Gilbert Buti et Phlippe Hroděj
Aix-Marseille Université et Université de Bretagne-Sud
À la suite de la littérature, d'autres supports ont fait entrer les corsaires et plus encore les pirates dans notre imaginaire. Le cinéma s'est emparé de ces personnages dès le début du XXe siècle{406}. Les premiers courts-métrages – Pirate's Treasure (1907) ou The Pirate's Gold (1908, D. W. Griffith) – mettent immédiatement l'accent sur le mythe du trésor caché dans l'espace antillais entre les XVIIe et XIXe siècles. On retrouve celui-ci parmi les réalisations, qui se développent au cours de la décennie 1920-1929, largement inspirées des illustrateurs du XIXe siècle, comme Pyle et de Wyeth. Les marins mis en scène appartiennent toujours à une bande issue de l'équipage du navire, sinon à sa totalité, et présentent les mêmes codes vestimentaires : un habillement composite, le foulard noué sur la tête, le tricorne et les chaussures à large boucle sans omettre l'anneau d'or à l'oreille...D'aucuns y ajoutent la jambe de bois, le bandeau sur l'œil ou le crochet, ainsi que le perroquet sur l'épaule, la pelle et le pic destinés à enfouir ou à rechercher un trésor dans une île, sous le soleil des Caraïbes ou des mers du Sud... En s'adressant d'abord à un public adulte les réalisateurs tendent à dramatiser l'action en multipliant les scènes d'abordage, en créant des situations nouvelles comme celle qui oppose le pirate cruel – en France parfois sous le visage du Barbaresque – et le redresseur de tort, devenu forban malgré lui comme Le Pirate noir (1926) qui prend la mer pour venger son père assassiné par de véritables bandits des mers. Totalement absents chez les illustrateurs du XIXe siècle, les personnages féminins, apparaissent sur les grands écrans, « authentiques » femmes pirates ou princesses capturées à bord des galions. Limitée à quelques réalisations – Daphne and the pirate (1916) ou La Fille du pirate (1922) – cette présence s'affirme au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Les femmes occupent parfois le rôle-titre de productions comme La Flibustière des Antilles (1951) ou la série des Angélique, Marquise des Anges (1964), les affiches ne manquant pas alors de souligner la charge érotique de ces réalisations. Le monde de la science-fiction n'ignore pas la course et la piraterie : le vaisseau est remplacé par la fusée et l'île par la planète. Les pirates des Star Wars, qui ont troqué le pilon de bois pour une jambe bionique, sont prêts à s'emparer des vaisseaux interstellaires à l'occasion de fantastiques abordages. Cette production cinématographie est largement en phase avec l'actualité. Le relatif échec du Pirates de Roman Polanski (1986) se situe en un temps où ces aventures maritimes connaissent une période de basses eaux alors que le succès de la saga du Pirate des Caraïbes (2003 à 2011, de Gore Verbinski à Rob Marshall) se situe en un temps où la piraterie enregistre un renouveau dans le monde.
En s'adressant aux enfants, le pirate rejoint la galerie des « méchants », aux côtés de l'ogre ou de la sorcière, mais il est parfois ridicule comme le Capitaine Crochet. Des dessins animés mettent en scène ces personnages tantôt corsaires, tantôt pirates de l'espace – à l'instar d'Albator, héros d'une série télévisée inspirée du manga japonais de L. Matsumoto (1978) – en mêlant plusieurs mythologies et en pointant la dimension rebelle d'hommes et de femmes en marge de la société.
Grande productrice d'images au XXe siècle, la bande dessinée s'est également emparée du corsaire et plus encore du pirate. L'affrontement du chevalier de Haddock et de Rackham le Rouge illustre, dans une certaine mesure, l'opposition entre ces deux conditions avec un trésor à la clé (Le Trésor de Rackham le Rouge, Hergé, 1944). La liste des publications est impressionnante – près de 260 titres pour les seules BD françaises depuis 1945 – et d'une grande variété de représentations pour un public friand d'aventures au long cours, en accompagnant Les passagers du vent (F. Bourgeon, 1979-2010), les hommes (et femmes) du capitaine Blackdog à bord du Barracuda (J. Dufaux et Jérémy, 2010-2015) ou les Pirates de Barataria (M. Bourgne et F. Bonnet, 2009-2016), sinon sensible à la dimension poétique d'Isaac le Pirate (C. Blain, 1999-2005) voire à celle plus cocasse du Vieux Nick et de Barbe-Noire (M. Remacle, M. Denis, 1958-1990). Néanmoins, force est de reconnaître que, comme dans les domaines littéraire et des idées, les auteurs français de bandes dessinées ont privilégié la figure du pirate et accordé moins d'intérêt à celle du corsaire national, réel comme Surcouf (A. Delalande, E. Surcouf et G. Michel, 2015) ou revisité, à l'aide de travaux de spécialistes, comme Yann de Kermeur alias l'Épervier (P. Pellerin, 1994-2015).
Le pas pris en France par la piraterie sur la course, alors qu'historiquement ce devrait être le contraire, se retrouve également dans les échoppes des « cités corsaires », à commencer par celles de Saint-Malo, où les fabricants de « souvenirs » (tee-shirt, magnet, mug...) et de cartes postales aiment brandir le Jolly Roger et entrecroiser les tibias, sans que jamais rien ne rappelle, ou si peu, que c'est là que vécurent Duguay-Trouin et Surcouf{407}. Manque d'imagination, attente des consommateurs, contrôle des droits de diffusion, difficulté à aborder l'Histoire ? Sans doute un mélange de l'ensemble à l'instar de ce que l'on trouvait déjà dans la fameuse chanson des pirates Yo ho ho and a Bottle of Rum{408} !
Vieux de plus d'un siècle, ces clichés continuent à être déclinés et adaptés aux nouvelles modes, parmi lesquelles celle des jeux vidéos. Près de 250 jeux ont été référencés depuis 1985, mêlant stratégies et aventures de corsaires et plus encore de pirates, avec une accélération de la production internationale depuis 2005, en relation avec les innovations technologiques. Comme certains longs-métrages – on songera à la transposition de L'île au trésor par Walt Disney, en dessin animé plongé dans les guerres intergalactiques{409} – ces jeux sont quelquefois les versions animées de bandes dessinées. Ils sont parfois à l'origine de créations cinématographiques, comme le film Assassin's Creed Awakening (2013) est une histoire inédite en relation directe avec le jeu vidéo Assassin's Creed IV Black Flag lui-même issu, il est vrai, du manga de Takashi Yano et Kenzi Oiwa où des pirates dominent, en 1715, les Caraïbes.
L'aventure est-elle à ce point derrière nous ? Sous la forme de la piraterie, elle se poursuit sur de nombreuses mers du globe et se propage désormais, sous le visage masqué des hackers, sur une autre toile que celle des voiles.
Assurément seuls les trésors sont enfouis, pas les fantômes...