Les termes sont ici définis selon le sens utilisé dans le livre. Dans les précisions qui suivent en italiques, ce sens est situé par rapport aux autres acceptions que les termes peuvent avoir plus généralement.
Afrique : découpage artificiel imaginé par les Européens pour désigner les terres au sud de l’Europe qui ne sont pas européennes. Conventionnellement, cette limite fut fixée sur la Méditerranée (les îles restant européennes). Aujourd’hui, l’Afrique est devenue un imaginaire identitaire, surtout au sud du Sahara, l’Afrique subsaharienne formant une région.
Asie/Extrême-Orient : aujourd’hui, région étendue du Pakistan au Japon et tendanciellement jusqu’à la Nouvelle-Zélande. Le sens courant du mot « Asie » correspond aujourd’hui à l’ancien « Extrême-Orient » des Européens. Il inclut de plus en plus fonctionnellement (mais non culturellement) l’Australie et la Nouvelle-Zélande, mais ne comprend pas la Sibérie, « l’Asie centrale » et le Moyen-Orient.
Centre/Périphérie : couple systémique de l’échange inégal ; le Centre s’enrichit d’autant que la Périphérie s’appauvrit (et réciproquement). Souvent utilisé comme synonyme du couple Pays développés/Pays sous-développés, l’expression prend ici le sens précis utilisé dans le modèle Singer/Prebisch (cf. chapitre 3).
Civilisation : au singulier, étape ultime de la vision évolutionniste de l’histoire humaine caractéristique de la pensée moderne, depuis les Lumières ; au pluriel, ensembles culturels de niveau métagéographique (synonyme : aire culturelle).
Continent : découpage culturel opéré par l’Europe pour penser la Terre autour d’elle-même. Littéralement, un continent est une « terre en continu », une très grande île. La géographie française a longtemps compté 2 continents (Eufrasie et Amérique) et 5 parties du Monde (les 5 anneaux du drapeau olympique). Ce découpage est censé être « naturel » donc neutre et indiscutable ; il représente ainsi la métagéographie la plus utilisée, même si l’emprise géographique des termes évolue constamment (par exemple « Asie/Extrême-Orient). De fait, sauf l’Europe, initiatrice de cette métagéographie, les 4 autres parties du Monde sont des fourre-tout sans définition positive, des « non Europe ».
Développement/sous-développement : vision géographique évolutionniste divisant le Monde en deux sous-ensembles selon leur position dans le processus de croissance économique et sociale : les pays développés sont « plus avancés » et les sous-développés « moins ». L’expression « en voie de développement » est le synonyme politiquement plus correct de « sous-développement ». Cette vision place tous les pays du Monde sur un chemin unique allant de la pauvreté à la richesse. La forme la plus formalisée est le modèle historiciste de la transition démographique. Depuis 1980, cette expression s’efface lentement devant « Nord/Sud ».
Écoumène : ensemble de l’espèce humaine et de son environnement réparti à la surface de la Terre.
État-nation : organisation géopolitique dans laquelle le politique et l’ensemble du social doivent coïncider géographiquement. La forme particulière (dite « westphalienne ») prise par l’État-nation en Europe depuis le XVIIe siècle a poussé au maximum l’idéal de fusion nationale (un État = un peuple = une langue = un ensemble de mœurs spécifiques). Cette forme a été diffusée à l’ensemble de l’écoumène et représente la norme théorique d’organisation des sociétés actuelles.
État-continent : État de très grande taille comparable à celle d’une région. Un État-continent participe des deux niveaux géographiques : le métagéographique et le puzzle. Leur nombre est forcément restreint : Chine, États-Unis, Inde, Russie, Brésil ; l’Europe pourrait devenir un État-continent.
Europe : « continent » inventeur des autres. L’Europe est une civilisation.
Eufrasie : ensemble terrestre continu comprenant l’Europe, l’Afrique et l’Asie. Expression due à Vincent Capdepuy (cf. chapitre 1, note 6) qui permet d’éviter l’implicite Grand Récit de l’expression « Ancien Monde ».
Grande Cartographie : vision du Monde participant à la cosmogonie de toute culture sous forme d’une métagéographie. Tout Grand Récit suppose une Grande Cartographie (et réciproquement). La mappemonde T/O représentait la Grande Cartographie de la chrétienté médiévale. Le récit de la modernité s’incarne particulièrement dans les planisphères représentant le degré de développement des pays du Monde.
Grand Récit : dimension historique essentiellement mythique participant à toute cosmogonie. Le Grand Récit de la modernité racontait (et raconte encore souvent) le Progrès ordonnant la marche de l’humanité. L’expression a été popularisée par Jean-François Lyotard en 1979 dans La condition postmoderne. La postmodernité, en remplaçant le mythe historiciste de la modernité par les déconstructions et les approches subalternes, produit un contre-Grand Récit interprétable comme une autre forme de Grand Récit et de Grande Cartographie sous forme de fragments correspondant à la pensée-puzzle.
International : logique globale fondée sur l’interrelation des États supposés être des nations. En maintenant le pouvoir politique au niveau national (et quelquefois à des regroupements locaux de nations), l’international reproduit la logique du puzzle qui est le fondement géographique du capitalisme, en dégageant constamment des lieux dérogatoires pour la libre entreprise, sans contrôle politique d’une société.
Métagéographie : découpage du niveau mondial en grands ensembles permettant de le lire. Continents et océans représentent la grille métagéographique la plus courante pour nommer les divisions du Monde et y situer les lieux de l’écoumène. Les régions supranationales et les aires de civilisations sont les divisions les plus fonctionnelles de l’écoumène. Les visions du Monde binaires (Nord/Sud, Est/Ouest, Orient/Occident) représentent des grilles de lecture constamment contestées et néanmoins toujours reprises. Toutes ces représentations interfèrent entre elles : l’analyse de ces relations est l’objet central du livre.
Monde : au singulier et avec une majuscule, le plus haut niveau géographique regroupant l’ensemble de l’humanité en un système spatial ; au pluriel et sans majuscule, le terme est synonyme de région. La majuscule rappelle que le Monde est un toponyme désignant un territoire particulier et unique. La totalité de l’humanité n’a pas toujours été connectée, le Monde n’a pas toujours existé. Le mondial est structurellement en tension avec l’international.
Mondialisation : processus de tissage du Monde, mise en connexion des différentes parties de l’humanité. La régionalisation participe à la mondialisation. Le processus est ancien ; il existe dans l’axe de l’Eufrasie depuis plusieurs millénaires et s’est progressivement étendu à l’humanité entière avec les grandes connexions des XVe-XVIe siècles. Dans la mesure où l’approfondissement de la mondialisation surmonterait l’international, alors s’affirmerait une société-Monde.
Moyen-Orient : région du Monde aux limites floues (dans sa plus grande extension du Maghreb à l’Iran) à cheval sur l’Afrique et l’ancienne Asie occidentale. Cette région découpée et nommée par les Occidentaux correspond à une aire culturelle ancienne marquée par l’Islam et les Empires arabe, ottoman et perse. Elle est devenue une catégorie métagéographique courante des organismes internationaux.
Nord/Sud : expression postmoderne du couple développement/sous-développement. Expression née en 1980 pour identifier les sociétés riches et pauvres dans le Monde, souvent exprimée par un planisphère. Elle élimine la dimension historiciste, progressiste, de la référence au développement et la remplace par des indications purement spatiales. Malgré l’obsolescence évidente de la formule, les mots « Nord » et, plus encore, « Sud » sont toujours largement utilisés, souvent au pluriel.
Océan : au singulier, l’étendue marine mondiale qui forme une masse d’eau continue. Au pluriel, découpage conventionnel (en 3 ou 5 océans) inventé par les Européens. Cette métagéographie maritime complète celle des continents. Les limites et les noms des 3 grands océans ne sont fixés que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.
Occident : ensemble discontinu regroupant l’Europe et les pays surtout peuplés de descendants de migrants européens au détriment des peuples premiers (une part majeure de l’Amérique, l’Australie, la Nouvelle-Zélande…). L’Occident forme une aire culturelle discontinue avec des régions différentes (Europe, Amérique anglo-saxonne), voire des parties en voie d’intégration dans de nouvelles régions (Australie et Nouvelle-Zélande).
Orient : construction mentale de l’Europe regroupant toutes les sociétés de l’axe de l’Ancien Monde sauf elle-même.
Puzzle : fragmentation du Monde en États, aux frontières à bord franc (logique du tiers-spatial exclu). Son fonctionnement est l’international. La pensée-puzzle consiste à faire primer l’altérité des sociétés sur l’unité de l’humanité.
Région : sous-ensemble fonctionnel du Monde. Le terme région désigne, plus généralement, tout sous-ensemble d’un territoire de grande taille, en particulier les États (ainsi les 18 régions françaises). Depuis un demi-siècle, l’usage du terme pour désigner des grands ensembles regroupant plusieurs États voisins entretenant entre eux des liens de plus en plus forts, institutionnalisés ou non, en particulier économiques, s’est imposé, sans exclure l’usage au niveau infranational.
Régionalisation : tissage d’interrelations fortes entre plusieurs sociétés proches spatialement au niveau infra-mondial. Le processus produit une région du Monde. Le terme, dans le langage politique, désigne également l’attribution d’une autonomie administrative aux unités de niveau immédiatement inférieur à l’État.
Terre : planète sur laquelle vit l’humanité, sa « maison » (oikos).
Tropiques (au pluriel) : zone dans laquelle les rayons du soleil peuvent arriver verticalement à midi au moins un jour par an. Plus largement, zone de la Terre proche de l’équateur où il fait toujours chaud (sauf en haute altitude) et qui ne connaît pas d’hiver.
Zone : découpage théorique de la surface terrestre dans le sens des parallèles caractérisé par une certaine homogénéité thermique. On distingue depuis la géographie grecque antique trois types de zones : tropicale (ou torride), tempérée et froide.