VERS NOUVEAUX

« Qu’est-ce pour nous, mon Cœur, que les nappes de sang » p. 156

134- Texte adopté : manuscrit de la collection Pierre Berès. Première publication de ce poème dans La Vogue (n° 7, 7 juin 1886).

Le poème est écrit en quatrains d’alexandrins (en rimes croisées dans les strophes impaires, embrassées dans les autres, sauf pour la sixième strophe), mais de telle sorte que la coupe normale à l’hémistiche n’y soit que rarement perceptible. Les rimes sont souvent anomiques (pluriel rimant avec des singuliers). Apocalyptique, « Qu’est-ce pour nous… » se rapproche des poèmes communards de Rimbaud, et semble annoncer l’inspiration destructrice de certaines Illuminations (« Après le déluge », « Barbare »). Elle se rapproche aussi d’un poème d’Eugène Vermersch, « Les Incendiaires », plaquette publiée à Londres en 1873 (Imprimerie de la Société coopérative).

v. 14 – Que nous  : excepté nous. Ce tour apparaît dans le français classique (chez La Fontaine, chez Malherbe).

v. 15 – romanesques amis  : les amis poètes (qui apparaissent sous ce nom dans « Comédie de la Soif », voir p. 162) ou les anciens communards ?

v. 22 – Noirs inconnus  : l’adjectif « noirs » a une valeur morale. Il n’est pas dépréciatif. Dans « Les Poètes de sept ans », Rimbaud parlait ainsi des « hommes […]/ Noirs, en blouse […] ».

v. 25 – Cette phrase isolée n’est sans doute pas un vers supplémentaire (elle ne compte que neuf syllabes).

Mémoire p. 157

135- Texte adopté : autographe de l’ancienne collection Lucien-Graux. Première publication dans L’Ermitage, 19 septembre 1892, pour les deux dernières parties, et dans Poésies complètes (Vanier, 1895) pour la totalité du texte. Voir aussi l’autre version, « D’Edgar Poe », p. 159.

Favorisée par le cours de la rivière, une rêverie se dessine où la réalité familiale apparaît (partie 3), mais enveloppée de nombreux symboles.

v. 6 – Elle  : pour André Dhôtel (Rimbaud et la révolte moderne, Gallimard, 1952, p. 15), « Elle » est « la manifestation de la nature, apparition étonnante, illumination aux yeux de l’enfant qui, l’ayant saisie, pense à toutes ces choses matérielles qui lui ressemblent : les corps de femmes, la soie, le travail des bras humains ».

v. 8 – l’arche  : l’arche d’un pont.

v. 9 – l’humide carreau : cette fenêtre disposée dans le texte donne à voir sur une scène à la fois fond de l’eau et fond de la mémoire. Plusieurs mots prennent ici un double sens : « bouillons » qui vaut pour l’eau et l’étoffe bouillonnée des rideaux ; les robes et les saules se ressemblent aussi.

v. 14 – le souci d’eau  : il s’agit d’une fleur, qu’elle soit nénuphar (d’après Delahaye) ou populage (selon M. Ruff).

l’Épouse  : le même mot avec une majuscule apparaît dans « Michel et Christine » (p. 172).

v. 17 – Madame  : l’attitude sévère de cette femme pourrait rappeler Mme Rimbaud.

v. 18 – les fils du travail  : ces « fils du travail » qui neigent sur la prairie sont évidemment les fils de la Vierge, ou filandres, « fil sécrété par certaines jeunes araignées et qui assure leur transport au gré du vent ». Mais Rimbaud a transformé l’expression (« Vierge » devient « travail ») ; et les fils arachnéens se confondent alors avec les fils (les enfants) de la gestation et de l’accouchement.

v. 21 – Lui  : soit le père qui s’en va (reconstitution d’une scène traumatique), soit Rimbaud lui-même. Aucune de ces identifications ne parvient cependant à saturer le sens qu’implique ce pronom.

v. 23 – la montagne  : Rimbaud rend légendaire les éléments de son univers (on en verra un autre exemple dans « Honte », p. 178). Ici la montagne peut tout simplement évoquer une colline dominant Charleville, le mont Olympe.

v. 26 – saint lit surmonte sentier, biffé.

v. 34 – canot immobile : réplique figée du « bateau ivre ». De son bord, aucune des fleurs symboliques ne peut être saisie, ni la jaune (la foi conjugale), ni la bleue (l’amour simple et fleur bleue de « Première soirée »).

v. 36 – la [fleur] bleue  : un poème de Marceline Desbordes-Valmore, poétesse romantique dont Rimbaud conseillera à Verlaine de lire toute l’œuvre, s’intitule « La Fleur d’eau » (voir le recueil Pauvres Fleurs, 1839) et débute par ces vers :

« Fleur naine et bleue, et triste, où se cache un emblème,

Où l’absence a souvent respiré le mot : J’aime ! »

D’Edgar Poe. Famille maudite p. 159

136- Le poème suivant, autre version signée « R. », a été mis en vente et vendu le 25 mai 2004 (hôtel Drouot, Me Tajan). Il faisait partie des papiers laissés par Verlaine à son domicile (chez les Mauté) quand il partit avec Rimbaud le 7 juillet 1872.

Larme p. 161

137- Texte adopté : autographe donné à Forain et reproduit dans le fac-similé Messein, 1919. Il existe un autre état de « Larme », sans titre et non daté. Il appartient à la collection Berès et a été reproduit pour la première fois dans l’édition des Œuvres, Club du meilleur livre, 1957. Ce manuscrit a servi pour la première publication de « Larme » dans La Vogue (n° 9, 21 juin 1886).

« Larme », sous une version différente, est cité dans Une saison en enfer.

Le poème est écrit en hendécasyllabes, mètre extrêmement rare jusqu’à cette époque. Rimbaud en avait pu trouver l’exemple dans « Rêve intermittent d’une nuit triste » de Marceline Desbordes-Valmore, dans le recueil Poésies inédites publié à Genève en 1860. Rappelons que cette poétesse était née à Douai en 1785.

v. 5 – jeune Oise  : d’après Robert Goffin (Rimbaud et Verlaine vivants, Paris-Bruxelles, Écran du monde, 1937, p. 176), il s’agirait d’un ruisseau passant près de Roche et dont le vrai nom serait l’Alloire ou la Loire. Ce cours d’eau se jette dans l’Aisne qui elle-même grossit l’Oise.

v. 7 – colocase  : plante exotique consommée en Océanie. Rimbaud semble prendre un mot pour un autre (« coloquinte »  : variété de concombre oriental dont on peut faire des gourdes). Il n’a d’ailleurs pas maintenu colocase dans les autres versions. Le texte de La Vogue donne en effet pour ce vers et le suivant : « boire à ces gourdes vertes, loin de ma case/ claire quelque liqueur d’or qui fait suer. » Le texte d’Une saison en enfer porte « ces gourdes jaunes ».

v. 9 – Tel, j’eusse été mauvaise enseigne d’auberge  : le texte de La Vogue donne « Effet mauvais pour une enseigne d’auberge ».

v. 14 – Le texte de La Vogue et celui d’Une saison en enfer donnent « Le vent de Dieu jetait des glaçons aux mares ».

La Rivière de Cassis p. 161

138- Texte adopté : autographe donné à Forain et appartenant à l’ancienne collection Barthou. Entré à la Bibliothèque nationale en 1985. Il existe une autre version dans la collection Berès. C’est celle qui a servi à la première publication de cette poésie dans le n° 9 de La Vogue, 21 juin 1886. « La Rivière de Cassis » n’a pas été repris par Rimbaud dans Une saison en enfer.

Rimbaud semble reprendre un ancien texte, « Les Corbeaux » (qu’il cite au v. 16) et le transposer. La Rivière de Cassis ne désignerait pas alors, comme l’a prétendu Delahaye, la Semois à Bouillon, mais (sans évacuer cette hypothèse réaliste) la rivière tachée du sang des morts d’« avant-hier » dont parlait le poème « Les Corbeaux ».

v. 5 – sapinaies  : néologisme pour « sapinières ». Rimbaud a pu le former analogiquement sur « chênaies », par exemple.

v. 7 – mystères révoltants  : qui émeuvent, qui provoquent un profond bouleversement.

v. 8 – Ces campagnes d’anciens temps indiquent plutôt des campagnes militaires. Les chevaliers errants confirment cette ligne de compréhension.

v. 12 – André Breton appréciait particulièrement ce vers, « courte(s) formule(s) dont l’effet sur moi se montre magique » (L’Amour fou, Gallimard, 1937, 1er chapitre), qu’il a cité dans « Forêt-Noire », poème de son recueil Mont de Piété, Au Sans pareil, 1919. Rimbaud était censé le dire.

v. 18 – trinque  : c’est-à-dire boite. À moins d’entendre dans « moignon » un équivalent de « main », ce qu’attestait le langage populaire à l’époque de Rimbaud.

Comédie de la Soif p. 162

139- Texte adopté : autographe donné à Forain et reproduit dans le fac-similé Messein. Appartenant à l’ancienne collection Barthou, le manuscrit est entré à la Bibliothèque nationale en 1985. Il existe une autre version de ce texte dans la collection Berès. C’est à partir d’elle que fut publié le texte paru dans La Vogue (n° 7, 7 juin 1886). Enfin, l’on connaît un autre manuscrit intitulé « Enfer de la soif », dont les parties 1, 2 et 3 se trouvaient dans la collection Ronald Davis (voir vente de la bibliothèque J. Guérin, Étude Tajan, 17 novembre 1998) et les parties 4 et 5 à la Fondation Bodmer, Cologny, Suisse. Ni « Comédie de la Soif » ni ses autres versions n’ont été repris dans Une saison en enfer.

En 1870, Rimbaud avait écrit « Comédie en trois baisers ». Sa « Comédie de la Soif », d’une tout autre teneur, indique cependant les participants d’un dialogue. Le moi (comme dans « Âge d’or ») est aux prises avec ses voix secrètes. Ainsi entendons-nous les répliques d’une véritable sotie intime. Devant chacun de ses possibles, Rimbaud prend parti. Il choisit toujours la fusion avec l’objet même du désir.

v. 24 – Les urnes prennent un double sens, puisque l’on a parlé de la visite au cimetière.

v. 25 – La partie consacrée à l’Esprit met en cause la poésie idéaliste des Parnassiens, et tout son matériel mythologique : ondines, Vénus...

v. 29 – Plus qu’au Juif errant, Rimbaud pense à Ophélie. La rime « Norwège »/ « neige » se trouvait déjà dans son poème « Ophélie » de 1870.

v. 31 – Anciens exilés chers  : Ulysse, Énée, ou le poète latin Ovide qui, exilé chez les Scythes, avait écrit les Pontiques.

v. 41 – La partie consacrée aux Amis pourrait faire allusion aux beuveries des Zutistes comme à certaines tendances vaguement ésotériques de la nouvelle poésie.

v. 43 – Bitter  : mélange d’eau-de-vie et de genièvre.

v. 46 – L’Absinthe aux verts piliers  : cette vision de l’absinthe (la verte, comme on disait en argot) comprend une explicite référence au sonnet « Correspondances » de Baudelaire : « La Nature est un temple où de vivants piliers […]. »

v. 53 – Le mot « Songe » débutant par une majuscule, ce titre correspond à un syntagme nominal désignant le locuteur du passage et non pas à une phrase.

v. 66-67 – Jamais l’auberge verte (c’est-à-dire vraisemblablement le Cabaret-Vert) ne peut m’être ouverte dans de bonnes conditions.

Bonne pensée du matin p. 165

140- Texte adopté : celui du premier fac-similé Messein. L’édition des fac-similés Messein reproduit deux états du texte, dont le second est sans titre ni date. « Bonne pensée du matin » est repris sous une version différente dans Une saison en enfer.

Cette poésie rappelle certains éléments de la lettre de « Jumphe » adressée par Rimbaud à Delahaye (voir p. 185). Mais si Rimbaud semble transposer l’ambiance dans laquelle il vivait à cette époque, il ajoute des références mythiques qui la transmuent vite en légende.

v. 6 – Les mythologiques Hespérides, dont le jardin contenait des arbres aux pommes d’or, régnaient pourtant sur l’extrême ouest du monde. Mais Rimbaud assimile le soleil aux fruits précieux dont elles avaient la garde.

v. 17 – Vénus est également appelée l’étoile du Berger, et c’est Pâris, alors qu’il était berger, qui lui avait accordé le prix dans le jugement où il avait dû se prononcer sur la beauté des Immortelles.

v. 20 – Vénus anadyomène était née de l’écume.

Fêtes de la patience p. 166

141- Ce titre général ainsi que la liste des quatre poèmes qu’il regroupe se trouvent inscrits au verso du dernier feuillet d’« Âge d’or ».

Bannières de mai p. 166

142- Texte adopté : autographe donné à Jean Richepin et reproduit dans le fac-similé Messein. Un autre manuscrit (titre : « Patience », sous-titre « D’un été ») a été utilisé par Vanier pour son édition des Poésies complètes, 1895 (voir Livres du cabinet de Pierre Berès, musée Condé, château de Chantilly, 2003). En haut de la page se lit un fragment (épigraphe ?) : « Prends-y garde, ô ma vie absente ! » Olivier Bivort a découvert (voir RHLF, juillet-août 2001) qu’il s’agit d’un vers du poème « C’est moi », publié pour la première fois dans Élégies et poésies nouvelles (1825) de Marceline Desbordes-Valmore. Ce poème n’a pas été repris dans Une saison en enfer.

Marqué par l’échec qui pourrait être celui de sa tentative poétique durant l’hiver 1871-1872, mais aussi celui de ses relations jusqu’alors inabouties avec Verlaine, Rimbaud s’abandonne à la déception et s’en remet à l’imprévisible sort qui l’attend.

v. 3 – Ces chansons spirituelles (face à « La Bonne Chanson » de Verlaine) semblent définir le genre poétique que Rimbaud met en pratique dans de tels textes, même s’il ne faut pas trop croire qu’il va jusqu’à s’inspirer de celles qu’écrivit Mme Guyon (voir Étiemble, « Sur les chansons spirituelles », Lectures de Rimbaud, Revue de l’Université de Bruxelles, 1982, p. 61-75).

v. 13 – l’été dramatique  : l’été participe de l’action essentielle, du drama de l’année et de la course du soleil. Char du soleil et char du drame peuvent faire penser au chariot de Thespis, le premier comédien d’après les anciens Grecs. Le sort de Rimbaud serait lié à cette comédie essentielle.

v. 15-18 – Ces quatre vers posent un problème d’interprétation. « Toi » s’y oppose à « Bergers », « mourir beaucoup » à « meurent à peu près ». Or peut-on mourir plus ou moins ? Il apparaît que Rimbaud pense à deux types de mort, l’une absolue et comme extatique (fusionnelle avec la nature), l’autre incomplète et navrante. On retrouve ce double type de mort dans « Conte » (voir p. 259).

v. 24 – Il est naturel de rire au soleil, comme l’enfant sourit à ses parents.

Chanson de la plus haute Tour p. 167

143- Texte adopté : autographe donné à Jean Richepin et reproduit dans le fac-similé Messein. Il existe un autre manuscrit dans la collection Berès, qui a servi à la publication faite dans La Vogue (n° 7, 7 juin 1886). Ce poème a été repris dans Une saison en enfer pour deux strophes seulement.

D’après Izambard (Rimbaud tel que je l’ai connu), le modèle de ce poème viendrait d’une chanson que connaissait Rimbaud : « Avène, avène/ Que le beau temps t’amène. » C’est la parole d’un guetteur. Le même désespoir habite toujours celui qui attend – et la même science poétique pour endormir sa douleur.

v. 3-4 – L’explication biographique vaut pour ce passage. Rimbaud venait, en effet, de regagner Charleville, incité à cela par Verlaine qui souhaitait reprendre la vie conjugale avec Mathilde, sa femme.

v. 12 – Cette expression, même si elle n’est pas absolument typique, se trouve également dans « Vies III » (« mon illustre retraite ») et c’est dans « Vies II » (toujours dans les Illuminations) que l’on rencontre le mot « veuvages » (voir ici v. 25).

v. 19 – Tout comme le Bois, la Prairie est un lieu essentiel du paysage rimbaldien. Son ambivalence apparaît bien ici.

v. 25 – On comparera avec un paragraphe de « Délires I » (Une saison en enfer, p. 216), où Verlaine est censé parler : « Je suis veuve… — J’étais veuve […]. Et souvent il s’emporte contre moi, moi, la pauvre âme. »

L’Éternité p. 169

144- Texte adopté : autographe donné à Jean Richepin et reproduit dans le fac-similé Messein. Il existe un autre manuscrit dans la collection Berès, qui a servi à la publication du texte dans La Vogue (n° 7, 7 juin 1886). « L’Éternité », sous une version différente, est repris dans Une saison en enfer.

Dans cette poésie, écrite en pentasyllabes, Rimbaud semble avoir trouvé une issue au mal qui le déchirait. Son « âme sentinelle » a fini par voir, du haut de la tour, le moment de l’aube, temps parfait qui émet le signe de l’éternité.

v. 7 – La nuit annulée par l’éclat du soleil.

v. 12 – Et voles suivant ton gré. L’âme s’est dégagée de la communauté humaine.

v. 13 – La quatrième strophe telle que Rimbaud la citera dans Une saison en enfer est peut-être plus explicite : « Plus de lendemain,/ Braises de satin,/ Votre ardeur/ Est le devoir. » Le Devoir coïncide avec la nécessité de vivre l’instant. L’Éternité est proche d’un présent pur auquel il faut se vouer.

v. 18 – Nul « il naîtra ». C’est le même verbe latin oriri qui a donné le mot « orient ».

Âge d’or p. 170

145- Texte adopté : autographe donné à Jean Richepin et reproduit dans le fac-similé Messein. Un autre manuscrit se trouve dans la collection Berès. Il a servi à la publication du texte dans La Vogue (n° 7, 7 juin 1886). À ce texte manquent deux strophes, la quatrième et la cinquième. En face de la troisième strophe, on peut lire, écrit à côté d’une accolade : terque quaterque (« trois et quatre fois ») ; en face de l’avant-dernière, pluries (« plusieurs ») ; en face de la dernière : indesinenter (« indéfiniment »). « Âge d’or » devait être repris dans Une saison en enfer, comme l’indiquent les brouillons.

Dans cette poésie de l’altérité ou de l’altération de la personne, diverses voix (angéliques ou non) parlent, comme dans « Comédie de la Soif ». Le débat interne s’exprime par un obsédant cantique raisonneur qui se répète à n’en plus finir (indesinenter en latin). Écouter les bons conseils du for intérieur, être à l’unisson du bon sens, Rimbaud, par patience, feint d’y consentir.

v. 4 – Vertement  : avec force et peut-être avec « verté » (« vérité », au Moyen Âge).

v. 9 – ce tour  : cette façon d’être et cette manière de chanter qui rapproche Rimbaud du naturel (onde et flore), du familial et de l’évident (visible à l’œil nu).

v. 27 – Il n’y a pas d’explication satisfaisante à cette précision. Rappelons toutefois que L’Ange du bizarre (texte d’Edgar Poe traduit par Baudelaire et appartenant aux Histoires grotesques et sérieuses) s’exprime avec un accent d’Allemagne.

v. 35 – La réponse est donnée par le titre : de l’âge d’or. Ce retour vers un temps mythique est, comme l’éternité, une solution au malheur du temps.

v. 36 – La Nature princière de Rimbaud peut être entendue avec ironie puisque, à l’époque (s’il faut se fier à la date du poème), il habitait rue Monsieur-le-Prince. Une telle coïncidence ne pouvait toutefois que surdéterminer son univers poétique – et non pas le conditionner.

v. 39 – Ce sont les « voix » qui parlent à Rimbaud (très intimement) et non les « sœurs » réelles.

Jeune ménage p. 171

146- Texte adopté : autographe au verso d’une lettre de Forain à Rimbaud, reproduit dans le fac-similé Messein. Voir vente bibliothèque Jacques-Guérin, Étude Tajan, 17 novembre 1998.

À la date que porte cette poésie, Rimbaud logeait à l’Hôtel de Cluny, face à la Sorbonne. Beaucoup de commentateurs ont pensé qu’il fait ici allusion au couple qu’il formait alors avec Verlaine (« intrigues de génies »). Croyons plutôt que Rimbaud, face à une fenêtre ouverte, invente un couple en proie à la malignité des esprits : lutins, feux follets, etc. Les deux derniers vers laissent voir nettement le parti qu’il prend pour ce « jeune ménage ».

v. 1 – bleu-turquin  : bleu très foncé.

v. 3 – aristoloches  : plantes vivaces poussant dans des endroits pierreux. Le mot vient du grec et signifie « meilleur accouchement ». Partant de cette étymologie, C.A. Hackett a vu dans ce poème l’indication d’une naissance.

v. 8 – La mûre  : le mot rappelle « le mur » du v. 3. La fée africaine, la fée noire, apporte un fruit de même couleur.

v. 13 – Le vent trompe le marié. Pénétrant par la fenêtre grande ouverte, il prend sa place dans l’alcôve.

v. 15 – Émanations et traces d’humidité. Rimbaud avait d’abord écrit : « Même des fantômes des eaux, errants ».

v. 23 – Les Spectres de Bethléem évoquent le « jeune ménage » biblique, Joseph et Marie.

Michel et Christine p. 172

147- Texte adopté : autographe de la collection Pierre Berès. C’est à partir de ce manuscrit que fut faite la publication du texte dans La Vogue (n° 8, 14 juin 1886).

Cette poésie non datée se rattache par sa prosodie aux vers écrits en 1872 (usage d’un mètre impair, l’hendécasyllabe, et rimes parfois réduites à des assonances). Le titre surprend. Parce que Rimbaud a écrit dans Une saison en enfer  : « un titre de vaudeville dressait des épouvantes devant moi », on a cru pouvoir le référer à une comédie-vaudeville homonyme écrite par Scribe et représentée en 1821 (voir Étiemble et Yassu Gauclère, « À propos de “Michel et Christine” », Cahiers du Sud, décembre 1964, p. 927-931). L’action de la pièce se déroule pendant les guerres napoléoniennes. Michel est un paysan fiancé à Christine. Stanislas, le soldat, se sacrifie pour leur bonheur. Gaulois et Francs, autochtones et barbares, moutons et loups forment les oppositions fondamentales de cette poésie jusqu’à l’harmonisation finale, peut-être ironique, placée sous le signe du Christ. Yves Reboul y perçoit une invasion barbare ravageant le vieux monde que Rimbaud haïssait.

v. 1 – Ce « Zut » initial pourrait bien être un acte de foi « zutiste ».

v. 3 – la vieille cour d’honneur  : dans sa lettre de juin 1872 à Delahaye, Rimbaud rappelle qu’en mai 1872 sa chambre rue Monsieur-le-Prince donnait sur les jardins du lycée Saint-Louis.

v. 5 – cent agneaux  : l’équivalent des nuages qui « moutonnent ». Mais Rimbaud annonce bientôt une autre comparaison. Les nuages sont aussi des « soldats blonds ». Il en résulte tout un paysage pastoral (l’idylle) avec berger, troupeau, Sologne, loups.

v. 20 – l’Europe ancienne  : « l’Europe aux anciens parapets », dit « Le Bateau ivre ». La vision apocalyptique et barbare que dessine Rimbaud rappelle aussi (ou préfigure) celle de « Qu’est-ce pour nous, mon Cœur… ».

v. 26 – L’Épouse aux yeux bleus  : on remarquera la majuscule du mot « Épouse ». Cette femme aux yeux bleus allégoriserait la Gaule, l’homme au front rouge l’envahisseur Franc. L’idylle de ces deux peuples aurait donné la France, fille aînée de l’Église.

« Plates-bandes d’amarantes jusqu’à » p. 174

148- Texte adopté : autographe de la collection Pierre Berès. Publié dans La Vogue (n° 8, 14 juin 1886). Ce poème ne comporte pas de titre. « Bruxelles » est une simple indication locale. « Boulevart » est écrit avec un t (comme il était d’usage jusqu’en 1870 environ).

Le texte a vraisemblablement été rédigé quand Verlaine et Rimbaud, ayant quitté la France, commençaient leur randonnée en Belgique ; à Bruxelles, ils logèrent quelque temps au Grand Hôtel liégeois. Il peut être comparé à certains poèmes de Verlaine, contemporains ou postérieurs, notamment « Bruxelles. Simples fresques » I et II, repris dans Romances sans paroles, et « Images d’un sou », repris dans Jadis et naguère.

v. 1 – amarantes  : plantes ornementales qui donnent des grappes de fleurs rouges. Ce mot, en grec, signifie « immortelles », ce qui explique peut-être le nom de Jupiter apparaissant par la suite.

v. 2 – Soit le palais du Roi, soit le palais des Académies. Le jeu de mots signalé au vers 1 conseillerait d’adopter cette deuxième signification. « Toi », au vers suivant, reprend vraisemblablement « Jupiter ».

v. 7 – Cage de la petite veuve  : Rimbaud au vers 8 décrit un jardin, un parc. Le mot « veuve » désignerait alors un oiseau exotique du genre des passereaux, d’où, peut-être, à la cinquième strophe, la « salle à manger guyanaise ».

v. 10 – la Folle par affection  : allusion à Nina ou la Folle par amour, comédie en un acte mêlée d’ariettes de Marsollier de Vivetières sur une musique de Dalayrac (créée le 15 mai 1786). La « petite veuve » produit de nouveaux personnages plus ou moins identifiables. Ophélie, peut-être, folle de Hamlet, mais aussi Juliette, dont le balcon est évoqué au vers suivant. Plus loin encore, Henriette et la blanche Irlandaise. Dans « Images d’un sou », où sont nommées quantité de figures légendaires, Verlaine écrira : « La Folle-par-amour chante/ Une ariette touchante ».

v. 11. – les fesses des rosiers  : d’après Charles Bruneau (« Le patois de Rimbaud », La Grive, n° 53, avril 1947), cette expression serait un ardennisme et désignerait une branche flexible servant à soutenir des rosiers grimpants.

v. 13 – l’Henriette  : Henriette est aussi un personnage des Femmes savantes de Molière, et Théodore de Banville avait déjà associé Juliette et Henriette dans « La Voie lactée », une pièce de ses Cariatides.

v. 16 – Les diables bleus évoquent la fumée des trains, mais semblent bien une traduction détournée de l’expression anglaise blue devils (qui équivaut à nos « idées noires »), utilisée déjà par Vigny dans Stello (chap. II).

v. 17 – paradis d’orage  : cette expression, qui se trouve aussi dans une des Illuminations (« Villes », [II]  : « le paradis des orages »), désigne ici le ciel.

v. 21 – Fenêtre du duc  : la demeure du duc d’Arenberg. Rimbaud montre comment il fait une association avec les « escargots ». Le terme commun caché de cette devinette est évidemment « Bourgogne », qui convient aussi bien à « duc » qu’à « escargots ».

v. 24 – C’est trop beau ! trop !  : la même formule sera reprise dans « Est-elle almée ? » (voir p. 175), vraisemblablement écrit à la même date.

« Est-elle almée ?… aux premières heures bleues » p. 175

149- Texte adopté : autographe de l’ancienne collection Lucien-Graux. Première publication dans Poésies complètes (Vanier, 1895). Voir vente bibliothèque Jacques-Guérin, Étude Tajan, 17 novembre 1998.

v. 1 – almée  : danseuse orientale dont les danses étaient accompagnées de chants. Le Bescherelle donne comme premier sens : « mot arabe qui signifie savante ».

v. 6 – la chanson du Corsaire  : inspirée du « Corsaire » de Byron. Verdi avait écrit un opéra (1848) sur ce thème. Un mélodrame comique de Nicolas Dalayrac (1783) porte également ce titre.

Fêtes de la faim p. 175

150- Texte adopté : autographe musée Arthur-Rimbaud, Charleville-Mézières. « Fêtes de la faim » a été repris partiellement dans Une saison en enfer. La dernière strophe semble avoir été recréée par Rimbaud dans une autre poésie qu’il donne à la suite : « Le loup criait sous les feuilles… » (voir p. 225).

Les faims de Rimbaud sont aussi essentielles que ses soifs. Elles se nourrissent de l’incomestible, des sons, des odeurs, et traduisent le même désir de se fondre avec les éléments du monde.

v. 1 – On pense à la sœur Anne du conte Barbe-bleue, veilleuse de la plus haute tour.

v. 3 – goût : le mot est souligné, car il a un double sens. La sensibilité esthétique (le goût) devient voracité éperdue.

v. 7 – Ce vers semble être une réplique au poème « Chevaux de bois » de Verlaine, daté « août 1872 » et repris dans ses Romances sans paroles.

v. 9 – Rimbaud a d’abord écrit : « Puis l’humble et vibrant venin ».

v. 22 – doucette : espèce de mâche.

« Ô saisons, ô châteaux… » p. 176

151- Texte adopté : autographe de la collection Pierre Berès. Dans ce manuscrit, les cinq derniers vers ont été biffés. Dans le n° 9 de La Vogue (21 juin 1886) qui publie pour la première fois ce texte, ils ont été supprimés. Il existe un autre brouillon que Bouillane de Lacoste a étudié dans son édition critique des Poésies (Mercure de France, 1939, p. 223-225) ; il appartient visiblement aux quelques pages autographes d’Une saison en enfer qui nous sont parvenues. Le texte est précédé de deux lignes biffées : « C’est pour dire que ce n’est rien, la vie/ voilà donc les saisons. »

Autre poème-chanson, « Ô saisons, ô châteaux… » se donne pour refrain certains mots clés du monde rimbaldien. Les saisons correspondent à des périodes de vie, à des temps d’expérience (il y a aussi les veuvages). Les châteaux transposent sur un plan architectural de tels moments.

v. 1 – Pour l’autre manuscrit, on peut lire entre les deux premiers vers « Où court où vole où coule », biffé ; et pour le vers 2 : « Quelle âme n’est pas sans défauts ».

v. 5 – « le Bonheur était ma fatalité », écrira Rimbaud dans Une saison en enfer, avant de présenter ce poème.

v. 7 – son coq Gaulois  : plusieurs sens sont admissibles et peut-être superposables. L’expression « coq gaulois » est en soi banale, puisque le coq se dit gallus en latin. On a souvent pensé, étant donné le contexte catholique rappelé par Rimbaud quand il présente ce poème dans Une saison en enfer (voir p. 228), que se trouvait remémoré ici un hymne des laudes du dimanche : « Gallo canente spes redit » (« L’espoir revient quand chante le coq »). Mais ce chant pourrait aussi désigner l’acte amoureux, après lequel le coq a l’habitude de chanter. Rimbaud avait d’abord écrit (brouillon examiné par Bouillane de Lacoste) : « Je suis à lui chaque fois/ Si chante son coq gaulois. »

v. 10 – Charme  : le mot a le sens fort d’incantation magique et correspond au chant du coq.

v. 15-20 – Sur le manuscrit, ces vers ont été biffés.

v. 17 – las !  : mot ancien pour « hélas ! ».

« Entends comme brame » p. 177

152- Texte adopté : autographe de la vente de l’hôtel Drouot du 5 février 1993. Première publication dans Reliquaire (1891) sous le titre factice « Silence ».

Ce poème sans titre (sur le manuscrit) et sans date est comparable par sa prosodie aux poèmes de 1872. Le troisième vers pourrait, à la rigueur, donner une indication de date : « avril ». Aucun commentaire sûr ne peut en être fait ; plusieurs, néanmoins, y ont vu une parodie de l’esthétique que Verlaine, à la même époque, mettait en œuvre dans ses Romances sans paroles (notamment la neuvième des Ariettes oubliées) et qu’il avait déjà expérimentée dans « La Bonne Chanson » (sixième poème, « La Lune blanche… », par exemple).

v. 6 – Phœbé  : la Lune pour les anciens Grecs et, partant, pour les Parnassiens.

v. 13-16 – C.A. Hackett perçoit dans les épithètes « fériale » et « astrale » une double critique de la poésie verlainienne, celle des Fêtes galantes (fériale, qui a trait à la fête) et celle des Poèmes saturniens (astrale). La « brume » ou le « brouillard » (v. 19) correspondent bien aux effets de paysage verlainiens. Rimbaud les met au compte de l’ancienne poésie qui avait besoin d’un tel « philtre sournois ».

Honte p. 178

153- Texte adopté : autographe de la collection Pierre Berès, d’après lequel fut publié cette poésie dans La Vogue (n° 8, 14 juin 1886).

Pour Émilie Noulet, « Honte » daterait de mai 1872, comme tendrait à le prouver la versification de Rimbaud dans cette pièce. Dans « Honte », il semble évident que Rimbaud se désigne par l’expression « l’enfant gêneur ». Il ferait donc ici parler Verlaine, comme dans « Délires I » (voir Une saison en enfer), où la Vierge folle retrace sa vie avec l’Époux infernal.

v. 4 – À vapeur jamais nouvelle  : sans idée neuve.

v. 5 – Lui  : pour Albert Henry, ce pronom « ne peut couvrir que le même être que celui qui est désigné à la quatrième strophe » (Contributions à la lecture de Rimbaud, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1998). Pour Michel Décaudin (Poèmes, Hachette, 1958, p. 267), cette deuxième strophe opposerait les commentaires ironiques de Rimbaud aux plaintes de Verlaine à son égard (dont l’ensemble du texte présenterait une parodie).

v. 17 – un chat des Monts-Rocheux  : Suzanne Briet a suggéré qu’une telle expression pouvait désigner avec humour la région de Roche où ce poème aurait été écrit. Dans une lettre à Verlaine du 31 décembre 1881, Delahaye, pour parler de la présence possible de Rimbaud à Roche, écrit : « le “Monstre” hypothétiquement rocheux ».

LES DÉSERTS DE L’AMOUR

154- Autographe de l’ancienne collection Barthou entré depuis novembre 1985 à la Bibliothèque nationale. Le fac-similé de l’« Avertissement » a paru dans Henry de Bouillane de Lacoste, Rimbaud et le problème des Illuminations, Mercure de France, 1949.

L’ensemble est composé de trois feuillets libres. Le premier porte au recto le titre et au verso l’« Avertissement », signé « A. Rimbaud ». Les deux autres feuillets contiennent chacun un récit et ne sont écrits qu’au recto. En 1925, François Mauriac a publié son roman Le Désert de l’amour, qui lui valut alors le grand prix du roman de l’Académie française.

Avertissement p. 182

155- Cet « Avertissement » permet de supposer un projet d’une certaine ampleur. Cependant, Rimbaud tient bien à se présenter comme l’éditeur de ces « écritures » de jeune homme. Il s’en distingue et prend le parti d’un « nous tous » face à cette « âme égarée ».

156- homme  : le mot est souligné, comme il le sera dans « Sonnet » (voir Illuminations), texte appartenant à l’ensemble « Jeunesse ».

157- jeunes hommes  : paradoxalement, ce jeune homme unique rappelle certains de ses devanciers. On pense, bien sûr, au héros de La Confession d’un enfant du siècle d’Alfred de Musset, et peut-être plus encore au René de Chateaubriand qui se présente ainsi : « Sans parents, sans amis, pour ainsi dire seul sur la terre, n’ayant point encore aimé, j’étais accablé d’une surabondance de vie. »

158- élevés  : au sens moderne de « sublimés ».

159- des Mahométans légendaires  : épisode de la légende chrétienne également rapporté dans le Coran (sourate XVIII, 9-22). Sept enfants persécutés par l’empereur Dèce avaient été murés dans une grotte où ils s’étaient réfugiés. Miraculeusement, ils s’y endormirent et ne se réveillèrent que deux siècles plus tard.

[I] p. 182

160- un de mes jeunes amis anciens, prêtre et vêtu en prêtre : Delahaye, dans Rimbaud, l’artiste et l’être moral (repris dans Delahaye témoin de Rimbaud, La Baconnière, 1974, p. 38), assure que ce personnage ne fut pas inventé : « C’était un condisciple [de Rimbaud] – les élèves du séminaire suivaient nos cours du collège – et un bibliophile qui lui prêtaient des livres. » Mais il est évident que Rimbaud (ou son rêve) tire le personnage vers la fiction et lui donne une importance toute romantique, quand il parle de ses livres « qui avaient trempé dans l’océan ». L’étrange précision « c’était pour être plus libre » laisse entendre que cet ami n’avait pas choisi l’état ecclésiastique par vocation, mais par paresse.

161- minant  : il faut bien lire « minant » et non « mimant ».

[II] p. 183

162- L’ensemble du texte, quoique progressif, est orchestré par l’afflux des larmes qui marquent la fin de chacun des trois principaux paragraphes. L’effusion des pleurs est à l’image des « larmes d’Éros » et semble se substituer à la satisfaction du corps.

DEUX LETTRES (1872-1873)

Lettre à Ernest Delahaye de juin 1872 p. 185

163- Autographe de l’ancienne collection Saffrey. B.N., n.a.fr. 26499. Première publication par Paterne Berrichon dans La Nouvelle Revue française (octobre 1912, p. 578-580).

Cette lettre est fondamentale pour comprendre les conditions de vie et l’état d’esprit dans lesquels se trouvait Rimbaud à Paris, quand il écrivait certains de ses « vers nouveaux » peu avant son départ avec Verlaine en Belgique. Elle est parsemée de mots inventés (ou plutôt déformés) qui signalent l’argot particulier que Rimbaud, Verlaine, Delahaye et quelques autres avaient coutume d’utiliser entre eux.

164- Parmerde, Jumphe  : c’est-à-dire Paris, juin.

165- le cosmorama Arduan  : Littré définit le mot cosmorama comme « une espèce d’optique où l’on voit des tableaux représentant les principales villes ou vues du monde ». Rimbaud venait de goûter les amères beautés des Ardennes de février à avril 1872.

166- chacun est un porc  : en 1873, Rimbaud écrira dans Une saison en enfer  : « ainsi j’ai aimé un porc ».

167- Cette dernière phrase semble évidemment en accord avec les poèmes datés de mai 1872 : « Comédie de la Soif », « Bonne pensée du matin », « Chanson de la plus haute Tour » (« Et la soif malsaine/ Obscurcit mes veines »).

168- L’académie d’Absomphe (c’est-à-dire d’Absinthe) se trouvait au 176, rue Saint-Jacques. Quarante tonneaux d’eau-de-vie y étaient alignés le long des murs ; de là le nom de l’établissement.

169- geinte (du verbe « geindre ») : motif à plaintes.

170- Henri Perrin était professeur. Il avait succédé à Georges Izambard. Quand il était devenu rédacteur du Nord-Est, Rimbaud lui avait communiqué certains textes pour qu’il les publiât dans ce journal, mais il s’y était refusé énergiquement.

171- Le café de l’Univers, face au square de Charleville, était fréquenté par Rimbaud et ses amis.

172- Cette mansarde, rue Monsieur-le-Prince, se trouvait, d’après P. Petitfils (Rimbaud, Julliard, 1982, p. 172), soit au n° 41, à l’hôtel d’Orient, soit, plutôt, dans un immeuble vétuste et abandonné qu’occupait alors la bohème du quartier Latin.

173- Ce paragraphe fait penser à certains textes de Rimbaud, et notamment à « Bonne pensée du matin » (voir p. 165).

174- Le 1er numéro de La Renaissance littéraire et artistique avait paru le 27 avril 1872. Les directeurs de la revue étaient Émile Blémont (auquel Rimbaud avait confié son sonnet « Voyelles »), Jean Aicard et Richard Lesclide. Le numéro du 14 septembre 1872 publia « Les Corbeaux » ; mais Rimbaud était alors en Angleterre.

175- Caropolmerdés : Carolopolitains. Malgré ce qu’il dit, il est établi qu’il vit alors Jules Mary, un ancien du collège (voir Littérature, octobre 1919). Jules Mary, 1851-1922, deviendra l’auteur de romans populaires, tels que Roger la Honte.

Lettre à Ernest Delahaye de mai 1873 p. 187

176- Première publication dans La Nouvelle Revue française, juillet 1914, p. 52-54. Fac-similé reproduit, accompagné de notes de Steve Murphy, dans le Bulletin n° 1 de Parade sauvage (février 1985, p. 61-64). Nous avons respecté les bizarreries graphiques de Rimbaud. Depuis 1998, B.N., n.a.fr. 26499.

Rimbaud était arrivé à Roche le 11 avril, jour du vendredi saint. Isolé dans sa famille, il ne pouvait venir à Charleville. Ernest Delahaye restait l’ami fidèle à qui il aimait se confier.

177- Laïtou : l’explication du curieux « Laïtou » est donnée dans la parenthèse : « (Roches [sic]) », et dans un dessin de la lettre elle-même représentant grossièrement une agglomération et sous-titré « Laïtou, mon village ». À côté de ce croquis, on lit la phrase : « La mother m’a mis là dans un triste trou. » Or, « trou la la laïtou » était le refrain de plusieurs tyroliennes en vogue à l’époque.

178- Ô Nature ! ô ma mère ! : parodie du vers de Musset dans « Souvenir », « Eh bien ! qu’importe encore ? Ô nature ! ô ma mère !/ En ai-je moins aimé ? » La première page de la lettre de Rimbaud est ornée d’un dessin où il se représente, les cheveux longs et tenant un bâton. Autour de lui, grossièrement indiqués, un décor champêtre, une oie chantant « ô nature, ô ma tante » et, plus loin, un paysan brandissant une pelle et disant « ô nature, ô ma sœur ! ».

179- Charlestown : Charleville.

180- l’Univers, la Bibliothè [sic] : le café de l’Univers et la bibliothèque municipale restaient donc toujours les lieux d’élection de Rimbaud.

181- Rimbaud semble clairement indiquer ici qu’il écrit la partie de la future Saison en enfer qui sera intitulée « Mauvais sang », et tout spécialement les cinquième et sixième sections. Le projet proprement dit d’Une saison en enfer n’apparaît donc pas encore, mais l’idée d’un livre s’opposant à l’esprit du christianisme semble d’ores et déjà retenue.

182- Nôress  : pour Nord-Est, journal de Charleville. Verlaine devait voir, en effet, Léon Deverrière, un ancien ami de Georges Izambard, bien connu de Rimbaud également et qui, après avoir été quelque temps professeur de philosophie à l’Institution Rossat, était devenu secrétaire de rédaction du Nord-Est (dont l’imprimeur était F. Devin). Le livre que Verlaine voulait faire imprimer était les Romances sans paroles, alors dédiées à Rimbaud.

183- enmerdés [sic] : gras, encrassés d’encre.

184- contemplostate : bon exemple du genre de néologismes que Verlaine, Rimbaud et Delahaye utilisaient entre eux. On comprend, bien entendu, la « contemplation ». Mais le mot « prostate » s’entend aussi et détruit le sens noble du mot « nature » qui suit.

185- m’absorculant : m’absorbant.

186- un rendez-vol : un rendez-vous.

187- Boulion  : pour « Bouillon », petite ville des Ardennes belges située près de la frontière, où Rimbaud retrouva le dimanche Verlaine et Delahaye. Verlaine lui aussi jouera sur ce nom propre et le transformera en « Boglione ».

188- fraguemants en prose  : pour « fragments en prose ». Quels textes Rimbaud désigne-t-il ici ? André Guyaux (Poétique du fragment, La Baconnière, 1985) a pensé aux Illuminations dont Verlaine dira plus tard qu’il s’agissait de « superbes fragments ». Mais en quoi, dans ce cas, consistaient les fragments de Verlaine ?

189- Prussmars : Prussiens.

190- à Vouziers, une sous-préfecte : sous-préfecture du département des Ardennes, située sur l’Aisne, Vouziers comptait alors un peu plus de 3 000 habitants et non « 10 000 âmes », comme le dit Rimbaud. Considère-t-il alors que les « Prussmars » ont apporté un tel renfort de population ? C’est probable, et volontairement comique.

191- demi-douzaine : le renseignement donné par Rimbaud est d’importance. Il a donc déjà écrit à cette date trois histoires (font-elles partie de la future Saison ou des Illuminations ?). Son projet semble comporter alors neuf histoires. Une saison en enfer contiendra huit chapitres (?) de longueur très inégale. On notera surtout que « Mauvais sang » (qui contient deux « histoires nègres ») est formé de huit parties, ou séquences.

192- Faust : c’est évidemment une histoire satanique par excellence qui correspond assez aux ambitions d’Une saison en enfer.

193- Shakespeare : les références à Shakespeare sont nombreuses chez Rimbaud, mais surtout dans les Illuminations (voir « Bottom »).

194- cette biblioth : la Bibliothèque populaire ; elle publiait une « collection des chefs-d’œuvre des littérateurs français et étrangers » à 25 centimes le volume.

PROSES ÉVANGÉLIQUES

195- Autographe de l’ancienne collection Jacques Guérin. Un feuillet recto-verso. Reproduction dans le catalogue de vente de l’hôtel Drouot, Étude Tajan, 17 novembre 1998.

Les crochets encadrent les lectures conjecturales, les mots ou lettres restitués ainsi que les passages n’ayant pu être déchiffrés dans le manuscrit autographe.

« À Samarie » p. 192

196- Samarie  : Samarie désigne une province centrale de la Palestine. Les Samaritains étaient en conflit religieux avec les Juifs et les détestaient.

197- Juda  : la Judée. Les tables antiques désignent les Tables de la Loi données par Yahvé à Moïse sur le Sinaï.

198- la femme à la fontaine  : cette rencontre est narrée dans l’Évangile selon saint Jean. On y lit notamment la phrase : « Seigneur, je vois bien que vous êtes un prophète » (Jean 4, 19, traduction de Lemaistre de Sacy, à laquelle nous nous référerons désormais). Le mot « prophète » est ici considéré comme « sinistre » parce que les prophètes étaient menacés de mort par les Samaritains.

199- l’homme d’état  : cette parole peut annoncer celle d’Une saison en enfer  : « Ce sont les seuls élus. Ce ne sont pas des bénisseurs. »

« L’air léger » p. 193

Texte écrit sur la même page que le précédent.

200- les marchands de gibier  : « Et il trouva dans le temple des gens qui vendaient des bœufs, des moutons et des colombes, comme aussi des changeurs qui y étoient assis » (Jean 2, 14).

201- un officier  : épisode rapporté dans Jean 4, 46-54.

202- vous ne croyez point  : « Si vous ne voyez des miracles et des prodiges, vous ne croyez point » (Jean 4, 48).

203- Il avait [...] parlé un peu hautement à la Sainte Vierge  : allusion à la parole du Christ à la Vierge pendant l’épisode des noces de Cana : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? Mon heure n’est pas encore venue » (Jean 2, 1-12).

204- « Allez, votre fils se porte bien »  : Jean 4, 50.

205- pharmacie  : le mot est à prendre ici au sens de « remède ».

« Bethsaïda » p. 196

Verso de la page précédente.

206- Bethsaïda  : « Or il y a à Jérusalem une piscine des brebis, appelée en hébreu Bethsaïda ; et elle est environnée de cinq galeries, dans lesquelles étoient couchés un grand nombre de malades, d’aveugles, de boiteux, et d’autres dont les membres étoient desséchés, qui tous attendoient le mouvement de l’eau » (Jean 5, 2-3).

207- pareil à un ange blanc  : « Car l’ange du Seigneur descendoit un certain temps dans cette piscine, et en agitoit l’eau ; et celui qui y entroit le premier après que l’eau avoit été ainsi agitée, étoit guéri, quelque maladie qu’il eût » (Jean 5, 4).

208- le démon tirait sa langue en leur langue  : paraphrase faite par Rimbaud ; le démon ironisait (tirait la langue) dans leurs paroles (en leur langue). Façon de désigner les railleries que proféraient ces hommes pleins de péchés.

209- Le Paralytique se leva  : « Jésus lui dit : levez-vous ; emportez votre lit, et marchez. Et aussitôt cet homme fut guéri ; et prenant son lit, il commença à marcher » (Jean 5, 8-9).

UNE SAISON EN ENFER

« Jadis, si je me souviens bien » p. 201

210- Une saison en enfer s’ouvre sur ces guillemets qui ne seront jamais refermés par la suite.

211- Nombreuses chez les poètes, les comparaisons de la vie avec le festin. Citons le vers de Gilbert, poète du XVIIIe siècle : « Au banquet de la vie, infortuné convive ». L’évocation de ce « festin » est peut-être également un souvenir de la Bible, et plus précisément de l’épisode des noces de Cana, rappelé dans l’une des Proses évangéliques (p. 192).

212- Ô sorcières  : je pense qu’il faut comprendre que la misère et la haine, nommées ensuite, sont les sorcières dont parle Rimbaud.

213- le dernier couac ! : l’expression populaire « faire un couac » signifie « faire une fausse note », « commettre une bévue ». Rimbaud, par une épithète, la rend plus expressive et synonyme de « rendre le dernier soupir ». Il est plus que probable qu’il fait ainsi allusion au 10 juillet 1873 et au drame de Bruxelles.

214- de si aimables pavots  : comprendre, par antiphrase, « d’illusions si détestables ». Le pavot est la fleur du sommeil.

215- tous tes appétits  : Verlaine semble avoir plusieurs fois cité ces mots puisqu’il les écrivit en italique dans « Invocation » (premier état de « Luxures », envoyé le 16 mars 1873 à Edmond Lepelletier) : « Chair  ! Amour  ! ô tous les appétits vers l’Absence,/ Toute la délivrance et toute l’innocence. » On les retrouve dans Sagesse (« Malheureux  ! Tous les dons… : Tout appétit parmi ces appétits féroces ») et dans « Crimen amoris », écrit dès 1873 et envoyé à Rimbaud : « Les Appétits, pages prompts que l’on harcèle. »

216- petites lâchetés en retard  : ces mots laissent entendre d’autres textes où certains critiques, non sans vraisemblance, ont voulu voir les poèmes en prose des Illuminations.

Mauvais sang p. 203

217- mes ancêtres gaulois  : Rimbaud commence son histoire là où traditionnellement commence l’Histoire de France. Comme il répétera le catéchisme (pour le parodier), il répète l’enseignement des manuels scolaires.

218- plus oisif que le crapaud  : Verlaine, dans une lettre à Rimbaud du 2 avril 1872, se dit « l’ami des crapauds », pour signifier à Rimbaud qu’il est son ami. Rimbaud, en effet, lors d’une altercation avec le photographe Carjat, avait été traité de crapaud par celui-ci.

219- race inférieure  : faut-il créditer Rimbaud d’un certain nombre de lectures qui donneraient à cette expression tout son arriéré historique ? S’il paraît peu probable qu’il ait lu l’Essai sur la noblesse de France (1732) du comte de Boulainvilliers, montrant que la noblesse descendait des anciens Francs et le tiers-état des Gaulois vaincus, il est plus plausible qu’il ait eu connaissance des Récits des temps mérovingiens d’Augustin Thierry (1840), insistant sur la domination franque et l’état de servage des Gaulois de souche. Rimbaud se veut plus gaulois que français, et la fin de « Mauvais sang » (c’est-à-dire « mauvaise origine ») tend à rejeter définitivement « la vie française ».

220- Solyme  : ancien nom poétique de Jérusalem.

221- bivaqué  : forme ancienne pour « bivouaqué ».

222- Pourquoi ne tournerait-il pas ?  : rappel de la parole de Galilée « Eppur si muove ! » (« Et pourtant elle tourne ! ») que Rimbaud avait déjà citée par moquerie dans Un cœur sous une soutane.

223- la plage armoricaine  : le texte enregistre ce curieux déplacement de l’Est (pays de l’Évangile) à l’Ouest (la Bretagne du sang païen).

224- retour des  : expression elliptique de la langue parlée pour « au retour des ».

225- mon vice  : vraisemblablement l’homosexualité (voir le brouillon de ce passage, p. 240).

226- se garder de la justice  : le brouillon de ce passage permet de comprendre que Rimbaud, dans sa résolution enragée, souhaite éviter toutefois les pénalités qu’impose la société. Donc pas de fin sur l’échafaud (on chantait souvent des complaintes pour les condamnés à mort). Pas de popularité de cette sorte. Cependant, la justice s’était bel et bien emparée de lui et de Verlaine à Bruxelles !

227- soulever [...] le couvercle du cercueil  : pour y entrer, bien entendu. « Enfance V » fait écho à cette résolution : « Qu’on me loue enfin ce tombeau […] très loin sous terre. »

228- De profundis Domine  : Rimbaud ponctue Une saison en enfer de tels rappels de chants et répons d’église. Baudelaire, lui aussi, avait écrit un sonnet de désespoir lucide, « De profundis clamavi » (Les Fleurs du Mal, éd. de 1861).

229- le forçat intraitable  : ce forçat peut être le Jean Valjean des Misérables de Victor Hugo, ouvrage que cite Rimbaud dans sa lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871.

230- nuits d’hiver  : vraisemblablement une allusion à la fugue de Rimbaud à Paris durant l’hiver 1871 (du 25 février au 10 mars) et surtout à son retour à pied à Charleville.

231- ne m’ont peut-être pas vu  : Rimbaud souligne ce passage. Il semble ainsi se référer à l’Évangile selon saint Matthieu (13, 13) : « parce que regardant, ils ne regardent pas, et entendant ils n’entendent ni ne comprennent ».

232- la race qui chantait dans le supplice  : la phrase précédente, « je n’ai jamais été chrétien », conseille de ne pas voir en Rimbaud un martyr de la religion. S’il est brûlé (vraisemblablement sur un bûcher, « comme Jeanne d’Arc »), c’est parce qu’on le considère comme un sorcier (il a précisé plus haut qu’il dansait le sabbat).

233- empereur, vieille démangeaison  : citation d’« Eviradnus », l’une des petites épopées de La Légende des siècles de V. Hugo. En voici le texte :

« Est-ce que tu n’as pas des ongles, vil troupeau,

Pour ces démangeaisons d’empereur sur ta peau ! »

234- des enfants de Cham  : Cham était l’un des fils de Noé. De lui naquit la race noire.

235- Deux amours  : Rimbaud distingue bien l’amour terrestre, qui est aussi le « dévouement » (la charité), et l’amour divin, qui est la foi.

236- Jésus-Christ pour beau-père  : cette plaisanterie est une conséquence logique de ce qu’avait écrit Rimbaud auparavant, rappelant que la France était « fille aînée de l’Église ». Il est évident que si Rimbaud « épouse » la vie française (morale et religion), il aura Jésus-Christ pour beau-père ! Une autre version de cette « idylle » est donnée dans « Michel et Christine » (voir Vers nouveaux, p. 172).

237- J’ai dit  : Dieu  : cette précision tend à éliminer tout dogmatisme religieux, et plus particulièrement le christianisme. Rimbaud voulant trouver Dieu n’a pas besoin d’intermédiaires.

238- le siècle des cœurs sensibles  : le XVIIIsiècle, siècle de Fénelon et de Jean-Jacques Rousseau, dont Ernest Delahaye prétend que Rimbaud fut l’assidu lecteur.

239- ce cher point du monde  : on pense à la parole d’Archimède : « Qu’on me donne un point d’appui, et je soulèverai la terre. » Mais il apparaît bien que Rimbaud veut échapper à l’action qui accapare les hommes.

Nuit de l’enfer p. 211

240- une fameuse gorgée de poison  : il est difficile de savoir ce qu’entend Rimbaud par ce poison. Un poison matériel, une drogue (voir « Matinée d’ivresse ») ? Ou un poison spirituel (l’ignominie, dit Enid Starkie ; le doute, dit Mario Matucci ; la foi chrétienne, assimilée plus bas au « baiser mille fois maudit », prétend Suzanne Bernard) ?

241- Je me crois en enfer, donc j’y suis  : c’est encore ce que l’on peut lire dans certains manuels de cathéchisme commentant le Credo  : « croire veut dire je suis certain ».

242- le clair de lune quand le clocher sonnait douze  : l’italique indique sans doute une citation. Ce membre de phrase se présente comme un alexandrin. On n’a pu localiser ce vers, mais, comme l’indiquait déjà Y.-G. Le Dantec (Verlaine, Œuvres poétiques complètes, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1938), Verlaine le reprendra dans « Lunes I », poème de Parallèlement : « […] après le bal sur la pelouse,/ Le clair de lune quand le clocher sonnait douze ».

243- en bas  : comme l’indique le latin infernum, « qui est en bas ».

244- Ferdinand  : d’après Delahaye, nom donné à Satan par les paysans vouzinois.

245- La lanterne nous le montra  : il s’agit d’un spectacle de lanterne magique. Ce jouet était courant à l’époque.

246- houris  : femmes qui peuplent le paradis de Mahomet, selon le Coran. Rimbaud veut simplement dire de très belles femmes.

247- l’anneau : Rimbaud fait allusion à plusieurs anneaux légendaires – celui de Polycrate, qui, comblé de bonheur et pour défier le destin, avait jeté ce bijou dans la mer, et surtout celui du roi Gygès, qui permettait à son possesseur de disparaître à volonté (or Rimbaud vient d’écrire : « Veut-on que je disparaisse »).

248- ma Saxe  : rien ne permet de comprendre l’allusion contenue dans ce mot, à moins de se reporter au Faust de Goethe (que Rimbaud souhaitait lire en mai 1873). Leipzig, en effet, où se passe l’action de Faust, est dans la province de Saxe.

Délires I p. 215

249- Vierge folle  : l’organisation de ce chapitre est inspirée par la parabole des Vierges folles et des Vierges sages rapportée dans l’Évangile selon saint Matthieu (25, 1-13). Au royaume des cieux, dix jeunes filles prennent leurs lampes pour accueillir l’époux divin. Cinq d’entre elles (ce sont les Vierges folles) ne se sont pas munies d’huile. Les cinq autres ont été plus prévoyantes. C’est pourquoi elles peuvent recevoir l’époux divin.

Les commentateurs sont divisés lorsqu’il s’agit de mettre un nom sur l’époux infernal et la vierge folle. Certains croient qu’il s’agit de Rimbaud en lutte contre lui-même ; en somme, un dialogue entre Animus et Anima, pour reprendre la parabole inventée par Claudel dans ses « Réflexions et propositions sur le vers français » (1re parution dans La Nouvelle Revue française, 1er novembre 1925) « pour faire comprendre certaines poésies d’Arthur Rimbaud ». Toutefois il est plutôt admis que la vierge folle représente le faible Verlaine et que l’époux infernal est Rimbaud en personne. Le débat du texte semble le prouver.

250- Je suis veuve : dans plusieurs poèmes de 1872, Rimbaud parle de veuvages ou de veuve, notamment dans « Vies II » et la « Chanson de la plus haute Tour », où l’on rencontre aussi l’expression « la si pauvre âme » (présentée ici comme une citation). Ces termes appartiennent évidemment au vocabulaire verlainien, repris et souvent moqué par Rimbaud.

251- L’amour est à réinventer  : on lit, dans « Génie III » de Rimbaud, « L’amour, mesure parfaite et réinventée. »

252- d’être éclairé sur tout  : plus tard, Verlaine, demandant par lettres des nouvelles de Rimbaud à Ernest Delahaye, l’appellera le « philomathe », celui qui a le goût d’apprendre.

253- Duval, Dufour, Armand, Maurice  : dans cette suite de noms et de prénoms, on entend « Armand Duval », le héros de La Dame aux camélias (1848) d’Alexandre Dumas fils. La phrase qui suit offre en effet un ironique commentaire de ce drame.

254- assomption  : Rimbaud choisit à dessein ce mot du vocabulaire religieux qui désigne l’enlèvement de la Vierge au ciel par les anges (l’Ascension nommant l’élévation miraculeuse du Christ au ciel). Appliqué à l’époux infernal, le terme, quoique doublement impropre, est particulièrement blasphématoire.

Délires II p. 221

255- Alchimie  : Baudelaire, pour sa part, avait écrit une « Alchimie de la douleur » (Les Fleurs du Mal, éd. de 1861). Dans le sonnet des « Voyelles », Rimbaud parlait déjà de cette science occulte. Or c’est ce poème qu’il mentionne tout d’abord dans la rétrospection de ses « études » passées. Tous les poèmes cités dans cette partie d’Une saison en enfer ne sont restitués qu’approximativement, soit par imprécision du souvenir, soit par volontaire négligence, soit par application à les modifier.

256- À moi  : après la confession de la vierge folle, Rimbaud reprend ici la parole.

257- rhythmes naïfs  : toutes ces références décrivent au mieux la versification des poèmes de 1872 inspirés par des chansons populaires et le recours à ce que Verlaine nommera plus tard des « images d’un sou ».

258- U vert  : Rimbaud donne les voyelles dans l’ordre alphabétique habituel alors que le sens du fameux sonnet s’éclaire de la place finale accordée à la voyelle O, équivalant dans ce cas à l’oméga grec, fin de toutes choses.

259- accessible, un jour ou l’autre, à tous les sens  : c’était déjà la tentative de Baudelaire dans Correspondances. Rimbaud avait pensé, dès le printemps 1871, à un « dérèglement raisonné de tous les sens ».

260- un salon au fond d’un lac  : on trouve dans « Soir historique », l’une des pièces des Illuminations, « on joue aux cartes au fond de l’étang ».

261- un titre de vaudeville  : on a pensé que Rimbaud désignait par là Michel et Christine, vaudeville de Scribe qui put inspirer le poème portant le même titre (voir p. 172).

262- d’espèces de romances  : le terme est on ne peut plus juste. Il entre tout naturellement en résonance avec les Romances sans paroles qu’à la même époque Verlaine écrivait et qu’il avait primitivement dédiées à Rimbaud (manuscrit envoyé par Verlaine à E. Blémont et conservé à la bibliothèque Jacques-Doucet).

263- Le paysage dessiné dans cette exhortation est exclusivement urbain. Le « général soleil » est appelé à détruire les lieux fréquentés par la bourgeoisie. Son offensive transpose les violences de la Commune et le soulèvement de la nature contre la culture.

264- Le loup criait…  : nous n’avons pas de manuscrit de ce poème. Il est fort possible que Rimbaud, ne se souvenant plus de la suite de « Faim », en ait ainsi reconstitué le texte. Rappelons le quatrain qu’il oublie :

« Sur terre ont paru les feuilles :

Je vais aux chairs de fruit blettes.

Au sein du sillon je cueille

La doucette et la violette. »

Or la structure du nouveau poème qu’il propose est identique : quatrains d’heptasyllabes en rimes croisées, et certains mots se retrouvent : « feuilles », « fruits », « violette ».

265- autels de Salomon  : on pratiquait sur ces autels des holocaustes de bétail en l’honneur de la divinité.

266- Cédron : torrent qui sépare Jérusalem du mont des Oliviers et se jette dans la mer Morte.

267- les plus tristes  : sur le brouillon de ce passage, Rimbaud envisageait de citer ici le poème Mémoire (voir p. 157).

268- la Cimmérie  : pays qui, d’après les Anciens, se trouvait au bout de la terre et voisinait le royaume des morts. Ulysse y aborda avant de descendre aux Enfers. « Ce peuple [les Cimmériens] vit couvert de nuées et de brumes, que jamais n’ont percées les rayons du Soleil » (Odyssée, chant XI, trad. V. Bérard). Claudel admirera particulièrement cette phrase de Rimbaud dont il louera les « beautés de consonances, d’allitération, de mouvements et de dessin » (« Réflexions et propositions sur le vers français », art. cité).

269- ad matutinum  : au matin. Les laudes du dimanche, chantées après les matines, contiennent ce vers d’hymne, assurément connu de Rimbaud : « Gallo canente spes redit » (« Au chant du coq l’espérance revient »).

270- Sur cette phrase, Rimbaud semble achever la première partie de son texte annoncée par le prologue où il rappelait son mépris pour la beauté.

L’impossible p. 229

271- ces bonshommes  : de nouveau, on pense à Verlaine.

272- de faux élus  : comme il y avait de faux nègres. Rimbaud dénonce le monde d’apparences dans lequel nous vivons. Mais il semble dire en même temps que celui-ci l’emporte. Les faux élus sont les seuls élus. Il paraît opportun d’opposer ici le sens théologique du terme au sens civique, ce dernier dominant désormais.

273- les développements cruels qu’a subis l’esprit  : cette formule a une tonalité particulièrement hégélienne.

274- la sagesse bâtarde du Coran  : bâtarde, parce que la religion de l’Islam mélange plusieurs traits du christianisme à certains éléments des traditions orientales.

275- l’homme se joue  : l’homme se leurre en voulant tout expliquer.

276- M. Prudhomme est né avec le Christ  : M. Prudhomme est un personnage créé par le dessinateur et écrivain Henri Monnier dans ses Scènes populaires dessinées à la plume (1830). En 1857, Monnier a publié les Mémoires de Joseph Prudhomme. Prudhomme représente le type du bourgeois sot, infatué de lui-même et grand émetteur de lieux communs. Dans la mesure où le christianisme serait une religion de la vraisemblance (Dieu s’est fait homme dans le Christ pour qu’on le croie !), il peut satisfaire les esprits médiocres toujours à l’affût de preuves matérielles.

277- l’Éden  : mot hébreu signifiant Paradis terrestre. On lit dans la Genèse (2, 8) : « Yahvé planta un jardin en Éden, à l’orient, et il y mit l’homme qu’il avait façonné. »

278- L’humanité se déplace  : les philosophes du XIXsiècle (se fondant en cela sur la naissante linguistique) pensaient que les peuples européens venaient d’Asie.

L’Éclair p. 233

279- l’Ecclésiaste moderne  : le livre biblique de l’Ecclésiaste commence en effet par cette formule : « Vanité des vanités ; tout est vanité ! » Mais le moderne Ecclésiaste qu’imagine Rimbaud en prend le contre-pied.

280- les échappons-nous  : ancienne construction transitive du verbe « échapper » qui signifie dans ce cas « éviter ». On retrouve cette construction dans l’expression figée « l’échapper belle ».

281- J’ai mon devoir… : dans l’une des Illuminations, « Vies III », on lit : « Mon devoir m’est remis. »

282- Aller mes vingt ans  : la phrase suivante laisserait penser que Rimbaud, un instant, songe à se donner la mort pour « aller vingt ans » et pas plus ! À l’époque, il n’avait pas encore dix-neuf ans. L’une des Illuminations (de l’ensemble « Jeunesse ») s’intitule « Vingt ans » (voir p. 290). Vingt ans marquait aussi l’âge où il devrait accomplir son service militaire évoqué à la fin de « Mauvais sang ».

283- ma trahison au monde  : c’est-à-dire le fait de ne pas participer aux actions humaines, d’être oisif ou de tenter le suicide.

284- chère pauvre âme  : le ton est parodique et fait penser, par exemple, à l’ennui du « cher corps » et « cher cœur » d’« Enfance I » (voir p. 256).

Matin p. 235

285- à écrire sur des feuilles d’or  : on doit penser ici encore à l’ensemble « Jeunesse » des Illuminations, et spécialement au texte intitulé « Sonnet » (voir p. 290) : « la chair n’était-elle pas un fruit pendu dans le verger ; – ô journées enfantes ! – le corps un trésor à prodiguer ».

286- celui dont le fils de l’homme ouvrit les portes  : le Credo ou Symbole des Apôtres dit expressément que le Christ est descendu aux Enfers, puis qu’il est ressuscité des morts. Descendant aux Enfers, il a ainsi ouvert les portes des limbes où se trouvaient les âmes des justes trépassés avant son avènement. Ces âmes ont pu gagner alors la Jérusalem céleste (voir l’Évangile selon saint Matthieu 27, 52).

287- les trois mages, le cœur, l’âme, l’esprit  : Rimbaud transpose un épisode célèbre de la vie du Christ. Mais ces rois de la vie ne saluent pas l’avènement du Messie (vieille superstition) ; ils révèrent le « travail nouveau ». La nouvelle naissance imaginée par Rimbaud peut être mise en relation avec certaines présences manifestées dans les Illuminations : « À une Raison » et « Génie » (où l’Adoration ancienne est récusée).

Adieu p. 237

288- L’automne déjà  : Rimbaud donne comme date de rédaction finale d’Une saison en enfer « août 1873 ». Or l’automne commence ordinairement le 22 septembre. On se souvient que du début de juillet jusqu’au 19 de ce mois, date de son retour à Roche, il n’avait pu travailler à son œuvre. Il est vraisemblable qu’il en a rédigé une bonne partie le mois suivant et peut-être en septembre. L’automne mentionné ici porte d’ailleurs une évidente valeur symbolique.

289- la cité énorme  : Londres, sans doute. Verlaine écrit dans « Sonnet boiteux », dédié à Ernest Delahaye, composé en 1873 et repris plus tard dans Jadis et Naguère (1884) : « Londres fume et crie. Ô quelle ville de la Bible ! » ; et il termine son poème ainsi : « Ô le feu du ciel sur cette ville de la Bible ! » La mise en scène voulue par Rimbaud rappelle aussi l’arrivée de Dante à la cité de Dis où le mène la barque de Charon (Enfer, chant VIII).

290- cette goule  : vampire à corps de femme. Rimbaud désigne ici la mort.

291- Une belle gloire d’artiste  : ironique citation des dernières paroles de Néron à l’instant de son suicide : « Quel artiste je fais périr ! »

292- Mes derniers regrets  : ces regrets consistaient en « jalousies pour les mendiants », etc. C’est dire qu’il était encore tenté par une vie marginale et anomique (voir aussi « L’Éclair », p. 233).

293- Il faut être absolument moderne. Être vraiment moderne, c’est abandonner les hallucinations sataniques et les superstitions catholiques, mais pour quelle absolue solitude et pour quel réel ?

294- cet horrible arbrisseau  : très certainement l’arbre du bien et du mal. Voir également dans « Matinée d’ivresse » (p. 265) : « On nous a promis d’enterrer dans l’ombre l’arbre du bien et du mal […]. »

295- ces couples menteurs  : le couple de Verlaine et de sa femme Mathilde (« l’enfer des femmes là-bas ») ou, peut-être, celui que Rimbaud forma avec Verlaine pour un « drôle de ménage ».