La scène était en tout point semblable aux vidéos tristement célèbres diffusées sur Internet. Vêtu de noir, le djihadiste s’était placé derrière le pape et se préparait à lancer le grand final.
– Ceci est un message destiné aux croisés, annonça, en anglais, l’homme au couteau, en regardant la caméra qui transmettait la scène en direct. Votre chef, apôtre de fausses vérités, est agenouillé en signe de soumission à la vérité suprême de l’islam, d’Allah et de son prophète, que la paix soit avec lui. Nous vous avons communiqué en temps voulu les ordres sacrés consignés dans le Saint Coran, sourate 9, verset 29, et qui font partie de la charia éternelle : « Faites la guerre à ceux qui ne croient point en Dieu ni au jour dernier, qui ne regardent point comme défendu ce que Dieu et son Apôtre ont défendu, et à ceux d’entre les hommes des Écritures qui ne professent pas la vraie religion. Faites-leur la guerre jusqu’à ce qu’ils payent le tribu de leurs propres mains et qu’ils soient soumis… »1 Vous avez entendu, kafirun, cette juste exigence d’Allah et de son prophète, que la paix soit avec lui, en sachant parfaitement que vous aviez jusqu’à minuit, heure de Rome, pour vous y soumettre. Et…
Tomás tenta de libérer son bras gauche enchaîné au pilier du trophée de Pierre, pour lancer une ultime action désespérée mais il était impossible de briser la chaîne.
– … en réponse à cet ordre d’Allah, qu’avez-vous fait ? poursuivit le djihadiste. Avez-vous obéi à la volonté divine ? Avez-vous accepté la charia sacrée ? Vous êtes-vous soumis à Allah ? Non. Vous avez refusé de vous convertir ou, à défaut, de payer la jiziah de votre propre main, comme Allah l’a ordonné dans le Saint Coran et comme l’a enseigné son Prophète, que la paix soit avec lui, à travers la sunna, le bel exemple. L’heure…
Désespéré, le Portugais regarda autour de lui à la recherche d’une pierre, d’un instrument contondant, de n’importe quel objet qu’il pourrait lancer contre Abu Bakr, la caméra vidéo ou l’ordinateur avant qu’ils ne soient tués, car il ne voulait pas mourir sans lutter, mais il ne trouva rien. Il y avait bien quelques pierres çà et là, mais elles étaient trop loin, éparpillées sur le site. La seule chose qui se trouvait près de lui était une cavité ménagée dans la paroi située près du pilier du mausolée de Pierre.
– … c’est pourquoi l’heure de la justice divine est venue, conclut le djihadiste. (Il leva son couteau et poussa le cri rituel du djihad.) Takfir !
Celui qui gérait la caméra vidéo répondit par la formule traditionnelle.
– Allahu akbar !
Dans un geste éperdu, Tomás introduisit sa main libre dans la cavité de la paroi et tâtonna frénétiquement, tandis que le pape, conscient qu’il se trouvait dans la position de l’agneau du sacrifice et qu’il serait le premier à mourir, tremblait sans réussir à se contrôler.
– Le délai a expiré, annonça Abu Bakr. L’heure de la justice d’Allah a sonné.
– Malgré la peur, le chef de l’Église, s’efforçant de garder son calme, leva les yeux en une dernière prière.
– Je ne Vous demande rien pour moi, Seigneur, hormis de la compassion, et de la miséricorde pour Votre troupeau. Rien ne peut me rendre plus heureux que de suivre Votre exemple et de mourir pour expier les péchés de l’humanité. Je Vous implore, Seigneur, ne laissez pas Vos enfants désemparés. Protégez-les du mal, guidez-les et pardonnez-leur. Mais, si Vous décidez que l’heure est venue pour Votre troupeau de payer aussi ses péchés, alors que Votre volonté soit faite. Je Vous prie…
Abu Bakr le saisit par les cheveux et lui poussa violemment la tête en arrière.
– Tais-toi, kafir ! rugit-il. Prépare-toi à rendre des comptes à Allah et à subir le châtiment éternel !
Il approcha son couteau et passa le fil de la lame sur le cou du pape, ouvrant une entaille rouge vif sous l’oreille gauche.
Dans un bruit de gargouillements, du sang commença à jaillir de la gorge du pape.
Épouvanté, désespéré et horrifié par sa propre impuissance, Tomás tâtonnait frénétiquement à l’intérieur de la cavité.
Soudain, il sentit une surface dure et froide au bout de ses doigts. C’est alors qu’il se souvint.
Ce matin, lorsqu’il était venu là avec Maria Flor, il avait laissé quelques instruments d’archéologie dans ce trou. Deux petites pelles et une petite pioche.
Il la saisit par le manche et, s’étirant autant que la chaîne le permettait, il se jeta sur le djihadiste qu’il atteignit dans le dos avec la pointe de la pioche.
Abu Bakr hurla de douleur.
Il lâcha le pape. Le couteau ensanglanté à la main, il se tourna vers Tomás et le frappa. Le Portugais se détourna juste à temps pour éviter la lame et, attirant son adversaire vers lui, essaya de lui planter à nouveau la pioche dans le dos. Cette fois, Abu Bakr ne se laissa pas faire ; il blessa Tomás au bras avec son couteau, l’obligeant à laisser tomber la pioche.
Désarmé, le bras droit tailladé et l’effet de surprise envolé, l’historien se savait perdu. Il n’avait plus la moindre énergie si ce n’est celle du désespoir. Avant que son adversaire n’ait eu le temps de se retourner, Tomás le contourna et lui passa autour du cou la chaîne qui le retenait à la colonne du mausolée. Il tira alors de toutes ses forces pour l’étrangler.
– Gghhh…
– Abu Bakr !
Pendant que l’autre homme arrivait au secours de son compagnon, tout en continuant à tirer sur la chaîne avec ce qui lui restait d’énergie, Tomás regarda en direction du trépied, où la caméra vidéo transmettait au monde entier les images des événements extraordinaires qui se déroulaient dans le trophée de Pierre. Il vit alors Ibn Taymiyyah armer sa kalachnikov et la diriger vers le pape.
Le chef de l’Église avait roulé par terre, les mains autour du cou pour tenter d’arrêter le sang qui ne cessait de couler. Ibn Taymiyyah était déterminé à mener à bien sa mission sacrée plutôt qu’à sauver son compagnon.
Lorsqu’il fut prêt à ouvrir le feu, il poussa le cri de guerre des moudjahidines.
– Allahu akbar !
Presque instinctivement, Tomás libéra Abu Bakr de la chaîne qui l’étranglait et, avec l’énergie du désespoir, le projeta violemment sur le corps prostré du pape.
L’homme à la kalachnikov ouvrit le feu.
1. Tiré de ://www.lenoblecoran.fr/albert-kazimirski/