CHAPITRE 9

À VOTRE TOUR !

Au programme

Observez autour de vous

À la maison

Lorsque quelqu’un vous pose une question et que vous demandez en retour : « Pourquoi me demandes-tu cela ? », vous arrive-t-il qu’on vous réponde : « Comme ça » ? Pensez-vous que cette réponse a du sens ou que, au contraire, on a toujours une raison de poser une question ? Pouvez-vous deviner pourquoi votre interlocuteur ne vous donne pas cette raison ?

Écoutez les journalistes à la télévision et posez-vous les questions suivantes :

Répondent-ils à leurs propres questions au lieu de répondre à la question posée ? Le font-ils de manière cachée ou explicite ? Dans quel but ?

Essaient-ils de se donner le beau rôle, s’enferment-ils dans la narration d’eux-mêmes ?

Quand ils répondent à une question qui commence par « pourquoi » (question qui appelle un argument), apportent-ils ces arguments ? De quelle nature sont ces arguments ?

Observez un débat télévisé et posez-vous les mêmes questions que pour celles de l’interview. En complément, vous pouvez réfléchir aux questions suivantes :

Les intervenants s’écoutent-ils parler eux-mêmes sans tenir compte des questions et des objections ?

Est-il vraiment répondu aux questions ou y a-t-il des glissements de sens, voire des réponses qui n’ont aucun rapport avec la question ?

Pouvez-vous repérer sur quels termes portent ces glissements de sens ? Quelles sont les conséquences de ces glissements de sens ?

Les contradicteurs font-ils une critique interne ou externe ?

Êtes-vous capable de résumer les propos et le positionnement de la plupart des participants ?

Savez-vous qui n’est pas d’accord avec qui, et pourquoi ?

Au bureau

Quand votre chef vous demande de faire quelque chose, le dit-il de manière claire et simple ou prend-il des détours ? Pourquoi ? Le lui avez-vous fait remarquer ?

Pendant une réunion

Dialogues de la vie courante

Voici les petits trucs de la pratique philosophique que nous vous recommandons d’utiliser dans la vie de tous les jours. Toutes ces « procédures » ont pour but de clarifier le discours d’autrui et de ne pas entrer dans un débat d’opinions ni dans une discussion stérile.

Reformulez ce que disent les gens pour leur faire clarifier leurs propos.

Faites taire l’urgence et la précipitation en disant à votre interlocuteur que vous avez besoin qu’il se pose, qu’il se calme, pour bien le comprendre.

Demandez des exemples concrets si vous trouvez que le discours est abstrait et théorique.

Interrompez les longs monologues, au risque de paraître impoli : la priorité est à la clarté, non à la libre expression de soi.

Quand quelqu’un répond à une interrogation, posez-vous les questions suivantes :

Si votre interlocuteur dit qu’il n’est pas d’accord, remerciez-en-le et demandez-lui ce qui est faux dans ce que vous avez dit. Il vous fera ainsi une critique interne (objection) et non externe (avis opposé).

Posez des questions simples et directes.

Lorsque votre interlocuteur est confus, demandez-lui en douceur s’il pense avoir été clair.

Si votre interlocuteur se contredit, n’hésitez pas à lui montrer la contradiction dans ses propos.

Demandez à votre interlocuteur de résumer ses propos en expliquant que vous avez du mal à suivre.

Au cours d’une consultation

Bien que nous vous recommandions d’assister à nos ateliers ou consultations avant de vous lancer, vous pouvez aussi commencer dès maintenant une consultation avec une personne de votre choix qui serait prête à jouer le jeu. En plus des recommandations faites plus haut, vous pourrez également suivre celles-ci :

Mettez autrui en confiance.

Repérez les expressions du visage et le « langage du corps ».

N’acceptez pas les justifications quand vous ne les avez pas spécifiquement demandées.

Si vous sentez qu’autrui est pris dans ses sentiments, demandez-lui s’il en est conscient et pourquoi c’est le cas.

Soyez cohérent et tenace dans votre questionnement, même si autrui semble s’agacer.

Ne suggérez vos propres idées qu’en dernier recours et après l’avoir proposé.

Quand le discours est confus, demandez l’intention qui le porte.

Demandez à votre interlocuteur de faire le lien entre une affirmation et une autre.

Exigez des réponses claires : au besoin, demandez une réponse en moins de quinze mots.

Distinguez la réponse de l’argument qui la soutient.

Demandez l’origine du discours et vérifiez le type d’argument que vous donne votre interlocuteur.

Épurez vos questions et celles d’autrui : dans une question « pure », aucune opinion ne doit transparaître, et toute question commence par un pronom interrogatif.

Accusez réception de l’émotion d’autrui et enchaînez par une question pour stabiliser émotionnellement votre interlocuteur : la question va « aspirer » l’émotion en le remettant sur le chemin de la raison.

Faites à appel à des situations imaginaires pour décentrer votre interlocuteur : « Si vous posiez cette question à votre voisin de palier, que vous répondrait-il ? »

Ne soyez pas trop familier et n’essayez pas de vous faire aimer, ne jouez pas sur la corde sensible.

Encouragez autrui à s’engager, à opérer des choix tranchés, sans enjeu et sans risque, pour clarifier son positionnement.

Dans les entreprises et organisations

Potentiels et vertus

Nous anticipons que notre pratique trouvera sa voie en entreprise, par exemple par le biais des universités d’entreprise qui proposent des formations comportementales innovantes, en particulier pour les cadres supérieurs et ce qu’on appelle les « hauts potentiels ». Ceux-ci sont invités à sortir de leur « zone de confort » et à se confronter à ce qu’ils sont afin que leur apparaissent clairement leurs forces et leurs faiblesses. Cette connaissance d’eux-mêmes est en effet primordiale pour pouvoir adapter leur management, orienter leurs choix de carrière, travailler des compétences dans lesquelles ils sont faibles et surtout développer jusqu’à l’excellence celles où ils sont forts.

De plus, la vertu apaisante de cette méthode, notamment sur les collectifs, lui permettra de trouver sa place dans des missions de médiation pour situations conflictuelles : négociations de plans de licenciements, conflits entre manager et subordonnés, conflits entre direction et syndicats, incompréhensions entre managers de cultures différentes, etc.

L’entreprise fourmille malheureusement de situations de ce type, et le contexte économique actuel ne devrait pas arranger les choses, car il crée des tensions internes dues à la pression que subissent les managers : pression des actionnaires pour la rentabilité, des clients pour faire baisser les prix et augmenter le service, des patrons pour respecter celle des actionnaires et améliorer les résultats financiers, des employés pour résoudre les contraintes que leur imposent les clients… Bref, l’entreprise est le lieu où des pressions s’exercent de toutes parts. Elles peuvent conduire les managers à ne plus savoir où donner de la tête, à perdre la distance nécessaire à l’exercice de leur fonction voire celui même de leur travail, et ce jusqu’au burn out.

Remettre la pensée au travail

Comme nous espérons l’avoir montré dans cet ouvrage, un des avantages de la pratique philosophique est qu’elle permet de retrouver le contrôle de sa vie en prenant de la distance avec tout ce qui nous affecte et en remettant la pensée au travail. Et la pensée au travail est contagieuse, car en se posant soi-même, on exige également d’autrui qu’il le fasse, à défaut de quoi sa confusion peut aussi nous contaminer. C’est donc une lutte acharnée qui s’engage entre la clarté pour le bien-être (mais qui doit passer par une certaine confrontation) et la confusion dans laquelle autrui aura tendance à nous attirer, étant lui-même pris dans sa propre confusion.

Les pressions dans tous les sens génèrent des injonctions contradictoires qui provoquent à leur tour un stress inutile et une confusion mentale. Certains tirent bien entendu profit de cette confusion et évoluent dans ce brouillard comme des poissons dans l’eau. Mais la confusion générale ne peut aller à long terme dans le sens d’une action collective et d’une relation apaisée à autrui et à soi-même.

Pourtant, la pratique philosophique en groupe a un côté spectaculaire, tranchant, qui rebute parfois au premier abord les responsables dans l’entreprise ; ils craignent que cela ne « dérape » et sont réticents à prendre le risque d’introduire dans leur organisation une approche jugée subversive. C’est pourquoi, plutôt que de nous épuiser à leur expliquer que ces craintes ne sont pas fondées, nous préférons introduire la pratique par le biais des consultations individuelles, qui sont plus douces et surtout plus simples à mettre en place, puisqu’il n’y a pas besoin de mobiliser plusieurs personnes pour tester le dispositif. Le responsable peut expérimenter directement la consultation et en inférer par la suite les avantages individuels et collectifs pour ses collaborateurs.