envoyait rarement car il lui manquait souvent le timbre ou l’adresse. Il lui importait plus de s’exprimer que de communiquer avec autrui.
En 1938, le dramaturge ne se contenta pas de changer de nom et d’âge. A l’origine, « Tom » était un jeune homme timide, classique en apparence, membre d’une fraternité quand il était à l’université, chic type quand il travailla, brièvement, dans une fabrique de chaussures. Ses nouvelles et ses pièces étaient aussi classiques : « La vengeance de Nitocris », inspirée par un conte de l’Egypte ancienne et publiée dans un recueil intitulé Contes étranges ; The Fat Man’s Wife, comédie screwball qui raconte l’histoire d’un mariage dans la haute ; ou Rien à voir avec les rossignols, drame social qui se déroule en prison. « Tom » prétendait avoir une vie sexuelle classique et aimer les femmes alors qu’il était puceau.
A l’époque où il fit sa demande de bourse auprès du Group Theatre, Tennessee Williams s’installa à La Nouvelle-Orléans dans l’espoir d’écrire pour la Work Progress Administration mise en place par le New Deal. Notre petit-fils de prêtre épiscopalien vivait, heureux, parmi les prostitués, les joueurs, les drogués et les homosexuels. Il coucha pour la première fois avec un homme, tomba amoureux d’un ami, découvrit l’alcool (en commençant par des cocktails brandy alexander), coucha avec un autre homme, puis encore un autre, jusqu’au moment où il comprit qu’il avait besoin de forniquer tous les soirs pour être heureux. Plus tard il se décrira comme un « rebelle puritain », mais sa rébellion n’a jamais été totale. « Tom », classique et conformiste, est toujours resté caché derrière « Tennessee ».
Tennessee Williams obtint la bourse du Group Theatre et alla voir Audrey Wood, agent littéraire qui voulait découvrir son travail, en se présentant avec son nouveau prénom. Audrey Wood le représentera pendant les trente années qui suivront.
Les années 1940 furent une décennie de hauts et de bas particulièrement contrastés pour l’auteur. Ses pièces étaient refusées, ou sur le point d’être montées, ou alors elles l’étaient, mais c’était un flop. Entre-temps le dramaturge accumulait les petits boulots : il fut notamment garçon d’ascenseur, ouvreur de cinéma et serveur-lecteur de poésie au Beggar’s Bar de Greenwich Village3. New York était alors sa base, mais il se déplaçait sans cesse, à Mexico, Los Angeles et La Nouvelle-Orléans. Il passa six mois à Hollywood, embauché par la MGM. Il vécut quelque temps avec Donald Windham et son amant, mais il était difficile à vivre, laissant traîner ses vêtements sales et ses paquets de cigarettes vides, et écoutant de la musique sur son vieux phonographe Victrola tout en martelant sa machine à écrire pendant que sa cafetière crépitait sur le feu. Windham collabora avec lui pour une pièce intitulée Vous m’avez touché, inspirée par une nouvelle de D. H. Lawrence. Tennessee Williams avait quelques écrivains adorés dont il s’inspirait volontiers : Lawrence, Tchekhov et surtout Hart Crane. Où qu’il aille, il avait sur lui un recueil de la poésie gorgée de mots de Crane.
En 1944, il reprit pour la énième fois une pièce plus ou moins fondée sur l’histoire de sa famille, The Gentleman Caller, et l’envoya à Audrey Wood. Après quelques discussions et un changement de titre, La Ménagerie de verre trouva un producteur et une actrice principale, Laurette Taylor. La création eut lieu à Chicago en pleine guerre ; les deux premières semaines furent laborieuses, jusqu’à ce que deux critiques découvrent la pièce et en fassent l’éloge. Trois mois plus tard la pièce était montée et applaudie à Broadway. (Contrairement à ce que dit l’auteur, la pièce n’est pas vraiment fondée sur ses souvenirs d’enfance. Le personnage du père, entre autres, est un homme rustre qui tombe « amoureux des longues distances » et abandonne sa famille.) Pendant ce temps-là, Tennessee Williams avait commencé une autre pièce, Le Papillon de nuit, appelée ensuite La Chaise de Blanche sous la lune, puis La Nuit du poker, avant de s’intituler Un tramway nommé Désir. Mise en scène par Elia Kazan, avec Jessica Tandy et un jeune inconnu, Marlon Brando, la pièce fut créée à Broadway à la fin de l’année 1947. Le succès public et critique fut encore plus retentissant que celui de La Ménagerie de verre.
En dépit de ces épisodes douloureux et intimes, que tout écrivain connaît, les deux hommes restèrent liés. Il est difficile de savoir ce qui les rapprochait. Sûrement pas l’attirance physique. Un jour, alors qu’ils étaient sortis draguer et revenus bredouilles, Tennessee Williams conclut : « Il ne nous reste plus que toi et moi. » « Evite d’être macabre, s’il te plaît », répondit Vidal. Tennessee Williams avait beau être beaucoup plus célèbre, Vidal, qui avait le goût de la compétition, n’en voulait pas à cet ami plus âgé. Il avait très vite compris qu’il était plus intelligent, plus rationnel et plus cultivé que le dramaturge, tout en reconnaissant le talent et la force poétique de son ami. Lui qui était si orgueilleux, toujours sur la défensive, n’hésitera pas à parler de Tennessee Williams avec une réelle affection, une tendresse que l’on trouve rarement dans ses livres. Ce respect n’était pas entièrement partagé. Ainsi Tennessee Williams évoque-t-il leurs premières rencontres dans une lettre à Windham : « Je l’aimais bien, mais il fallait que je fasse un immense effort pour supporter sa morgue. Il a suivi des cours de danse classique et passe son temps à faire des pirouettes et des pliés, à part ça il n’hésite pas à se comparer, lui et Capote (son rival et sa Némésis) à des écrivains comme Dostoïevski et Balzac6. »
Tennessee Williams alla à Londres pour suivre les répétitions de La Ménagerie de verre, mise en scène par John Gielgud, avec Helen Hayes, puis revint à Paris. Peu après il avait rendez-vous avec Jean Cocteau pour discuter de la mise en scène française d’Un tramway nommé Désir, avec Jean Marais. Il y alla avec Vidal qu’il présenta comme son traducteur. « Entre les analyses pompeuses de Williams, racontera Vidal avec humour, et la rhétorique théâtrale de Cocteau (ses longs bras remuaient tels des sémaphores signalant un dernier carrefour dangereux), personne n’y comprenait rien, jusqu’au moment où Jean Marais rompit le silence pour demander, à propos du personnage de Stanley Kowalski qu’il devait interpréter : “Il faudra que je prenne l’accent polonais ?”7 »
Truman Capote débarqua à Paris à ce moment-là. Vidal avait beau se méfier de lui, surtout depuis que sa photo avait éclipsé celle de ses pairs dans le fameux numéro de Life, il le présenta à Tennessee Williams. Capote en fit encore plus que de coutume pour impressionner le célèbre dramaturge. Il évoqua des contrats signés à Hollywood, des rendez-vous avec des starlettes, des entretiens en tête à tête avec André Gide, Albert Camus, Errol Flynn… entretiens jamais confirmés. Tennessee Williams était dubitatif. Une fois conquis par le personnage, il dira qu’il était « plein de fantaisie et de malice8 ». Pour Vidal, c’était un menteur né. Un soir, les trois larrons allèrent dans une boîte de nuit parisienne. Capote essaya d’entraîner Vidal sur la piste de danse au moment où passait le dernier tube venu d’Amérique, « Bongo, bongo, bongo, I don’t want to leave Congo ». Vidal résista.
En octobre, les trois amis étaient de retour à New York : il existe une photo d’eux, prise dans une soirée où ils posent, tout sourire, un verre à la main, tels trois copains de fac un soir de fête. L’antipathie de Vidal vis-à-vis de Capote était pourtant déjà si forte qu’il avait du mal à rester dans la même pièce, voire dans la même ville que lui. Les plaisanteries sur leur rivalité commençaient à circuler dans le petit monde de l’édition. On disait, entre autres, qu’ils avaient été en tournée de promotion ensemble dans le pays et s’arrêtaient dans chaque bibliothèque municipale parce que Vidal voulait voir si ses livres étaient plus, ou moins, empruntés que ceux de Capote. « Il ne suffit pas d’avoir du succès, encore faut-il que vos amis échouent », déclarera Vidal. Gageons qu’il songeait à un ami en particulier.
Tennessee Williams était rentré à New York pour les répétitions d’Eté et fumées, une pièce étonnamment apaisée, curieux mélange de comédie et de mélancolie qui se déroule au cours de l’âge d’or qui précède la Première Guerre mondiale : l’histoire de deux amis, un homme et une femme, qui sont sur le point de devenir amants. Les critiques furent mauvaises et la pièce fut vite retirée de l’affiche. Tennessee Williams était désespéré. Il faudra attendre 1952 pour qu’Eté et fumées soit reprise et connaisse le succès.
Etre gay dans le théâtre américain de l’après-guerre était une situation délicate ; paradoxalement, cela vous rendait encore plus vulnérable que dans l’édition. Certes, comme aujourd’hui, les gay y étaient légion, et l’homosexualité y était plutôt mieux tolérée. Mais les producteurs avaient peur des réactions du public et peur de la police. Depuis 1927, les livres étaient soumis à la loi Wales Padlock, le nom donné à l’article 1140-A du code pénal de la ville de New York9. Et un théâtre accusé de monter une « pièce immorale » – comprenant la moindre mise en scène, bonne ou mauvaise, de l’homosexualité – pouvait être condamné à fermer pendant un an. Ces mesures étaient rarement appliquées, mais elles furent évoquées, par exemple, en 1945, au moment de la mise en scène de Trio de Dorothy Baker. Les producteurs ne se privaient pas de brandir cette menace quand ils voulaient supprimer un personnage gay ou modifier une intrigue. Néanmoins, Danny Kaye n’eut aucun problème pour interpréter le rôle d’un photographe de mode haut en couleur dans la comédie musicale Lady in the Dark, en 1944, ni John Huston pour mettre en scène Huis clos de Sartre, en 1946, malgré le personnage de lesbienne prédatrice. Il y eut même une version scénique de Demain, ce seront des hommes, de Calder Willingham, où le personnage de l’homosexuel sadique n’était identifié que comme sadique.
L’homosexualité n’était donc pas complètement bannie, même si la question demeurait épineuse. Il existait une solution : raconter des histoires, non pas d’homosexualité, mais de fausses accusations d’homosexualité. Les années 1950 ont vu une série de pièces sur ce thème : Thé et sympathie de Robert Anderson (1953), Vu du pont d’Arthur Miller (1955) et la reprise, en 1952, des Innocentes de Lillian Hellman (où l’accusation se révèle fondée, mais dans la dernière scène uniquement). On tâchait de contourner la loi, ce qui ne fut pas non plus sans effet sur l’écriture et la récriture de La Chatte sur un toit brûlant.
A l’origine, la pièce était une nouvelle intitulée « Trois joueurs pour une partie d’été », l’histoire d’une partie de croquet jouée par un ancien sportif professionnel, Brick Pollitt, une veuve et sa fille, dans les années 1920. Le récit était raconté par un petit garçon qui ne comprenait pas vraiment ce qu’il voyait. Nous entendions parler de la femme de Brick, Margaret, dont la froideur l’avait poussé à boire et à se réfugier dans les bras de la veuve. A la fin, celle-ci perdait et Margaret récupérait Brick – nous ne savions pas très bien comment. L’atmosphère était estivale, c’était un monde d’adultes, plein de mystère.
Tennessee Williams en a fait tout autre chose en la transformant en pièce. L’histoire ne se passe plus dans les années 1920, mais à l’époque de l’auteur. Une partie de croquet a toujours lieu dehors, mais nous sommes à l’intérieur de la maison, seuls avec Brick et Margaret. Lui est toujours un ancien sportif et boit. Margaret, froide et autoritaire, s’est muée en Maggie la chatte, une femme extrêmement vive, sympathique, qui aime son mari et cherche à sauver son mariage. La veuve et l’enfant narrateur ont disparu pour être remplacés par le frère et la belle-sœur de Brick, et leurs cinq « monstres sans cou ». Père, le père de Brick, fort en gueule, hanté par son cancer, domine tout le monde.
La pièce est brillante, foutraque, délirante, mi-soap opera, mi-comédie ; les dialogues sont parmi les plus drôles jamais écrits par l’auteur. Le côté flou et flottant de Camino Real a disparu. Le personnage de Père a beau rappeler le père du dramaturge, les éléments autobiographiques ont été pulvérisés, métamorphosés et reconfigurés grâce au miroir déformant de l’imagination de l’écrivain. Ce dernier aimait à dire qu’il était tous ses personnages : ici, ce sont plusieurs morceaux de Tennessee Williams qui se disputent, se font la cour et se lient entre eux. Maggie brûle de reconquérir Brick, telle l’épouse bafouée d’une comédie screwball, le genre que le philosophe Stanley Cavell appelle « comédie du remariage ». Mais pourquoi Brick n’aime-t-il plus sa femme ? L’imaginaire de Tennessee Williams avait en tête une raison que lui-même – ou son inconscient – s’interdisait de dire : l’homosexualité. Brick a été très proche d’un certain Skipper, sportif lui aussi, et mort. Les deux hommes se sont-ils aimés ? Skipper aurait-il été amoureux de Brick sans que celui-ci le lui rende ? Ou Brick pensait-il que leur amitié était impure à cause du regard des autres ? Tennessee Williams change sans cesse son fusil d’épaule, et la question devient de plus en plus pesante. Quand Brick et son père se balancent le mot de « mensonge » en pleine figure, le lecteur a du mal à ne pas entendre le dramaturge s’accuser lui-même.
Il était traumatisé. Le succès avait beau être au rendez-vous, il ne se sentait pas mieux. Il était paralysé par la hantise de la page blanche. Pour un écrivain habitué à écrire tous les jours, c’est comme s’il ne pouvait plus respirer. Son unique recours était l’alcool, comme Brick, ce qui aggravait le problème.
L’alcool est un thème qui reviendra souvent dans cet essai, au même titre que le sexe, l’amour et le succès, aussi importants dans la vie de ces artistes. Et la drogue. Les hommes gay vivent rarement seuls. La boisson a été la plaie de la vie de nombreux écrivains américains du xxe siècle. A tel point que dans son essai intitulé The Thirsty Muse (« La Muse assoiffée »), Tom Dardis distingue deux traditions : ceux qui boivent – Eugene O’Neill, Scott Fitzgerald, Ernest Hemingway, William Faulkner – et ceux qui ne boivent pas – Edith Wharton, Willa Cather, T. S. Eliot, Wallace Stevens.
Hélas, la boisson ne fait qu’aggraver les problèmes, de même que les sentiments partagés de Tennessee Williams vis-à-vis de sa vie sexuelle ne faisaient qu’accroître sa paralysie. Cela dit, surtout ici, il est difficile de distinguer les causes et les effets. Quoi qu’il en soit, le dramaturge finit par reprendre le manuscrit d’un vieux texte, La Bataille des anges, qu’il baptisa La Descente d’Orphée. La pièce eut un accueil critique exécrable. Tennessee Williams était tellement meurtri qu’il finit par faire ce que des amis lui conseillaient depuis des années, aller voir un psychanalyste. Il choisit le docteur Lawrence S. Kubie.
Celui-ci était connu pour avoir eu parmi ses patients de nombreux écrivains taraudés par la question sexuelle, dont William Inge, Charles Jackson (auteur du Week-end perdu, ou Le Poison), et Moss Hart. Et pour demander à ses patients de venir trois ou quatre fois par semaine. Malheureusement, Kubie a exigé que toutes ses archives soient détruites après sa mort, nous ne saurons donc jamais rien sur ses séances avec Tennessee Williams. Le dramaturge, lui, a donné des versions très différentes de son analyse. Un jour, il confia à sa mère : « Il m’a dit que j’écrivais des mélos bas de gamme, et basta11. » Dans ses mémoires, il explique que Kubie voulait qu’il abandonne non seulement les hommes, mais l’écriture. Ce qu’il avoua à Elia Kazan après avoir arrêté ses séances est plus vraisemblable : « Il m’a dit que j’étais surmené, qu’il fallait que j’arrête et que je mette “en jachère”, sic, pendant un ou deux ans, qu’ensuite je pourrais recommencer à écrire parce qu’il pense que je retrouverai une immense vague de puissance créatrice, persuadé qu’elle serait liée à mon analyse avec lui12. » Tennessee Williams abandonna Kubie au bout de huit semaines.
L’analyse ne semble pas lui avoir été très bénéfique. Il continua à boire, ajoutant bientôt barbituriques et amphétamines à son régime quotidien. Ceci dit, l’expérience lui inspira son œuvre suivante, Soudain l’été dernier, écrite à partir d’une pièce en un acte rédigée au moment où il voyait Kubie. Certains, dont je ne suis pas, sont fous de cette œuvre. C’est une pièce onirique et fiévreuse, gothique, déjantée, convaincante si on la lit comme l’histoire d’une jeune femme hospitalisée après avoir été exploitée par son riche cousin homosexuel et la mère de celui-ci. Mais c’est aussi une charge contre l’appétit sexuel de l’auteur lui-même. Qui finit en offrant à son prédateur gay une mort cannibale qui aurait de forts relents racistes si elle n’était aussi grotesque. (Elle est tellement absurde que j’aime autant penser que c’était un moyen pour l’auteur de se libérer en riant de son propre fantasme.) Quoi qu’il en soit, Kubie apprécia la pièce et fut particulièrement sensible au portrait du médecin.
Sans doute la psychanalyse eût-elle été d’un réel secours à Tennessee Williams plus tard, mais telle qu’elle était pratiquée dans les années 1950, elle ne pouvait pas grand-chose pour lui.
Pendant ce temps-là, Vidal et Capote s’était tous deux mis au théâtre. En 1952, Capote adapta son roman La Harpe d’herbes pour la scène. Vidal, lui, vint au théâtre par la télévision, après avoir adapté un film télé pour en faire une pièce satirique, Visite à une petite planète, en 1957. Son amie, l’écrivain Dawn Powell, qui tomba sur lui le jour de la première, le taquina en lui lançant : « Quelle idée d’avoir abandonné le roman ! Abandonné la sécurité ! La sécurité de savoir que tous les deux ans – avec la régularité d’un métronome – tu toucheras tes cinq cents dollars de droits !13 »
Tennessee Williams ne s’est jamais senti menacé ni défié par ces amis venus pénétrer son royaume, non seulement parce que leur succès ne fut jamais à la hauteur, mais parce que les autres ne comptaient jamais autant à ses yeux que lui-même ne comptait aux leurs.