Très tôt la décroissance a été confrontée au problème de la spiritualité. La croissance étant devenue une religion laïque ou une antireligion avec la foi dans le progrès, le culte fétichiste du PIB, etc. – alors même que la société productiviste-consumériste engendre un certain désenchantement du monde et que son matérialisme-utilitarisme fait disparaître la dimension spirituelle de la vie quotidienne des hommes –, la décroissance se voit en réaction sommée de réenchanter le monde et de réintroduire la spiritualité. D’ailleurs, dans le champ de la contestation de la modernité, on rencontre immédiatement le cas des Amish, cette secte protestante dissidente qui refuse certaines formes des innovations techniques et en particulier l’agriculture productiviste, mais aussi divers groupes écologistes radicaux qui font de la philosophie de l’écologie profonde, l’écosophie, une véritable religion dont Arne Næss serait le prophète, ou encore les communautés de l’arche, fondées par Lanza del Vasto, incontestable précurseur de la décroissance1, qui se revendiquent de la théosophie de Rudolf Steiner. Les objecteurs de croissance, ceux du moins se réclamant de l’athéisme, bien que non préparés à cette tâche, ont donc cherché à clarifier leur position sur le sujet2.

Pour ma part, sans la relation particulière que j’entretiens avec l’Italie depuis de nombreuses années, je n’aurais probablement jamais été amené jusqu’à écrire sur les encycliques papales, et cela par deux fois. « La France et l’Italie sont deux pays frères. Les Italiens sont des Français du Sud et les Français des Italiens du Nord », ai-je coutume de dire. Et j’ajoute : « Toutefois, malgré toutes les similitudes qui nous unissent, il y a une différence irréductible : la France est un pays laïc dans lequel il y a des catholiques, des protestants, des musulmans et beaucoup d’athées, l’Italie est un pays catholique dans lequel il y a toutes sortes d’hérétiques et même des non-croyants. » Aussi fus-je surpris quand, en 2009, des collègues de Bari me demandèrent de réagir à l’encyclique de Benoît XVI, Caritas in veritate, dans laquelle il était question d’économie et du don, pour un numéro de leur revue consacré au sujet. Je répondis qu’en bon Français laïc, les encycliques papales n’étaient pas ma lecture habituelle et que pour répondre, éventuellement de façon favorable à leur sollicitation, il aurait fallu d’abord que je sache de quoi il en retournait. Ils m’envoyèrent alors un exemplaire du texte qui suscita d’autant plus mon intérêt que je compris pourquoi certains de mes amis du MAUSS (Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales) avaient été invités au Vatican quelque temps avant la sortie du document. Une sollicitation comparable se produisit lors de la sortie de Laudato si’ du pape François. Cependant, cette fois-là, je ne fus plus surpris ni pris au dépourvu. Tandis que le premier article jugé trop critique fut refusé par la revue qui l’avait sollicité, le second beaucoup plus favorable à ce nouveau pape, sinon à l’institution du Vatican, fut accueilli presque avec enthousiasme.

Cette confrontation, un peu due au hasard de la décroissance avec l’Église catholique, permet, au-delà de l’anecdotique, de mieux cerner les enjeux du rapport de la vision écosocialiste avec le sacré.