Avant-propos
1. La notion de « Grand Récit » a particulièrement été pensée par Jean-François Lyotard dans La condition postmoderne (Paris, Éditions de Minuit, 1979). Il y manifeste son incrédulité face à la mise en scène historique du Progrès telle que la construit la modernité. La philosophie de l’Histoire hégélienne et marxiste en représente la forme la plus indurée, mais la version libérale décrit tout aussi bien le chemin glorieux de l’émancipation de l’humanité et de l’individu. Le terme « récit » insiste sur l’historicité du paradigme, sur le fait qu’on (se) raconte une histoire. Mais il ne faut donc pas oublier qu’il s’agit tout autant d’une grille de lecture du Monde, ce qu’on peut appeler une « Grande Cartographie ».
2. On reconnaît l’expression des régimes d’historicité (passéiste, futuriste, présentiste) selon la formalisation des temporalités idéelles faite par François Hartog (Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Le Seuil, 2003).
3. L’expression « métagéographie » pour désigner les très grands découpages à l’échelle du globe dont nous usons souvent sans esprit critique, ceux qui structurent nos planisphères, a été proposée en 1997 par Martin W. Lewis et Kären E. Wigen (The Myth of Continents: A Critique of Metageography, University of California Press). Le terme est adopté par les géographes francophones, par exemple : Philippe Pelletier, L’Extrême-Orient. L’invention d’une histoire et d’une géographie, Paris, Gallimard, coll. « Folio histoire », 2011. Depuis, la notion s’est diffusée au-delà de la géographie, par exemple : Jon Hegglund, Metageographies of Mordernist Fiction, Oxford, Oxford University Press, 2012.
Introduction
1. Tzvetan Todorov, Nous et les autres. La réflexion française sur la diversité humaine, Paris, Le Seuil, 1989.
2. Augustin Berque, « Les montagnes et l’œkoumène au Japon », L’Espace géographique, no 2, 1980, p. 151-162.
3. Bernard Formoso, « Les montagnards et l’État en Asie du Sud-Est continentale », L’Homme, no 179, 2006, p. 91-112.
4. Pierre Gourou, Riz et civilisation, Paris, Fayard, 2000.
5. Michel Bruneau, L’Asie d’entre Inde et Chine. Logiques territoriales des États, Paris, Belin, 2006.
6. Dans l’ordre chronologique : Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, 1939 (trad. française : Gallimard, 1942) ; Dino Buzzati, Le désert des Tartares, 1940 (trad. française : Robert Laffont, 1949) ; Julien Gracq, Le rivage des Syrtes, Paris, José Corti, 1951 ; John Maxwell Coetzee, En attendant les barbares, 1980 (trad. française, Le Seuil, 1987).
7. Par « zonal », on comprendra exclusivement dans ce livre une configuration dans le sens des parallèles terrestres (on ne parlera donc pas de ZPIU, de ZAU…).
8. Paris, Le Seuil, 2013.
9. Daniel Nordman, Frontières de France, Paris, Gallimard, 1998.
10. Bertrand Badie, La fin des territoires, Paris, Fayard, 1995.
11. Armelle Choplin et Olivier Pliez, La mondialisation des pauvres, Paris, Le Seuil, coll. « La République des idées », 2018.
12. Jean de La Fontaine, « Les animaux malades de la peste » (il s’agit des deux derniers vers, la morale de la fable), Fables, deuxième recueil, livre VII, 1678.
13. Vincent Capdepuy et Christian Grataloup, « Continents et océans : le pavage européen du globe », Monde(s), no 3, 2013/1, p. 29-51.
14. Je reprends évidemment le titre du manuel de Fernand Braudel (Grammaire des civilisations, ouvrage publié en 1987 aux éditions Arthaud, mais qui reprend l’essentiel du manuel scolaire édité en 1963), mais pas sa logique qui reste profondément eurocentrée.
Chapitre 1. La zonation du Monde
1. Les bématistes étaient des techniciens de l’armée d’Alexandre le Grand. Entraînés à marcher très régulièrement, ils comptaient le nombre de pas entre deux campements. Leurs indications enregistrées par la chancellerie d’Alexandre serviront de base à une topographie grecque de l’Asie (Marie-France Baslez et Jean-Marie André, Voyager dans l’Antiquité, Paris, Fayard, 1993).
2. André Miquel, La géographie humaine du monde musulman jusqu’au milieu du XIe siècle, Paris, Mouton, 1975, p. 56-60.
3. C’est en particulier le cas dans les figures illustrant le Commentaire au songe de Scipion de Macrobe, texte souvent recopié dans les monastères médiévaux.
4. Strabon, Le voyage en Égypte. Un regard romain, éd. de Jean Yoyotte et Pascal Charvet, Paris, Nil Éditions, 1997.
5. L’Eufrasie est une expression commode pour désigner, dans la logique de formation des toponymes continentaux et sans connotation chronologique (la « découverte » de l’Amérique), l’Ancien Monde. Parmi les combinaisons possibles (Eurasafrique, Eurafrasie, Afriqueurasie…), celle d’Eufrasie paraît s’imposer, sans doute parce que c’est la plus simple des « crases » possibles (pour parler comme les phonéticiens). L’expression est due à Vincent Capdepuy (« Un espace : l’Eufrasie », Mappemonde, no 104, 2011/4).
6. Il ne reste pas plus de cartes de l’époque Han que de l’Antiquité méditerranéenne, mais seulement des textes les décrivant. La plus ancienne carte chinoise, qui subsiste, est une gravure sur une stèle, dite Yu Ji Tu, « carte des pistes de Yu » ; elle représente avec précision le Monde chinois (incluant la Corée et le Vietnam), les principaux systèmes fluviaux et localise 500 toponymes, dans un quadrillage dont les unités ont 500 lis de côté.
7. François-Xavier Fauvelle-Aymar, Le rhinocéros d’or, Paris, Alma Éditeur, 2013, p. 65-70.
8. Elsa Vieillard-Baron, La jungle entre nature et culture : un imaginaire socio-spatial de l’antimonde, thèse soutenue en 2011 à l’université Paris Diderot (www.theses.fr/2011PA070029#).
9. La formule convenue, « le tombeau de l’homme blanc », est utilisée pour les tropiques en général, mais surtout pour l’Afrique noire au XIXe siècle : Jean-Pierre Dozon, « D’un tombeau l’autre », Cahiers d’études africaines, no 121-122, 1991, p. 135-157.
10. Bouda Etemad, La possession du monde. Poids et mesures de la colonisation, Bruxelles, Complexes, 2000.
11. Gordon A. Harrisson, Mosquitoes, Malaria and Man: an History of the Hostilities since 1880, New York, Dutton, 1978.
12. Programme Intégration-Nutrition Canada : www.integrationnutrition.com
13. PUF. La première édition, en 1947, n’inclut pas cette remarque due à D. H. K. Lee (in Climate and Economic Developement in the Tropics, New York, Harpers, 1957).
14. Selon la Banque mondiale. Rappelons que l’IDH idéal serait à 1. En 2015, les pays les plus pauvres (Niger, Tchad, République centrafricaine, compte non tenu des « États » sans statistique comme la Somalie) se situent à moins de 0,35. En comparaison, les plus riches (Amérique du Nord, Europe, Japon et Corée du Sud, Australie et Nouvelle-Zélande) sont tous à plus de 0,85.
15. C’est la géographie décrite par Yves Lacoste dans son « Que sais-je ? » de 1959, Les pays sous-développés, tout en refusant tout lien entre les milieux tropicaux et la situation de pauvreté.
16. Corée du Sud, Singapour, Taiwan et Hong Kong, considérés aujourd’hui comme des pays développés à part entière. On les désigne maintenant comme « d’anciens NPI ».
17. Jean Baudrillard, La société de consommation, Paris, Gallimard, 1970.
18. Kenichi Ohmae, Triad Power: The Coming Shape of Global Competition, New York, Free Press, 1985.
19. Jean Fourastié, Les Trente Glorieuses, ou la révolution invisible de 1946 à 1975, Paris, Fayard, 1979.
20. En la matière, le parallèle Chine/Europe est un vieux topos de l’histoire économique. Cf. notamment, Kenneth Pomeranz, Une grande divergence. La Chine, l’Europe et la construction de l’économie mondiale, Paris, Albin Michel, 2010.
21. 1947 pour l’apparition, dans le vocabulaire de la Banque mondiale, des expressions « sous-développement » et « en voie de développement » ; 1950, pour le modèle Centre/Périphérie (Raúl Prebisch, The Economic Development of Latin America, New York, ONU) ; 1952, pour « Tiers Monde », sous la plume d’Alfred Sauvy.
22. Un beau succès éditorial du sentiment de « déclin de l’Empire américain », pour parodier le titre d’un célèbre film de Denys Arcand de 1987, fut celui de l’ouvrage de l’historien britannique Paul Kennedy (Naissance et déclin des grandes puissances, New York, Ramdon House, 1987), qui développait un modèle cyclique très classique.
23. Du début des années 1970 au milieu des années 1980, chaque année voyait la publication d’un nouveau manuel d’économie ou de géographie consacré aux Pays sous-développés ou au Tiers-Monde. Depuis, le filon éditorial s’est tari. Une exception récente : Jean-Louis Chaléard et Thierry Sanjuan, Géographie du développement. Territoires et mondialisation dans les Suds, Paris, Armand Colin, 2017. Comme son sous-titre l’indique, parler de « développement » signifie s’intéresser aux Suds, pas aux Nords.
Chapitre 2. Il était une fois le couple Nord/Sud
1. Introduction à la géohistoire, Paris, Armand Colin, 2015, chapitre 1.
2. Le 23 avril 2018, une équipe de généticiens botanistes de l’université d’Oxford a publié le résultat d’une recherche (“Reconciling Conflicting Phylogenies in the Origin of Sweet Potato and Dispersal to Polynesia”, Current Biology, 28-8, 23 avril 2018, p. 1246-1256) tendant à montrer que la diffusion de la patate dans le Pacifique serait bien antérieure à celle des sociétés polynésiennes et même du peuplement de l’Amérique. Ipomoea batatas se serait différenciée génétiquement il y a plus d’un million d’années. Une variante, Ipomoea littoralis, qui ne fut pas rencontrée en Amérique mais dans le Pacifique occidental et à Madagascar, aurait divergé de son espèce sœur, Ipomoea lactifera, elle bien américaine, il y a 1,1 million d’années. Depuis quelques mois, la polémique fait rage dans le petit monde des études polynésiennes. Les arguments semblent solides pour défendre la thèse de la diffusion sociale. On ne connaît de la patate douce que des variantes cultivées. La très grande adaptabilité de cette plante fait que les sous-espèces sont très nombreuses et diverses sans qu’il soit nécessaire de supposer des variétés anciennes divergentes. C’est d’ailleurs cette souplesse qui a permis à la patate de s’adapter à l’altitude des pentes sèches des volcans hawaïens comme aux latitudes tempérées de Nouvelle-Zélande, constituant ainsi la base alimentaire de fortes structures sociétales. L’anthropologue Serge Dunis dans L’île aux femmes (Paris, CNRS Éditions, 2016) a montré le parallélisme de la circulation de sa culture avec celui de structures mythologiques, de l’Amérique à l’Asie orientale.
3. Max Milo Éditions.
4. Les pistes, qui partent des postes fortifiés à l’orée de la forêt où les chasseurs troquaient les peaux avec les commerçants (lieux appelés « gorod » en vieux russe, à l’origine de nombreuses villes comme Kiev), ont été étudiées et cartographiées par Maurice Lombard (Espaces et réseaux du Haut Moyen Âge, Paris, Mouton, 1972).
5. Thimothy Brook en a tiré le titre de son beau livre sur l’origine mondiale des objets rencontrés dans les tableaux de Vermeer : Le chapeau de Vermeer. Le XVIIe siècle à l’aube de la mondialisation, Paris, Payot, 2008.
6. Le premier livre consacré aux recettes de confitures fut sans doute Le grand confiturier dont l’auteur est plus connu pour un autre de ses ouvrages, Nostradamus (réédité en 2015 sous le titre Traité des confitures, Paris, Éditions Imago).
7. Jean Meyer, Histoire du sucre, Paris, Desjonquères, 1989.
8. C’est pourquoi, j’avais tenu, en préambule à la réflexion sur les divisions du Monde, à écrire une histoire du petit déjeuner : Le Monde dans nos tasses. Trois siècles de petit déjeuner, Paris, Armand Colin, 2017.
9. Ce ne fut pratiqué de façon notable que dans le cadre de l’URSS.
10. Grégory Quenet, « L’Anthropocène et le temps des historiens », Annales. Histoire, Sciences Sociales, Paris, Éditions de l’EHESS et Cambridge University Press, avril-juin 2017, p. 267-300.
11. L’auteure de la notion de Chthulucène est Dona J. Haraway (Staying with the Trouble: Making Kin in the Chthulucene, Durham, Duke University Press, 2016). Le terme est féministe et vient du nom d’une petite araignée endémique en Californie, Pimoa cthulhu, qui reprend le nom d’un animal fantastique, le Cthulhu, apparu dans l’œuvre de Howard Phillips Lovecraft. L’objectif est d’éviter l’anthropos du mot « Anthropocène » qui exclut les femmes et les autres espèces vivantes. À la différence du monstre de Lovecraft qui exprimait la terreur face à l’inconnu, le Chthulu de D. J. Haraway invite à rencontrer d’autres formes de vie (animaux non humains, végétaux, bactéries, champignons…), espèces « camarades » qui partagent avec l’être humain des « histoires de cohabitation, de coévolution et de sociabilité ».
12. Donna Haraway et al., “Anthropologists Are Talking: About the Anthropocene”, Ethnos, no 81-3, 2016, p. 535-564.
13. Journée d’étude « Le paradigme de la race dans le nouveau Grand Récit de l’Anthropocène. De l’Anthropocène au Plantationocène : racialisation et politiques de la nature » (Fondation des sciences de l’Homme et UMR Passages, 20 mars 2018).
14. Sindney Mintz, Sucre blanc, misère noire. Le goût et le pouvoir, Paris, Nathan, 1991 (éd. originale : Sweetness and Power: The Place of Sugar in Modern History, New York, Viking, 1985). Voir également l’économiste hétérodoxe Pierre Dockès, Le sucre et les larmes. Bref essai d’histoire et de mondialisation, Paris, Descartes et Cie, 2009.
15. « La principale contribution philosophique de l’Anthropocène est que la dimension narrative – ce que j’appelle géohistoire – n’est plus une couche ajoutée à la “réalité physique” brutale, mais ce dont le monde lui-même est fait » (extrait de la conférence de Bruno Latour, “Anthropology at the Time of the Anthropocene: A Personal View of What Is to Be Studied”, American Association of Anthropologists, 2014, traduction de l’auteur).
16. Introduction à la géohistoire, op. cit.
17. Pour la pensée française : Tzvetan Todorov, Nous et les autres, op. cit.
18. Produit intérieur brut en parité de pouvoir d’achat. Calcul effectué pour corriger « l’effet Balassa-Samuelson », le fait que beaucoup de biens et la plupart des services sont d’autant moins chers que le pays est plus pauvre.
19. Walt Whitman Rostow, The Stages of Economic Growth: A Non-Communist Manifesto, Cambridge, Cambridge University Press, 1960.
20. C’est dans la presse économique que la notion de « pays émergent » apparaît au milieu des années 1980 pour classer des pays dont le PIB par tête, tout en restant nettement inférieur à celui des pays riches, connaît une croissance rapide et où les opportunités de « rattrapage » des vieux pays développés ont pu être vivement saisies.
21. Vincent Capdepuy, « La limite Nord/Sud », Mappemonde, no 117, 2009.
22. Carl Schmitt, Der Nomos der Erde im Völkerrecht des Jus Publicum Europaeum, 1950 (trad. française : Le nomos de la Terre dans le droit des gens du jus publicum europeum, Paris, PUF, 2001).
Chapitre 3. C’est la lutte zonale !
1. Il signifiait alors la doctrine des partisans du régime impérial, les nostalgiques de Napoléon. C’est en anglais qu’il devient synonyme de colonialisme, en particulier lorsque Gladstone l’utilisa en 1880 pour fustiger la politique du gouvernement conservateur.
2. Kôtoku Shûsui, né en 1871, est un journaliste japonais, socialiste puis anarchiste. À la suite de « l’incident de haute trahison » (Taigyaku Jiken), incident utilisé par la police pour liquider le mouvement anarchiste, il fut pendu le 24 janvier 1911.
3. Il ne s’agit évidemment pas de l’expression des joueurs de golf (un drapeau planté par les joueurs qui n’ont pas atteint le trou pour indiquer où est leur balle et participer au calcul des points), mais de la formule courante dans la presse française des années 1870-1890 pour indiquer l’urgence de s’emparer des territoires colonisables avant d’autres puissances impérialistes.
4. Ce n’est sans doute pas nécessaire d’entrer dans les querelles d’écriture Tiers-Monde avec ou sans tiret, avec ou sans majuscule, en un seul mot… J’écris spontanément Tiers-Monde en filiation avec Tiers-État, mais dès qu’il y a une référence explicite ou implicite à un mouvement, un auteur, un titre d’ouvrage ou de colloque… je m’en tiendrai à l’usage des autres. Il en va de même, plus loin, pour tiers-mondisme et anti-tiers-mondisme.
5. L’Observateur, no 118, le 14 août 1952, p. 14.
6. Le secrétariat du G24 est au FMI.
7. Dans le classement du FMI pour 2017, l’Inde est le septième PIB mondial et le Brésil le huitième, talonnant le Royaume-Uni et la France (qu’ils ont déjà doublée selon d’autres classements), ayant dépassé l’Italie et le Canada. Derrière montent également le Mexique (15e), l’Indonésie (16e) et la Turquie (18e).
8. Géohistoire de la mondialisation. Le temps long du Monde, Paris, Armand Colin, 2015 (3e éd.), p. 259-266.
9. Le G33, coalition créée lors de la conférence ministérielle de l’OMC à Cancun en 2003, se nomme officiellement « The Friends of Special Products in Agriculture ».
10. La catégorie des Pays les Moins Avancés (PMA) a été créée en 1971 par l’ONU pour distinguer, parmi les pays dits « en voie de développement », ceux qui méritaient une attention particulière. En 2003, le Conseil de sécurité de l’ONU a retenu trois critères : un PIB par habitant inférieur à 992 $, un indice de développement humain et un indice de vulnérabilité économique très faibles ; ces deux derniers indicateurs composites ont été alors forgés pour cet objectif.
11. La Commission économique pour l’Amérique latine (CEPAL), devenue en 1984 la CEPALC avec l’adjonction du « C » de Caraïbes, est une commission régionale de l’ONU créée en 1948 dont le siège est à Santiago du Chili. C’est dans le cadre de la CEPAL, en cohérence avec le modèle Centre/Périphérie, que fut conçue la stratégie d’industrialisation par substitution des importations.
12. Arghiri Emmanuel, L’échange inégal. Essai sur les antagonismes dans les rapports internationaux, Paris, Maspéro, 1969.
13. Le développement du sous-développement, Paris, Maspéro, 1970.
14. Parmi les voix en ce sens, on peut citer Pierre Moussa qui publia en 1959 l’un des premiers livres français majeurs sur le sous-développement : Les nations prolétaires (PUF).
15. En 1961 est créé le mensuel Croissance des jeunes nations (devenu Croissance en 1990) qui fut une importante tribune des idées tiers-mondistes.
16. Dans la foulée sont créées les associations Terres des hommes en 1962 et Frères des hommes en 1965.
17. Laëtitia Altani-Duault et Laurent Vidal, Anthropologie de l’aide humanitaire et du développement, Paris, Armand Colin, 2009.
18. La révélation des atrocités des Khmers rouges fut un choc important. C’est net dans l’ouvrage collectif Le Tiers-Monde et la gauche (Paris, Le Seuil, 1979), recueil d’articles publiés en 1979 dans le Nouvel Observateur.
19. Rony Brauman, Guerres humanitaires. Mensonges et intox, Paris, Textuel, 2018.
20. Yves Lacoste, « La question post-coloniale », Hérodote, no 1, 2006.
21. Pascal Blanchard, Nicolas Bancel et Sandrine Lemaire (dir.), La fracture coloniale. La société française au prisme de l’héritage colonial, Paris, La Découverte, 2005.
22. Jean-François Bayard, Les études postcoloniales. Un carnaval académique, Paris, Karthala, 2010.
23. On peut entendre par « proto-coloniales » les situations des sociétés déjà fortement influencées par les échanges avec l’Europe, en particulier le commerce de traite, sans avoir été militairement conquises.
24. Pour voir cette carte : « Figure 6.8 : Bilan de la mainmise européenne sur le Monde (XVe-XXe siècles) », Géohistoire de la mondialisation, op. cit., p. 198 (attention, cette carte ne figure pas dans la première édition).
25. La raison dans l’Histoire est le titre donné à l’introduction aux Leçons sur la philosophie de l’Histoire publiées après la mort de Hegel en 1831, à partir de ses manuscrits et des notes de cours de ses élèves prises entre 1822 et 1830.
26. Par exemple, dans l’Atlas historique universel de Jacques Bertin (Paris, Minerva, 1997) qui a le grand mérite de présenter un planisphère par siècle depuis – 1000.
27. C’est pourquoi le 26 janvier est la fête nationale australienne…
28. Moins de 10 % des permis d’immigrer sont attribués à des femmes d’après les Archives générales d’Indias de Séville.
29. Henri Gutierrez, « Évolution de l’Amérique latine », Population, no 32-2, 1977, p. 461-466.
30. Maria-Luiza Marcillo, « La démographie historique en Amérique latine : un bilan », Annales de démographie historique, no 2, 2001, p. 111-125.
31. Selon l’hypothèse la plus extrême, celle d’H. Dobyns (“Building Stones and Papers: Evidence of Native American Historical Numbers”, LAPHN, no 24, 1993, p. 11-19), les Américains seraient passés de plus de 100 millions en 1492 à 4,5 millions au milieu du XVIIe siècle. Beaucoup d’estimations sont plus modérées, mais proposent tout de même des estimations de l’ordre de la moitié, soit une cinquantaine de millions réduite à moins de 5 en 150 ans, soit un effondrement de l’ordre de 90 %.
32. Martine Droulers, Brésil. Une géohistoire, Paris, PUF, 2001.
33. La zonalité brésilienne est sensible dans la vie quotidienne du pays. Les pays-continents, dans l’établissement de l’heure légale, sont partagés par des fuseaux horaires, donc en tranches méridiennes (États-Unis, Russie, Canada…), sauf la Chine qui met impérialement tout le monde à l’heure de Pékin. En revanche, le Brésil est séparé zonalement : la moitié septentrionale, au nord du tropique du Capricorne, ne pratique pas de changement horaire entre l’été et l’hiver, mais la moitié méridionale, si. Il n’y a guère que l’Australie qui présente une semblable dysrythmie (les États du Sud-Est pratiquent l’heure d’été, pas les autres).
34. Même si la reconnaissance du problème fut rare dans la géographie française (ou très ambiguë comme chez Pierre Gourou), tous les auteurs ne détournèrent pas les yeux ; ainsi, Olivier Dollfus écrivit en 1990 : « Les pays riches se situent, dans leur majorité, aux latitudes moyennes de l’hémisphère nord, les pays pauvres dans les régions tropicales et subtropicales. […] La “tropicalité” comme synonyme de pauvreté est une notion récente qui trouve son sens dans le recouvrement d’une grande partie des régions pauvres et de la zone intertropicale. Elle n’avait pas de sens avant le XIXe siècle. Mais l’émergence de la tropicalité ne peut faire appel à une causalité linéaire, à un déterminisme géographique “crasse” » (L’Information géographique, no 2, 1990, p. 51).
35. Le radeau des cimes. L’exploration des canopées forestières, Paris, Lattès, 2000.
36. Un monde sans hiver. Les tropiques, nature et société, Paris, Le Seuil, 1993.
37. La condition tropicale. Une histoire naturelle, économique et sociale des basses latitudes, Arles, Actes Sud, 2010.
38. Marston Bates, Where Winter Never Comes: A Study of Man and Nature in the Tropics, Charles Scribners and Sons, New York, 1952. Traduit en français dès 1953 : Les tropiques : l’homme et la nature entre le Cancer et le Capricorne, Paris, Payot.
39. La condition tropicale, op. cit., p. 23.
40. Je dois reconnaître que lui-même m’épingle [La condition tropicale, op. cit., p. 19], mais sans discuter non plus l’hypothèse « des épices » que j’avais proposée.
Chapitre 4. Quand l’Autre franchit la ligne
1. Vincent Capdepuy, « La limite Nord/Sud », art. cit.
2. Pour la science grecque antique, il devait nécessairement exister dans l’hémisphère austral plus de terres que dans le boréal, sinon, le globe aurait basculé. Les terres australes formaient le contrepoids du culbuto terrestre.
3. Le pôle Nord magnétique, notion inventée au XIe siècle par le Chinois Sheng Guo, ne correspond pas au pôle géographique (le point en surface de l’axe de rotation terrestre, le « vrai Nord » des marins). Il représente le lieu où le champ magnétique terrestre pointe vers le bas (le centre du globe). En tout autre lieu terrestre, l’aiguille de la boussole pointe vers lui. Or, du fait des mouvements internes au noyau ferreux du centre terrestre, le pôle magnétique est en constant déplacement. Les roches, si elles ont été sensibles au champ magnétique en se déposant, ce qui est le cas en particulier des roches volcaniques se refroidissant rapidement, témoignent de variations anciennes du pôle magnétique. Ces mouvements se traduisent, à l’échelle géologique, par de fréquentes inversions Nord-Sud. C’est peut-être le cas actuellement : le pôle magnétique se déplace de plus de 50 km par an.
4. Tzvetan Todorov, Nous et les autres, op. cit.
5. Évidemment, la formidable leçon d’humanisme donnée par Montaigne dans le célèbre chapitre 31, « Des cannibales », est la face lumineuse de ce rapport à l’autre transatlantique.
6. Nina G. Jablonski et George Chaplin, “The Evolution of Human Skin Coloration”, Journal of Human Evolution, no 39-1, 2000, p. 57-106.
7. Desmond Morris, Le singe nu, Paris, Le livre de poche, 1971.
8. En France, l’Institut national du cancer (INCa), créé en 2005, organise sa politique de prévention selon la classification de Fitzpatrick (mise au point en 1975 par l’équipe de dermatologie de Harvard dirigée par Thomas B. Fitzpatrick), qui ordonne les peaux humaines en six types de sensibilité aux rayonnements ultraviolets (les phototypes), allant de la peau très blanche, avec cheveux blonds et roux, qui ne bronze pas (coups de soleil) et court de gros risques cancéreux (phototype 1), à la peau très foncée, avec cheveux et yeux noirs, dont les risques de carcinomes cutanés par exposition trop régulière aux UV (A et B) sont bien moindres (ce qui peut avoir des effets pervers : le dépistage étant alors moins systématique, les risques de mélanomes sont plus importants, ce qui est constaté chez les Afro-américains).
9. Les UV détruisent particulièrement les réserves de vitamines B9 (acide folique nécessaire à la division cellulaire donc particulièrement pendant la grossesse), ce qui aurait beaucoup accentué les risques de fausses couches chez les hominidés à peau plus claire.
10. Le terme « adivasis » vient du sanskrit et peut être traduit comme les habitants (vasi) du commencement (adi), donc littéralement des peuples premiers.
11. « Le racisme anti-Noir et son histoire », conférence au Ciresc (Éditions de l’EHESS) prononcée le 25 septembre 2015 (www.lesmemoiresdesesclavages.com/catherinecoquery.jpg).
12. Et on trouve facilement des sites Internet conspirationnistes affirmant que Socrate était noir…
13. Catherine Coquery-Vidrovitch, Les routes de l’esclavage. Histoire des traites africaines. VIe-XXe siècles, Paris, Albin Michel, 2018. On remarque, dès le sous-titre, la chronologie large adoptée par l’auteure, grande référence de l’histoire de l’Afrique noire.
14. Ou « le serviteur des serviteurs » selon d’autres traductions.
15. Kthava d-m’arrath gazzé en syriaque, littéralement Livre de l’ordre de succession des générations. Ce titre se comprend parce qu’il s’agit d’une histoire du monde organisé en 7 000 ans (une semaine de millénaires), Jésus-Christ étant né au milieu de l’avant-dernier millénaire. Le titre usuel est dû à l’une de ses anecdotes les plus diffusées : Adam aurait caché dans une grotte l’or, l’encens et la myrrhe destinés à devenir les offrandes des Mages (qui sont des personnages éminemment métagéographiques, puisqu’ils deviendront dans la vision chrétienne latine des représentants des trois parties du monde).
16. Le travail historique le plus sérieux sur cette question fort délicate est l’article de Benjamin Braude, « Cham et Noé. Race, esclavage et exégèse entre islam, judaïsme et christianisme », Annales HSS, janvier-février 2002, p. 93-125. En revanche, il faut avoir la plus grande méfiance face à un ouvrage souvent utilisé, Hebrew Myths: The Book of Genesis (New York, McGraw Hill Book Company, 1963), surinterprétation par compilation en un récit continu d’extraits de textes rabbiniques.
17. Tabari est cité, en particulier, par le Dictionnaire historique et critique, chronologique, géographique et littéral de la Bible (1728), de Dom Augustin Calmet, qui exerça une grande autorité bien au-delà de l’Église catholique.
18. La bulle Romanus Pontifex, fulminée par le pape Nicolas V en 1455, deux ans après la chute de Constantinople, donne ainsi licence au roi du Portugal de conquérir les territoires des Sarrasins et des païens et « d’en réduire leurs personnes en servitude perpétuelle ».
19. La base de données qui fait autorité aujourd’hui est celle de David Eltis publiée en 2008 et régulièrement complétée (The Transatlantic Slave Database : www.slavevoyages.org/assessment/estimates). En 2018, elle recense 12 521 337 personnes arrachées à l’Afrique, dont plus de la moitié (6 495 619) durant le seul XVIIIe siècle.
20. Deux ouvrages publiés en 1954, Stolen Legacy. Greek Philosophy Is Stolen Egyptian Philosophy (L’héritage volé) de George J. M. James, et Nations nègres et culture de Cheikh Anta Diop sont souvent considérés comme les principaux textes fondateurs de l’afrocentrisme. Les deux ouvrages insistent sur la dimension noire de l’Égypte ancienne et son rôle fécondant (et occulté) pour la culture grecque. Cf. François-Xavier Fauvelle-Aymar, La mémoire aux enchères, Paris, Verdier, 2009.
21. Le « discours de Dakar » prononcé par un président de la République française le 27 juillet 2007 à l’université Cheikh Anta Diop n’est pas oubliable. Il reprenait le vieux leitmotiv hégélien de « l’homme africain qui n’est pas encore entré dans l’Histoire ».
22. Géohistoire de la mondialisation, op. cit., p. 97 : « L’Afrique noire était déjà mal partie ».
23. En juin 2018, l’arrivée de 561 migrants yéménites, chassés par la guerre qui ravage leur patrie, dans l’île sud-coréenne de Jeju a suscité une vague de xénophobie en Corée du Sud, société peu habituée au problème. Les migrants avaient bénéficié d’une politique d’exemption de visas pour cette île, afin de faciliter le tourisme. Selon un schéma devenu classique, ils ont à la fois été aidés par des associations locales et ont provoqué l’hostilité d’une part importante de l’opinion publique nationale. Ils ont été accusés d’être de faux migrants, venus pour propager l’islam, voire commettre des attentats. En quelques jours, une pétition réclamant leur expulsion immédiate a recueilli plus d’un demi-million de signatures.
24. Le grand remplacement, Paris, Éditions D. Reinharc, 2011.
25. Mike Davis, Génocides tropicaux. Catastrophes naturelles et famines coloniales. Aux origines du sous-développement, trad. Marc Saint-Upéry, Paris, La Découverte, 2006.
26. Isabelle Rabut (dir.), Vision du « barbare » en Chine, en Corée et au Japon, Paris, Publications Langues O’, 2010.
Chapitre 5. Des parallèles aux méridiens
1. Michel Lussault, De la lutte des classes à la lutte des places, Paris, Grasset, 2009.
2. Pierre de Charentenay s.j., « Une guerre civile mondiale », Études, mars 2016.
3. La guerre civile mondiale. Essais 1943-1978, Paris, Éditions Ère, 2007.
4. L’expression est d’Olivier Dollfus, La mondialisation, Paris, Presses de Sciences Po, 2007, (3e éd.).
5. On a raison de se révolter, Paris, Fayard, 2018.
6. Régis Debray, Éloge des frontières, Paris, Gallimard, 2013.
7. L’expression est de Pierre Moussa (Les nations prolétaires, 1959, PUF).
8. Armelle Choplin et Olivier Pliez, La mondialisation des pauvres, Paris, Le Seuil, 2018.
9. Collectif (l’Institut du Pacifique), Le Pacifique, nouveau centre du monde, Paris, Berger-Levrault, 1983 (réédité en 1995).
10. C’est le constat de l’émergence économique de ces quatre pays, dans une situation de base arrière de l’intervention des États-Unis au Vietnam, qui fit forger au début des années 1970 l’expression NPI (Nouveaux Pays Industriels) pour désigner des sociétés en pleine industrialisation, alors qu’une décennie auparavant elles étaient classées comme sous-développées.
11. Déjà une publicité de Singapore Airlines du milieu des années 2000 proclamait la cité-État « au centre naturel de l’Asie », avec une cartographie imagée incluant l’Australie et la Nouvelle-Zélande dans l’ensemble asiatique, mais n’étendant pas le « continent » plus à l’ouest que l’Indus ou plus au nord que la Grande Muraille.
12. Un exemple parmi nombre d’autres : dans Le Monde du 27 février 2018, le correspondant du journal à New Delhi, Julien Bouissou, écrit : « Après avoir longtemps regardé vers l’Asie, New Delhi se tourne vers le Moyen-Orient. » Outre que cette affirmation peut laisser douter de la situation asiatique de l’Inde, elle exprime clairement que le Moyen-Orient n’y est pas.
13. Les fédérations sportives australiennes et néo-zélandaises intègrent progressivement des structures régionales « d’Asie-Pacifique ».
14. L’invention des continents. Comment l’Europe a découpé le Monde, Paris, Larousse, 2009.
15. Traduction en français dès 1988 : Naissance et déclin des grandes puissances, Paris, Payot. Le film québécois de Denys Arkand, Le déclin de l’Empire américain (1986), qui met en scène les discussions d’universitaires montréalais, pourrait être considéré comme la vision d’individus pris dans une crise globale de maturité vieillissante.
16. Metropolitan Books. Traduction française dès 2006 chez Fayard : La fin de l’empire. La désagrégation du système américain. Walden Bello, ancien directeur exécutif du réseau d’ONG Focus on the Global South, est un militant de la démondialisation.
17. Il s’agit de la première phrase de l’essai La crise de l’esprit écrit en 1919 (Paul Valéry, Essais quasi politiques, Œuvres, tome I, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, p. 991-992).
18. Faut-il penser autrement l’histoire du Monde ? Paris, Armand Colin, 2011.
19. La condition postmoderne. Rapport sur le savoir, Paris, Éditions de Minuit, 1979.
20. La Triade : émergence d’une stratégie mondiale de l’entreprise, Paris, Flammarion, 1985.
21. Le mot « mappemonde » est la francisation de mappa mundi (un tissu représentant le Monde), expression médiévale pour désigner les représentations de la Terre en un seul cercle, figure utilisée au début de la première partie. Au XVIe siècle, le terme désigne une représentation de l’ensemble de la surface terrestre sous forme de deux cercles, figurant deux hémisphères, et c’est cette acception qui est utilisée ici. Au XIXe siècle, il devient synonyme de globe terrestre, donc tridimensionnel.
22. À partir du moment où le découpage hérité de la mappemonde médiévale (alors pour être conforme au texte de la Genèse narrant la reconstitution de l’humanité à partir des trois fils de Noé) en trois parties (Asie, Europe, Afrique) n’est plus considéré comme satisfaisant, des expressions synthétiques ont été imaginées coagulant les trois toponymes : Eurafasie, Afro-eurasie ; le plus simple, retenu ici, est l’expression proposée par Vincent Capdepuy : Eufrasie (« Un espace : l’Eufrasie », Mappemonde, no 104, 2011).
23. Le très alerte récit de la quête de la solution du calcul de la longitude écrit par Dava Sobel (Longitude. L’histoire vraie du génie solitaire qui résolut le plus grand problème scientifique, Paris, Le Seuil, 1998) commence ainsi par le naufrage, le 22 octobre 1707, d’une importante flotte de guerre britannique au large des îles Sorlingues (Scilly), dans lequel près de 2 000 hommes auraient péri, dont le commandant en chef des flottes de sa Majesté, l’amiral Cloudesley Showell. Ce désastre, dû à l’incapacité à calculer la longitude, fut à l’origine du Longitud Act de 1714 lançant un concours récompensant de 20 000 livres (somme considérable) le découvreur du procédé fiable permettant de déterminer la longitude en mer.
24. Jean-Louis Margolin, « Les scénarios noirs du péril jaune », L’histoire de l’Occident, hors série La Vie/Le Monde, 2014, p. 126-127.
25. « Du puzzle au réseau », Tiers-Monde : faim de théorie, EspacesTemps, no 36, 1987, p. 55-66.
26. Quentin Deluermoz et Pierre Singaravelou, Pour une histoire des possibles. Analyses contrefactuelles et futurs non advenus, Paris, Le Seuil, 2016.
27. Pierre Singaravelou et Fabrice Argounès, Le Monde vu d’Asie. Une histoire cartographique, Paris, MNAAG et Le Seuil, 2018.
28. Alain Grosrichard, Structure du sérail. La fiction du despotisme asiatique dans l’Occident classique, Paris, Le Seuil, 1979.
29. La traduction française, Le despotisme oriental. Étude comparative du pouvoir total, paraît en 1954 aux Éditions de Minuit avec une préface de Pierre Vidal-Naquet que Wittfogel a désavouée.
30. La notion de « frontières fantômes » est due à Béatrice von Hirschhausen, spécialiste de l’Europe orientale. Ce sont des divisions qui ont été manifestes naguère et qui n’ont plus d’existence géopolitique aujourd’hui, mais restent lisibles dans la géographie sociale et culturelle. « De l’intérêt heuristique du concept de frontière fantôme pour penser les régionalisations culturelles », L’Espace géographique, 2017/2, p. 106-125.
Chapitre 6. Faire avec les héritages
1. Le toponyme Eufrasie est expliqué dans la note 5 du chapitre 1. Il correspond à ce qu’on appelait l’Ancien Monde.
2. Tzvetan Todorov, Nous et les Autres, op. cit.
3. Ancient Society or Researches in the Line of Human Progress from Savagery, through Barbarism to Civilization, Londres, Macmillan and Co, 1877.
4. Vincent Capdepuy, « Proche ou Moyen-Orient ? Géohistoire de la notion de Middle East », L’Espace géographique, 2008/3, p. 225-238.
5. Edward Saïd, L’orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, Paris, Le Seuil, 1980 (avec une remarquable préface de Tzvetan Todorov).
6. Comme c’était le cas, il y a encore peu, dans nombre de départements universitaires nord-américains, à la Unam de Mexico par exemple, appelés « d’études orientales », c’est-à-dire s’intéressant aux sociétés situées de l’autre côté du Pacifique.
7. Gabriel Martinez-Gros, Identité andalouse, Arles, Actes Sud, 1999.
8. Serafin Fanjul, arabisant espagnol, est sans doute le plus stigmatisant dans la dénonciation du mythe : Al Andalus, l’invention d’un mythe. La réalité historique de l’Espagne des trois cultures, Paris, L’Artilleur, 2017.
9. Pierre Loti, écrivain orientaliste incontestable, fit un voyage diplomatique en 1889 dans le Royaume chérifien et, avec Au Maroc, publié en 1890, il invente son mode particulier de récit de voyage.
10. Ouzbékistan, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan, Turkménistan, c’est-à-dire l’ancien Turkestan de la géographie du XIXe siècle.
11. Amérique latine. Introduction à l’extrême Occident, Paris, Le Seuil, 1987.
12. Moderne sans être occidental. Aux origines du Japon d’aujourd’hui, Paris, Gallimard, 2016.
13. C’est-à-dire les Perses.
14. Dans un contexte proche de la querelle sur Al Andalus, s’est également développé un négationnisme du rôle de la pensée arabe dans la transmission des œuvres antiques : le médiéviste Sylvain Gouguenheim s’en est fait une spécialité (Aristote au mont Saint-Michel). Dans Les racines grecques de l’Europe chrétienne (Paris, Le Seuil, 2008), l’auteur écrit : « Si le terme de “racines” a un sens pour les civilisations, les racines du monde européen sont donc grecques, celles du monde islamique ne le sont pas. » Gouguenheim est revenu plus récemment sur le rôle décisif de Byzance dans La gloire des Grecs. Sur certains apports culturels de Byzance à l’Europe romane (Xe-début du XIIIe siècle), Paris, Le Cerf, 2017.
15. Géohistoire de la mondialisation, op. cit., chapitre 3 : « Le système Ancien Monde ».
16. « Quelle est la plus grande île du Monde ? », Mappemonde, 1997, no 4, p. 40-41.
17. On a plusieurs fois déjà fait allusion au livre de Martin W. Lewis et Karen E. Wigen, The Myth of Continents. A Critique of Metageography (University of California Press, 1977), qui fonde la réflexion métagéographique. Le titre est réducteur puisque la question des continents ne concerne que le premier chapitre, les suivants s’intéressant à d’autres découpages. L’ouvrage est une réaction à la vision « civilisationnelle » de Huntington lancée par l’article “The Clash of Civilizations” paru dans Foreign Affairs en 1993 et suivi par un ouvrage à succès présentant une division essentiellement religieuse du Monde ou l’affrontement Occident/Islam était obsessionnel. Dans la réflexion sur l’histoire des continents, je dois rajouter mon propre ouvrage, L’invention des continents (op. cit., 2009) centré sur l’iconographie des parties du Monde. Il faut également ajouter le no 3 de la revue Monde(s). Histoire, espace, relations, « Inventions des continents » (Armand Colin, 2013).
18. Il faudrait, en bon français, distinguer la notion de « continent » de celle de « partie du Monde ». Continent, dont l’étymologie signifie « terre en continuité », désigne à l’origine deux ensembles de terres émergées : le Nouveau et l’Ancien Mondes. C’est, avons-nous vu, ce qu’isolent généralement les mappemondes traditionnelles en deux hémisphères. Les parties du Monde, au nombre de cinq en France, correspondent aux « continents » actuels ; rien de choquant alors que la petite dernière soit largement océanique. Cette opposition claire a disparu des manuels scolaires et du vocabulaire journalistique au milieu du XXe siècle, ce que l’on peut regretter.
19. Caïn est rejeté « à l’est d’Éden », dans l’obscurité, car en deçà du lever du soleil. Le Paradis correspond donc au lieu où se lève le soleil (et le début de l’histoire).
20. Serge Stolf, « E. S. Piccolomini et les Turcs : l’Europe face à son ennemi », Cahiers d’études italiennes, no 21, 2015, p. 105-117.
21. En témoigne la « mappemonde babylonienne » conservée au British Museum ; elle a été gravée dans une tablette d’argile vers le VIe siècle avant notre ère et serait une copie d’une carte du IXe siècle avant notre ère.
22. « L’invention des océans. Comment l’Europe a découpé et nommé le monde liquide », Géoconfluences, 2015 (http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/oceans-et-mondialisation/articles-scientifiques/l-invention-des-oceans).
Chapitre 7. Le choc des hémisphères
1. Représenter le Monde, Paris, La Documentation française, 2011.
2. Otilia Bardet, « Orient et Occident, deux autres en soi : regards sur le double héritage culturel chez V. S. Naipaul dans The Mimic Men et sa trilogie sur l’Inde », in Claudine Le Blanc et Jacques Weber (dir.), L’Ailleurs de l’autre. Récits de voyageurs extra-européens, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, p. 271-283.
3. Daniel Lançon, « Les relectures d’Orientalism par Edward Saïd : défense, illustration et nouveaux contextes », Sociétés et représentations, no 37, 2014, p. 79-89.
4. Compter, en particulier pour la fiscalité et la levée de troupes, est une préoccupation au moins aussi ancienne que l’État. On a gardé trace de recensements en Chine au IIIe millénaire avant notre ère (et, un peu plus récemment, dans les Empires égyptien, romain ou inca). Mais c’est le caméralisme, comptabilité publique devenue l’ensemble des sciences de l’administration (on dirait aujourd’hui sciences politiques) dans le cadre des États allemands au milieu du XVIIIe siècle, qui systématisa sous forme de tables les Staatskunde (l’étymologie du mot).
5. Gilles Palsky, Des chiffres et des cartes. La cartographie quantitative au XIXe siècle, Paris, CTHS, 1996.
6. C’est d’ailleurs à l’occasion du coloriage de ce type de cartographie que fut posé en 1879 le problème mathématique dit « des 4 couleurs », à l’énoncé très simple mais dont la résolution s’avéra fort complexe. La résolution n’en fut vraiment admise par la communauté mathématicienne qu’en 2005 après une première étape en 1976 ; la solution passe nécessairement par un programme informatique.
7. C’est la carte que Martin W. Lewis, le géographe du tandem, revendique pour son enseignement de géographie humaine globale à l’université de Stanford. Elle a l’originalité de présenter, parmi les 13 régions, une « African America » regroupant les Antilles, les littoraux continentaux de la mer des Caraïbes et le Nordeste brésilien.
8. Introduction à la géohistoire, op. cit.
9. Victor Riqueti de Mirabeau, L’ami des hommes ou traité de la population, 5 tomes, 1756.
10. L’ouvrage en allemand est paru à Bâle en 1939, Elias, juif allemand, étant alors réfugié au Royaume-Uni. Il est publié en français en deux livres distincts : La civilisation des mœurs (1974) et La dynamique de l’Occident (1975).
11. Ancient Society or Researches in the Line of Human Progress from Savagery, through Barbarism to Civilization, Londres, Macmillan and Co, 1877.
12. Arthaud, 1967 (rééd. Flammarion, 1993). Remarquons que la démarche braudélienne est très classique, fondée sur une distinction entre civilisations non européennes (islam, continent noir, Extrême-Orient) et européennes (Europe, Amérique – avec les mondes anglais dont l’Australie et la Nouvelle-Zélande –, Russie).
13. Fernand Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme. XVe-XVIIIe siècle, 3 tomes, Paris, Armand Colin, 1979. Voir en particulier la légende de la carte p. 40-41 du tome I : « Civilisations, “cultures” et peuples primitifs vers 1500 » (on retrouve la trilogie évolutionniste de Morgan dès le titre).
14. En 2018, l’ONU compte 193 membres et reconnaît 4 États non-membres (le Vatican, la Palestine, les îles Niue et Cook, ces deux archipels étant en libre association avec la Nouvelle-Zélande). Quelques pièces du puzzle géopolitique aspirent à ce statut : Taiwan, la République sahraouie, le Kosovo, le Somaliland… Stéphane Rosière, tenant compte des principaux mouvements séparatistes (tels ceux de la Catalogne, du Tibet…), envisage « un planisphère à 230 États » qu’il cartographie : « La fragmentation de l’espace politique mondial. Réflexion sur l’augmentation du nombre des États », L’Espace politique no 11, 2010/2. Il faudrait sans doute revaloriser cette liste aujourd’hui.
15. Clarisse Didelon, « Quand les firmes divisent le Monde. Représentations du territoire-Monde sur les sites Internet des firmes transnationales », Revue géographique de l’Est, vol. 50, no 1-2, 2010.
16. Introduction à la géohistoire, op. cit., chapitre 1 : « Territoire » ; L’Atlas global, Paris, Les Arènes, 2017 (2e éd.), carte des langues au XVe siècle.
17. L’article 49 du Traité sur l’Union européenne précise que pour demander à devenir membre, un État doit respecter les principes fondamentaux énoncés à l’article 2 et… être européen. Mais le Traité ne définit en rien ce qu’est un pays européen.
18. La vision des vaincus. Les Indiens du Pérou devant la conquête espagnole (1530-1570), Paris, Gallimard, 1971.
19. J’ai tenté de brosser cette genèse, ainsi que de répondre à la question « Pourquoi l’Europe ? » dans Géohistoire de la mondialisation, op. cit.
20. Isabelle Landry-Deron (dir.), La Chine des Ming et de Matteo Ricci : le premier dialogue des savoirs avec l’Europe, Paris, Le Cerf, 2013.
21. Catherine Jami, « Légitimité dynastique et reconstruction des sciences. Mei Wending (1633-1721) », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2004, no 4, p. 701-727.
22. Le terme de Cipangu provient du texte de Marco Polo. C’est la transcription phonétique du chinois ribenguo (pays du Soleil Levant, de l’Est autrement dit). Le nom de Cathay vient du persan via l’arabe. Les musulmans d’Asie centrale (persophones) désignaient à partir du XIe siècle la Chine par le terme « Khita », du nom du groupe d’éleveurs proto-mongols, les Khitans, qui avaient fondé la dynastie des Lia de l’Ouest.
23. Quoique l’orientation au Sud des mappemondes arabes (et, par leur intermédiaire de certaines occidentales comme celle de Fra Mauro) soit parfois imputée à leur influence…
24. François Jullien (avec Thierry Marchaisse), Penser d’un dehors (la Chine). Entretiens d’Extrême-Occident, Paris, Le Seuil, 2000.
25. Pierre Chartier et Thierry Marchaisse, Chine/Europe. Percussions dans la pensée. À partir du travail de François Jullien, Paris, PUF, 2005.
26. Du temps. Éléments d’une philosophie du vivre, Paris, Grasset, 2001.
27. Philippe Pelletier, L’Extrême-Orient : l’invention d’une histoire et d’une géographie, Paris, Folio, 2011.
28. « La catégorie d’Asie fut adoptée à la fin du XIXe siècle par une fraction des élites japonaises, indiennes et chinoises séduites par le panasiatisme qui revendique une culture et une matrice religieuse (issue notamment du bouddhisme) en partie communes, et s’unissent dans le cadre du combat contre le colonialisme et l’impérialisme occidentaux. Cette Asie rêvée par les Asiatiques du XXe siècle ne procède pas seulement d’une invention européenne du XVIe siècle, elle s’inspire aussi de nombreuses pérégrinations des moines indiens et des explorateurs chinois qui ont dessiné à partir du Ier millénaire les contours d’un continent correspondant à ce que nous dénommons également l’Extrême-Orient » (Pierre Singaravelou et Fabrice Argounès, Le Monde vu d’Asie, op. cit., p. 11).
29. Shenwen Li (dir.), Chine. Europe. Amérique. Rencontres et échanges de Marco Polo à nos jours, Laval, Presses de l’université Laval, 2009.
30. André Chouraqui rêvait ainsi en 1987 : « Imaginons les Juifs et leurs alliés, les Arabes et leurs alliés, associés à des puissances chrétiennes. Cette alliance des enfants d’Abraham pourrait constituer un bloc démographique, économique, technique, financier, intellectuel, spirituel d’une puissance incroyable qui pourrait faire obstacle à la destruction du monde et réaliserait la parole d’Abraham “les nations de la Terre seront bénies en Ta postérité” » (À l’heure d’Israël, Paris, Albin Michel, 2018).
31. One Belt, One Road, en bon mandarin contemporain : la route du nord de l’océan Indien (l’ancienne Route « des Épices ») et la route trans-eurasiatique (l’ancienne Route de la Soie).
32. L’auteur de l’expression fut, au XIXe siècle, le géographe allemand Paul von Richthofen. Le choix de la soie comme produit symbolique indique bien que les échanges sont vus de l’Ouest. Grecs et Romains identifiaient la Chine comme la Sérique ou pays de la soie.
Chapitre 8. Entre États et Monde
1. François Durand-Dastès, Afrique du Nord, Moyen-Orient, Monde indien, volume de la Géographie universelle (Roger Brunet, dir.), Paris, Belin, 1995. L’expression quasi ou sub-continent découle du fait que la péninsule Indienne est un élément de plaque tectonique distinct de la plaque eurasiatique.
2. Géohistoire de la mondialisation, op. cit., chapitre 3 : « Le système Ancien Monde ».
3. Pierre-François Souyri, Histoire du Japon médiéval, Paris, Perrin, 2013.
4. Dominique Garcia et Hervé Le Bras, Archéologie des migrations, Paris, La Découverte/Inrap, 2017.
5. « Le système-Monde. Proposition pour une étude de géographie », Système et localisations. Géopoint 1984, Groupe Dupont/université d’Avignon, 1986, p. 231-240. Olivier Dollfus reprend l’expression d’Immanuel Wallerstein (World-Systems Analysis: An Introduction, Duke University Press, 2004).
6. Le Tiers-Monde, à l’époque du tiers-mondisme (cf. chapitre 3), ne fut néanmoins pas sans ambiguïté. L’idée d’un homme du Tiers-Monde, conçu comme l’inverse d’un Occidental (URSS comprise dans l’Occident, mais évidemment pas dans l’Ouest), est lisible dans beaucoup de textes de cette époque. L’homme du Sud étant plus humain, plus sociable, moins travaillé par la course à l’argent, moins matérialiste, plus respectueux de l’environnement… Mais cette vision dans la continuité du bon sauvage n’avait que peu de chances de produire un quelconque usage local.
7. Philippe Pelletier, L’Extrême-Orient, op. cit. ; Christian Grataloup, L’invention des continents, op. cit.
8. On a évoqué dans le chapitre 4 les dérives afrocentriques. Les Grands récits panafricains commencent avec Cheikh Anta Diop et l’usage à double sens de l’Égypte : d’une part, elle est, dans cette perspective, toute pénétrée de négritude (donc, au-delà, également la Grèce), d’autre part, elle irradie sa civilisation jusqu’au Cap Vert.
9. Anne-Marie Thiesse, La création des identités nationales, Paris, Le Seuil, 1999.
Conclusion
1. La citation est à l’origine du choix du titre de Chine/Europe. Percussion dans la pensée (Pierre Chartier et Thierry Marchaisse dir.), PUF, 2005.
2. Joan Druett, Tupaia. Le pilote polynésien du capitaine Cook, Tahiti, URA éditions, 2015.
3. Reinhart Koselleck, Le futur passé, Paris, Éditions de l’EHESS, 1990.
4. La matière de l’absence, Paris, Le Seuil, 2016.
5. « Victor-Marie », « Comte Hugo », 1910, in Œuvres de prose, tome II, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1988, p. 496.