Vivant artificiel
Le vivant tel que nous le connaissons aujourd’hui ne sera bientôt plus. Pas seulement parce que nous en aurons éliminé une bonne partie, mais aussi parce que nous sommes en train de développer un nouveau domaine qui va bouleverser notre rapport aux êtres biologiques : l’intelligence artificielle (IA). J’emploie le mot « domaine » à dessein. Souvenez-vous, au début de ce livre nous avons vu que le vivant est actuellement divisé en trois grandes familles appelées « domaines » : les eucaryotes, les bactéries et les archées. Bientôt nous pourrons y ajouter une quatrième : les êtres intelligents autonomes artificiels, ou, si vous préférez, les êtres vivants acellulaires. Il est question ici d’intelligence artificielle, ou IA.
Jusqu’à peu, les ordinateurs n’étaient que des machines. Ils sont désormais bien plus que ça. Grâce au deep learning, ils apprennent et peuvent emmagasiner par eux-mêmes de nouvelles connaissances et capacités, ce qui pulvérise les possibilités offertes jusqu’alors par la seule programmation. Le principe : des réseaux de millions de neurones artificiels, répartis en couches, qui communiquent entre eux et collaborent pour permettre à un programme de devenir toujours plus performant, chaque neurone effectuant des calculs simples. L’idée est restée longtemps balbutiante, mais la puissance nouvelle des ordinateurs l’a rendue extrêmement efficace. Ainsi, en 2012, Google Brain, le projet de deep learning de Google, a découvert par lui-même le concept de chat, rien qu’en visionnant des millions d’images pendant plusieurs jours1. La technique du deep learning est déjà utilisée aujourd’hui pour les voitures autonomes, les diagnostics médicaux ou la prédiction financière.
Les machines nous surpassent déjà en de multiples occurrences. Précision, fiabilité, endurance, elles sont meilleures que nous pour toutes les tâches techniques qui ne requièrent aucune inventivité particulière. Meilleures, largement moins chères, dépourvues de toute revendication syndicale, disponibles H24 7j/7 : dans quelques millénaires, plus aucun travail manuel autre qu’artistique ou artisanal ne sera réalisé par un humain. Les intelligences artificielles sont par ailleurs en train de remplacer les humains dans les tâches administratives, qui sont progressivement prises en charge par des logiciels. Nous sommes également entrés dans l’ère des chatbots, des robots virtuels qui conversent avec un utilisateur sur Internet pour l’accueillir, le renseigner ou le conseiller. Ces interlocuteurs numériques vont se développer dans tous les aspects de notre vie quotidienne. Ils présentent d’énormes avantages sur les humains : ils ne sont pas soumis aux aléas de leur humeur et de leur santé, ils ne perdent pas patience, ils ne sont pas susceptibles ou irascibles, ils peuvent être drôles, chaleureux, et ils sont programmés pour nous être agréables et nous valoriser. Comment ne pas les préférer à certains agents bien humains auxquels nous sommes trop souvent confrontés ? Ces bots, auxquels on peut évidemment donner une voix humaine, remplaceront bientôt les humains dans tous les postes d’accueil téléphonique, du simple standard au service après-vente en passant par la Sécurité sociale et les centres des impôts. Implantons maintenant ces intelligences artificielles évolutives dans des corps-machines ressemblant en tout point aux nôtres de chair et de sang : nous voici avec des humanoïdes qui intégreront notre quotidien comme domestiques ou comme employés dans tous les lieux qui nécessitent une relation client physique, aéroports ou restaurants par exemple. Les robots intelligents joueront d’autre part un rôle prépondérant dans les rapports amoureux, dont la nature sera prochainement bouleversée. Et pour cause : imaginez que vous ayez la possibilité de choisir un partenaire au physique et au caractère répondant à vos attentes. Mieux : un partenaire que vos propres caractéristiques humaines et naturelles ne vous auraient sans doute jamais permis de séduire. Tentant, non ? Ajoutez-y la certitude de ne jamais endurer de reproches injustes ou de trahison, et de ne jamais vous faire larguer, quel que soit votre comportement. Beaucoup préféreront l’artificiel au naturel, d’autant que l’artificiel a toutes les chances d’être plus intelligent, plus spirituel, et plus divertissant qu’un(e) partenaire humain(e). À moins de considérer que l’on tombe amoureux de quelqu’un pour ses défauts, théorie à laquelle je n’adhère pas. Mais remettons-nous au travail.
L’intelligence artificielle va faire disparaître presque totalement les emplois. Le capitalisme libéral cherche toujours à réduire les coûts de production et donc les salaires. Les entreprises n’auront aucun intérêt à conserver des salariés humains. Cela va évidemment poser un problème économique et politique : notre système actuel, qui repose sur le principe qu’un individu doit travailler pour obtenir un revenu lui permettant de subvenir à ses besoins, n’aura bientôt plus aucun sens puisque les machines feront presque tout à notre place. Ne subsisteront pour les humains que les postes de direction directement reliés aux actionnaires. Mais les directeurs aussi seront sans doute un jour remplacés. C’est une évidence : un logiciel suffisamment puissant peut prendre pour une entreprise des décisions rationnelles et prédictives bien plus efficaces que celles des patrons actuels qui multiplient bourdes et fautes d’anticipation. La fin du travail pour les humains est une perspective partagée par Nick Bostrom, philosophe et professeur à Oxford, auteur de l’essai Superintelligence2 dans lequel il analyse les dangers d’une IA supérieure à l’intelligence humaine. Selon lui, « le but ultime de l’intelligence artificielle doit être la disparition totale du travail3 ». Mais il identifie immédiatement les deux conséquences problématiques de cette révolution. La première a été évoquée quelques lignes plus haut, elle est économique : de quoi allons-nous vivre si nous ne travaillons plus ? La question n’est toutefois pas la plus angoissante. Car imaginer une société où les moyens de subsistance sont décorrélés de l’emploi est même une perspective réjouissante. La deuxième conséquence est beaucoup plus gênante. Elle est d’ordre psychologique et concerne l’estime de soi, dans une société qui jusqu’à présent ne permet aux uns et aux autres de se définir qu’à travers leur position sociale et leur occupation professionnelle : « La dignité humaine est intimement liée au fait de subvenir à ses besoins, de gagner son pain, note Bostrom. Je pense que c’est quelque chose qu’il faudra repenser dans ce monde futur où nous n’aurons plus besoin de travailler pour vivre. Je pense qu’il faudra repenser l’éducation, qui est conçue pour fabriquer des engrenages productifs de la machine économique. Peut-être que, dans le futur, il faudra former les gens à faire un usage de leurs loisirs qui ait un sens, à maîtriser l’art de la conversation, à avoir des hobbys qui rendent leur vie plus agréable4. »
Si l’IA peut avantageusement remplacer dans le travail les humains défaillants, irrationnels, fragiles, stupides, sans mémoire, aux puissances de calcul limitées, elle devrait pouvoir s’imposer dans un autre domaine où les capacités d’analyses, et donc de calcul, sont sollicitées dans des proportions inégalées : la politique. En effet, jusqu’à présent, les pays sont gouvernés par des individus aux compétences intellectuelles souvent limitées, à la culture littéraire, historique, économique, et scientifique superficielle, guidés par des ambitions égoïstes, soumis à l’influence des clans qui leur ont permis d’accéder au pouvoir, et pour certains perturbés par de graves troubles psychiatriques. Comment attendre d’eux qu’ils prennent les décisions que la raison impose ? En réalité, le dirigeant politique actuel est un anti-logiciel puisqu’il s’écarte systématiquement de la tâche qui lui est confiée, à savoir assurer le plus grand bonheur possible pour le plus grand nombre possible. Aucun des présidents qu’a connus la France dans son histoire n’a été capable de remplir parfaitement sa mission. Pour la plupart d’entre eux, le résultat fut même catastrophique. Or on ne demande pas à un dirigeant politique d’être artiste ou romantique, donc de laisser place à ses sentiments, choses dont une machine est censée être incapable, mais simplement de résoudre des équations complexes, exactement comme un ordinateur. Il lui faut trouver les moyens d’organiser la vie d’une collectivité citoyenne le mieux possible en prenant en compte les intérêts de tous. Pour cela il lui faut intégrer une foultitude de données qui ne sont rien d’autre que du big data : la composition sociologique du pays qu’il dirige, le profil de chacun des citoyens et ses attentes, l’état des ressources de ce pays, les besoins dans de multiples domaines (santé, éducation, alimentation, logement, transports, défense, culture, etc.), les spécificités économiques, culturelles, historiques de tous les autres pays du monde avec lesquels il est en relation, et ainsi de suite. Il doit par ailleurs, pour chaque nouveau projet d’envergure initié ou géré, être capable d’en estimer les conséquences à long terme, qu’elles soient économiques, environnementales, diplomatiques ou stratégiques. Cela signifie évaluer les répercussions complètes pour les siècles à venir du développement de l’énergie nucléaire, du déclenchement de telle guerre, de la procréation médicalement assistée et de la gestation pour autrui, des pesticides, etc. Le dirigeant doit encore mettre en place des politiques qui soient les plus justes possible, par exemple pour la répartition des richesses ou les sanctions des crimes et délits. Mais qu’est-ce au juste que le juste ? Répondre à cette question exige là encore de prendre, pour chaque cas étudié, des centaines ou des milliers de critères pour être certain de ne pas faire erreur. On le comprend donc aisément : la gestion d’un pays ou d’une communauté n’est qu’une équation hypercomplexe convoquant des milliards de données. N’est-ce pas exactement le travail d’une intelligence artificielle ? D’ailleurs, comment s’appelle l’ensemble des propositions d’un parti politique ? Un programme. On pourrait dire un algorithme.
Pour les raisons précédemment expliquées, les humains sont incapables de faire correctement ce colossal travail de calcul. Alors que les problèmes qu’ils ont à traiter demandent des milliers d’équations, ils s’arrêtent à deux ou trois. Depuis des centaines d’années, les partis politiques bégayent les mêmes confrontations idéologiques en prétendant tous proposer « de meilleures solutions » que leurs adversaires. Promesse sempiternellement démentie et pourtant sempiternellement renouvelée. Les porte-parole de ces idées s’affrontent sur les plateaux télé à coups de chiffres et de raisonnements censés démontrer la validité de leurs propositions. Ces débats peuvent exister parce que ceux qui les portent sont imparfaits et en réalité incapables d’estimer avec justesse la pertinence des idées qu’ils défendent ou combattent, même lorsqu’ils sont sincères, ce qui n’est pas toujours le cas.
La faculté de l’apprentissage autonome poussé à l’extrême ouvre des perspectives sans fin. D’ailleurs le réseau de processeurs mobilisés dans le deep learning est appelé « réseau de neurones », preuve que l’intelligence artificielle entend bien concurrencer, voire remplacer, à terme, l’intelligence humaine. Nous produisons des machines de plus en plus puissantes, qu’une génération prochaine renverra néanmoins à l’âge de pierre : on nous annonce le développement des ordinateurs quantiques, jusqu’à 100 millions de fois plus puissants que les ordinateurs actuels. Leur technologie repose sur les lois de la physique quantique et non plus sur la méthode binaire des bits d’information, avec des 1 et des 0. Je me garderai bien de tenter de vous en décrire davantage la technologie, mes connaissances actuelles en la matière m’en rendant bien incapable. Normal : nous sommes entrés dans l’ère de l’incompréhension, où la plupart d’entre nous ignorent tout du fonctionnement des objets de leur quotidien, car la science devient de plus en plus complexe au fur et à mesure de ses avancées.
On lit des notices, on appuie sur des boutons comme on nous dit de faire, et voilà. On nous demande par ailleurs de ne pas être surpris, comme s’il était absolument naturel qu’un objet posé devant nos yeux puisse se transformer en image enregistrée dans un petit boîtier et que cette image apparaisse la seconde suivante sur un second boîtier similaire situé à quelques milliers de kilomètres de là. Je parle évidemment des miracles de la photographie par téléphone portable. Comme s’il était tout aussi naturel que le texte que j’écris en ce moment même sur mon ordinateur puisse apparaître identique, et dans la minute, sur l’écran du téléphone de mon éditeur, quel que soit l’endroit dans le monde où il se trouve. La magie des emails. Il faut sans doute avoir plus de quarante-cinq ans, être né dans un monde où les foyers n’étaient pas tous équipés d’un simple téléphone fixe. Il faut sans doute avoir vécu la naissance des premiers ordinateurs individuels et leurs possibilités ridicules, pour encore s’émerveiller de ces banalités du quotidien.
L’horizon est limpide : grâce à la progression sans limites de la puissance des ordinateurs ainsi qu’à l’amélioration des technologies, nous assisterons probablement prochainement à l’émergence d’une superintelligence informatique, une génération de machines plus intelligentes que nous, capables d’apprendre davantage, de simuler tous nos comportements sociaux et de les corriger, capables même de produire des œuvres artistiques. Nous aurons alors créé une simulation de cerveau humain, mais en beaucoup plus fiable et efficace, débarrassé des contraintes biologiques. Ce moment où la machine nous dépassera en intelligence porte un nom : la singularité technologique, ou simplement la singularité. Certains le prédisent au milieu de notre siècle.
Nous avons des raisons légitimes de nous inquiéter. Souvenez-vous de la mise en garde de Stephen Hawking selon qui « le développement d’une intelligence artificielle complète pourrait signer la fin de l’humanité5 ». L’astrophysicien décédé en mars 2018 n’était pas le seul à se montrer inquiet face aux performances toujours plus impressionnantes de l’IA. L’entrepreneur américain Elon Musk, qui a fondé Tesla et Space X et qui rêve de coloniser Mars, tient aussi à nous alerter : « Je travaille sur des formes très avancées d’intelligence artificielle, et je pense qu’on devrait tous s’inquiéter de ses progrès. […] Je n’arrête pas de sonner l’alarme, mais jusqu’à ce que les gens voient vraiment des robots tuer des personnes, ils ne sauront pas comment réagir, tellement ça leur paraît irréel6. »
Conscients des enjeux éthiques et civilisationnels, les grandes entreprises qui développent l’intelligence artificielle ont créé en 2016 un consortium pour réfléchir aux conséquences de l’IA et s’assurer qu’elles profitent à l’humanité. On y retrouve Amazon, Facebook, Google, Microsoft, IBM et Apple. Le futurologue américain Ray Kurzweil, aujourd’hui directeur de l’ingénierie chez Google, imagine l’avènement de la singularité d’ici à trente ans et y voit, quant à lui, « une opportunité pour l’humanité de s’améliorer » en la rendant plus intelligente7. Kurzweil, icône du transhumanisme, est considéré par certains comme un génie, et par d’autres comme un gourou illuminé. Bill Gates a choisi : il dit de lui qu’il est « le meilleur [qu’il] connaisse pour prédire le futur de l’intelligence artificielle8 ». On doit en tout cas à cet ingénieur visionnaire l’invention du scanner à plat, de la première machine capable de lire un texte imprimé pour les aveugles, ou d’un synthétiseur musical de référence. Il faut également lui reconnaître d’avoir vu juste sur le développement d’Internet et des objets connectés. Kurzweil est un grand optimiste persuadé que l’explosion technologique en cours va résoudre toutes nos problématiques actuelles, de la crise écologique à la mort. Il annonce en effet que les humains seront bientôt éternels grâce au téléchargement de leurs cerveaux sur des disques durs. Cette prédiction, que Kurzweil partage avec d’autres théoriciens transhumanistes, est loin de faire l’unanimité dans le monde scientifique. Il ne s’agit peut-être que d’un délire, en effet, même si l’hypothèse ne paraît plus si folle que ça de nos jours. Si cette prophétie se réalisait, imaginez le pataquès : faudrait-il télécharger tous les cerveaux humains en vie ? Leur donnerait-on à tous une enveloppe corporelle ou les laisserions-nous prisonniers de clés USB ? Mais à quoi peut ressembler la vie d’un être humain privé de corps ? Ne s’agit-il pas d’une torture ? Vivre, c’est expérimenter, ressentir, toucher, être touché, respirer, évoluer dans un espace… Si nous « immortalisions » les 10, 15 ou 20 milliards d’humains alors présents sur la planète au moment où la technologie serait maîtrisée, que se passerait-il ensuite ? Nous devrions faire cohabiter des humains de chair et d’os avec ces éternels informatisés. Il est en réalité fort probable que si la technologie de sauvegarde du cerveau était mise au point, elle profiterait seulement aux plus riches, ce qui ne gêne pas les transhumanistes de la Silicon Valley, tous imprégnés du dogme libéral et du souci de l’élite. Par ailleurs, à quel moment de son existence un humain devrait-il choisir de « transférer » son cerveau ? Ou cette autre question, plus essentielle sans doute que toutes les autres : imaginons qu’il soit réellement possible de copier les informations contenues dans un cerveau sur un circuit, cela rendrait-il pour autant ce circuit humain ? Non, car il faudrait qu’il ait la conscience. Or la conscience est ce qui manquera toujours à une machine, du moins tant que nous n’aurons pas percé ses mystères.
Ne parions donc pas tout de suite sur la vie éternelle, dont je ne sais si elle serait enviable. En revanche, l’homme amélioré est une réalité à laquelle nous ne pourrons pas échapper, puisque nous l’avons déjà amorcée. Lorsque j’étais enfant, je regardais à la télévision un feuilleton intitulé L’Homme qui valait trois milliards. L’histoire de Steve Austin, un ancien astronaute victime d’un crash lors d’un vol d’essai. Dans son accident il avait perdu ses deux jambes, un bras et un œil, tous remplacés par des prothèses « bioniques ». Ainsi réparé, Austin courait très vite, voyait très loin, et disposait d’une force surhumaine dans le bras. Il y a quarante ans, cette histoire d’homme-robot me fascinait et semblait bien évidemment totalement irréaliste. Pourtant nous y sommes presque. Humain augmenté, réparé, hybridé, étendu, dites comme vous voulez, les biotechnologies sont en train de l’inventer. Impressions d’organes et de tissus en 3D, reprogrammation biologique, exosquelettes, prothèses intelligentes, ce n’est qu’un début. Elon Musk, encore lui, a créé Neuralink, une entreprise qui vise à concevoir des implants cérébraux, interfaces entre l’homme et la machine, permettant d’améliorer nos capacités cognitives grâce à des implants qui augmenteraient la mémoire ou piloteraient des appareils. L’homme va fusionner avec la machine. Jusqu’où ? Seul le cerveau (dans l’hypothèse où il n’est pas « transférable » sur un support informatique) serait condamné à s’éteindre un jour de sa belle mort, tandis que tout le reste, l’ensemble des membres et des organes, serait remplaçable à souhait par des doubles artificiels. Difficile de savoir jusqu’où ira la fusion entre l’humain et la machine. Mais elle va avoir lieu. Le transhumanisme va, au moins en partie, se réaliser. Tandis que les machines deviendront de plus en plus humaines, les humains, eux, deviendront de plus en plus machines. Nick Bostrom prédit lui aussi la fin de l’humain actuel : « […] dans le futur, la technologie ne servira plus seulement à transformer le monde extérieur, mais […] elle offrira des possibilités de transformer la nature humaine en étendant nos capacités humaines. Si nous imaginons ce que seront les humains dans un million d’années, il serait très bizarre pour moi que nous soyons encore ces bipèdes enfermés dans des petites voitures, avec un cerveau de 1,5 kilo pas très différent de celui du singe9 ! »
Rien ne sert de rester prostré devant la prédiction de la fusion entre l’homme et la machine. Attelons-nous dès maintenant à définir l’autonomie et la place que nous acceptons d’accorder aux intelligences artificielles. Il nous faudra bientôt imaginer un cadre législatif pour gérer nos relations avec elles et peut-être même les limiter afin qu’elles ne prennent pas le pouvoir sur nous et qu’elles ne nous privent pas de notre humanité, à savoir prioritairement notre capacité à choisir notre destin. Mais puisqu’elles sont là, parmi nous, et qu’elles vont continuer à se développer, faisons des machines et des intelligences artificielles nos alliées, afin qu’elles participent à l’émergence d’un Homo juste, responsable et empathique, mettant en pratique les lois sans cesse réécrites de la morale, c’est-à-dire Homo ethicus.