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N’ayez pas peur !
« Massacrez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ! »
Arnaud Amaury,
Croisade contre les Albigeois
Ils assassinent, ils lapident, ils brûlent, ils génocident, ils décapitent, ils poignardent, ils défenestrent, ils crucifient, ils dynamitent. Où ? Partout. En Syrie, aux Philippines, au Nigeria, en France, en Espagne, en Irlande, aux États-Unis, au Pakistan, en Birmanie, à Ceylan, au Soudan, au Mali, en Libye, en Turquie, en Bosnie, au Bangladesh... Arrêtons là puisqu’il n’est pas un territoire vierge de leurs crimes. À un rythme de plus en plus soutenu, à une cadence de plus en plus folle, les images insoutenables de ces corps calcinés, torturés, humiliés, dépecés, martyrisés nous parviennent des quatre coins du globe.
Au nom de quoi et au nom de qui commet-on ces massacres ? Est-ce au nom des mécréants, des apostats, des agnostiques, des païens, des sceptiques ? Non. Est-ce sur les recommandations d’Épicure, de Lucrèce, de Giordano Bruno, de Voltaire, d’Holbach, de Spinoza, de Richard Dawkins ? Pas davantage. On détruit, on écrase, on anéantit au nom des religions et toutes les contorsions sociologiques, psychologiques, philosophiques ou politiques ne changeront rien à l’affaire. Ce grand retour du religieux que l’on nous prophétisait avec des trémolos dans la voix tels les artistes d’avant guerre n’est pas un rêve commun mais un cauchemar que nous faisons à plusieurs. Et comme tous les cauchemars, nous peinons à nous en souvenir et à en décrypter le sens puisque tout conspire à brouiller les pistes quand ceux qui devraient nous éclairer et nous guider nous égarent en nous faisant entrer dans le grand labyrinthe de leurs renoncements.
La nature dogmatique et intransigeante de la religion crève les yeux lorsqu’il s’agit de parler de l’islamisme et des écoles de l’islam dans lequel il plonge ses racines. Le prix Nobel de littérature, Mario Vargas Llosa, à l’instar de beaucoup d’autres intellectuels, estime que cela s’explique par l’absence de sécularisation dans les sociétés arabo-musulmanes1. Fort bien. Mais qu’adviendrait-il si d’aventure les Églises catholiques ou évangélistes retrouvaient le pouvoir qu’elles ont perdu en Occident ? Que se passerait-il si elles cédaient, à leur tour, aux vertiges de la désobéissance civile si chers aux théocrates ? N’est-ce pas aller un peu vite en besogne que de considérer qu’elles demeureront ouvertes et tolérantes à jamais quand on les voit un peu partout contaminées par cette pandémie politique qu’est l’identitarisme ?
Vargas Llosa invite les incorrigibles optimistes (les mêmes qui, hier, défendaient une vision irénique de l’islam, religion de paix) à observer ce qui se passe très précisément du côté des sociétés en développement où l’Église catholique « possède encore les moyens de peser de façon décisive sur les dépôts de loi et la gestion de la société, et à vérifier ne serait-ce que ce qui s’y passe avec la censure cinématographique, le divorce et le contrôle des naissances pour se convaincre que lorsqu’il se trouve en situation de le faire, le catholicisme n’hésite pas une seconde à imposer ses vérités à tort et à travers non seulement à ses fidèles mais aussi à tous les infidèles qui passent à sa portée ». L’analyse est juste à ceci près que l’on a vu à de nombreuses reprises des foules catholiques envahir l’espace public, non pas aux Philippines ou au Mexique, mais en Espagne, en France, en Pologne, descendre dans la rue pour remettre ceux que l’archevêque de Paris, le cardinal André Vingt-Trois, appelle « les déviants » sur le droit chemin sans que cela ne provoque l’indignation de notre classe politique2.
Il est souvent fréquent dans l’Histoire qu’aux abords immédiats d’une libération, on assiste alors que la partie apparaît presque gagnée à la multiplication des petits abandons. Au début des années 2000, plusieurs enquêtes sont parues3 montrant que deux tiers des Français refusaient toute appartenance religieuse. Pour le coup, il y avait bien là une véritable exception française classant la France comme l’un des pays les plus athées au monde. Or, c’est précisément à cette époque que l’on a vu des politiques, des intellectuels, des philosophes, les trotte-menu de la pensée nous planter là et courir faire acte d’allégeance à tout ce qui pouvait ressembler de près ou de loin à un clergé, embrassant non sans frénésie toute robe cléricale. Quand on les interrogeait, il était manifeste qu’ils transpiraient la peur : peur de déplaire à une clientèle électorale comme si les morts-vivants votaient4, peur de déplaire aux déplaisants, peur d’affirmer des principes ; peur, enfin, de rater le tortillard de la moraline. Et ils nous ont laissés. Pschitt ! Envolés. Disparus. Volatilisés comme un vol de moineaux au premier mouvement brusque.
Les Français qui avaient mis près de trois siècles à secouer les chaînes qui les liaient aux croyances les plus baroques et aux superstitions les plus détestables se sont aperçus en se retournant qu’une grande partie de leurs élites avait esquivé le combat pour adopter une paix bâclée. Aucune armée ne les assiégeait mais nos importants ont cédé leurs places fortes les unes après les autres, allant même jusqu’à créer dans ce goût si contemporain pour l’oxymore un Observatoire de la laïcité présidé par l’inénarrable Jean-Louis Bianco, passé du multiculturalisme au multicultualisme et dont la principale obsession est non pas de défendre les acquis de la laïcité mais de favoriser le dialogue interreligieux.
Oui, messieurs, vous avez bien capitulé, vous vous êtes rendus, vous vous êtes aplatis comme des limandes.
Les déni oui-oui
Avec raison, les Français ne voient, aujourd’hui, qu’une chose : la France est en train de perdre des batailles face à l’horreur religieuse dont l’islamisme est l’avant-garde. Ces défaites sont payées au prix fort, au prix du sang, au prix des larmes, et conseiller d’adopter le fatalisme contre le fanatisme est non seulement inepte mais surtout inaudible. Oh, certes, il est possible de trouver toutes les arguties possibles pour nous conter que l’internationale de la haine est aujourd’hui affaiblie, que des coups terribles lui sont portés, que sa stratégie est inconséquente parce qu’ils n’ont pas lu Clausewitz et autres fadaises du même genre. Autant d’éléments de langage concoctés par des communicants de crise en mal d’inspiration.
Mais rien n’y fait. Les faits sont têtus et nos concitoyens qui ne manquent pas de bon sens aussi savent très bien que Daech a succédé à Al-Qaïda et que demain, les alliés ayant eu raison du Califat, il surgira immanquablement une nouvelle monstruosité totalitaire, un autre Minotaure. Et il en sera toujours ainsi tant que l’on persistera à ne pas vouloir regarder la bête en face.
Reconnaissons cependant que ce déni de la présence du religieux dans les atrocités commises ne date pas d’hier. Ces dernières années, on s’est évertué à ne jamais parler des exactions exercées par les confessions préférant parler de « terrorisme », de « luttes communautaires », de « conflits ethniques » comme si le sadisme était par essence contraire à la religion. Comme si l’essentiel était – et demeure encore quand on lit les publications de l’Observatoire de la laïcité, ce club des déni oui-oui – de ne pas indisposer, de ne pas froisser, de ne pas injurier l’avenir comme si nous pouvions nous construire un futur avec ceux qui ne rêvent que de nous replonger dans les ténèbres du passé.
Rappelons-nous le temps qu’il a fallu et les bégaiements sémantiques qui l’ont accompagné pour nommer clairement les assassins qui avaient frappé sur notre sol et que nous sommes allés défier en des terres lointaines afin de nous remémorer un passé encore plus lointain. On comprend cette gêne quand on décide de dérouler le tapis rouge et de décorer de la Légion d’horreur le prince héritier d’Arabie Saoudite. Mais bon, nos dirigeants avaient sans doute oublié que désigner l’ennemi est l’acte essentiel, celui qui préside à toute guerre. Comment se battre, en effet, quand on s’acharne à vouloir ignorer contre quel adversaire on lutte ? Mais ils étaient tellement effrayés de la portée de la fameuse phrase de Camus – « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » – qu’ils se sont résolus à ne pas nommer du tout. C’était plus simple ainsi : ce qui n’est pas nommé n’existe pas, imaginaient-ils, à l’image de ces enfants qui pensent se dérober au regard de l’adulte en se cachant derrière le rideau sans prendre garde à leurs pieds qui dépassent.
Rappelez-vous aussi l’inanité du débat dans les chancelleries européennes en 2014 sur l’opportunité d’appeler ou non le califat d’al-Baghdadi État islamique. La belle affaire ! Bon sang mais c’est bien sûr, les massacres qui se perpétraient et qui continuent de se perpétrer sur les bords du Tigre et de l’Euphrate étaient l’œuvre du matérialisme dialectique, du positivisme, du nihilisme ou que sais-je encore. De même que les attentats du 11 Septembre, du 7 janvier ou du 13 novembre, les « crimes d’honneur » en Inde, les massacres en Afrique, les assassinats de médecins pratiquant l’interruption volontaire de grossesse aux États-Unis, les « troubles » en Irlande du Nord étaient menés par des illuminés, des déséquilibrés ou des psychopathes.
Pourquoi d’ailleurs s’arrêter en si bon chemin et ne pas réécrire l’Histoire ? Les croisades ? La fascination pour l’Orient d’une poignée de féodaux un peu rustres, piqués par un pape foutraque, Urbain II5, et énervés d’avoir trop cuit dans leur armure sous le soleil de Terre sainte. La Saint-Barthélemy ? Une émotion populaire. Et si les Irlandais catholiques déclarèrent un deuil officiel à la mort de Hitler, ce fut, n’en doutons pas, pour éprouver le fair play britannique.
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C’est désormais la même antienne, dès que survient un attentat islamiste et la mort du terroriste nous sommes contraints de passer invariablement par ces sept étapes :
1. Ne pas aller trop vite dans les conclusions, attendre la fin de l’enquête (notons, au passage, que ce sont les mêmes qui, en d’autres occasions, piétinent allègrement la présomption d’innocence).
2. Expliquer que c’est sûrement là l’action d’un déséquilibré, d’un dépressif ou d’une personne sous influence. La preuve : ses voisins et ses proches attestent que l’assassin était l’homme le plus doux du monde. Un peu comme le moine Jacques Clément, bras armé de la Ligue avant qu’il ne croise le chemin d’Henri III.
3. Prendre avec circonspection la revendication de Daech. Cette dernière ne peut être cette fois-là qu’opportuniste.
4. Souligner les lacunes théologiques du tueur, sa conversion rapide ou encore sa pratique papillonnante. Il va de soi que le 22 juillet 1209, la soldatesque catholique qui a envahi les rues de Béziers pour égorger femmes et enfants cathares avaient auparavant usé leurs robes de bure sur les bancs de la Sorbonne.
5. Marteler que la religion n’a rien à voir dans cette affaire puisqu’elle nous enseigne que Dieu est amour. On n’aura pas la cruauté de rappeler ce passage de l’Exode : « Je sèmerai devant toi ma terreur, je jetterai la confusion chez tous les peuples où tu pénétreras ; et je ferai détaler tous tes ennemis » (XXIII, 27).
6. S’écrier avant même que les cadavres ne soient refroidis que les « vraies » victimes sont les adeptes de la religion évoquée parce qu’ils se sentent discriminés après l’attentat dont la conséquence première est de renforcer l’islamophobie.
7. Prier pour ceux qui ont été tués... par la religion. Et offrir comme consolation à leurs familles et leurs amis, comme le fit le pape François au lendemain de l’attentat de Nice, la « demande [faite] à Dieu de changer le cœur des violents aveuglés par la haine ». Si par hasard cette dernière aboutissait, ce serait assurément une première dans l’histoire de l’humanité. Une divine surprise en quelque sorte.
Religion Pride
Marc Twain disait : « La religion a commencé quand le premier escroc a rencontré le premier imbécile. » Et il est vrai que dans d’autres domaines, nous faire avaler de telles fables apparaîtrait comme singulièrement audacieux. Mais la religion a la chance, aujourd’hui, d’être absoute de tout reproche d’invraisemblance et, plus généralement, de toute critique. Je me souviens du dessin d’un humoriste américain paru l’année dernière où un homme lève les bras vers le ciel et dit à un autre : « Je crois que le monde a été conçu après la collision entre deux tortues célestes !
— Mais c’est absurde ! s’exclame son interlocuteur.
— C’est ma religion, réplique hargneusement le premier.
— Ah, dans ce cas, s’incline le dernier, c’est votre foi et je la respecte. »
Les récits originels, souvent poétiques, devraient demeurer ce qu’ils sont : d’aimables fictions pleines de bruit et de fureur. Le problème des mythes de la création est que les religieux réclament à grands cris – et bien plus, aujourd’hui, qu’il y a vingt ans avec la défense de cette nouvelle idéologie à part entière qu’est devenu le créationnisme – que leurs fables soient sérieusement observées, analysées, discutées afin d’être mises sur le même pied que les théories scientifiques sur le développement de la vie et du cosmos (quand ils ne demandent pas que ces théories cèdent tout bonnement la place à leurs contes et légendes).
Pour légitimer cette soumission des faits à leur imaginaire, ils mettent en avant que leur croyance est largement partagée, ainsi que l’a écrit Robert M. Pirsig : « Quand une personne souffre d’une illusion, on appelle cela la folie. Quand beaucoup de gens souffrent d’une illusion, on appelle cela la religion. »
En revanche – et c’est la raison de la colère qui parcourt cet ouvrage –, ceux qui ne croient pas ne bénéficient pas de la même bienveillance. Et cette simple constatation présage des temps sombres. Car il est devenu difficile et parfois même périlleux, dangereux de penser librement en étant libre-penseur. Si l’on compare les débats passés sur la religion dans un passé récent, quel saut ! quelle enjambée ! Par un curieux mais furieux paradoxe, tous ceux qui, hier, défendaient le principe d’une humanité dégagée des dogmes et désentravée des interdits sont désignés à la vindicte des fidèles mais aussi de leurs compagnons de route qui les suivent respectueusement, plusieurs pas en arrière. Se dire laïque, aujourd’hui, c’est accepter de subir la marche d’expiation de la reine Cersei dans les rues de Port-Réal6.
Dans Pour en finir avec Dieu7, un essai salubre et rigoureux auquel je ferai souvent mention dans ces pages, Richard Dawkins, grand scientifique et ardent défenseur du rationalisme tant mis à rude épreuve, intitule un de ses chapitres « Le respect non mérité ». La formule n’est pas seulement jolie, elle est juste. Dawkins part du postulat très souvent énoncé par les fidèles que les religions sont persécutées également dans les pays occidentaux et qu’elles doivent être protégées des attaques par « un mur de respect ». Et pour l’appuyer, il reprend cet extrait de son ami, l’écrivain Douglas Adam : « Si quelqu’un vote pour un parti avec lequel vous n’êtes pas d’accord, vous êtes libre de le contester autant que vous le voulez, tout le monde en discutera, mais personne ne s’en affligera [...] En revanche, si quelqu’un dit “Je ne dois pas appuyer sur un bouton électrique le samedi”, vous dites “ça, je le respecte”. »
Dawkins donne également un grand nombre d’exemples pour souligner l’absurdité de la situation. Je n’en prendrai qu’un qui évoque un arrêt de la Cour suprême des États-Unis du 21 février 2006 concernant le centre Espírita Beneficente União do Vegetal, une Église chrétienne teintée de chamanisme d’origine brésilienne dont les adeptes ne peuvent comprendre Dieu « qu’en prenant du thé hoasca », qui contient une drogue hallucinogène puissante interdite. La Cour suprême a décidé que conformément à la liberté de croyance, l’Église serait exemptée de cette interdiction. Un an auparavant, presque jour pour jour, la même Cour avait rendu un arrêt, là encore conforme à la Constitution, déclarant que les patients qui prennent du cannabis pour des raisons médicales doivent être poursuivis par les instances fédérales.
Vérité en deçà de la religion, erreur au-delà. C’est que le moindre haussement de sourcils est vécu comme un défi et monté aussitôt en épingle pour devenir objet de réprimande. Pas question de heurter les religieux ou leurs fidèles mais, à coup sûr, les défenseurs du libre examen seront présentés comme des fanatiques, des sectaires, des intégristes, voire – horreur ! – des laïcards8. Par un curieux retournement, les philosophes sont étiquetés fous et les prêtres, sages, la raison brocardée comme une aliénation et le surnaturel de baraque de foire est fêté comme une assomption de l’intelligence. Quelle imposture ! Les idéaux des Lumières dont on s’est acharné à faire le procès depuis des décennies (le premier à avoir lancé la croisade fut le cardinal Lustiger) sont taxés d’obscurantisme et les obscurantismes élevés au rang de phares de la pensée. Et nous acceptons cela sans protester, sans barguigner, sans même élever la voix parce qu’il faut bien « respecter ».
Mais respecter quoi au fond ? Cette prétention à répondre à la misère de nos contemporains quand on dispense en douce les ombres mortifères de l’exclusion ? Respecter cette prétendue suffisance métaphysique si vide et si creuse qu’en l’approchant on est saisi aussitôt de vertige ? Respecter cet amour absolu qui remplit la bouche des prêtres, mais brûle leurs lèvres dès qu’il s’agit de détresse humaine ? Respecter cette mansuétude qui leur fait rejeter ceux qui ne passent pas par le chas de l’aiguille de leurs obsessions ? Respect, disent-ils, comme si eux acceptaient la parole hérétique. Respect, couinent-ils en nous présentant comme véridiques les légendes urbaines les plus extravagantes. « Credibile est quia ineptum est ; certum est quia impossibile », aurait dit Tertullien. C’est croyable parce que c’est absurde ; c’est certain parce que c’est impossible. Saint Augustin renchérit : « credo ut intelligam », je crois pour comprendre. Ce à quoi répond, à sa manière, le Coran qui fustige l’idolâtrie mais ordonne à ses pèlerins d’aller embrasser et toucher la Pierre noire de la Kaaba, idole antique et païenne.
Comment ose-t-on s’interroger sur le bien-fondé qu’il y a à canoniser un homme, Jean-Paul II, qui refusa le recours au préservatif alors que des millions de personnes en Afrique mouraient du sida ? Comment ose-t-on critiquer ceux qui enferment la femme dans des vêtements du Moyen Âge sous le fallacieux prétexte que la vision de la plus infime parcelle de peau serait un appel à la luxure ? Comment ose-t-on s’étonner que des rabbins freinent les travaux des archéologues par crainte que ces derniers minimisent la somptuosité des bâtiments décrits dans la Bible ? Comment ose-t-on protester quand le patriarche de toutes les Russies explique l’attirance de Daech auprès des nouvelles générations par notre décadence, illustrée notamment par l’adoption du mariage pour tous ? Depuis que l’on commence à y prêter davantage attention, il ne se passe pas un jour sans qu’un imam, un pasteur, un rabbin, un frère prêcheur ne tiennent des propos qui défient l’entendement. Mais qu’importe ! L’essentiel, c’est de respecter la foi. Donc, aujourd’hui, la religion ou rien. Ou plutôt la religion et rien, tant il est vrai qu’elle est en passe d’avoir réponse à tout. La religion qui, seule, garantit à l’être humain ce que ni la politique, ni la science, ni la philosophie ne serait en mesure de lui assurer : une protection.
Enfin, pas cette protection qui nous couvre contre les maux de la vie, la souffrance et les misères de la condition humaine, non, mais plus exactement celle que l’on nous promet pour un après rempli d’angelots et de houris. Et c’est ainsi que « des siècles durant, a écrit la philosophe américaine Ayn Rand, les mystiques de l’esprit ont gagné leur vie par un racket de protection ; ils ont rendu la vie sur Terre intolérable puis ont facturé la consolation et le répit9 ».
Car vous ne l’avez pas compris ou pas accepté, mais on tue désormais au nom de l’amour, de toute cette bonté, de tout cet altruisme qui déborde de Dieu et nous ébouillante comme la casserole de lait laissée trop longtemps sur le feu. Oui, c’est au nom de cet ami imaginaire et de son message universel que des Juifs et des Palestiniens se haïssent, que des Serbes et des Croates se détestent, que des Iraniens et des Arabes s’étripent, que des Hindous et des Pakistanais se menacent, que des Ukrainiens et des Russes se font la guerre. Qu’il y ait bien d’autres facteurs pour expliquer les conflits dans le monde, nul n’en disconviendra ici, mais au risque de désespérer nos géopoliticiens qui courent les hauts plateaux (de télévision), c’est bien le pavillon religieux qui est hissé au mât de ces vaisseaux de guerre. « Les religions sont comme les lucioles, disait Schopenhauer, elles ont besoin de la nuit pour prier. » Oui, c’est au nom de ce doudou métaphysique que des légions de croyants se lèvent, étendent la nuit de l’esprit et déposent chaque jour le sel de leurs interdits et de leurs châtiments sur nos plaies les plus vives, rajoutant l’immensité du mal aux malheurs du monde.
1. Mario Vargas Llosa, La Civilisation du spectacle, Gallimard, 2015.
2. Dans son homélie en hommage aux victimes du 27 juillet 2016, prononcée à Notre-Dame devant l’exécutif français réuni au grand complet, le cardinal avait dénoncé le « silence des élites devant les déviances », et « la législation de ces déviances », visant très explicitement la loi en faveur du mariage pour tous.
3. Il s’agit, notamment, de l’Eurobaromètre commandé par la Commission européenne en 2010 et des sondages WIN/Gallup International ayant questionné plus de 50 000 personnes dans 57 pays. Éléments repris dans une enquête du Monde du 7 mai 2015.
4. Cette attitude est pointée par Michel Onfray dans Penser l’islam, Grasset, 2016.
5. Eudes de Châtillon, devenu Urbain II (1088-1099), bienheureux pour l’Église catholique, célébré le 29 juillet, lance la première croisade le 27 novembre 1095.
6. Épisode célèbre dans le cinquième livre de la saga Le Trône de fer écrit en 2011 où, notamment, la légitimité des monarques se trouve contestée par l’emprise grandissante des religieux. Pour expier ses péchés, la reine doit traverser la ville, nue, la tête rasée, conspuée par une populace fanatisée par les prêtres qui lui jette au visage des baquets d’ordures et d’excréments. Dans de nombreuses scènes de son œuvre, aux accents très actuels, George R. R. Martin met en scène le caractère irrationnel, arbitraire et cruel des religions.
7. Pour en finir avec Dieu, Perrin, 2009.
8. Le mot « laïcard », qui a resurgi en 2015, est un qualificatif péjoratif des défenseurs de la laïcité utilisé par Charles Maurras afin d’introduire l’idée que celle-ci est une croyance. Pour reprendre la formule heureuse de l’écrivaine canadienne Manon Boner-Gaillard, si « l’athéisme était une religion, ne pas jouer au hockey serait un sport d’hiver ».
9. « Ayn Rand, objectivisme et religion » par Neil Parille dans le blog « Renaissance de la raison ».