Juillet.

Bruxelles,

Boulevart du Régent148

Plates-bandes d’amarantes jusqu’à

L’agréable palais de Jupiter.

— Je sais que c’est Toi, qui, dans ces lieux,

Mêles ton Bleu presque de Sahara !

 

Puis, comme rose et sapin du soleil

Et liane ont ici leurs jeux enclos,

Cage de la petite veuve !…

        Quelles

Troupes d’oiseaux ! o iaio, iaio !…

 

— Calmes maisons, anciennes passions !

Kiosque de la Folle par affection.

Après les fesses des rosiers, balcon

Ombreux et très-bas de la Juliette.

 

— La Juliette, ça rappelle l’Henriette,

Charmante station du chemin de fer

Au cœur d’un mont comme au fond d’un verger

Où mille diables bleus dansent dans l’air !

 

Banc vert où chante au paradis d’orage,

Sur la guitare, la blanche Irlandaise.

Puis de la salle à manger guyanaise

Bavardage des enfants et des cages.

 

Fenêtre du duc qui fais que je pense

Au poison des escargots et du buis

Qui dort ici-bas au soleil. Et puis

C’est trop beau ! trop ! Gardons notre silence.

 

— Boulevart sans mouvement ni commerce,

Muet, tout drame et toute comédie,

Réunion des scènes infinie,

Je te connais et t’admire en silence.

*

Est-elle almée ?… aux premières heures bleues149

Se détruira-t-elle comme les fleurs feues…

Devant la splendide étendue où l’on sente

Souffler la ville énormément florissante !

 

C’est trop beau ! c’est trop beau ! mais c’est nécessaire

— Pour la Pêcheuse et la chanson du Corsaire,

Et aussi puisque les derniers masques crurent

Encore aux fêtes de nuit sur la mer pure !

Juillet 1872.
A. R.

Fêtes de la faim150

         Ma faim, Anne, Anne,

         Fuis sur ton âne.

 

Si j’ai du goût, ce n’est guères

Que pour la terre et les pierres

Dinn ! dinn ! dinn ! dinn ! Mangeons l’air,

Le roc, les charbons, le fer.

 

Mes faims, tournez. Paissez, faims,

         Le pré des sons !

Attirez le gai venin

         Des liserons ;

 

Les cailloux qu’un pauvre brise ;

Les vieilles pierres d’églises,

Les galets, fils des déluges,

Pains couchés aux vallées grises !

 

Mes faims, c’est les bouts d’air noir ;

         L’azur sonneur ;

— C’est l’estomac qui me tire.

         C’est le malheur.

 

Sur terre ont paru les feuilles :

Je vais aux chairs de fruit blettes.

Au sein du sillon je cueille

La doucette et la violette.

 

         Ma faim, Anne, Anne !

         Fuis sur ton âne.

Août 1872.
A. R.

Ô saisons, ô châteaux151

Quelle âme est sans défauts ?

Ô saisons, ô châteaux,

J’ai fait la magique étude

Du Bonheur, que nul n’élude.

 

Ô vive lui, chaque fois

Que chante son coq Gaulois.

 

Mais ! je n’aurai plus d’envie

Il s’est chargé de ma vie.

 

Ce Charme ! il prit âme et corps

Et dispersa tous efforts.

 

Que comprendre à ma parole ?

Il fait qu’elle fuie et vole !

ô saisons, ô châteaux !

[Et, si le malheur m’entraîne,

Sa disgrâce m’est certaine.

 

Il faut que son dédain, las !

Me livre au plus prompt trépas !

— Ô Saisons, ô Châteaux !

Quelle âme est sans défauts ?]

images

Entends comme brame152

près des acacias

en avril la rame

viride du pois !

 

Dans sa vapeur nette,

vers Phœbé ! tu vois

s’agiter la tête

de saints d’autrefois…

 

Loin des claires meules

des caps, des beaux toits,

ces chers Anciens veulent

ce philtre sournois…

 

Or ni fériale

ni astrale ! n’est

la brume qu’exhale

ce nocturne effet.

 

Néanmoins ils restent,

— Sicile, Allemagne,

dans ce brouillard triste

et blêmi, justement !

Honte153

Tant que la lame n’aura pas

Coupé cette cervelle,

Ce paquet blanc vert et gras

À vapeur jamais nouvelle,

 

(Ah ! Lui, devrait couper son

Nez, sa lèvre, ses oreilles,

Son ventre ! et faire abandon

De ses jambes ! ô merveille !)

 

Mais, non, vrai, je crois que tant

Que pour sa tête la lame

Que les cailloux pour son flanc

Que pour ses boyaux la flamme

 

N’auront pas agi, l’enfant

Gêneur, la si sotte bête,

Ne doit cesser un instant

De ruser et d’être traître

 

Comme un chat des Monts-Rocheux ;

D’empuantir toutes sphères !

Qu’à sa mort pourtant, ô mon Dieu !

S’élève quelque prière  !