Marmite merveilleuse

Muttu et Tchellam se reposaient sous un banian. Tchellam faisait la cuisine et le ménage chez les gens. Muttu était dramaturge, écrivait des pièces que les villageois aimaient beaucoup. Il se faisait du souci pour son avenir. Tant qu’il est petit, il se contente de ce banian ; mais devenu grand, que faire ?

L’autre disait :

– Ne te fais pas de bile ; retourne à ton labeur d’écriture !

Mais un jour, au lever du soleil, Tchellam devint anxieuse. Elle plaçait du riz rassis dans une marmite. L’ayant enveloppé, elle le donna à Muttu en lui disant :

– Voici ! Promets-moi que cette fois, tu feras des efforts pour gagner de l’argent !

Muttu promit. Il prit le chemin de la forêt. Des papillons orangés étaient posés sur les vrilles des plantes grimpantes, comme des flammes tourbillonnantes gungun.

– Comme c’est beau ! s’exclama Muttu.

À travers le feuillage, les rayons de soleil jouaient. Muttu s’amusa à saisir les rais. Il disait :

– Je puis saisir le soleil, tout en essayant de toucher les rayons.

Sur le chemin, quel spectacle ! De loin, les coucous appelaient. Muttu parvint à un bosquet. Il ne trouvait plus son chemin.

– Zut ! je me suis égaré !

Il aperçut une marmite posée sur une branche d’arbre. Il se sentit plein d’une grande force. De loin, il entendait le murmure d’une source. Il sombra dans un profond sommeil.

Dans cette forêt vivaient des anges ou fées peri. Quand Muttu les aperçut du pied de l’arbre, il leur adressa des sourires. L’une d’elles fit un signe en montrant la marmite posée sur une branche.

Muttu souleva la marmite, ôta le linge qui l’enveloppait, et l’ouvrit.

– Quel parfum !

Il avait très faim, mais la marmite était vide. Il se dit : « Que faire ? » Soudain, à ses pieds, il vit quelque de chose de brillant, doré. « Qu’est-ce ? Un ustensile de cuivre ! Mon dieu ! si seulement il y avait dedans quelque chose à manger ! »

Les fées peri descendirent sous le banian, étalèrent une feuille de bananier, et placèrent dessus des mets. L’une plaça un pâté de riz idli, l’autre masala dosa, l’autre une portion de achar, l’autre une portion de chatni*, du riz chaud et du sambar (soupe aux lentilles et légumes). Quels parfums !

– Mangez donc, ami ! dirent les peri.

Muttu mangea, bâfra. Le repas terminé, il se lécha les doigts : « Délicieux ! » Mais quand il leva la tête, les fées avaient disparu. Muttu se retourna, regarda la marmite. Une voix douce, venant du haut de l’arbre, lui dit :

– C’est pour toi ! C’est une marmite merveilleuse.

– Merci, dit Muttu, qui courut jusque chez lui.

Le soir tombait, les enfants pleuraient de faim, on les entendait geindre et grogner. Muttu plaça la marmite devant le banian. Il alluma une lampe. Il fit un geste joignant les deux mains, en priant devant la marmite :

– Je voudrais que mes enfants mangent à satiété, dit-il dans son invocation.

Les fées descendirent de l’arbre. D’abord, on donna un bain aux enfants, on leur passa de l’huile sur les cheveux, on leur mit des vêtements propres. Le festin commença. Les enfants furent bientôt repus. Ils s’endormirent.

Le lendemain matin, Muttu et Tchellam invitèrent à un banquet tous les villageois qui les avaient aidés. Ceux-ci se dirent :

– Un repas chez des pauvres gens comme cela, ce sera sans doute bien frugal. Il vaut mieux bien manger avant de se rendre à leur invitation !

Or, contrairement à leur attente, le festin fut très copieux, grâce aux peri. Légumes parfumés, des tas de gâteaux colorés sucrés ou salés, des condiments épicés achar. Certains invités essayaient, en partant, de cacher quelques aliments dans leurs vêtements. Mais les peri les rabrouaient, leur enjoignant de manger, sans rien emporter chez eux.

Dans ce village vivait un marchand de soieries, l’homme le plus riche du village. Muttu avait composé quelques pièces de théâtre, qu’il avait fait représenter dans sa demeure, mais le marchand Kuppusvami (« gros-lard ») n’avait jamais payé Muttu ni en nature ni en argent. Il apprit la bonne fortune de Muttu. Connaissant l’existence de cette marmite magique, il brûla d’envie d’en acquérir une. Oui, il voulait une marmite magique. « Pour cuire les animaux de la forêt, il me faut une très grande marmite », se disait-il.

Il s’assit dans son char à bœufs avec dedans une énorme cuve. Il voulait du riz au citron. Il avança devant le bosquet où Muttu avait eu sa bonne aventure. Il fit un cercle, et pria. Mais il perdit la tête. Il entendit de l’eau couler d’une source.

« Je vais feindre de dormir », se dit-il. Il s’allongea, ronfla.

Les fées peri virent tout cela, complotèrent avec espièglerie, riant aux éclats. À son réveil, le riche marchand vit sa cuve, et la souleva non sans peine. Il rentra chez lui, persuadé d’avoir un ustensile magique. Il fit proclamer par le garde champêtre, qui battit du tambour, une invitation générale.

Les villageois se dirent que pour une invitation chez un richard, il valait le coup de jeûner, afin d’avoir l’estomac vide chez lui, et de se le remplir, pour se taper la cloche. Les invités revêtirent des vêtements de fête luxueux, et se rendirent tous ensemble chez le richard. À la vue de la marmite qui brillait, le marchand se râcla la gorge et formula sa prière aux peri :

– Je veux que vous prépariez un festin inoubliable !

Mais à peine avait-il dit ces mots, que… que se passe-t-il ? Une foule de créatures fantastiques en forme de boules vertes, avec de gros yeux, des moustaches raides, et des bâtons dans les mains surgit, terrifiant les invités, qui se carapatèrent de toutes leurs forces.

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– Arrêtez ! criait le marchand.

En vain. Catastrophe.

De son côté, Muttu avec sa famille sous son banian vivait une vie tranquille. Comme il avait allumé sa lampe, les enfants et leurs parents priaient tête baissée devant leur marmite merveilleuse. Désormais, cette famille eut toujours à manger. Les feuilles se balançaient sous la brise, une musique céleste retentissait doucement.