23

Cecily avait vu avancer les travaux de décoration tandis que Muriel, Kevin et Heinrich installaient la salle de réception, et elle avait été impressionnée par la créativité de sa mère ; mais, lorsqu’elle pénétra avec ses sœurs dans la salle du festival et vit la décoration achevée, elle resta bouche bée : la salle vide s’était métamorphosée en salle de bal digne d’une reine. Au plafond, des draperies blanches et or donnaient le ton de l’élégance et, sur toutes les tables alignées d’un côté de la salle, des bougies magenta projetaient leur lumière sur des vases ronds chargés de roses blanches. Autour des tables, les chaises étaient drapées de damas. Des bougies et de la vigne ornaient également la table où serait servi le punch. Dans certains endroits stratégiques de la salle, de longs vases posés sur le sol arboraient des branches et des fleurs blanches. L’estrade était un tourbillon de tissu orné d’autres vases de fleurs posés au sol, qui dissimulaient le disc-jockey. Quelques personnes dansaient déjà un slow sur la piste, alors que la musique semblait flotter vers elle de toutes les directions à la fois : c’étaient Nat King Cole et sa fille, Natalie, qui chantaient Unforgettable 1.

Inoubliable… Elle espérait que cette nuit le serait pour sa sœur. Samantha venait de revêtir son masque, un masque de carnaval noir et or que Cecily lui avait trouvé à Los Angeles, et qui laissait ses yeux noisette percer mystérieusement. Et elle était tout sourire.

Samantha avait travaillé si dur pour que ce week-end ait lieu qu’elle méritait de savourer l’heure du succès. Cecily ne pouvait se débarrasser de la mauvaise intuition que le festival n’allait pas les sauver, mais pour rien au monde elle n’en aurait touché mot à sa sœur. Il aurait été absurde de l’attrister. Samantha n’avait même plus d’ongles à ronger.

Bailey mit son masque et s’éclipsa immédiatement pour aller parler avec une amie de longue date. De son côté, Samantha fut happée par Ed York (difficile de ne pas identifier ce grand corps maigre). Cecily demeura donc seule à arpenter les murs de la salle, absorbant les images et les bruits. Pendant la demi-heure qui suivit, elle regarda le flot des danseurs impatients franchir la porte. Combien de billets avaient-elles vendus ? Auraient-elles plus de monde que ce que la salle pouvait en contenir ? Si ce devait être le cas, elle espérait que le chef des pompiers, Berg, ne le remarquerait pas. Vu qu’il avait acheté un billet, il se trouvait certainement quelque part dans la salle.

A présent, la musique était passée à un rythme un peu plus rapide : Somebody Like You 2 de Keith Urban. Bill Will s’approcha d’elle, tout endimanché avec sa chemise de cow-boy aux boutons de nacre et son plus beau jean noir. Il avait échangé son chapeau de cow-boy contre un grotesque masque de bouffon de cour orné d’une tête de mort en guise de visage.

— Et si on dansait ? lui suggéra-t-il.

Elle eut à peine le temps de répondre « D’accord », que déjà il l’entraînait dans une étourdissante danse de country two-step.

Ce qui lui manquait en grâce, Bill Will le compensait en enthousiasme. Il bousculait presque les danseurs qui avaient le malheur de se trouver sur son chemin.

Puis il marcha sur sa robe et elle sentit le tissu qui se déchirait. Ce n’était pas une heureuse idée, de danser avec lui.

— Merde, murmura-t-il.

Puis il se reprit :

— Bon sang, je suis désolé, Cec… Je veux dire, mystérieuse dame…

Elle posa sa main sur son bras et le rassura :

— Tout va bien, monsieur le bouffon. Cela peut arriver à tout le monde.

— Pas à moi. Mais bon, d’habitude, je danse avec des filles qui portent des robes plus courtes.

Ça, elle n’en doutait pas une seconde.

— Il me semble que j’ai une épingle à nourrice dans mon sac.

Grâce au ciel, elle était venue bien équipée.

Il acquiesça, et les pointes de son masque de bouffon s’agitèrent comme de grosses oreilles de chiot. Cecily le laissa là, probablement écarlate. Encore un avantage des bals masqués : personne ne pouvait voir votre embarras.

Elle parvint à réparer sa robe avec quelques épingles à nourrice et retourna dans le périmètre du bal. Mieux valait se contenter de regarder. Lorsque Bryan Adams entonna When You Love Someone 3, elle remarqua un grand gaillard portant un masque dans le style du Fantôme de l’Opéra qui s’approchait d’elle. Luke…

— Alors, votre robe ? demanda-t-il.

— Est-ce que vous me regardiez ? répliqua-t-elle.

— Pris en flagrant délit. Ce morceau est un slow. Et je vous promets de ne pas agrandir la déchirure.

Il lui tendit la main. Il aurait été impoli de ne pas la prendre. Cecily accepta donc et se laissa conduire sur la piste. Luke passa son bras autour d’elle, la serra doucement contre lui, et ils commencèrent à onduler. Elle se sentit envahie de sensations. Danser si près d’un corps masculin musclé… Il aurait fallu qu’elle soit totalement insensible pour ne rien éprouver.

— Vous savez, reprit Luke, une femme comme vous peut laisser un homme le souffle coupé.

— Luke, je ne suis à la recherche de rien, ici. Après le festival…

Quoi ? Elle s’en irait, non ? Rien ne l’attendait, à Icicle Falls.

Il sourit. Il avait décidément un beau sourire.

— Je n’étais à la recherche de rien quand j’ai rencontré ma femme.

Elle n’aimait guère le tour que prenait la conversation.

— Vous êtes un type bien, Luke.

— On me l’a déjà dit. Vous recherchez un mauvais garçon, Cecily, c’est ça ?

— Je vous l’ai dit : je ne recherche rien.

Il laissa remonter sa main le long de son dos, et la chaleur envahit lentement Cecily.

— Est-ce que cela veut dire que vous refusez de tomber sur quelqu’un de bien ?

— Je…

Pourquoi sa bouche était-elle soudainement sèche ?

— Nous n’irions pas ensemble.

— Vous vous y connaissez, dans ces choses-là, bien sûr, reconnut-il doucement.

— C’est vrai, répondit Cecily, sur la défensive.

— Je vais vous dire… Passons un marché. Je ne serai pas insistant, mais si vous décidez de rester par ici, vous me laisserez une chance de vous faire changer d’avis. Ça vous paraît juste ?

— Pas pour vous.

— Cela me convient, répondit-il tranquillement.

Puis il la serra un peu plus contre lui, la rendant extrêmement consciente du fait qu’il était un homme et qu’elle était une femme. Ensuite, il se mit à les faire tourner lentement, et elle ne perçut plus que sa robe longue qui s’évasait, son bras fort autour d’elle, qui la retenait de tomber, la lueur des bougies et la douce mélodie d’une chanson d’amour. Et aussi une petite voix qui lui chuchotait : Tu es peut-être rentrée chez toi pour rester.

*  *  *

Samantha le vit s’avancer vers elle de l’autre bout de la salle. Il portait un smoking noir et un masque vénitien qui dissimulait tout son visage. Evidemment, il était impossible de dissimuler ce grand corps bien bâti. Alors qu’il s’avançait, il ne ressemblait pas du tout à un banquier, mais plutôt à un James Bond tout en muscle, et les sequins de son masque brillaient à la lueur des bougies. Elle n’avait pas envie de danser avec lui. Si, elle en avait envie… Non, elle ne voulait pas.

Tu dois être polie, se dit-elle, prenant une décision. Alors elle resta là, tentant vainement de calmer la palpitation ridicule de son cœur.

— Bonsoir, Blake, lui dit-elle.

Il secoua la tête.

— C’est un bal masqué, vous vous souvenez ? Personne ne connaît personne. Je suis juste un homme qui veut danser avec la plus belle femme de la soirée.

Garth Brooks entonnait To Make You Feel My Love 4 et, avant qu’elle puisse dire quoi que ce soit, Blake avait passé un bras autour d’elle et la serrait contre lui, la faisant bouillonner comme de la lave. Certaines choses sont vraiment meilleures que le chocolat…

Reste professionnelle.

— Notre bal est une grande réussite, vous ne trouvez pas, Blake ?

— Je ne veux pas parler du bal, lui répondit-il d’une voix sourde.

Il marqua une légère pause, avant de poursuivre :

— Je ne veux parler de rien. Je veux juste vous sentir contre moi.

Elle aussi, elle pouvait le sentir contre elle, et cette sensation était terriblement agréable : une sensation de muscle et d’énergie mâle. Elle allait littéralement fondre. Ressaisis-toi, Samantha.

Cela n’eut rien de difficile lorsqu’elle se remémora la position dans laquelle elle se trouvait par rapport à la banque.

— C’est joliment dit, si on considère le fait que vous êtes sur le point de me faire faire faillite.

— Je ne suis pas votre ennemi, Samantha, malgré ce que vous pensez.

Elle leva les yeux vers lui.

— Vraiment ? J’aurais pu m’y tromper.

Il poussa un soupir.

— Croyez-moi, je n’aime pas cette situation.

— Moi non plus, si vous voulez tout savoir.

Sur ces mots, elle s’écarta pour mettre de la distance entre eux.

— Rien que pour ce soir, reprit-il doucement, rien que le temps de cette danse, oublions les affaires.

Oublier son héritage familial, son avenir et tous les gens qui dépendaient d’elle simplement parce qu’il dansait avec elle ? Pour qui la prenait-il ? Elle savait bien à qui elle avait affaire. Le feu qui était en elle s’échappa d’un seul coup.

— Vous avez vraiment du toupet ! Je suis sur le point de tout perdre, et vous vous attendez à ce que je valse avec vous jusqu’à étourdissement ?

— Samantha…

— Ce n’est pas un masque de justicier que vous portez, et je ne saurais être assez hypocrite pour danser avec vous.

En réalité, désormais, elle ne pouvait même plus rester là et s’amuser. Tous les sourires qu’elle parviendrait à esquisser seraient faux. La chanson n’était pas encore terminée, mais elle se dégagea de son étreinte et quitta la piste de danse. La salle était un kaléidoscope de couleurs et de beauté, mais elle ne voyait rien d’autre que son avenir, sombre et menaçant. Elle attrapa son manteau sur la table où elle l’avait posé et quitta la salle en courant. Tous les succès de cette journée n’étaient désormais plus que des cendres dans sa bouche.

Elle partit d’un pas pressé vers son appartement, s’attirant les regards intrigués des touristes. Cela n’avait rien d’étonnant : Samantha avait tout d’une reine du bal perdue.

Elle était arrivée chez elle quand elle se souvint qu’elle n’avait pas prévenu ses sœurs de son départ. Bientôt, celles-ci allaient s’apercevoir qu’elle n’était pas là et se lancer à sa recherche. Aussi, elle appela le portable de Cecily et laissa un message prétendant qu’elle ne se sentait pas bien. Puis elle s’extirpa de sa robe de bal, passa son pyjama et alla tout droit dans son lit, où Nibs fut heureux de la rejoindre.

Tout en lui grattant le menton, elle demanda à voix haute :

— Qu’est-ce que je vais faire, maintenant ?

Malheureusement, Nibs n’avait pas de solution.

Samantha dormit peu, cette nuit-là. Restant éveillée dans son lit, elle songeait à tous les gens qui travaillaient pour elle, toutes les familles qui avaient mis leur foi en Sweet Dreams. Blake pensait-il vraiment ce qu’il avait dit ? S’il n’était pas son ennemi, ne pouvait-il pas être son allié ? Cette pensée finit par la ramener en boucle à son espoir du début. Si elle remboursait une bonne partie de l’argent emprunté, il trouverait certainement un moyen de prolonger le prêt.

C’était un maigre espoir, mais c’était le seul qu’elle avait, la seule solution que son cerveau épuisé pouvait entrevoir…

Le lendemain matin, Samantha fut debout à temps pour voir le soleil se lever derrière les montagnes dans une gerbe d’orange et d’or. Une nouvelle journée commençait.

Elle se prépara des flocons d’avoine, puis elle prit une douche et se sentit mieux, tellement mieux qu’elle sortit faire un jogging matinal sur le chemin qui longeait la Wenatchee. Le matin était frais et clair : la journée promettait d’être idéale. Sur le chemin du retour, elle entendit au loin, à la Gerhardt’s Gasthaus, Gerhardt Geissel qui soufflait dans son cor des Alpes ; c’était son rituel habituel du week-end. Plus tard dans la matinée, les cloches de l’église communautaire d’Icicle Falls allaient sonner, conviant les habitants à la prière. Au moment où elles retentiraient, Samantha se trouverait sur le stand de Sweet Dreams, où elle prierait comme une folle pour qu’elles gagnent une fortune en chocolat.

Son mobile sonna à 9 heures. C’était Cecily.

— J’appelais pour savoir comment tu vas. Tu te sens toujours mal ?

— Non, je me sens mieux, maintenant.

Et plus déterminée que jamais. Après tout, avait-elle une autre issue ? Il était hors de question d’abandonner.

— Tu es sûre ? Parce que maman, Bailey et moi pouvons nous occuper du stand, si tu ne te sens pas d’attaque.

— Non, je serai là. Comment était le bal, hier soir ?

— Un succès fracassant.

— J’espère que Bailey n’est pas allée traîner avec Brandon Wallace.

Cela dit, elle aurait dû rester pour surveiller sa petite sœur.

— Elle n’est allée traîner avec personne. De toute façon, il y avait bien trop d’hommes qui la faisaient virevolter sur la piste de danse pour qu’il puisse vraiment accéder à elle.

— C’est une bonne chose. Et toi, alors ? Avec combien d’hommes as-tu dansé ?

— Je n’ai pas réussi à compter.

— Quelqu’un en particulier ?

Samantha avait vu les regards que Luke Goodman lançait à sa sœur. Cecily serait vraiment stupide de le laisser passer. Evidemment, lorsqu’il s’agissait de sa propre vie amoureuse, Cecily n’avait aucune jugeote. Comment était-il possible qu’une femme ne puisse pas voir ce qui se trouvait juste devant son nez ?

— Non, répondit évasivement Cecily.

Puis, avant que Samantha puisse l’interroger davantage, elle ajouta :

— Donc, maman te fait dire qu’elle te retrouvera sur le stand à 10 heures. Je vous rejoindrai à 13 heures avec Bailey.

La conversation était finie.

Samantha avait saisi le message. Elle se contenta de répondre :

— D’accord.

Elle ne savait pas pourquoi elle se mêlait des affaires de sa sœur, de toute façon. Elle-même avait bien assez de soucis comme ça.

Elle but une tasse de café, puis sortit de chez elle. La rue Centrale était déjà pleine de monde. Beaucoup de festivaliers arboraient le haut-de-forme délirant du personnage du Chat chapeauté et d’autres couvre-chefs originaux de la boutique de chapeaux Mad Hatter. Elle passa devant de jeunes couples avec leurs enfants, des groupes de copines qui s’étaient de toute évidence offert un week-end entre filles, et des amoureux qui flânaient main dans la main. La patinoire aussi faisait de belles affaires, avec beaucoup d’enfants et de jeunes gens qui tournoyaient à toute vitesse autour de leurs aînés moins rapides. C’était là l’allure qui convenait à Icicle Falls, et Samantha avait contribué à la créer.

Elle souriait lorsqu’elle parvint devant le stand de Sweet Dreams, et elle conserva le sourire toute la matinée tandis que sa mère et elle échangeaient leurs délicieux chocolats contre de l’argent. Le stand ne désemplissait pas.

Plus tard, Bailey et Cecily arrivèrent pour les remplacer, et la première fit remarquer :

— J’ai l’impression qu’il y a plus de gens aujourd’hui qu’hier.

— Plus il y en a, déclara Samantha, mieux c’est. D’ailleurs, nous n’avons presque plus de stock. Je vais faire un saut à la boutique pour en rapporter.

Elle était tellement heureuse de partir chercher davantage de chocolat. Oh, oui, il y avait de l’espoir ! Il y avait toujours de l’espoir. Ne jamais abandonner, ne jamais renoncer.

Elle avait parcouru la moitié du trajet quand elle l’aperçut. Son sourire s’effaça et son cœur plongea dans ses chaussures. Voilà ce qu’avait dû ressentir le Petit Chaperon rouge devant le lit de sa grand-mère, en se rendant compte que cette grand-mère aux longues dents n’était certainement pas sa grand-mère à elle. C’est pour mieux te manger, mon enfant. Trevor Brown se promenait dans la rue avec son compère banquier — comment s’appelait-il, déjà ? —, les mains dans les poches, inspectant cette foule en liesse comme un roi observe ses sujets. Bien sûr, il était là pour espionner, se figurant probablement qu’il organiserait un festival, lui aussi, lorsqu’il serait propriétaire de l’entreprise.

Eh bien, il ne le serait pas de sitôt. Samantha ferait sauter les locaux plutôt que de laisser ce fabricant de mauvaises sucreries y poser ses pattes avides. La tête haute, elle pénétra dans l’entrepôt et attrapa une caisse de leurs caramels salés et une de leurs coffrets de dégustation, ainsi que leurs derniers coffrets « quatre saveurs ». Puis elle déposa le tout en vrac dans un chariot et se remit en route vers le stand.

Il était là, justement, faisant du charme à sa petite sœur.

Elle plissa les yeux et pénétra dans le stand pour aller se placer à côté de Bailey.

— Monsieur Brown, qu’est-ce qui vous amène ici ?

Comme si elle ne le savait pas !

Il lui adressa un sourire.

— J’ai juste eu envie de venir jeter un coup d’œil. Vous avez fait un magnifique travail en organisant ce festival.

— Merci.

Elle poursuivit avec raideur :

— Je n’aurais pas pu le faire sans le reste de la ville. Nous nous serrons tous les coudes, ici, à Icicle Falls.

— Vraiment ?

Elle releva légèrement le menton.

— Absolument.

Puis elle déplaça son regard vers le patron de Blake.

— C’est comme ça que nous avons toujours travaillé, chez nous.

— Ah oui ? Bon, si nous goûtions un de vos chocolats… Que nous recommandez-vous ?

D’aller vous jeter dans la rivière.

— Ils sont tous délicieux, répondit Bailey, ignorant qu’elle s’adressait à l’ennemi. Essayez les caramels salés. Ils sont sucrés derrière une pointe salée.

— En fait, déclara froidement Samantha, je crois que nous n’en avons plus.

Mais Bailey la reprit :

— Mais si, on en a encore, Samantha.

Puis elle ajouta à l’attention des deux hommes :

— Quand même, vous arrivez juste à temps. Parce que nous allons bientôt être en rupture.

— C’est combien ? demanda Trevor Brown.

Comme s’il ne le savait pas ! Tous les prix étaient indiqués sur le tableau suspendu juste derrière lui.

Bailey le lui indiqua et il lui donna l’argent.

Sur quoi, son compagnon démoniaque fit écho :

— Je vais en prendre un, moi aussi.

Etouffe-toi donc avec, pensa Samantha, tandis que Bailey lui donnait un caramel à son tour.

— Nous faisons les meilleurs chocolats de l’Etat de Washington, insista Samantha, avant d’ajouter : Une seule bouchée devrait suffire à vous convaincre que nous sommes un très bon investissement. Pour la banque.

Pas pour vous, Trevor Brown.

— Pas mauvais, déclara le patron de Blake.

Pas mauvais ? C’était tout ce qu’il trouvait à dire ?

— Vous faites du bon chocolat, déclara Trevor Brown.

Meilleur que les tiens ! Samantha étira ses lèvres autant qu’elle put, allant presque jusqu’à esquisser un demi-sourire.

A présent, Trevor étudiait leurs autres produits.

— Un caramel à la lavande, hein ? Intéressant.

Bon, trop, c’était trop.

Sans le laisser poursuivre davantage son espionnage industriel, Samantha déclara :

— Je suis sûre que vous avez envie de visiter les autres stands. Je vous souhaite un bon festival.

Sur quoi, elle leur tourna le dos.

— Bailey, pourrais-tu décharger ces caisses ?

Bailey lui lança un regard étonné, mais obtempéra.

— D’accord.

— Tu veux bien l’aider, Cec ? demanda Samantha à son autre sœur.

Vous avez compris, bande de vautours ? Disparaissez, maintenant !

Ils s’éloignèrent, tels des loups qui attendent dans leur coin que meure le feu du campement. Leur seule vue avait suffi à donner la nausée à Samantha.

Tandis qu’elles déchargeaient les caisses, Bailey demanda à voix basse :

— C’était qui, ces types ?

— Le plus vieux des deux est Trevor Brown.

Bailey fronça les sourcils.

— Trevor…

— Des chocolats Madame C.

Bailey en eut le souffle coupé.

— Nous venons d’offrir des chocolats à Madame C. ? Argh ! Et qui était l’autre ?

— Un gros pourri de la banque.

— Plus pourri que Blake Preston ?

— Blake est son caniche.

Bailey pencha la tête.

— Et moi qui étais en train de bavarder avec eux en pensant que j’avais affaire à de charmants clients… Bon sang, quelle nouille je fais !

Cecily lui tapota le bras.

— Tu ne pouvais pas savoir… Mais maintenant, tu es au courant. S’ils reviennent, dis-leur que nous avons tout vendu.

Bailey esquissa un sourire malicieux.

— Ou que nous ne servons pas les gens de leur espèce. Nous avons des préjugés contre les sales types.

Des sales types, l’expression leur convenait parfaitement. Rien que de les savoir en ville, Samantha mourait d’angoisse. Aussi, au lieu de se promener dans les rues et d’aller voir les stands de tous ses amis de la chambre de commerce, elle alla se cacher dans son bureau.

Elle avait des milliers de choses à y faire, mais aucune tâche ne put lui faire oublier ses soucis : ils demeurèrent là, sur son bureau, avec elle, et la nuit suivante, ils allèrent se coucher avec elle, envahissant son esprit tandis qu’elle maintenait ses yeux fermés en s’efforçant de dormir. Finalement, après deux tasses de lait chaud (beurk !), elle s’assoupit.

Elle dormit profondément pendant quelque temps mais, ensuite, elle passa les portes du pays des rêves et se retrouva en train de courir dans la rue principale. Celle-ci était déserte, à l’exception d’elle-même et de deux hommes : Trevor Brown et le patron de Blake. Et ils pointaient chacun une arme sur elle.

Trevor hurlait :

— Vous feriez mieux de cesser de courir, Samantha ! Nous vous prendrons votre entreprise d’une manière ou d’une autre.

— Non ! criait-elle.

Et elle reprit sa course effrénée dans la rue pavée. Plus loin, elle tourna pour pénétrer dans la résidence de Mountain Vale, où se trouvait son appartement, et monta précipitamment les marches. Les deux hommes étaient sur ses talons mais, en cours de route, ils s’étaient métamorphosés en gros loups bavant et grognant. Elle leur claqua la porte au nez.

— Vous ne m’aurez jamais !

Elle se retrouva dans sa cuisine, laquelle était étrangement bien approvisionnée, et se mit à sortir des ingrédients. Elle attrapa sa casserole bain-marie dans le placard et la fixa du regard.

— Qu’est-ce que je suis en train de faire ? se demandait-elle.

Une douce voix de femme lui répondit :

— Tu es en train de sauver ton entreprise.

Après une pause, la voix poursuivit :

— Et je vais t’aider.

Voilà qu’il y avait devant elle un fantôme qui dansait, la frôlant presque. C’était une femme jeune, aux cheveux châtain et aux vêtements d’un autre âge. Samantha la reconnut d’après l’une des photos accrochées sur le mur de son bureau : L’arrière-grand-maman Rose.

Son arrière-grand-mère dit, en désignant le bloc de chocolat blanc que Samantha avait posé sur le plan de travail :

— J’espère qu’il est de bonne qualité.

— Bien sûr que oui. Tu sais bien que nous n’utilisons que les meilleurs ingrédients.

Rose acquiesça en signe d’approbation.

— Maintenant, va chercher l’eau de rose et mettons-nous au travail.

Et c’est ce qu’elles firent.

Et lorsque Samantha se réveilla, elle battit des paupières, stupéfaite. C’était une première, une première merveilleuse et miraculeuse ! Elle venait d’inventer en rêve de nouvelles recettes pour Sweet Dreams. Et elle s’en souvenait. Un miracle !

Elle rejeta les couvertures et courut à son ordinateur pour tout noter avant que les détails ne s’envolent de son esprit. Puis elle regarda l’heure : il n’était que 8 heures mais, heureusement pour elle, c’était l’heure d’ouverture de Safeway.

Elle ne prit pas la peine de s’habiller et se contenta de passer une veste par-dessus son pyjama. Puis elle glissa ses pieds dans ses bottes et courut acheter de la crème et du beurre. Dehors, pas un loup ne la guettait par cette belle matinée ensoleillée. Seulement la chance.

1. . « Inoubliable » (NdT).

2. « Quelqu’un comme toi » (NdT).

3. . « Quand on aime quelqu’un » (NdT).

4. .  « Pour que tu sentes combien je t’aime » (NdT).