ÉPILOGUE

Je lève les yeux et je vois Moira flottant, comme si elle lévitait, dans le cristal translucide de la mer. Karinguiri lit, assise à côté de moi. Ella a profité des vacances de Pâques pour venir nous voir. Elle est arrivée il y a dix jours et elle connaît déjà l’île mieux que moi. Les étudiants universitaires – Fortaleza abrite une université – l’ont reçue comme une prophétesse. Ici aussi, il y en a qui croient aux utopies.

Pas moi. Je me contente d’observer. Je suis un observateur indolent et dépassionné : un flâneur37 bantou.

J’ai lu dans les journaux que le président risque d’être déporté, non pas à Luanda, mais dans l’un des nombreux pays où il placé son argent. Maintenant qu’il a perdu le pouvoir, ils sont nombreux, les anciens associés, les anciens confrères, les anciens meilleurs amis, à exiger qu’on le jette en prison. Depuis qu’il s’est enfui en Russie, dans un avion luxueux, avec sa femme et tous ses enfants, les informations à propos d’une éventuelle perte de son immense empire financier se succèdent. Les généraux qui lui ont succédé au pouvoir, en promettant des élections libres et justes, ajournées tous les six mois, ne veulent pas de son retour. Un jugement public gênerait beaucoup de gens.

Hier, j’ai reçu un mail d’Armando Carlos : “Nous t’attendons. Il faut finir ce que nous avons commencé. Le combat continue.”

Je ne lui ai pas répondu.

Je me sens bien ici. Je mène une vie tranquille. Je donne des cours à l’université. Je lis beaucoup, je me baigne dans la mer. Moira a quitté définitivement Le Cap. Elle a installé son atelier dans une antique ruine, juste devant la très ancienne demeure familiale, avec ses murs épais comme des murailles, où nous vivons – et où je finis d’écrire ces souvenirs. Elle continue de rêver, à représenter ses rêves, et son œuvre n’a pas perdu son pouvoir d’inquiéter. Mais elle est beaucoup plus calme depuis qu’elle est enceinte.

Île de Mozambique, le 2 mars 2017