On entend La Marseillaise.
Au lever du rideau, à gauche, le crétin enthousiaste achève de monter les tribunes encore vides.
À droite, vu de dos, un bonhomme accroupi fume la pipe et remet les premières strophes de La Marseillaise au phono.
L’ouvreuse entre, place le vieux Monsieur et sa femme.
Par ici, Messieurs Dames !…
Le vieux essaie son masque.
Sa femme se déplace et va tricoter sur son pliant.
L’ouvreuse s’éclipse et revient avec Déroulède1 et sa nourrice.
Par ici, Messieurs Dames… De là vous verrez très bien…
Nouvelle entrée de l’ouvreuse avec le fils et la mère, très importante.
Considération générale et murmures.
Tu seras soldat cher petit !
Ptt ! !
Mesdames, Messieurs, chers petits enfants,
Dans l’ordre extérieur, l’essentielle pensée du gouvernement, c’est la paix et pour nous la guerre doit être considérée comme un crime collectif, comme un crime collectif ! ! !
Et l’on s’étonne que la morale, que la morale et la justice, et la justice, utilement sévères pour l’homicide homicide, se montrent si négligentes ou si oublieuses pour les chefs politiques coupables de décider le massacre des peuples…
Un temps. Vifs applaudissements.
Lorsque le Maréchal de Saxe4, après la bataille de Fontenoy, faisait visiter au roi et au dauphin l’affreux champ de bataille : « Voyez, mon fils, dit Louis XV, ce que coûte une victoire. Le sang de nos ennemis est aussi le sang des hommes. La vraie gloire est de l’épargner » … Ainsi s’exprimait Louis XV, ainsi s’exprime l’esprit français ! ! !
Vifs applaudissements. Il reprend.
… L’esprit français… Et ceux qui ne pensent pas ainsi sont les serviteurs du mensonge et je les pourchasserai ! ! !
Il s’excite, visiblement ivre.
Je les pourchasserai ! !
Soudain on entend une marche militaire et un bruit de troupes qui arrivent puis s’éloignent. Herriot enlève son binocle et écoute.
Entrée du comte d’Auteroche et de lord Hay, suivis de leurs ordonnances représentant les troupes françaises et anglaises.
Comte d’Auteroche, chef des troupes françaises.
C’est la bataille de Fontenoy…
Enthousiasme des spectateurs.
SPECTATEURS
Ah ! la bataille de Fontenoy…
C’est bien !
Rompez les faisceaux !
Cliquetis. Les troupes s’en vont. Les deux chefs s’embrassent et rejoignent leur poste, lord Hay à gauche et Auteroche à droite pendant que le clairon sonne : « SOLDAT LÈVE-TOI ! »
Joffre5 entre discrètement.
Tirez les premiers, Messieurs les Anglais !
Il salue.
Non, Monsieur, à vous l’honneur !
Je n’en ferai rien…
Je vous en prie…
Vraiment, vous me gênez…
C’est la moindre des choses…
On entend dans les coulisses (accompagnement d’harmonie) :
Les tribunes enthousiastes reprennent en chœur et agitent des mouchoirs.
La mère se lève avec son fils. Déroulède, noblement, lui indique la route du champ de bataille.
Insister serait de mauvais goût…
Je suis navré, absolument navré. Tirez les premiers pour me faire plaisir…
Mais tirez donc les gars !
Du calme, monsieur Paul, du calme.
Nouvelle musique :
Adieu Paris, Adieu l’Amour,
Adieu toutes les femmes,
C’est pour la vie, c’est pour toujours
Que cette guerre infâme…
C’est à Craonne sur le plateau
Qu’on s’fera trouer la peau,
C’est nous… les condamnés,
C’est nous… les sacrifiés7…
Pendant toute la chanson, les tribunes écoutent gênées. À « condamnés », Herriot lance :
Flotte, petit drapeau,
Tous reprennent :
Tirez les premiers
Messieurs les Anglais !
Faites tirer vos gens !
Tirez les premiers Messieurs les Anglais !
Faites tirer vos gens !
Si on tirait à la courte paille…
Vous n’y pensez pas l’abbé !
Ah ! moi, monsieur le Comte, ce que j’en dis, c’est pour les derniers sacrements. La nuit ne va pas tarder à tomber et je ne voudrais pas prendre froid !
Tirez les…
Remboursez, remboursez
Remboursez, remboursez
Remboursez, remboursez.
C’est un scandale !
Rideau !
Pochettes surprises, pansements individuels, esquimaux bricks, Nénette et Rintintin9, oreillers couvertures !…
Psst la belle !
Pochette surprise, grand-père ?
Non, mon enfant, noisettes grillées !
Il en mange quelques-unes.
Je les grignote !
Ce n’est pas encore commencé et il y a déjà un déserteur !
L’aumônier se précipite et s’approche du soldat avec un bon sourire, lui prend son fusil et lui donne un crucifix10.
Tiens, mon fils, embrasse-le. On ne sait jamais ce qui peut arriver !
Le soldat se penche machinalement pour embrasser le fétiche, l’abbé en profite pour tirer sur le soldat qui s’écroule. Deux ouvreuses se précipitent pour l’emmener.
Faites attention… Il est fragile… c’est le soldat inconnu… (au public :) C’est le soldat inconnu…
Tout le monde se lève respectueusement. Minute de silence pendant laquelle on entend Joffre ronfler. Seul Herriot marque une impatience silencieuse.
Violentes détonations, les spectateurs se planquent, se couvrent la tête (la bataille commence).
Joffre réveillé en sursaut demande :
C’est la guerre.
Ah ! très bien, très bien, je croyais que… (il s’endort).
Un nouveau déserteur entre, pose son fusil, a un geste d’adieu pour le front et tranquillement se dirige vers les tribunes.
Encore un !
Le déserteur a reconnu sa mère dans la tribune. Il se précipite à ses pieds.
Maman ! Maman !
Mon fils, un déserteur !…
Misérable !
Son enfant cherche à se cacher sous ses jupes.
Il y a du monde !
Le petit déserteur insiste et très embarrassée la mère sort de sa jupe un ravissant bouclier, le tend à son fils :
Tiens, mon enfant, reviens dessus ou dessous.
Le fils se met en colère, fouille sous les jupes de sa mère d’où sort un petit vieillard-Clemenceau.
Qu’est-ce que vous faites là ?
Je fais la guerre11 !
Tout le monde se lève :
« Vive le Tigre ! Vive Clemenceau ! »
Le Tigre rugit de plaisir et désignant le petit déserteur :
« À Vincennes, au poteau ! »
Le déserteur est emmené par les deux chefs. Bruit de pas s’éloignant.
Fusillade brève.
Attitude sublime de Clemenceau.
Douleur sublime de la mère.
Le crétin-décorateur lui apporte un chapeau et un voile de deuil.
L’ouvreuse essaie le chapeau de la mère (genre modiste) puis avec une admiration béate :
Le noir vous va à ravir !
N’est-ce pas ?
Le voilà
Nicolas !
Ah ! Ah !
Ah !
Vive l’alliance franco-russe13.
Raspoutine pelote l’ouvreuse qui les conduit tous les deux aux tribunes.
Par ici p’tit père (à Raspoutine qui la pelote :) On n’est pas toujours putain, Monsieur Raspoutine !
Combien dites-vous ? Cinq mille ? Cent mille morts ? Ah bon !
Debout les morts14 !
Assis ! Assis !
Qu’est-ce que vous avez dit ?
Fusillade. On n’entend plus rien. La nourrice les sépare.
Vous auriez dû amener les baby !
!!!
Ce n’est pas un spectacle pour les enfants !
Comme vous avez raison, Madame, il n’y a plus d’enfants, plus de respect, plus de Pyrénées15, plus de panache. Et qu’est-ce que cette petite bataille de rien du tout auprès de l’exploit héroïque du chevalier Bayard défendant seul le pont de Garigliano contre deux cents Espagnols ?…
Trois cents Espagnols…
J’ai dit : quatre cents et je le maintiens !
Vous êtes un foutu imbécile, un boche…
Ils se battent. Déroulède est vainqueur. Le vieux Monsieur est indigné.
Ah ! les braves gens !… N’est-ce pas, Nicolas ?
Il se tourne vers Nicolas.
!!!
Vous rêvez, il me semble ? À quoi pensez-vous donc ?
À la mort de Louis XVI !
Temps froid. Tout le monde se lève. Minute de silence. Yeux au ciel. Déroulède en profite pour se placer au centre de la scène et s’apprête à lire sa dédicace aux tribunes. Un oiseau chante et fiente sur Déroulède.
C’est un oiseau qui vient de France !
C’est le ciel qui me l’envoie.
Déclamant :
Ce livre où pleure ma souffrance
Où chante aussi l’espoir dont mon cœur bat
Je le dédie Au cher Petit Soldat
Qui le premier, dans le premier combat,
Aura versé son sang pour notre France16 !
Signé : un ami qui vous veut du bien.
Pour ravager comme une trombe
À gauche À droite En large En long (mouvement de tête des tribunes)
Sans qu’on puisse savoir d’où ça tombe,
Pour tout bousculer nom de nom
Vive la Bombe
Pour tout bousculer nom de nom
Bêtes et gens oui, tout se cabre
Quand le canon ouvre le bal
Mais à cette danse macabre
Il faut un galop infernal.
Les tribunes miment avec satisfaction le galop jusqu’à « Vive la jambe » et progressivement.
Vive le sabre ! Vive le sabre
Il faut un galop infernal
Vive le sabre et le cheval
Le cheval court, le canon flambe
Mais pour donner l’assaut… Viens-y !
Toujours joyeux, toujours ingambe
C’est le fantassin qu’on choisit
Vive la jambe et le fusil17 !
Les tribunes se tapent les cuisses pour scander.
En avant, tant pis pour qui tombe
La mort n’est rien, Vive la tombe
Quand le pays en sort vivant
En avant ! en avant ! En avant !
Mouvement vertical des bras en trois temps. Délire rythmé.
Coups de canon. Déroulède reprend sa place. Les tribunes se cachent la tête sous les bras. Clemenceau se réfugie près d’Herriot.
Non, je n’ai pas peur, et vous ?
Moi, je tremble, mais c’est de froid.
Un carton, Monsieur Clemenceau, ça vous réchauffera.
Ils sortent. Nouvelle fusillade. entrée de Poincaré et de son secrétaire. Silence. Les tribunes se retournent et les aperçoivent.
On voit Poincaré sur le front
Quand on vient en permission
Patatapatsssn !!!!
Je suis en retard, Messieurs, veuillez m’excuser, j’écrivais mon discours et j’ai laissé passer les heures.
Halte-là ! Vous ne passerez pas
Taisez-vous, monsieur Paul. Vous voyez bien que c’est Monsieur Poincaré !
Et j’ai laissé passer les heures… Voyons, où en sommes-nous ? Combien y a-t-il de morts ?
Le secrétaire Deibler18 s’essuie les mains après son tablier et lui tend une liste qu’il consulte, fébrile.
Diable, diable, nous ne sommes pas d’accord…
Avec les blessés, vous aurez peut-être votre compte.
Nous verrons ça à tête reposée.
Il range ses papiers et demande à Deibler :
Avez-vous vu la maquette ?
Quelle maquette, Monsieur le Président ?
La maquette du monument aux morts de Fontenoy, parbleu ! Tenez, la voilà (il lui montre la maquette et la fait passer aux tribunes). Elle est superbe, un peu trop moderne à mon avis, un peu cubiste (les tribunes acquiescent et haussent les épaules) mais il faut bien les gâter un peu ces chers petits, c’est de leur âge !
Il sort des papiers et commence à lire.
Soldats tombés à Fontenoy, sachez que vous n’êtes pas tombés dans l’oreille d’un sourd et que je fais ici le serment de vous venger, de vous suivre, et de périr…
Tout le monde se signe. Le crétin dépose une couronne crêpée. Pendant le discours, on entend le canon au loin. Au premier plan, le chef français fait sa prière et boit le coup ; le chef anglais pique des drapeaux.
Ne gueulez pas si fort, on n’entend plus le canon.
Vous êtes un abominable gredin !
Un jeune homme se levant à l’orchestre applaudit chaleureusement.
Qui est ce jeune homme ?
C’est le jeune homme à qui les Allemands ont coupé les mains en 1914.
Qu’il n’applaudisse pas, qu’il crie bravo, c’est plus vraisemblable.
Le secrétaire se penche à l’oreille du jeune homme et celui-ci s’éclipse.
Poincaré reprend son discours.
… Soldats tombés à Fontenoy, le soleil d’Austerlitz vous contemple… À la guerre comme à la guerre. Un militaire de perdu, dix de retrouvés. Il faut des civils pour faire des militaires ; avec un civil vivant on fait un soldat mort… et pour les soldats morts, on fait des monuments (il s’excite, hurle et ricane)… des monuments aux morts !
Raspoutine et Tsar se retirent dignement.
On entend frapper à la porte.
On a frappé.
Je n’y suis pour personne.
M. Schneider.
Messieurs du Comité des Forges, c’est à force de forger qu’on devient forgeron, c’est à force de ceinturer qu’on devient ceinturon…
Des canons ! Des munitions !
Des canons ! Des munitions !
Tout le monde s’accroupit, affolé.
Brève apparition de Guillaume II22 qui passe la tête – Bruit de foudre – Torpille – Nouvelle entrée du flic qui s’adresse aux tribunes, doigt sur la bouche.
Taisez-vous – Méfiez-vous – Les oreilles ennemies vous écoutent23 (il se tire).
Poincaré reconnaît le flic et lui fait signe de s’en aller. Tout le monde se relève.
Monsieur le Président
Mais les munitions
On les a mélangées
Ça va faire mauvais effet !
Mimique des tribunes.
Mais non, ça ne fait rien
Les obus français et les obus allemands sont de la même famille.
Vous n’avez qu’à partager.
Mimique des tribunes.
Comme vous avez raison, Monsieur le Président – Merci, Monsieur le Président – Merci, Monsieur le Président – Merci…
Courbettes des tribunes en même temps.
J’en ai assez vu pour aujourd’hui. Je rentre me coucher. Bonsoir !
Un chauffeur passe en faisant coin-coin ! Weygand le hèle.
Psst ! Chauffeur, quai de la Marne !
Je suis pas bon, vous m’avez déjà poissé en 1424.
C’est malin !
C’est triste. Et dire que j’avais rêvé de gagner la Berezina avec ces braves chauffeurs russes que nous avons à Paris dans les boîtes de nuit25 !
Il sort.
… Soldats tombés un peu partout…
Il est interrompu par une sonnerie de clairon (couvre-feu). Il s’arrête inquiet… à son secrétaire :
Qu’y a-t-il ? Allez voir.
Le secrétaire se précipite et revient essoufflé.
C’est l’armistice !
Les deux chefs agitent un petit drapeau blanc, mettent des cocardes et chapeaux mous.
Déjà !
Hurrah ! Victoire !
La musique joue Over there. Les ouvreuses entrent en courant. Enthousiasme général – Danse. Distribution de lampions, drapeaux.
Tous sont groupés à droite.
Entrée de la victoire.
Victoire ! Victoire !
Chers amis, je suis heureuse et fière d’être des vôtres et je… c’est-à-dire que… (elle bafouille lamentablement).
Gloire à notre France éternelle26.
Gloire à Dieu au plus haut des Cieux !
des cieux…
Ceux qui ne font pas d’omelette
sans casser les œufs,
ont droit qu’à leur cercueil
la foule vienne et prie27 !…
Eh ! Bonjour Monsieur du Corbeau…
J’en connais d’immortels qui
sont de purs sanglots…
Fesse queue doigt…
Tirez la bobinette
La chevillette cherra
etcetera !… etcetera !…
Les gens sortent des tribunes et se mêlent à la foule. Seul Déroulède reste à sa place.
75, ce joli petit joujou
75, tous les boches en sont jaloux
75, ce joli petit joujou
75, c’est ça qui les rend tous fous !
On entend pleurer Déroulède.
Tout le monde s’écarte et le regarde.
Venez, monsieur Paul, la guerre est finie.
La guerre est finie ! Pas possible : remettez-nous ça !
Nouvelle entrée du flic – La nuit vient – Les boutiques s’allument – Il prend un pavé et le lance dans la vitre – Fracas.
À Berlin !
À Berlin ! À Berlin !
À Moscou.
Remettez-nous ça !
Remettez-nous ça !
Remettez-nous ça !
Remettez-nous ça !
(extase) Remettez-nous ça !
Le rideau se baisse. Tous disparaissent. On entend encore les voix : « À Moscou ! À Moscou ! »
Deux soldats regardent derrière le rideau… Le rideau se relève immédiatement.
L’archevêque de Paris est installé dans un fauteuil. Près de lui, dans un autre fauteuil, un des Messieurs du Comité des Forges fume paisiblement un cigare. On entend encore un peu les cris très distincts : « À Berlin ! À Moscou ! ! ! À Moscou ! »
Eh bien, qu’en pensez-vous, monseigneur… cette guerre… qu’est-ce que vous en dites ?
Je pense que ces événements sont fort heureux… Il y a quarante ans que je les attends… La France se refait et selon moi, elle ne peut se refaire autrement que par la guerre qui la purifie28 !
Ainsi va la vie…
L’argent dans la tête des gros…
Le plomb dans la tête des petits…
Il faut bien que tout le monde vive…
Dieu sait bien ce qu’il fait.
Nouvelle entrée de Joffre à quatre pattes. Il cherche sous les fauteuils.
Excusez-moi, Messieurs, mais j’ai perdu mon bâton !
Dieu vous le rende, monsieur le Maréchal !
Sont-ils bêtes, ces militaires, sont-ils bêtes, tout de même !
Il se tape sur les cuisses.
Un soldat entre en scène. Il regarde le maréchal qui le voit et l’interpelle.
N’auriez-vous pas, n’auriez-vous pas mon brave dans votre giberne, un bâton de maréchal !
Non, vieux zouave, vieille noix malade, mais dans ma musette, j’ai une faucille et un marteau…
Deux autres soldats entrent, sourdement menaçants.
Et des grenades !
On entend très doucement L’Internationale. Inquiétude des trois personnages. L’archevêque essaie d’arranger les choses.
Des grenades… des grenades
Béni soit le seigneur qui créa tous les fruits
Les pommes, les raisins et les beaux salsifis !
La grenade est un fruit aussi…
Il est interrompu par :
Ta gueule, vieille ordure…
Ta gueule, vieux singe nuisible…
Mes enfants… mes chers petits enfants…
Il élève son crucifix. Les autres se planquent derrière lui.
Ta gueule !
Mes enfants… Si vous ne respectez pas l’homme, respectez au moins le costume…
Mes enfants… mes chers petits enfants…
Respectez le costume…
Assis…
Debout…
Couchés…
Baissez la tête…
Saluez…
Engagez-vous dans la marine
Le jour de gloire est arrivé !
Subitement très violent.
Assis
Vous pouvez plier vos lampions.
Nous n’écouterons plus vos chansons
Le petit doigt collé sur la couture du pantalon
Nous ne serons plus les PCDF (violent et rapide).
Les pauvres cons du front (plus lent et explicatif)
C’est fini !
C’est fini !
Il y a quelque chose de changé !
Vos drapeaux sont mangés aux mites.
Les cloches de vos églises sont fêlées.
Il craque votre petit monde.
Et vous l’entendez craquer.
Il craque comme un vieux pantalon.
On voit votre linge qui sort.
Il est un peu dégueulasse votre linge.
Elle est un peu pisseuse votre chemise tricolore.
Le drapeau tricolore a fait le tour du monde.
C’est de l’histoire…
Fermez vos gueules vieilles vaches plaintives
L’histoire de France ce n’est pas notre histoire
C’est une histoire à dormir debout
À crever debout…
Arrêtez la musique.
C’est fini, on est réveillés
Les hommes se réveillent dans le monde entier.
Ils savent des choses !
Ils disent des choses !
Ils crient des choses !
Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté !
Il n’y a pas de paix pour les prolétaires
Contre eux c’est la guerre dans le monde entier.
Partout on traque les ouvriers
Partout on les emprisonne
Partout on tire dessus.
Pancartes.
Partout des flics
des juges
des bourreaux.
Partout des briseurs de grèves
des prêtres
et des chiens policiers.
Partout l’homme qui ne fout rien vit sur le travailleur comme un morpion doré.
Partout les prolétaires crèvent de faim…
crèvent de froid…
crèvent de fatigue
d’ennui.
Les femmes vieillissent à vue d’œil…
Les maisons sont tristes et sales…
Les assiettes sont vides…
Les enfants ressemblent à des petits morts…
Contre les ouvriers, c’est toujours la guerre.
EN RUSSIE SEULEMENT LES TRAVAILLEURS ONT LA PAIX !
Mais derrière le tabernacle de ses usines à prières
Derrière le coffre-fort de la société des nations
Derrière ses cimetières
La bourgeoisie s’est planquée.
Elle guette… elle écoute
Elle flaire.
Elle guette, la bourgeoisie, elle se débat
Elle essaie de s’en sortir
par tous les moyens.
Chaque pays améliorera d’autant mieux sa situation que celle-ci sera plus longue et plus sanglante que la guerre précédente.
Mais demain nous saurons sur qui nous tirerons
Les machines à tuer nous les prendrons.
Nous avons su les fabriquer
Nous saurons bien les faire marcher.
Et ceux qui cracheront tricolore en l’air
Leur propre sang leur retombera sur le nez.
Il y aura des morts
Mais une nouvelle vie pourra commencer.
Alors les enfants pourront rigoler.
Ils n’empêcheront pas la terre de tourner
Ils n’empêcheront pas le drapeau rouge de flotter
*
Les trois nuisibles occupent le fond de la scène.
Les quatre soldats sont à gauche.
Tous les autres sont à droite – Ils se rejoignent à la fin du chœur.
LE CHŒUR comprend donc tous ceux de droite seulement.
TOUS : le CHŒUR et LES QUATRE.
*1. Création : Paris, clôture du Deuxième congrès de la FTOF, Salle Bullier, 15 janvier 1933.
Première publication : J. Prévert, Spectacle, Gallimard, 1951 (« Le Point du jour ») [désormais Spectacle] (repris dans Œuvres complètes, I, Gallimard, 1992, p. 300-315, « Bibliothèque de la Pléiade » [désormais OC, I]).
1. Paul Déroulède (1846-1914), proche de Gambetta, fut un combattant de 1870 et participa activement à la répression de la Commune. Fondateur de la ligue des Patriotes, anti-dreyfusard notoire, il est la figure tutélaire du patriotisme de la revanche. Il sera banni de France pour dix années en 1899, suite à son engagement auprès des nationalistes les plus radicaux. Notons qu’André Prévert, père de Jacques et de Pierre, militait à la ligue des Patriotes.
2. Édouard Herriot (1872-1957), maire de Lyon, sénateur puis député, plusieurs fois président du Conseil, fut l’un des grands leaders de la gauche radicale ; il revint au pouvoir en juin 1932 comme président du Conseil et ministre des Affaires étrangères – avec le soutien mais non la participation des socialistes –, mais fut renversé lors de la séance parlementaire du 12-13 décembre de la même année. Prévert s’attaque ici au prétendu pacifisme d’Herriot.
3. Prévert reprend ici des propos tenus par Herriot lors de son discours de Gramat, prononcé le 25 juillet 1932 ; le président du Conseil, favorable au désarmement de l’Europe, appelait cependant à la plus grande prudence en raison du réarmement de l’Allemagne. Les communistes dénoncèrent son militarisme patriotique.
4. Hermann Maurice, comte de Saxe (1696-1750), maréchal de France. Il battit les Anglais et les Autrichiens le 11 mai 1745, lors de la bataille de Fontenoy, en présence de Louis XV, ce qui permit au royaume de conquérir la Flandre.
5. Vainqueur de la bataille de la Marne, du 6 au 13 septembre 1914, qui enraya l’avance de l’armée allemande.
6. Hymne de marche de Jack Judge et Harry Williams chanté par les Anglais durant la Première Guerre mondiale et resté très populaire.
7. La Chanson de Craonne, que chantaient les Français à la suite de l’échec sanglant de l’offensive Nivelle et des mutineries d’avril 1917, devenue l’hymne emblématique de l’antimilitarisme. Œuvre anonyme.
8. Ce que c’est qu’un drapeau, chanson patriotique de 1909, l’hymne de la revanche (paroles Eugène Favart, musique La Mareille).
9. Petits pantins de lainage à épingler au vêtement, gri-gri des combattants et de leur famille durant la Grande Guerre.
10. Scène très répandue par la presse, en carte postale…
11. L’une des formules préférées du « Père la Victoire », Georges Clemenceau, chef du gouvernement à partir de 1917.
12. Nicolas II (1868-1918), dernier tsar de Russie, et le célèbre Raspoutine (?-1916), « le dépravé », qui eut une grande influence sur le pouvoir russe durant la guerre avant d’être assassiné en décembre 1916, sur les ordres du grand-duc Pavlovitch.
13. L’alliance franco-russe, réponse à la politique de Bismarck et à la signature de la Triple Alliance, date de 1893. Elle fut fortifiée au début du siècle suivant, notamment à l’instigation de Poincaré.
14. Parole attribuée à l’adjudant Péricard, héros de la bataille de Verdun, qui donnait après guerre des conférences patriotiques dans les établissements religieux.
15. Parole attribuée à Louis XV.
16. Extrait de Refrains militaires de Paul Déroulède, 6 novembre 1888.
17. « Chanson de marche », poème de Paul Déroulède, dans Nouveaux chants du soldat.
18. Anatole Deibler (1863-1939), bourreau français, exécuteur en chef des arrêts criminels. 395 condamnés à mort passèrent « entre ses mains » de 1885 à 1939.
19. Weygand (1867-1965) était chef d’état-major de la IXe armée durant la Grande Guerre. En 1930, il est chef de l’état-major et inspecteur général de l’armée. Il ne cachait pas sa sympathie pour les Croix-de-Feu.
20. Le Comité des forges, organisation interprofessionnelle très influente des grands industriels de la sidérurgie, a été créé en 1864 par les maîtres de forges ; son premier directeur fut Eugène II Schneider, figure emblématique du patronat français, héritier de la plus grande entreprise sidérurgique et métallurgique hexagonale basée au Creusot.
21. Gustav Krupp, « maître de forges » allemand, héritier de la dynastie industrielle des Krupp, qui se ralliera aux nazis.
22. Guillaume II (1859-1941), empereur d’Allemagne de 1888 à 1918, qui déclara la guerre à la Russie puis à la France en juillet 1914.
23. Slogan utilisé pendant la guerre de 1914 et repris en 1939.
24. Allusion à la réquisition de onze cents taxis parisiens pour conduire au front cinq mille hommes.
25. L’obtention d’autorisation de conduire un taxi était très largement délivrée à des Russes blancs… en échange d’informations sur certains de leurs passagers données à la Préfecture de Police.
26. Citation du poème de Victor Hugo, « Hymne ».
27. Prévert utilise encore ici des vers de Hugo (« Hymne »).
28. Citation de propos tenus par Mgr Baudrillart en août 1914.