Il y avait, au bord de la Bhâgîrathî, sur le mont Gridhrakûta (« Pic-des-Vautours »), un grand figuier. Dans un creux de cet arbre habitait un vautour nommé Jaradgava, que le sort avait privé de ses yeux et de ses serres. Émus de compassion, les oiseaux qui habitaient cet arbre lui donnaient pour subsister un peu de leur pitance. Grâce à cela, il vivait, en accordant sa protection aux petits. Un jour, un chat nommé Dirghakarna vint là pour dévorer les oisillons. Le voyant s’approcher, les oisillons piaillèrent. Entendant ces cris, Jaradgava dit :
– Qui approche ?
Dirghakarna, apercevant le vautour, se dit tout craintif : « Hélas, je suis en danger de mort ; je suis trop près de lui pour pouvoir m’échapper. Eh bien, je vais gagner sa confiance. »
Il aborda le vautour et dit :
– Maître, je vous salue.
– Qui es-tu ? demanda le vautour.
– Je suis un chat.
– Va-t’en, sinon je devrai t’occire.
– Cependant daignez m’écouter. Si je mérite vraiment la mort, soit !
– Dis-moi donc pourquoi es-tu venu ?
– Je suis brahmatchari, j’étudie le Veda répliqua le chat, je prends des bains rituels sur la rive du Gange et je pratique le jeûne lunaire. Tous les oiseaux toujours vous vantent devant moi, disant que vous êtes voué à l’étude du dharma. Je suis donc venu vers vous pour entendre le dharma. Vous, plein du savoir du dharma, vous serez prêt à trucider votre hôte ?
– Mais les chats, répliqua le vautour, aiment la viande.
À ces mots, le chat toucha le sol pour prendre la terre à témoin, et passa ses pattes sur ses oreilles en déclarant :
– J’ai étudié les dharma-shâstra*, j’ai renoncé aux passions ; j’ai fait vœu d’accomplir une pénitence difficile. Bien qu’ils diffèrent sur certains points, ils s’accordent à dire que le dharma suprême est de ne faire mal à personne.
Ayant ainsi inspiré confiance au vautour, le chat demeura dans le creux de l’arbre. Au bout d’un certain temps, il allait tous les jours attraper les oisillons, les emportait dans le creux et s’en repaissait. Les parents firent des recherches, et virent dans le creux de l’arbre tous les ossements de leurs petits. Ils en conclurent que Jaradgava avait mangé leurs petits, et ils tuèrent le vautour.