Le renard et la cigogne
Cuisines et cultures
Compère le Renard se mit un jour en frais,
Et retint à dîner commère la Cigogne.
Le régal fut petit et sans beaucoup d’apprêts :
Le galand, pour toute besogne,
Avait un brouet clair (il vivait chichement).
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :
La cigogne au long bec n’en put attraper miette,
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.
Pour se venger de cette tromperie,
À quelque temps de là, la cigogne le prie.
« Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis,
Je ne fais point cérémonie. »
À l’heure dite, il courut au logis
De la cigogne son hôtesse,
Loua très fort sa politesse,
Trouva le dîner cuit à point.
Bon appétit surtout, renards n’en manquent point.
Il se réjouissait à l’odeur de la viande
Mise en menus morceaux, et qu’il croyait friande.
On servit, pour l’embarrasser,
En un vase à long col et d’étroite embouchure.
Le bec de la cigogne y pouvait bien passer,
Mais le museau du sire était d’autre mesure.
Il lui fallut à jeun retourner au logis,
Honteux comme un renard qu’une poule aurait pris,
Serrant la queue, et portant bas l’oreille.
Trompeurs, c’est pour vous que j’écris :
Attendez-vous à la pareille.
La cuisine est-elle le propre de l’homme ?
Longtemps j’ai balancé sur le traitement que je pourrais faire de cette fable, un peu trop riche à mon goût, porteuse de trop de messages. J’ai failli me lancer dans une dissertation sur la rancune (peut-être à la réflexion aurais-je dû le faire, qui sait ?) :
— rancune de la cigogne qui se venge du mauvais tour que lui a joué le fourbe renard ;
— rancune du volatile qui se venge du même renard qui a grugé le corbeau d’une autre fable ;
— rancune de La Fontaine, qui s’est vu plus d’une fois servir un pauvre brouet, misérable aumône, en échange de ses fabuleux ortolans poétiques. D’ailleurs, il le dit avec humour à son ami et protecteur Nicolas Fouquet : « Je vous l’avoue, et c’est la vérité / Que Monseigneur n’a que trop mérité / La pension qu’il veut que je lui donne
34. »
Avec cette blague, le poète retourne la situation, exactement comme le fait la cigogne. Tout le monde sait depuis Freud que le trait d’esprit dévoile forcément une partie de l’univers intérieur du plaisantin, que l’on peut appeler comme on veut, inconscient par exemple…
Si j’avais choisi de traiter la revanche, la vengeance, la rancune, je n’aurais eu que l’embarras du choix car ce thème implique la mémoire. L’éléphant est avec nous le plus mnémonique des animaux : or, le pachyderme n’est-il pas terriblement rancunier ? Et la loi du talion, la vengeance de Rome versant du sel sur les ruines de Carthage ? J’aurais eu bien du grain à moudre… Une autre fois, dans un autre tome peut-être car, n’étant pas héron ni dédaigneux, j’ai décidé de privilégier la forme des deux repas plutôt que le fond de la rancune. J’avais tellement envie de parler de la cuisine ! Et puis, c’est mon choix après tout !
L’arbitraire est peut-être le dernier privilège de l’auteur qui se respecte !
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Quelle que soit l’ethnie considérée, une des principales caractéristiques de l’espèce humaine est le besoin de cuisiner, c’est-à-dire de transformer sa nourriture. Passer du comestible au consommable. Il n’existe pas une tribu, pas une culture, pas une ethnie sur notre planète dont les membres ne modifient peu ou prou la nourriture au cours d’un processus nommé cuisine.
Que l’on cuise, mixe, malaxe, assaisonne, mélange, refroidisse, quand on est un être humain, on ne laisse quasiment jamais le mets tel qu’il était au moment où on l’a ramassé ou capturé et tué. À l’inverse, peu d’animaux s’en montrent capables.
Cette étrange habitude remonte sans doute à la Préhistoire, comme l’attestent les restes de foyers avec ossements d’animaux calcinés et ustensiles divers retrouvés dans les grottes et abris de nos ancêtres. Ne serait-ce pas le fait de cuisiner qui fait la différence entre « l’homme sauvage », Lucy et ses copines, et « l’homme civilisé », Cro-Magnon et Néandertal ? Pour aller dans ce sens, on peut dire également que l’invention et la maîtrise du feu marquent aussi l’irruption de la vraie cuisine : le cuit, le chaud. C’est tellement vrai que, dans les recensements d’autrefois, on disait qu’un village comptait tant de feux ou tant de foyers… La cuisine, vous dis-je, toujours la cuisine !
Pourtant, avant de s’auto-congratuler, il importe de vérifier si nos frères animaux sont capables ou non de cuisiner, eux aussi. Pour La Fontaine, cela ne fait aucun doute. Le chien domestique, donc civilisé puisqu’au contact de l’homme, donc un peu homme par contamination métonymique, est gras, donc fort, dodu, bien nourri et déguste chaque jour des repas préparés alors que le loup, bête sauvage, beaucoup plus bestial que le chien puisqu’ennemi de l’homme, n’a pas droit aux bons repas et n’avale que des proies de rencontre. Privé de la bonne cuisine humaine, il est condamné à crever de faim ; il est misérable, maigre, voire étique. De manière générale, les omnivores domestiques ou sauvages apprécient la cuisine des hommes.
Cuisines animales ?
En cherchant bien, il est possible de trouver les prémices de la préparation culinaire chez certaines populations particulières. Le raton laveur, comme son nom l’indique, souffre manifestement de troubles obsessionnels compulsifs (ou « tocs ») : il lave sa nourriture à grandes eaux avant de la consommer. Chez
les macaques laveurs de patates du Japon, la technique de nettoyage et salage des patates douces fait partie intégrante de leur culture et semble destinée à se pérenniser à jamais. Progressivement, depuis le milieu du
xxe siècle, toutes les colonies japonaises de singes ou presque s’y sont mises comme un seul singe… Mystères de la communication simiesque !
La théorie du centième singe
Une troupe de singes (macaca fuscata) isolés sur île japonaise de Koshima dans les années cinquante. Des légumes leur sont livrés chaque jour par les scientifiques qui les observent. Les macaques, animaux délicats, ne supportent pas que des cailloux, de la terre s’incrustent dans leur mets favori : les patates douces, d’où beaucoup de temps consacré à les nettoyer à la main. Un beau jour, une femelle non dominante (18 mois), dénommée Imo, découvre par hasard en laissant choir sa patate dans la mer que non seulement, celle-ci est devenue propre mais que son goût sucré salé est délicieux. Des jeunes, d’autres femelles de rang inférieur l’imitent rapidement sous l’œil désapprobateur des vieux mâles dominants. Quand les laveurs de patates atteignent le chiffre critique de cent, toute la troupe, y compris les dominants, se met à laver les patates ! Plus fort encore, par on ne sait quel processus télépathique, tous les singes du Japon apprennent la chose et procèdent de même.
Cette belle histoire contée par Lyall Watson, dans son livre Lifetide permettrait de comprendre la genèse du phénomène de la mode. Une ou deux jeunes filles portent des jeans taille basse plus un string sous leur pantalon. Les mères sourcillent : « c’est laid, c’est vulgaire, jamais je ne porterai des choses pareilles ». Le nombre des porteuses de strings augmente et soudain plein de femmes se mettent à acheter jeans taille basse et strings car c’est devenu la mode… Quelle est la masse critique d’individus dans l’espèce humaine pour qu’une mode apparaisse ?
On peut imaginer que si d’aventure un singe dominant avait le premier laissé tomber sa patate dans la mer ou si d’emblée le port du string avait été adopté par la reine d’Angleterre ou Angela Merkel, la mode en eût été accélérée.
Dommage que tout ce conte soit probablement faux, notamment l’idée du chiffre mythique de cent singes ; cette technologie du lavage des patates a sans doute été acquise et transmise progressivement d’une tribu de macaques à l’autre, d’une génération à l’autre, comme le font les chimpanzés en Afrique qui varient dans leurs cultures d’un groupe à l’autre, chaque clan ayant adopté une technologie différente depuis des générations, utilisation de pierres plus ou moins taillées pour casser les coques, fabrications de petites lances pour chasser les galagos, d’hameçons à fourmis…
Les crocodiles sont eux aussi de fins gourmets. Une fois qu’ils ont attrapé et noyé leurs proies, ils prennent plaisir à les stocker de manière à les faisander à point, un peu comme nos grands-parents faisaient avec leurs gibiers : la bécasse était suspendue par le bec et considérée comme « à point » quand le corps chutait, le bec restant attaché en l’air. Le mot anglais est «
well hung »35. L’habitude de rassir la viande
36 est pratiquement abandonnée en France comme ailleurs et, dès qu’un steak commence à sentir fort, les modernes cuisinières ou cuisiniers la jettent sans autre forme de procès, ce que pour ma part je trouve fort dommage. Surtout que, ne l’oublions pas, nos lointains ancêtres étaient des charognards et que par conséquent, nous avons toujours un certain équipement pour digérer sans danger la viande quand elle est un petit peu… avancée.
Au royaume de l’asepsie
L’ancienne chef de service de la pharmacie d’un grand hôpital lyonnais était en même temps une remarquable fine gueule, grand cordon-bleu devant l’Éternel. Elle aimait bien que sa viande fût tendre et, pour ce faire, la laissait rassir « un certain temps », ce qui ne manquait pas de susciter les critiques de ses assistantes, forcément très à cheval sur l’hygiène. « Comment, Madame, pouvez-vous manger une viande à moitié pourrie ? Ce n’est pas sain ! » Comme justement Nicole était en même temps responsable de l’hygiène hospitalière, elle décida de se livrer à une petite expérience. Elle acheta un beau rôti de bœuf. L’ins
talla sur la table de la cuisine. L’y laissa. On était en juillet. Tous les jours, elle en prélevait un échantillon qu’elle faisait analyser par le laboratoire biologique, section bactériologie.
L’expérience dura une semaine et fut interrompue avec la dernière brutalité par la femme de ménage qui menaça de rendre son tablier, organiser une manifestation, se rouler par terre, ou, pire, se syndiquer si elle ne jetait pas immédiatement « cette saleté de charogne qui empuantissait non seulement la cuisine, mais toute la maison ».
La femme de ménage n’a pas toujours l’esprit scientifique : en effet, le malheureux rôti sacrifié sur l’autel de la sacro-sainte hygiène était pourtant toujours parfaitement propre à la consommation aux dires des analyses. Malheureusement, même le chien de la maison n’y eut pas droit malgré ses revendications somme toute légitimes.
Comme quoi, la culture a beaucoup évolué en une ou deux générations et ce qui faisait saliver nos lointains ancêtres préhistoriques (une belle charogne bien pourrie), nos grands-parents (un bon gibier bien odoriférant, bien goûteux), fait horreur à nos contemporains qui ne supportent qu’une bonne viande, bien fade, bien inodore, bien stérile, attendrie chimiquement. Le mouton a disparu de nos tables où ne nous tolérons plus que l’agneau, inodore, au goût si faible. Nos enfants n’aiment plus les vrais poulets de ferme, trop durs, pas assez blancs. Ils n’aiment que les volailles de batterie, molles, fades, hormonisées, pour lesquelles « élevées en plein air » signifie d’avoir passé quelques misérables heures de leur brève vie hors de leur cage collective
37.
En Afrique, les feux de brousse ne sont pas rares lorsque la foudre a frappé la savane après une longue sécheresse. Certains rapaces attendent patiemment la fin de l’incendie pour se régaler des petits animaux, rongeurs, reptiles, insectes, tous cuits à point. À la gare Saint-Lazare, les pigeons attendent patiemment les trains pour festoyer avec les insectes cuits sur les locomotives. Il semble qu’ils connaissent parfaitement les horaires de la SNCF… Les abeilles butineuses se montrent des plus prévoyantes : elles ramassent le pollen au cours de l’été, pendant que leurs collègues en font du miel qui pourra être
stocké pendant toute la mauvaise saison. Cette transformation du pollen en miel est, d’ailleurs, probablement l’une des plus belles réussites de la cuisine animale.
Peut-on pour autant parler de cuisine à propos d’un comportement génétiquement programmé de transformation d’une substance de la part de ces insectes ? Je ne pense pas. À ma connaissance, les seuls animaux pour lesquels on peut vraiment parler de cuisine sont les singes laveurs de patates.
Phobies alimentaires
L’anecdote de la viande faisandée de notre pharmacienne illustre la gigantesque différence qui existe entre le comestible et le mangeable. Il ne faut pas croire en effet que c’est parce qu’un aliment n’est pas toxique qu’il sera consommé.
Certes, le non-comestible est universel : un champignon de type amanite phalloïde n’est pas comestible quelle que soit la culture considérée. En revanche, il existe des aliments parfaitement nutritifs et sains que certaines ethnies se refusent à manger.
Quand on est papou, et qu’on vit depuis des millénaires dans un isolat, loin de toute autre influence culturelle, il ne saurait être question de manger l’immangeable, le dégoûtant, même si on vit dans la disette. Même si c’est comestible. C’est pour cette raison que là-bas, les champignons symboles de morts ne sont pas consommés alors même qu’ils seraient parfaitement comestibles. Ils sont tabous.
En Chine la première impression est qu’il n’existe aucun interdit alimentaire. Du moment que c’est comestible, cela se mange. Il existe même un dicton qui dit que tout ce qui a quatre pattes se mange à l’exception des tables, de même que tout ce qui a deux pattes à l’exception des hommes… quoique ! Le visiteur étranger est toujours surpris des étals des marchés où l’on vend des reptiles, des araignées, des lombrics, et autres fœtus d’ours.
Tout le non-toxique se mange et pourtant…
François Lupu rapporte l’histoire d’une jeune étudiante chinoise venue en France dans le cadre d’un doctorat en sciences humaines
38. Parfaitement acclimatée et désireuse de vivre la vie des Français, elle mange comme nous… et tombe très vite malade. Mal au ventre, troubles digestifs variés la clouent au lit. Inquiète, elle écrit à sa maman qui lui répond comme auraient fait toutes les mères du monde : « Que manges-tu en France, ma fille ? » Et la fille de lui décrire les menus, y compris les carottes râpées, salades vertes, concombres, tomates à la croque-au-sel et autres céleris rémoulade qu’elle prétend adorer comme toutes les filles françaises, ses nouvelles copines. « Arrête immédiatement de manger des légumes crus », répondit la mère, « les êtres humains ne doivent pas brouter de la végétation pour animaux ! »
En Chine, le propre de l’homme, c’est le cuit. Manger du cru, c’est se rabaisser au stade de l’animalité, de la bestialité même. Obéissante, la jeune fille s’est résignée à consommer des aliments civilisés donc cui… sinés. Elle a instantanément guéri de tous ses troubles digestifs. Les Chinois se targuent donc d’être le seul peuple sans phobies alimentaires. Rien n’est plus faux ! Outre leur horreur du cru, du sang, de la viande saignante donc, ils refusent aussi de manger les enfants (veau, agneau) et détestent le lait et tous les laitages.
En Irlande, entre 1845 et 1860, près d’un million de personnes sont mortes de faim au cours d’une épouvantable famine. Beaucoup ont émigré aux Amériques à cette époque et, sur une population totale de huit à neuf millions d’habitants, ces deux facteurs entraînèrent une hémorragie d’au moins deux millions et demi de personnes. Comment un tel fléau inédit en Europe depuis la grande peste noire de 1348 a-t-il pu se produire en Europe en plein xixe siècle ?
Au contraire du reste du Vieux Continent qui mit très longtemps à en faire une alimentation de masse et la réservait au contraire aux riches, l’Irlande adopta la pomme de terre dès la
fin du
xvie siècle. Du fait de la lutte contre les « envahisseurs » anglais qui risquaient de ravager les plantations, le tubercule, facile à cultiver, devint pour les pauvres la source unique de leur alimentation. Dès lors, l’Irlande s’adonna dangereusement à la monoculture, au point qu’un dicton disait : « Deux choses sont trop sérieuses pour qu’on en rie : le mariage et la pomme de terre. »
En 1845, le champignon phytophthora infestans commença à contaminer les feuilles et les tiges de la pomme de terre. La plante se mit à pourrir et devint non comestible. Comme depuis des décennies les Irlandais pauvres ne se nourrissaient plus guère que de pommes de terre, des carences vitaminiques étaient apparues qui avaient fragilisé la population, devenue dès lors très vulnérable.
Incroyablement, ce sont les populations côtières qui furent les plus décimées par la faim, car les malheureux ignoraient que l’on put consommer le poisson sans l’accompagner de pommes de terre. Le poisson seul était devenu impropre à la consommation et les gens moururent en masse !
En France, il existe des populations défavorisées et dénutries mais, si quelqu’un leur disait que nous disposons de nombreuses espèces de larves et d’insectes parfaitement comestibles, considérées comme délectables par d’autres ethnies et surtout riches en protéines, il serait à coup sûr considéré au mieux comme fou ou, pire, comme un raciste antipauvre. Je serais pourtant prêt à parier qu’au cours des prochaines décennies, compte tenu de l’évolution démographique de la planète et de la raréfaction des ressources alimentaires, nous allons assister à l’éclosion d’un grand nombre de fermes d’insectes, lesquels seront transformés en poudre, bases culinaires de galettes, crêpes, boulettes, purées, gelées et autres délicieux soufflés. Et que le simple énoncé du menu suivant fera saliver nos descendants :
Mygale confite accompagnée de son cortège de mouches frites
Sauterelles grand veneur
Vacherin de chenilles fondantes et larves croquantes
Pour boisson : Nectar des dieux à base de miellat de pucerons de Bourgogne
Chaque peuple a ses interdits alimentaires qui n’ont rien à voir avec le caractère comestible ou non des nourritures possibles et qui paraissent parfaitement ridicules aux yeux des autres car on est toujours le Papou d’un autre.
Néophobie
En Chine, les enfants ne refusent pas de goûter les aliments qu’ils ne connaissent pas. En Occident, à partir de 18 mois, 2 ans, nos petits rêvent d’un monde jambon-purée avec éventuellement quelques pâtes et steaks hachés, voire, pour les plus aventureux d’entre eux, de poisson pané carré. Et croyez-moi, ça peut durer des années !
Pourquoi une telle différence entre les deux cultures ?
En Chine, selon François Lupu, il n’y a pas d’aliments spécifiques pour enfants. Dès qu’ils sont sevrés du lait maternel, les petits ont rigoureusement la même nourriture que les adultes. Il est d’ailleurs amusant d’observer la stupéfaction des mamans chinoises quand elles découvrent les alignements de petits pots pour bébés dans les supermarchés de chez nous ! On propose donc aux enfants tous les aliments possibles et c’est à eux de sélectionner ce qu’ils aiment : ils goûtent le piment, ils n’aiment pas, ils goûtent le tofu, ils aiment… Ils font leurs expériences.
De plus, chez nous, le repas est un enjeu affectif, c’est parfois même le prétexte d’un combat ou d’un jeu. Si le bébé est difficile, on va l’amuser : « Une bouchée pour Papa, une bouchée pour Maman, une bouchée pour Médor… » ou : « L’avion chargé de purée va décoller et se poser sur l’aéroport de la langue de Bébé » (suit un trajet aérien plus ou moins complexe dudit avion-cuillère accompagné de vroum-vroum
et de teuf-teuf). On fait de la prise de nourriture un moment d’amusement ou de conflit. Pour des parents occidentaux, notamment les mères, le refus du sein puis du repas est ce que l’on peut imaginer de pire, de plus déprimant.
En Chine, ce n’est jamais le cas. On propose à l’enfant des plats, il mange… ou pas ; il aime… ou pas. S’il ne mange pas, ce n’est pas un problème, il mangera mieux plus tard.
Les petits Chinois ne mangent pas ce qu’ils ont essayé et n’aiment pas, les petits Occidentaux ne mangent pas ce qu’ils ne connaissent pas. Il n’existe pas de système supérieur à l’autre et chaque système est adapté à sa culture. Toujours est-il qu’en Chine, les repas de bébé paraissent nettement moins fatigants que chez nous… Oui, oui, Bébé, j’arrive, j’arrive !