– Nazmine ! cria Makbul le mari tapi dans la maison.
Faisant tinter ses pendentifs d’argent en forme de lune, Nazmine accourut :
– Je suis en train d’endormir le bébé ! Tu es rentré bien tard, chéri ! Je m’inquiétais, dit-elle.
Entendant la voix du père, les bébés entrouvrirent les yeux, s’éveillèrent, allèrent vers le père.
Makbul dit :
– Ouf !
Et il souleva Fahima et l’embrassa. À Firdaus, le père dit :
– Embrasse ton papa !
Et il le chatouilla de sa barbe.
– Pardon pour mon retard, dit Makbul à sa femme. Mais regarde un peu ce que je t’apporte.
Fahima, Firdaus et Nazanin attendaient impatiemment. Makbul montra un ballot bleu, long et gros. Il défit la ficelle, ouvrit le paquet. Nazanine dit :
– Ah ! comment savais-tu que…
Les enfants excités, se bousculaient pour mieux voir. C’étaient des aubergines ! grandes ! fraîches !
Le lendemain matin, comme de coutume, les mômes prirent leur petit-déjeuner : petits pains, galettes au levain cuites au four, samovar. Fahima cria :
– Dépêche-toi !
Firdaus cria :
Et il partit pour l’école avec ses amis. Makbul partant au travail dit :
– Je n’arriverai pas en retard, promis !
Nazanine lui dit :
– Pour ce soir, je te prépare des bonnes choses.
Elle contempla, debout dans la porte, son mari et les enfants qui s’éloignaient. La maison était bâtie devant le lac-joyau, entouré des quatre côtés de tchinar (peupliers) que l’on nomme les banians du Cachemire. Dans la chaleur du soleil brillant, elle écoutait le murmure des eaux. Des nuages cotonneux dans l’azur se déchiraient. Sur le lac, les gondoles embellies attendaient les estivants. Dans l’après-midi, les touristes rappliquaient, embarquaient. On entendait les éclaboussures provoquées par les rameurs. Dans l’air tiède retentissaient les conversations, les rires et les jeux. Entre-temps, dans la maison, un bruit de casseroles attirait l’attention. Affairée dans la cuisine, Naznine préparait une marmite cachemirienne : dés de viande, aux aubergines en sauce.
Naznine se disait : « Voilà bien des années que je n’ai pas cuisiné ce plat ! les enfants ne l’ont pas encore goûté ! »
Tout en travaillant, elle chantait la recette :
Souffle sur le feu, découpe de longues tranches d’aubergines.
Saupoudre du sel, du curcuma aussi
Des tamarins, mélange-les dans l’eau
Le célèbre piment du Cachemire,
Anis moulu, gingembre aux amandes,
Je les verse dans l’huile bouillante, miammiam !
Cardamone et cannelle, délicieux mélange d’épices.
Par la fenêtre, elle entend quelqu’un crier :
– Oh, quelle bonne odeur ! Quel fumet !
C’est la voisine qui crie :
– Nazu !
Celle-ci l’invite à goûter dans sa louche avec laquelle elle touillait la marmite. Peu à peu, le soir tombe. Naznine regarde par la fenêtre.
« Les enfants devraient être là », pensait-elle. Elle vit deux hommes au bord du lac, qui récupéraient le linge sec. « Ah ! c’est Shabbir Ali et Javed, qui sont là. Oho ! Ils se dirigent vers la maison. Ces deux-là n’ont pas l’air de vouloir s’en aller discrètement ! Les écornifleurs, qui ont flairé le fumet du ragoût ! ah ! les fripons ! »
Ils saluèrent.
– Coquins ! je savais que vous vouliez venir manger à l’œil ! »
Naznine les interrogea :
– Beaucoup de boulot ?
Maître Javed dit :
– Pas du tout !
À ce moment les enfants rentraient de l’école.
– Oh ! que ça sent bon ! Qu’est-ce c’est, maman ? demanda Firdaus.
Fahima dit :
– Papa n’est pas encore rentré ; il a promis de ne pas arriver tard.
– Il a promis de rentrer bientôt.
Alors, que fit Naznine ? Elle emmena les enfants se laver la bouche et les mains.
Javed et Shabbir sirotèrent leur septième tasse de thé, afin de digérer leur apéritif de nan (galette au fromage) et de gâteaux.
Arrivant, Makbul cria de dehors :
– Quelle bonne odeur !
Il vit les hôtes. Javed dit :
– Très bon !
Shabbir dit :
– Vous aussi, mangez avec nous !
Naznine et Makbul appelèrent au festin leurs amis, hôtes non priés, écornifleurs, entre nous soit dit. Naznine toussa exprès ; imitant sa mère, Firdaus lui aussi toussa. Hum hum ! Naznine offrit le plat de ragoût kormâ* avec du riz chaud.
Shabbir et Javed s’empiffrèrent.
– Incomparable ! s’exclamèrent-ils.
Ayant bâfré comme des affamés, ils rotèrent, et s’affaissèrent, repus.
Firdaus hurla :
– Ils ont tout avalé !
Le sieur Javed ronflait en faisant khaanoonn.
Shabbir ronflait en faisant gooonnonn.
– Quelles êtres pansus ! dit Firdaus.
« Je panse donc je souis », se dit Naznine.